Yann Bastard

© Crédits photo : Yann Bastard

L’info sur Instagram : l’image plus forte que les mots ?

Nouveaux formats de l’info, 2e épisode : les réseaux sociaux sont devenus des lieux de présence obligatoire pour les médias. Depuis quelques années, Instagram monte en puissance. Pour un média écrit, quelle logique adopter pour exister sur une plateforme intimement liée à l’image ?

Temps de lecture : 15 min

Twitter, Facebook, Snapchat… il est aujourd’hui compliqué pour un média, qu’il soit écrit ou télévisé, de se passer des réseaux sociaux. Il y a encore quelques réfractaires, et certains titres de presse font le strict minimum, en mettant uniquement en avant les gros titres de leurs numéros à paraître. Le développement d’un média sur les réseaux sociaux est souvent très lié à la vie de son pendant numérique : promotion, retour auprès des lecteurs/auditeurs/téléspectateurs. En somme, des outils multifonctions. Mais certaines plateformes, offrent la possibilité de publier un contenu inédit comme Twitter avec les threads. Là où le service à l’oiseau bleu parie sur la concision, l’interaction et le partage, une autre plateforme, Instagram, parie, elle, sur l’image.

Le réseau social, lancé en octobre 2010 et racheté par Facebook en 2012 est devenu un mastodonte auquel il est difficile d’échapper. En juin 2018, la plateforme annonçait avoir dépassé le milliard d’utilisateurs, tout en lançant une nouvelle fonctionnalité intégralement dédiée à la vidéo de longue durée, IGTV.

Au cours des dernières années, Instagram s’est transformé. Initialement pensé comme une application qui permettait seulement de publier des photos au format carré,  avec des filtres apportant un certain cachet aux clichés, elle s’est ensuite transformée pour devenir une sorte de « hub » de l’image. La vidéo y a fait son entrée en 2013 tandis que le format des stories, créé par Snapchat, y a été intégré en 2016. De nombreux jeunes l’ont adopté, délaissant au passage Snapchat et ses messages éphémères. Des communautés actives s’y sont formées, des usages et des grammaires spécifiques y sont apparus.

Une fois ces éléments pris en considération, il est évident qu’Instagram offre un potentiel intéressant aux médias. Mais pour un titre de presse écrite qui souhaiterait y proposer des contenus originaux et engageants, que peut offrir le service pour conquérir de nouveaux lecteurs ?

Éléments de réponse avec Eleni Stefanou, responsable des réseaux sociaux du quotidien britannique The Guardian.
 
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre travail au Guardian ?

Eleni Stefanou : Mon travail consiste à gérer les opérations quotidiennes d'une petite équipe centralisée qui s’occupe des réseaux sociaux. Au Guardian, les réseaux sociaux sont assez décentralisés. Nous avons beaucoup de comptes Facebook, Twitter, Instagram qui sont spécifiques à des domaines, à des sujets, comme la mode ou l'environnement, mais aussi à certaines zones, comme les États-Unis ou l'Australie, car nous avons des bureaux dans ces régions qui gèrent leurs propres comptes. Notre équipe a pour rôle d'aider ces autres équipes à utiliser les réseaux sociaux de la meilleure façon possible, en fonction de leurs objectifs, car il y a des différences d'un bureau à l'autre et même entre départements.

Notre autre mission consiste à explorer de nouvelles plateformes. Cela peut parfois signifier, comme avec Instagram par exemple, que nous pouvons gérer le compte principal, créer du contenu, regarder les données pour évaluer si ce que nous faisons fonctionne. Mais cela peut aussi signifier développer un nouveau format qui peut exister sur des plateformes différentes. Soit nous le développons et continuons à le produire nous-mêmes, soit nous nous occupons de la phase de recherche et de développement avant de passer le relais à nos services multimédia.

Quand le Guardian a-t-il commencé à travailler sur Instagram ?

Eleni Stefanou : Le Guardian est sur Instagram depuis le lancement du service, je crois, mais ce n'est qu'en 2015 que nous avons commencé à élaborer une stratégie. Que voulons-nous faire sur cette plateforme ? Que pensons-nous pouvoir réaliser ? Quel genre de public voulons-nous atteindre ? Depuis, nous avons vraiment affûté notre présence sur cette plateforme, ce qui se vérifie avec la croissance de notre audience.

Quel était le but recherché par le Guardian en allant sur Instagram et en y développant sa présence ?

Eleni Stefanou : Tout d'abord, nous avons constaté qu'Instagram se développait très rapidement. Ainsi, si les gens passent du temps sur cette application, et qu’ils y sont de plus en plus nombreux, cela signifie qu’elle aura un impact dans leur vie et que nous devons y être présents et participer. C'est comme cela que nous avons abordé les choses au début. Puis nous avons commencé à remarquer que, sur notre propre compte, nous atteignions un public beaucoup plus jeune que sur notre site web, et même comparé à Facebook et Twitter, mais que nous touchions aussi une audience internationale.

Si nous voulions atteindre de nouvelles personnes, pas forcément familières avec The Guardian, Instagram pouvait nous aider à le faire

Ces statistiques sont indicatives, elles ne représentent pas l'ensemble de notre audience sur Instagram, mais nous avons constaté que 20 % de notre audience en moyenne se trouvait à l'intérieur du Royaume-Uni, le reste venant de l’étranger. Nous nous sommes donc dit que si nous voulions atteindre de nouvelles personnes, pas forcément familières avec The Guardian, en raison de leur âge où de la zone géographique où elles vivent, alors Instagram pouvait nous aider à le faire.

Pensez-vous qu’un journal doit être présent sur Instagram, que c'est quelque chose à ne pas manquer que les enjeux soient trop importants ?

Eleni Stefanou : Je pense que oui, et que c'est devenu plus important au cours des douze derniers mois. Les gens s'attendent à voir de l’info sur Instagram. Ce que je vais dire est anecdotique, mais beaucoup de jeunes, des adolescents qui étudient, ou même des gens âgés d’une vingtaine d’années qui utilisent encore Twitter et Facebook, me disent qu'ils sont à l'aise et habitués à chercher leurs informations sur Instagram. Si les organes de presse ont été réticents à investir de l’énergie dans le service, c’est parce qu'ils ne peuvent pas voir un retour direct sur l'investissement en temps, comme par exemple l’augmentation du trafic vers le site web. Ils pensent donc que ça n’en vaut pas la peine. Je pense, bien sûr, que cela dépend de ce qu’est un média et quel public il essaie d'atteindre, parce que cela peut être différent pour chaque entreprise. En prenant en compte cela, je pense qu’Instagram pourrait être plus ou moins important pour un journal. Mais en général, je dirais que même si vous ne voyez pas de résultats directs comme une augmentation du trafic sur le site provenant d'Instagram, vous recevrez d'autres choses importantes qui sont simplement plus difficiles à mesurer.

Quelles sont, selon vous, les plus grandes différences entre Instagram et les autres réseaux sociaux sur lesquels vous pourriez travailler ? Quels sont les avantages de travailler sur Instagram plutôt que sur Twitter ou Snapchat, par exemple ? 

Eleni Stefanou : Je pense que le gain le plus rapide et important dont une entreprise ou une rédaction pourrait bénéficier en investissant Instagram se situe au niveau du développement d'un langage visuel. Et ce, d'une manière jamais réellement réalisée auparavant. Nous avons tendance à penser l'information visuelle de manière assez cloisonnée. Vous avez votre service photo, qui trouve les images pour le journal ou votre site web, vous avez le département multimédia, au sein duquel vous avez les gens qui font peut-être plus de production, et d’autres qui tournent ou éditent, qui sont plus visuels.

Instagram amène beaucoup de personnes à réfléchir à la communication visuelle

En ce qui concerne l'information visuelle qu'un média produit, qui a donc tendance à provenir de parties différentes de l'organisation, je pense qu'Instagram amène beaucoup de personnes qui n’y penseraient pas normalement à réfléchir à la communication visuelle, dont les journalistes. Cela les pousse à penser au « temps d'attention » quand il s'agit de vidéo ou d'une série de photos, ou encore, de réfléchir s’ils souhaitent s'adresser directement au public ou à être hors champ. Toutes ces questions deviennent plus pertinentes à cause d’Instagram. Je pense que cela signifie simplement que nous devenons plus instruits en communication visuelle. Et c'est vraiment important, compte tenu de l'orientation que prennent les choses.

Comment Instagram change-t-il la façon dont vous racontez l’information ? Vous venez de dire que l’exercice était plus visuel, c'est en soit un changement assez important ?

Eleni Stefanou
 : D'une certaine façon, oui. Parfois, cela change même l’angle de l’article. Nous décomposons davantage et nous essayons de simplifier les choses. Il y a quelques temps, quand Donald Trump a dit qu'il allait rompre l'accord avec l'Iran, l’histoire était déjà compliquée et nous avions beaucoup d'articles déjà en ligne pour approfondir le sujet et mieux comprendre de quoi il retournait. Mais même si vous connaissez bien le sujet et que vous avez le temps et la patience de lire des articles, il est très difficile de décider lequel vous allez lire, parce que nous les publions en temps réel au fur et à mesure que les choses évoluent : nous avons des pages opinions, des analyses, des reportages, donc cela peut être assez compliqué. Alors qu’Instagram propose une approche complètement différente. Nous devons nous demander « quelle est l'information essentielle dont les gens ont besoin ? » mais aussi « comment raconter cette histoire d'une manière un peu captivante ? ». Évidemment, nos articles le sont déjà. Mais notre contenu sur Instagram doit l’être d'une nouvelle façon. Il doit être pertinent et intéressant pour quelqu'un qui ne sait rien de l'accord avec l'Iran ; mais aussi pour les personnes qui suivent l’affaire et qui comprennent ce qui se passe. Nous devons donc répondre à tous ces différents niveaux de connaissance. Alors que sur le site web, et dans le journalisme plus traditionnel, il faut supposer un certain niveau de savoir [de la part du lecteur NDLR], sinon à chaque fois que vous commencez un article, vous devez rédiger trois paragraphes avec l'information de base, et cela ne fonctionne pas dans le cadre d’Instagram.

Diriez-vous que l'utilisation d'Instagram est un complément à la politique éditoriale du Guardian, ou s'agit-il plutôt d'une autre plateforme sur laquelle vous pouvez afficher le contenu du journal ? 
Eleni Stefanou : Une grande partie de ce que nous publions sur Instagram vient de notre site web : cela peut être une image ou la légende qui l’accompagne. Si nous faisons un format qui permet d’expliquer une actualité sur Instagram, nous avons un script qui est adapté de deux ou trois articles publiés sur le site web. Nous réutilisons donc beaucoup de contenus qui proviennent de la rédaction. Après l’invasion du terrain par les Pussy Riots lors de la finale de la Coupe du Monde en juillet, nous avons pris quatre images pour Instagram et les avons placées dans une galerie.

Dans un article, l'accent est mis sur les mots, [...] sur Instagram les images ont tendance à vous donner plus d'informations

Les images parlent plus que les mots dans cet exemple, vous obtenez beaucoup plus d'informations sur l'âge des femmes et leur comportement sur le terrain ainsi que sur la façon dont les footballeurs réagissent. Puis, dans la légende, nous reprenons l'essentiel de l'article, de sorte que les gens connaissent le fond de l’histoire. Mais il y a là une distinction : avec l'article, l'accent est mis sur les mots, la photo est là pour illustrer l'histoire, c'est une sorte de preuve que c'est arrivé : c'est secondaire. Alors que sur Instagram les images ont tendance à vous donner plus d'informations, ainsi qu'une expérience plus visuelle.

Quels sont les différents formats que vous avez développés jusqu'à présent ?

Eleni Stefanou
 : Nous avons constaté que les stories incarnées avec des présentateurs peuvent très bien fonctionner. Elles prennent beaucoup de temps à produire alors nous essayons de choisir soigneusement les sujets que nous couvrons de cette façon. Le format le plus ancien est un quiz appelé « Fake ou For Real ? », qui sort tous les vendredis. La façon dont nous l'avons élaboré est très spécifique à Instagram parce que les gens peuvent interagir, ils peuvent voter pour savoir si une histoire est fausse ou non. Vous pouvez voir quel pourcentage du public a eu raison ou tort. C'est donc un format très participatif. Nous avons un autre format qui s'appelle « Brexit Bites », un genre de questions/réponses, qui est très populaire. L'une de nos rédactrices politiques, Heather Stewart répond à certaines questions que les lecteurs nous envoient ou que nous croyons qu’ils se posent. C'est un format très simple : Heather est en studio et nous la filmons à l’aide d’un téléphone.

Nous avons testé un format explicatif avec un présentateur qui expose une question de culture pop ou un fait insolite. Nous l'avons fait pour l'anniversaire de Karl Marx : nous avons pris le mot « bougie », qui est un terme assez populaire dans le rap et le hip hop, et nous avons expliqué que cela vient de « bourgeoisie ». C’est quelque chose de très léger au départ qui devient académique en quelque sorte. Nous avons utilisé des extraits de films et d'émissions de télévision pour illustrer le propos et notre présentateur explique tout cela de façon assez informelle. Ça a très bien marché, mais nous n'en avons pas fait d’autre depuis. Nous aimerions faire plus de formats de ce genre, où nous prenons un sujet de culture pop et nous l'expliquons et l’illustrons avec beaucoup d'exemples ludiques, afin que les gens se disent « Oui ! Je connais cette émission ! Je l’adore ! ».

Quel est le retour des lecteurs vis-à-vis de ces différents formats ? Que vous ont-ils appris ?

Eleni Stefanou : Avec « Fake ou For Real », l'un des commentaires les plus fréquents est que les gens en veulent plus, ce que nous ne pouvons malheureusement pas faire, car nous ne produirions que ça pendant la semaine. C’est assez surprenant, car c’est un format assez long, surtout dans le contexte des stories d'Instagram, où l'on a tendance à passer du contenu d’un utilisateur à l'autre. S’arrêter patiemment pendant une minute et demie, ou jusqu'à deux minutes, sur ce que nous proposons, cela représente un temps non négligeable.

 

 Les adolescents et les jeunes consomment du contenu ensemble, c'est vraiment intéressant et surprenant 

L'autre chose surprenante, c'est que les gens regardent ces contenus avec leur famille ou leurs amis. Beaucoup d'adolescents ou de mères de famille nous ont dit : « Je regarde ça avec mes enfants/ma sœur et nous jouons ensemble ». Je trouve ça vraiment intéressant. J'ai aussi observé la façon dont les adolescents interagissent : ils sont ensemble dans la même pièce, mais ils communiquent par le biais de leur téléphone. Donc, ils se montreront les uns les autres la story. Peut-être que les générations plus âgées, y compris la mienne, peuvent faire ça de temps en temps, mais c'est généralement considéré comme un peu grossier. Tandis que les adolescents et les jeunes consomment du contenu ensemble, c'est vraiment intéressant et surprenant.

D'après les données, nous avons constaté que les stories statiques, celles composées d'images fixes et de légendes plutôt que de vidéos, ont des taux de rétention [le nombre de personnes qui regardent jusqu'à la fin rapporté au nombre total de spectateurs, NDLR] parmi les plus élevés. Ce qui n'est pas surprenant parce qu'elles sont plus faciles à assimiler que celles composées de contenu vidéo qui ne vous permettent pas d’aller à votre propre rythme, puisque vous devez regarder jusqu'à la fin. Je crois qu’ils sont moins patients face à la vidéo qu’avec les images fixes, qu'ils peuvent parcourir et lire rapidement. Nous avons décidé que nous devions être plus sélectifs avec le contenu vidéo que nous produisons parce que cela prend beaucoup de temps et que notre public ne va pas nécessairement tenir jusqu'à la fin.

Que pensez-vous d'IGTV ? Pensez-vous que c'est une bonne fonctionnalité proposée par Instagram et avez-vous l'intention d’y développer du contenu ?
Eleni Stefanou : Je suis vraiment enthousiaste, mais je m'attendais à en voir plus. Je pense qu’IGTV est un excellent produit et que la façon dont il a été conçu est très intelligente, la manière dont ils ont utilisé les éléments de télévision, notamment le bruit blanc(1) sur caractéristique ainsi que la logique des chaînes. Ça me semble vraiment intelligent car c'est un format existant que les gens comprennent et avec lequel ils sont familiers. Je suppose que le but d'IGTV est de faire en sorte que les utilisateurs restent plus longtemps sur le format vidéo, probablement parce qu’ils ont vu que ce n’est pas le cas dans le flux principal, car il y a beaucoup de contenu à consulter et explorer, et il aurait été difficile de s'en tenir à une seule vidéo dans ce cadre. Je comprends donc l'idée de créer cette zone dédiée pour la vidéo longue qui prend l’espace de tout l'écran.

 Nous attendons et observons comment les gens l'utilisent 

Je suis donc très enthousiaste à l'idée de voir comment IGTV se développera et je pense que nous pouvons en apprendre beaucoup. C'est peut-être le premier signe de nombreux changements qui vont se produire au cours des prochaines années dans le domaine de la vidéo mobile. Nous y allons lentement parce que nous ne voulons pas investir beaucoup d'énergie et de ressources dans quelque chose avant de savoir que cela nous aidera à atteindre nos objectifs. Donc nous attendons et observons comment les gens l'utilisent.

Pensez-vous qu’Instagram change le travail du journaliste ?
Eleni Stefanou
 : Je ne peux pas parler au nom des journalistes, mais d'après ce que j'ai vu, la plupart d’entre eux sont vraiment désireux d’explorer le service et d'acquérir de nouvelles compétences. Le journalisme peut être un métier très intéressant. Mais en ce qui concerne la production en tant que telle, l’écriture notamment, la forme qu’elle prend et le processus derrière, ce peut être assez répétitif et limitant. Je pense donc qu'ils sont très enthousiastes à l’idée de travailler dans ces espaces plus expérimentaux où ils peuvent être créatifs et tirer des leçons de ce qu’ils font.

 Nous savons que les réseaux sociaux vous empêchent de vous concentrer 

Je crains cependant que ce soit peut-être un peu écrasant. Ce qui est compréhensible, même pour moi, qui travaille dans les médias sociaux depuis plus de neuf ans. J'ai l'impression qu'il est vraiment difficile de rester maître de la situation.  Nous savons que les réseaux sociaux vous empêchent de vous concentrer. J’ai parlé récemment à un journaliste que j'encourageais à essayer Instagram. Et j'ai senti que j’avais le devoir de l’avertir que c’était très addictif. Ce à quoi il a répliqué: « Oh, mais est-ce beaucoup plus addictif que Twitter ou n'importe quelle autre plateforme ? » J’ai répondu : « Je suppose que non ». Je pense que les journalistes sont déjà aspirés dans ce monde, c'est comme s'ils avaient besoin d'être sur Twitter tout le temps. C'est une sorte de piège, n'est-ce pas ? Vous pensez que vous pouvez gérer Instagram et avant que vous ne vous en rendiez compte, vous n'avez pas de vie, vous êtes sur votre téléphone en permanence. Votre production est très granulaire, donc il est difficile de sentir que vous avez un réel impact. C'est pourquoi il est très important d'avoir une vue d'ensemble, d'examiner les tendances et de considérer la croissance de l’audience comme un élément complémentaire. Je crois qu'il est important d'être prudent et qu'il faut essayer de rester concentré. C'est pourquoi la stratégie est vraiment importante.

Chaque semaine, l’équipe des réseaux sociaux se réunit et nous regardons comment les contenus que nous avons publiés ont fonctionné. Nous essayons de déterminer quels sont les sujets qui inspirent vraiment les gens, qui génèrent le plus de conversations. Nous ne nous contentons pas de réagir chaque jour aux dernières actualités, nous réfléchissons et analysons les enjeux qui se posent.

Comment choisissez-vous ce que vous allez publier dans Instagram, s'agit-il d'un processus de collaboration avec la rédaction ou votre travail en est-il complètement séparé ?

Eleni Stefanou
 : Cela varie. Généralement, en tant qu'équipe, il y a certaines parties de notre site que nous consultons tous les jours pour chercher des sujets à traiter. Nous regardons notamment les 20 meilleurs contenus du Guardian, la liste étant mise à jour en direct. C’est comme ça que j'ai trouvé le sujet sur les Pussy Riots. C'est donc un très bon moyen, rapide et simple, de savoir quelles sont les tendances. Mais nous rencontrons aussi différents services et diverses équipes du journal pour voir sur quoi ils travaillent. Tous les matins il y a une conférence au Guardian  à laquelle tout le monde peut se rendre, et les représentants des différentes rubriques listent les sujets qu'ils couvrent. Donc, si nous n'avons pas de gros sujets qui se dessinent lors d'une de nos réunions de planification, nous en trouvons un lors de ces conférences. Ensuite nous pouvons aller parler à un journaliste qui travaille sur un article qui, selon nous, va très bien fonctionner. D'habitude, nous sommes proactifs, mais parfois les gens, surtout nos producteurs vidéos, viennent nous voir, nous montrent leur contenu et nous demandent si nous pouvons le promouvoir sur Instagram ou si celui-ci peut avoir une deuxième vie.


Quel est selon vous la principale problématique qui apparaît avec Instagram ?

Eleni Stefanou : Je pense que la question du ton que l’on adopte est importante. C'est un numéro d'équilibriste. Chaque plateforme a sa propre culture et sur Instagram, il s'agit de partager vos sentiments.

 Je pense que sur Instagram les choses peuvent devenir assez facilement réductrices 

Il y a de nombreuses niches différentes, mais c’est en général très personnel et motivé par ce en quoi les gens croient et les causes pour lesquelles ils se battent. Nous devons vraiment travailler dur pour garder un équilibre et raconter l’intégralité des histoires que nous abordons. Je pense que sur Instagram les choses peuvent devenir assez facilement réductrices. Lorsque nous avons commencé à être sur Instagram, avant d'élaborer une stratégie, nous employions un langage très sec. Nous aurions pu dire par exemple « c’est une photo d’untel », ce qui est une approche très sèche et factuelle. Nous savons maintenant que cela ne fonctionne pas sur Instagram. Le défi consiste donc à trouver le ton juste.


Quelles seraient les pratiques à adopter, et celles à éviter à tout prix  ?

Eleni Stefanou
 : Le plus important est de prendre du recul et de réfléchir aux aspects de votre structure sur lesquels vous voulez vous concentrer. En tant qu’organisation de presse, nous couvrons de nombreux sujets différents. Donc, pour nous, cet exercice consistait à nous demander: « Sur quels sujets voulons-nous mettre l'accent pour Instagram ? ». Et la réponse à cette question est venue de la compréhension de ceux que nous essayions et pensions pouvoir atteindre. Nous voulions atteindre de nouvelles personnes qui ne sont pas très familières avec le Guardian, qui partagent nos valeurs et qui sont passionnées par les sujets que nous couvrons.

Nous avons donc décidé de nous concentrer sur l'environnement, les droits de l’homme (qui recouvrent les droits des femmes et les droits des LGBT), le bien-être animal, la politique lorsqu'il s'agit de thèmes plus larges, comme le Brexit qui se rapporte à la liberté de mouvement. La politique n'est donc pas abordée « pour la politique », mais dans l’optique qu’« il y a quelque chose qui est en jeu pour la population ». Donc, la première chose à faire est de se concentrer sur les thèmes qui, vous aideront à atteindre un nouveau public ou le type de public que vous recherchez. Mais cela doit venir de votre travail journalistique, sinon les gens sauront que vous essayez juste de les capter sans rien leur proposer de plus, ce qui n'est pas très efficace : ils n’iront pas jusqu’au bout s’ils viennent visiter votre site.

 

 Il s'agit donc toujours d'évaluer si une image va intéresser les utilisateurs ou non 

Et puis je dirais qu’il faut vraiment comprendre comment les gens réagissent aux images, ce qui est compliqué. Nous savons que le fait de montrer des personnes à l’intérieur d’une image a tendance à attirer davantage l'attention. Mais nous savons aussi que l’image d'une personne qui n'est pas connue ou qui n'est pas frappante ne va pas susciter l'engagement, et donc que moins de personnes verront le message. Il s'agit donc toujours d'évaluer si une image va intéresser les utilisateurs ou non. Parfois, par exemple, une seule image ne va pas suffire, alors vous allez décider de créer une galerie à la place, pour que les gens voient une histoire qui se déroule une image après l’autre.

Autre point important : l'examen des données. Je voudrais voir toutes les données possibles et avoir quelqu'un [dans l’équipe] avec un bagage scientifique pour les examiner et nous dire ce qui se passe, mais ce n’est pas possible. Il faut donc trouver une façon d'examiner les données et d’en tirer des conclusions au fur et à mesure, plutôt que d'essayer de réfléchir. Beaucoup de salles de rédaction n'ont pas le temps d'analyser les données, de créer puis présenter des feuilles de calculs. Ce n'est tout simplement pas réaliste, il faut le faire d’une façon viable et simple. L’examen des données peut par exemple permettre de savoir lesquelles nous seront utiles. Sur Instagram, vous pouvez voir quel message a conduit les nouveaux visiteurs à visiter votre profil. Nous avons donc commencé à examiner cela de plus près pour voir si nous pouvions comprendre s'il y a une thématique spécifique qui nous aide à attirer de nouveaux abonnés et lecteurs. Voilà pour les choses à faire absolument.

Quant aux choses à éviter ce serait principalement « être ennuyeux ». Personne ne veut être ennuyeux mais je pense que sur Instagram il est tentant de simplement publier une image avec une légende, et parfois, ça marche. Mais en général, les gens peuvent voir  quel a été l’investissement dans ce genre de publication. Je pense que reconnaître que, même si vous n'obtenez pas en retour un élément de valeur comme du trafic (qui est une réussite concrète), cela ne veut pas dire que vous n’avez pas à faire un effort, parce que les gens apprécieront celui-ci d'une autre manière.

    (1)

    Le bourdonnement produit par les écrans. 

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