Dessin de journalistes placardant des affiches sur un mur avec des dessins de blog. Edwy Plenel derrière appelle discrètement les bloggeurs à le rejoindre.

D'aucuns auront reconnu Edwy Plenel, cofondateur de Mediapart, caché derrière le mur. 

© Crédits photo : Martin Vidberg.

Les blogs abonnés n’ont plus la cote auprès de la presse française

Le Monde mettra fin d’ici quelques jours à son service de blog réservés aux abonnés. Avant le journal du soir, d’autres médias ont pris cette décision qui illustre l’intérêt décroissant de la presse pour le blogging amateur.

Temps de lecture : 8 min

Leur fin est annoncée : ce sera le 5 juin. Après quinze ans d’existence, les blogs abonnés du Monde vont disparaître du site internet. Lancé en 2004, l’espace de blogs du quotidien du soir était jusqu'ici ouvert aux « invités » (spécialistes d’un sujet, journalistes ou bien illustrateurs), et à ses abonnés.

C’est l’engouement des années 2000 autour du blogging qui a incité Le Monde à consacrer un espace dédié permettant de capter l’intérêt des internautes pour ces nouveaux espaces d’expression. « À l’époque, il existait une attente de la part des abonnés. Il faut se remettre dans le contexte : il n’y avait pas encore de réseaux sociaux », rappelle Alexis Delcambre, directeur adjoint de la rédaction chargé de la transformation numérique.

Chloë Salles, qui a soutenu une thèse sur les mutations entraînées par l’introduction des blogs au Monde, estime qu’« à sa création, l’espace de blogs du Monde est surtout une tactique qui témoigne de la recherche de formats adaptés à internet ». Le lancement de cet espace dédié à l’autopublication aura malgré tout une incidence sur le long terme.

« Certains blogs ont concurrencé les journaux dans leur capacité à révéler des scoops. »

En 2008, le rapport Giazzi sur les médias et le numérique commandé par Nicolas Sarkozy chiffrait le nombre de blogs dans l’Hexagone à 9 millions, dont 2,5 millions d’actifs, faisant de la France le pays du monde qui comportait le plus de blogs par internaute. Le phénomène n’a pas échappé à la presse, plusieurs sites se lançant dans le blogging durant les années 2000. « Internet était alors perçu comme un eldorado pour les médias qui connaissaient une crise profonde et ce format était considéré comme une nouvelle forme d’écriture qui attirait beaucoup de lecteurs », explique Chloë Salles, aujourd’hui maître de conférences à l’École de journalisme de Grenoble. « Certains d’entre eux ont même concurrencé les journaux dans leur capacité à révéler des scoops, comme lors des révélations sur l’affaire Monica Lewinsky qui ont été faites par le blog de Matt Drudge. »

 

« Créer mon blog m’a apporté une légitimité »

Si les blogs abonnés apportent du trafic aux sites qui les hébergent, ils sont pour leurs auteurs et autrices un moyen de profiter de la notoriété du média et d’obtenir une visibilité importante. « Créer mon blog  sur le site du Monde m’a apporté une légitimité. C’est une vitrine de mon travail, qui m’a permis d’avoir des contacts que je n’aurais peut-être pas eus autrement », raconte Romain Rambaud. Mais pour le fondateur du « Blog du droit électoral », la pilule est amère puisqu’il a été prévenu en avril de la fermeture de son blog le 5 juin prochain, ce qui ne lui laisse que peu de temps pour sauvegarder ses données. « J’ai créé ce blog en 2012 et il cumule aujourd’hui plus de 250 articles. Il faut que je trouve un moyen de tout stocker », s’inquiète Romain Rambaud.

Sur Twitter, la réception du mail annonçant la fin des blogs abonnés avait suscité de vives réactions qui pointent la brutalité de cet arrêt et les difficultés que va entrainer la conservation des contenus. « Quand vous avez choisi un service en ligne au sein d’un média auquel vous êtes attachés, puisque vous y êtes abonnés, on comprend que recevoir ce genre de messages peut susciter de l’émotion », assure Alexis Delcambre du journal Le Monde.

 

Marie-Hélène Lahaye, bloggeuse derrière « Marie accouche là », consacré aux questions d’accouchement, explique quant à elle n’avoir jamais reçu ce fameux mail. « Je l’ai appris par une journaliste de Mediapart qui m’a proposé de faire migrer mon blog chez eux. » Pour cette politicienne qui s’est présentée aux élections européennes « cela a été l’occasion de faire émerger des idées et des problématiques, et c’est dommage que les médias se privent d’une telle plateforme ». Si Romain Rambaud et Marie-Hélène Lahaye ont été pris de court par l’annonce de la fermeture des blogs abonnés, pour Rémi Loisel, fondateur du blog dédié au cinéma « L’Œil sur l’Ecran », la nouvelle n’a rien de surprenant. Cet ingénieur de formation estime que la communauté et les blogs « n’étaient plus très actifs » et situe les années fastes du blogging « entre 2005 et 2010 ».

« Quand L’Obs a pris la même décision, la fermeture a fait moins de bruit. »

Malgré l’imminence de l’échéance, tous les bloggeurs ne savent pas encore s’ils vont entamer les démarches de conservation de leurs données. Pas de panique toutefois : la Bibliothèque nationale de France (BNF) a rapidement annoncé sur Twitter qu’elle en assurera l’archivage. « Quand nous avons appris la fermeture des blogs abonnés du Monde, nous avons sollicité le journal pour pouvoir tout enregistrer plus facilement », explique Alexandre Chautemps, responsable du service de dépôt légal numérique de la BNF. Cette collecte inédite, qui n’aura nécessité qu’un mois, permet de conserver tous les articles existant et de les rendre accessibles en bibliothèque de recherche. « Quand L’Obs a pris la même décision, la fermeture a fait moins de bruit. Les autres plateformes ont peut-être fermé avec plus de discrétion. Après tout, il s’agit du Monde, le quotidien de référence en France », pointe Alexandre Chautemps. L’intérêt de la BNF montre aussi que le travail des bloggeurs a acquis une forte légitimité. « Nous avons estimé que cette production numérique était importante et qu’elle devait être conservée, même si le contenu est d’une qualité inégale. »

 

De nouveaux usages concurrencent le blogging

Après l’intérêt pour le blogging des années 2000 qui a vu l’émergence de Tumblr (2007), Skyblog (2002) et autres plateformes d’hébergement de blogs, la pratique subit la concurrence de supports d’autopublication comme Twitter (2006) ou Instagram (2010). « Le blogging abonné est un service beaucoup moins utilisé aujourd’hui et semble être passé de mode, au sein de notre site du moins. Pour partager des fragments de nos vies il existe un grand nombre de supports souvent plus pratiques, les réseaux sociaux en tête  », analyse Alexis Delcambre.

En matière d’audience, un tweet ou une publication Instagram semblent aujourd’hui plus efficaces qu’un post de blog. Facebook propose ainsi à ses utilisateurs d’écrire des articles directement depuis leur page. Et le développement de formats comme les threads et les stories permet de tenir un discours que l’on pouvait autrefois tenir sur un billet de blog, à l’image de ce que pratique le compte Twitter Actuel Moyen Âge ou sur Instagram la.minute.culture. Mais pour la bloggeuse Marie-Hélène Lahaye, ces nouveaux usages ne remplaceront pas le blog. « Les réseaux sociaux sont davantage dans l’immédiateté : il est difficile de creuser un sujet en profondeur en trois tweets. Les podcasts pourraient bien être l’avenir des blogs, car ils permettent vraiment d’exposer sa pensée. »

« Les blogs sont un espace d’expression libre, mais sans interaction avec la rédaction.  » 

Contrairement à ce que pensaient certains journalistes et décideurs au lancement de ces espaces, l’hébergement de contenus n’a pas permis de créer un rapport plus intimiste entre la presse et les lecteurs,  observe Alexis Delcambre. « Au Monde nous croyons à l’interaction avec le lecteur et pour cela nous avons des lives (au cours desquels la rédaction répond aux questions des lecteurs, NDLR) et nous avons multiplié les points de rencontre comme le festival de Couthures. Les blogs sont un espace d’expression libre, mais sans interaction avec la rédaction. » Un avis partagé par François Sionneau, rédacteur en chef du site de L’Obs, qui n’a pas « le sentiment que cela permet de créer un lien plus étroit avec le lecteur ». Il est lui aussi convaincu que la fin des plateformes de blogs est liée à une évolution des pratiques sur Internet. « Le fait que les blogs soient délaissés est simplement dû aux changements d’usages et des habitudes numériques, davantage tournées vers les réseaux sociaux. »

 

Des blogs réservés aux invités et journalistes

Avant Le Monde, L’Obs a pris en 2017 la décision d’abandonner son service de blogging. Et les rares blogs actifs sur le site de l’hebdomadaire sont voués à disparaître. « Nous avons inscrit cette fermeture sur le long terme. Nous en conservons par attention envers les contributeurs, pour qu’ils puissent stocker leurs données, mais bientôt il n’y en aura plus », précise François Sionneau.

Si Le Monde, L’Obs et L’Express ont tour à tour fait le choix d’abandonner leur service de blogs abonnés, Mediapart continue de miser sur ce format. « Quand Le Monde aura fermé son service, nous serons les seuls à proposer des blogs abonnés », déplore Edwy Plenel, cofondateur, président et directeur de la publication de Mediapart. Selon les chiffres transmis par le fondateur du pure player, l’activité des blogs sur sa plateforme est réelle. Avec une moyenne mensuelle de 2 300 publications de billets de blogs, de 17 300 commentaires sur l’ensemble du site et plus de 2 000 blogs considérés comme actifs, le service est toujours considéré par la rédaction comme un axe majeur de son développement. « Contrairement à nos concurrents, nous souhaitons renforcer l’aspect participatif de notre média. Mediapart est aussi un réseau social sur lequel il est possible de publier et de communiquer. Nous voulons dire aux gens qui utilisent Facebook que sur Mediapart il n’y a pas d’algorithmes qui vous piègent, pas de trafic de vos données et qu’ici vous n’êtes pas le produit. » Mais pour Edwy Plenel, cela constitue également un élément majeur, en pleine crise de confiance entre le journalisme et ses lecteurs. « Il y a un enjeu derrière tout cela. Construisons-nous, journalistes, une nouvelle relation de confiance avec le public ou nous enfermons-nous dans une tour d’ivoire ? À Mediapart, nous restons sur cette promesse originelle d’un partage et d’une discussion avec nos lecteurs. »

« Le blogging ne cessera pas d’exister. »

L’hebdomadaire L’Express ou encore le mensuel Le Monde diplomatique ainsi que la plupart des quotidiens français (L’Opinion, La Croix, L’Humanité, Le Figaro, Libération et même Le Monde), conservent un espace blog pour les invités de la rédaction. Parmi les quotidiens de presse nationale généraliste, Le Parisien fait figure d’exception, après avoir mis un terme à cette activité en décembre 2017. « Nous avions un espace réservé à nos journalistes, car c’était une pratique très en vogue il y a dix ans. Mais techniquement c’était une plateforme qu’il fallait entretenir, plus en cohérence avec notre stratégie », relate Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions du Parisien en charge du numérique.

 

Le blogging persistera

Alexis Delcambre du Monde assure que, malgré la fin des blogs abonnés, ce support reste important pour le journal : « D’un point de vue éditorial, les blogs apportent un regard complémentaire à ceux de nos journalistes et un contenu plus riche pour les lecteurs. » L’investissement du quotidien dans les blogs invités comporte aussi un aspect financier, puisque les auteurs sont majoritairement rémunérés par le journal. Selon les données transmises par la rédaction, l’espace blog cumule tout de même une belle audience, avec 10 millions de pages vues par trimestre, mais qui reste faible comparées aux 307 millions de pages vues sur lemonde.fr en avril. Le directeur adjoint de la rédaction affirme toutefois que le trafic a été «  assez peu » pris en compte lorsqu’il a été question de fermer les blogs.

 

Malgré la persistance de blogs hébergés par certains médias, l’engouement autour de ce qui fut un des premiers espaces d’autopublication semble bel et bien retombé. « Je ne pense pas pour autant que l’on puisse parler d’un désamour envers les blogs. Internet change et les textes courts sont aujourd’hui souvent les plus consultés, mais le format blog ne cessera pas d’exister, il aura juste moins de visibilité », conclut Chloë Salles. Si les blogs abonnés ne trouvent plus leur place au sein des médias français, ceux des experts et des journalistes, encore perçus comme une manière d’augmenter l’offre éditoriale, ne sont donc pas encore voués à disparaître.

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