La Première ministre italienne Giorgia Meloni assiste à l'émission de télévision nationale italienne "Porta a Porta" à Rome le 4 avril 2024.

La Première ministre italienne Giorgia Meloni participe à l'émission « Porta a Porta » sur la chaîne publique Rai 1, le 4 avril 2024. 

© Crédits photo : Filippo MONTEFORTE / AFP

« La télévision italienne est le miroir sale de la politique du pays »

En France comme en Italie, l’extrême droite a conforté sa position lors des dernières élections européennes. Nommée présidente du Conseil des ministres d’Italie en octobre 2022, Giorgia Meloni a repris en main l’audiovisuel public. À quel point ? Entretien avec l'historien Peppino Ortoleva.

Temps de lecture : 3 min

Depuis son arrivée à la tête du gouvernement italien, portée par une coalition allant du centre droit à l’extrême droite, Giorgia Meloni a nommé plusieurs de ses proches à la tête de la RAI, société de l’audiovisuel public italien. Peppino Ortoleva, universitaire italien spécialiste de l’histoire et de la théorie des médias, nous explique dans quel contexte s’inscrit cette reprise en main des médias.

Comment se structure l’écosystème audiovisuel italien sur lequel Giorgia Meloni a mis la main ?

Peppino Ortoleva : Le système médiatique en Italie est très particulier, notamment la télévision. Il est même unique en Europe. Depuis les années 1980, on y trouve deux grandes structures audiovisuelles. D’un côté, l’écosystème de Berlusconi, de l’autre la RAI, l’audiovisuel public. À côté de ça, quelques chaînes mineures.

La politique italienne est difficile à comprendre, et la télévision en est le miroir sale : la réforme de la RAI en 1975 a divisé le service public entre les partis au pouvoir. À chaque parti, sa chaîne et son service d’information, alignés. En 1987, une chaîne et un service d’information sont par exemple adjugés au parti communiste, Rai TRE.

« L'attitude de Meloni est celle d’une revanche »

Le MSI, Mouvement social italien (d’extrême droite, néofasciste), puis son successeur l’Alliance nationale, étaient exclus de ce que l’on appelle l’arc constitutionnel : exclus de l’écosystème du pouvoir, mais aussi des médias. Ces partis n’ont jamais eu le contrôle de chaînes, mais avaient tout de même la possibilité de s’exprimer lors des élections et, par ailleurs, ils avaient accès au système berlusconien.

L’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni (membre de ces différentes formations) constitue un changement de taille dans l’écosystème médiatique italien. Sur le plan idéologique, elle est une héritière de Mussolini : son attitude est celle d’une revanche. Son but, c’est de s’approprier tous les pouvoirs qui ont échappé à son camp pendant soixante-dix ans. Parmi ces pouvoirs à conquérir, il y a la RAI.

Quelle utilisation souhaite faire Giorgia Meloni de la RAI ?

Son grand problème aujourd’hui, c’est de rester au pouvoir. Les Italiens ont voté en masse Matteo Renzi [Parti démocrate] il y a dix ans, puis il a disparu. Ils ont voté en masse pour Matteo Salvini [la Ligue], il est à moins de dix pourcents. Même chose pour le Mouvement cinq étoiles. Giorgia Meloni sait que les Italiens ont tendance à parier sur la politique, ils veulent expérimenter de nouvelles choses. Pour garder et consolider son pouvoir, elle va passer par une réforme constitutionnelle.

« Giorgia Meloni peut compter sur les capacités d’autocensure de la RAI »

Le contrôle des médias est un élément important de sa stratégie : ils ne doivent surtout pas insister sur les problèmes du pays, mais rassurer les Italiens. Pas question, donc, d’évoquer la division profonde entre le Nord et le Sud, ni la dette énorme, la plus grosse dans l’Union européenne, et en proportion l’une des plus grandes du monde. Giorgia Meloni peut compter sur les capacités d’autocensure de la RAI, même s’il y a aussi une censure active. Par ailleurs, les pressions sur les questions idéologiques ont tendance à être exagérées.

Quid alors de la censure de l’écrivain antifasciste Antonio Scurati par la RAI, lors de la commémoration de la libération de l’Italie en avril ?

C’est représentatif de la basse qualité du personnel politique de la RAI. Ils étaient paniqués à l’idée que Giorgia Meloni puisse être enragée par les discours d’Antonio Scurati contre Mussolini, etc. Mais ce n’est pas réellement un enjeu pour elle. Elle peut parler des morts des escadrons fascistes, en évoquant leur martyr.

Nous parlons beaucoup de la télévision, mais qu’en est-il de la radio et de la presse écrite ?

En Italie, peu de gens lisent les journaux, depuis toujours. Donc le pouvoir peut accepter que des journaux comme Corriere della Serra soient critiques, ce n’est pas un gros problème. Quant au journal La Repubblica, antigouvernemental, il est en grave crise financière. Pour ce qui est de la radio, les chaînes publiques dépendent de la RAI. Le reste est fragmenté, leur rôle politique, limité. Il y a bien des fréquences de fans de football, très liés à la politique en Italie. La Lazio, l’un des deux clubs romains, rassemble beaucoup de fascistes, tout comme les radios qui y sont liées.

Quelle est l’attitude des Italiens vis-à-vis de tout ça ?

On observe une polarisation croissante de l’opinion, mais elle est surtout idéologique : il est rarement question du fait que la réalité du pays soit cachée. Les gens très choqués sont de gauche, lisent La Reppublica et disent que l’affaire Scurati est un scandale, mais il y a peu de discussion sur la façon dont la RAI parle au jour le jour de la politique menée, et des problèmes structurels de l’Italie.

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