L'équipe française féminine de football célèbre son deuxième but face au Danemark le 8 avril 2019.

L'équipe française féminine de football célèbre son deuxième but face au Danemark le 8 avril 2019

© Crédits photo : Crédit Julien Crosnier/AFP/FFF. Reportage spécial AFP pour FFF. Droits d'exploitation étendus.

Médiatisation : le foot féminin gagne du terrain

Le coup d’envoi de la Coupe du monde féminine de football sera donné à Paris vendredi 7 juin au Parc des Princes. Une vitrine très importante pour cette discipline et l’ensemble des sports féminins, qui souffrent d’une sous-médiatisation.

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Même duo de commentateurs, même nombre de matchs retransmis et même dispositif d’après-match. Pour cette édition de la Coupe du monde, les joueuses de l’équipe de France féminine de football auront droit à un dispositif identique à celui de leurs homologues masculins. « C’est très différent de l’époque à laquelle je jouais », reconnaît Marinette Pichon, meilleure buteuse de l’histoire des Bleues, qui a mis un terme à sa carrière sportive en 2007. « Lorsque l’on voit cette couverture médiatique, les partenariats, les publicités, on sent une montée en puissance du football féminin. Elles ont de meilleurs résultats que nous et un style : c’est une équipe sympathique, proche des supporters. »

Cette médiatisation croissante de la discipline est renforcée par les investissements du groupe Canal+, également diffuseur de l’événement. Un documentaire consacré à l’équipe de France féminine, « Bleue », a d’ailleurs été diffusé dimanche 26 mai sur la chaîne cryptée. L’engagement du groupe de Vincent Bolloré s’étend au championnat français, dont l’intégralité des matches de première division féminine est diffusée. Pour obtenir ces droits télévisés, Canal+ aurait déboursé 6 millions d’euros sur cinq ans, soit 1,2 million d’euros par saison, selon Le Parisien. Un chiffre certes dérisoire par rapport aux sommes dépensées pour diffuser la Ligue 1 (plus de un milliard d’euros par an à partir de 2020), mais en forte hausse si on le compare aux 200 000 euros versés en 2017 et aux 110 000 euros de 2011.

La ligue féminine s’exporte aussi sur l’émission référence dans le monde du ballon rond, le Canal Football Club, qui y consacre désormais une rubrique à part entière. Et depuis cette saison, Laure Boulleau, ancienne joueuse du PSG, y exerce en tant que consultante, une première pour une femme au sein de cette émission diffusée depuis 2008. « Il y a de plus en plus de consultantes comme Laure Lepailleur à RMC Sport ou encore Nadia Benmokhtar à France Bleu. On franchit des caps, on ne parle plus de genre mais de nos compétences. Si nous arrivons à apporter une plus-value au grand public, c’est l’essentiel », se félicite Marinette Pichon, désormais consultante pour France Télévisions et plus récemment pour la chaîne l'Équipe.

 

Un nouveau produit d’appel ?

Si le football féminin séduit les chaînes historiques, comme France Télévision qui avait diffusé l'Euro féminin de football en 2017, c’est parce qu’il attire de plus en plus de téléspectateurs. Car il y a quelques années encore, c’était sur la TNT qu’il fallait se rendre pour suivre la retransmission du Mondial : les Coupes du monde de 2011 et de 2015 ont été respectivement diffusées sur D8 et W9. La dernière édition a d'ailleurs permis à la chaîne du groupe M6 d’enregistrer la meilleure audience de la TNT en 2015 — quatre millions de téléspectateurs avaient suivi l’élimination en quart de finale de la France face à l’Allemagne. Ces deux éditions ont surtout atteint un cœfficient de rentabilité directe élevé — avec un gain deux fois plus élevé que la somme investie —, qui rend la compétition particulièrement attractive pour les annonceurs et donc aussi pour des chaînes comme TF1 et Canal+. Retransmise sur ces canaux historiques, la compétition qui se déroule en France devrait donc attirer encore plus de téléspectateurs et faire oublier les bons scores des chaînes de TNT. Mais cette couverture médiatique et son succès sont fragiles. « Le football féminin va aussi être tributaire du résultat, les médias et le public peuvent lâcher prise, surtout si les Bleues sont éliminées rapidement », met en garde l’ancienne star du ballon rond Marinette Pichon.

En dépit de l’audimat et des potentielles retombées économiques, le sport féminin reste peu médiatique. Les grands rendez-vous sportifs masculins, dont le coût de diffusion est très élevé, comportent une rentabilité incertaine. À ce titre les éditions de 2007 et de 2011 de la Coupe du monde du rugby n’ont pas été rentables pour TF1, tout comme l’Euro masculin de football de 2012 diffusé par M6. « Le sport est un produit d’appel très fort pour les chaînes de télévision, mais ce n’est pas forcément une rentabilité économique directe qui est recherchée. Les retombées peuvent être plus larges, notamment pour la notoriété de la chaîne », analyse Sandy Montanola, enseignante-chercheuse à l’université Rennes-I et responsable du DUT journalisme de Lannion.

« TF1 souhaite profiter de l’image d’un football différent. »

Le football est un produit d’autant plus important pour les médias qu’il permet de se différencier dans une période de forte concurrence et de profiter de l’image positive qu’il peut susciter. « Si TF1 a fait ce choix ce n’est pas seulement pour des raisons économiques. La chaîne souhaite profiter de l’image d’un football différent », appuie la chercheuse. Après le fiasco de Knysna en 2010 et les affaires qui ont entaché la réputation du football masculin, son pendant féminin, dont l’image n’est pas ternie, peut apparaître comme une valeur refuge. Sandy Montanola met cependant en garde contre cet angélisme : « Le risque est de créer de nouveaux stéréotypes : il y aurait d’une part le football masculin avec ses dérives, et d’autre part le football féminin qui n’en connaîtrait pas. Il ne faut pas que le message autour du football féminin soit uniquement militant, en se centrant sur la pratique du foot par des femmes. Cela mettrait de côté leurs performances sportives. »

En France, le travail réalisé par la Fédération française de football pour promouvoir la pratique féminine est réel, mais tardif, souligne Marie-Stéphanie Abouna, enseignante-chercheure à l'Ileps, l’École supérieure des métiers du sport de Cergy. La FFF communique d’ailleurs sur les réseaux sociaux avec les mêmes comptes Twitter et Instagram pour les équipes féminine et masculine, ce qui profite aux joueuses sélectionnées par Corinne Diacre, moins connues.

Sexisme et cercle vicieux

Les équipes féminines ont aussi longtemps été laissées pour compte par différentes institutions. Un article paru en mai dans So Foot raconte les difficultés de l’ASJ Soyaux, un club de première division féminine au sein duquel la sélectionneuse de l’équipe de France Corinne Diacre a joué toute sa carrière, peu soutenu par la mairie et devant faire face aux résistances masculines. En 2017, lors d’un match opposant les équipes masculines de Lille et de Lyon, une pancarte représentant une femme avec marqué en-dessous le mot « cuisine » avait ainsi rappelé que la misogynie est encore prégnante au sein de la sphère du ballon rond. 

« Moins un sport correspond aux normes de féminité, plus il a de mal à accéder aux médias. »

Pour Sandy Montanola, qui a travaillé sur la médiatisation des Jeux olympiques, la mise en avant d’un sport dépend principalement de la culture sportive du pays et des représentations hommes/femmes, et donc des stéréotypes de genre. « Moins la pratique féminine d'un sport correspond aux normes de féminité, plus il a de mal à accéder aux médias. La médiatisation de la boxe a été tardive, car cette discipline développe la musculature et fait appel à de la violence, c’est le symbole de ce qui n’est pas vu comme féminin par la société. »

Si les performances féminines sont parfois évoquées pour tenter de justifier cette différence de traitement, l’argument ne tient pas selon la chercheuse. « Il faut des moyens pour avoir de bonnes infrastructures, mais les obtenir demande d’être médiatisé. » Un cercle vicieux bien connu des instances supérieures puisque le lien entre budget et performances sportives est reconnu par la Ligue de football professionnel (LFP) dans son rapport sur la saison 2017/2018. En Ligue 1, les quatre clubs les plus « riches » finissent ainsi aux quatre premières places.

Le spectacle visuel est lui aussi dépendant du budget. La diffusion télévisée du football a évolué, tout comme la mise en scène des récits autour du sport et des matchs. En Coupe du monde, on dénombre sur le terrain jusqu’à une trentaine de caméras, ce qui permet de multiplier les angles de vue et les ralentis. « Lors des premières médiatisations du foot féminin, certaines personnes ont critiqué le rythme des matchs, jugé plus lent. C’est une question de moyens techniques : s’ils sont moins importants, le montage n’est pas le même et il y a une plus faible diversité de plans à l’écran », explique Sandy Montanola.

 

La Coupe du monde, une locomotive pour l’ensemble du sport féminin ?

Preuve que les choses évoluent tout de même, le sport féminin connaît une médiatisation croissante depuis les années 2010. Sa part dans le volume horaire total de diffusion de retransmissions sportives à la télévision est passée de 7 % en 2012 à 14 % en 2014, et se situait entre 16 % et 20% en 2016, selon les chiffres du CSA. « Nous sommes à des années lumières de la façon dont le football féminin était médiatisé dans les années 2000. Aujourd’hui, il est pris au sérieux », assure Marie Stéphanie Abouna.

Contrairement aux sports masculins ce n’est pas, ici, le football qui profite le plus de cet intérêt avec « seulement » 443 heures de diffusion (contre 4 173 chez les hommes), mais le tennis, qui cumulait à 1 039 heures de diffusion en 2016.

La réussite de la Coupe du monde peut très bien propulser le sport féminin sur le devant de la scène médiatique. « C’est possible et il en a besoin. Mais lors de la précédente édition en 2015, les médias s’y étaient intéressés et cela n’a pas duré par la suite. Le football féminin est resté cantonné à l’OL et au PSG », se souvient Marie Stéphanie Abouna.

« Lors de la précédente Coupe du monde, l’intérêt des médias n’avait pas duré. »

Des doutes partagés par Sandy Montanola, qui estime qu’il ne faut pas faire de la réussite de l’événement un test sur le sport féminin, car de nombreux facteurs autres que l’engouement du public peuvent expliquer un échec d’audimat. « Beaucoup d’exemples, comme le succès du handball féminin, montrent que diffuser du sport féminin est intéressant pour un média. Mais cela ne profite pas à tout le monde : les bonnes audiences ne suffisent pas toujours à dépasser les résistances. »

Pour que le football féminin se fasse une place au sein des médias, il est aussi nécessaire que des figures sportives incarnant l’équipe et productrices de récits médiatiques émergent. Cela pourrait bien être la capitaine Amandine Henry, la défenseuse Wendie Renard ou la buteuse Eugénie Le Sommer. Surtout si ces Bleues-là amènent elles aussi la Coupe à la maison.

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