À la différence d'autres divisions de Bertelsmann, comme Avarto ou Direct Group, RTL ne fait pas partie des premières structures enfantées par le groupe, celles qui ont grandi, de façon organique, à partir d'une opération interne. Sous sa forme actuelle, RTL doit plus volontiers être considéré comme le produit d'une combinaison complexe de start-ups lancées en interne, de sociétés en participation, de fusions et d'acquisitions. L'élément externe substantiel du groupe RTL est toujours inhérent dans l'organisation actuelle de la compagnie, qui est une société côtée avec un flottant de 9 % - Bertelsmann possédant le pourcentage restant. C'est là un signe notable de l'éloignement de Bertelsmann de ses directions premières, à savoir le choix d'être une structure de propriété privée et le souhait de posséder, à terme, 100 % de ses filiales.
Bertelsmann a fait ses premiers pas dans l'industrie de la production télévisuelle et cinématographique en 1960, en créant une structure de production télévisée au sein de ses propres murs (Bertelsmann Fernsehproduktion). Cette entreprise en interne, qui comptait un effectif de 120 employés, a été créée avec un point de mire stratégique, le futur lancement d'une seconde chaîne de télévision publique en Allemagne (la ZDF), laquelle attendait encore, à l'époque, une validation du point de vue légal. Cependant, la ZDF n'ayant pas commencé à diffuser avant 1963, en raison de désaccords légaux, Bertelsmann Fernsehproduktion n'a pas réussi à prendre de suite son élan – ne réalisant que des ventes mineures à des chaînes locales (par exemple à la chaîne Hessischer Rundfunk).
Une fois les activités de la ZDF lancées, les affaires de la société de production privée vendant des contenus à un diffuseur public se sont considérablement améliorées. Malgré tout, il manquait toujours à la structure interne de Bertelsmann l'ampleur nécessaire pour profiter pleinement des opportunités offertes par le revirement légal. C'est pourquoi Bertelsmann a décidé de poursuivre ses opérations sur des opportunités externes, en rachetant la société Universum-Film AG (UFA) à la Deutsche Bank en 1964.
L'opération de Bertelsmann sur Universum-Film AG incluait aussi l'acquisition de l'UFA-Theater AG, entité gérante d'une chaîne de salles de cinéma de 35 écrans. Bien que cette structure fût mise en vente seulement 8 ans après son achat, Bertelsmann a pu, pendant un temps, contrôler la production de contenus, la distribution et la diffusion de long-métrages de très grande qualité, ce qui a donné au groupe un très fort degré d'intégration verticale.
Jusqu'aux années 1970 et 1980, la création de stations de radio et de chaînes de télévision commerciales était interdite dans la plupart des économies européennes. Luxembourg a montré une heureuse exception à ce cadre légal. Cette sorte de porte de secours législative qui a émergé au Luxembourg allait être copiée dans le reste de l'Europe. L'une des entreprises de diffusion privée les plus florissantes à mettre en œuvre cette stratégie fut la Compagnie Luxembourgeoise de Radiodiffusion (CLR). En 1957, la CLR avait lancé une station de radio privée, allemande, “Radio Luxembourg”, qui a rallié un très large public parmi les auditeurs allemands.
Bien que le club du livre de Bertelsmann ait établi un petit partenariat avec Radio Luxembourg quelque temps auparavant, il a fallu attendre le début des années 1980 pour que la CLR (sur le point d'être rebaptisée CLT, à l'époque) apparaisse sur la ligne d'horizon de Bertelsmann comme un partenaire potentiel pour des projets de plus grande envergure – la création d'une chaîne de télévision commerciale en Allemagne.
À l'époque, le cadre légal concernant les chaînes de télévision privées à but commercial était en train de s'assouplir, suite à une décision de justice majeure datant de 1981, et l'apparition d'une chaîne de télévision commerciale en Allemagne n'était plus qu'une question de temps. En attendant ce grand événement, la CLT a eu le temps d'apprendre comment gérer au mieux une station de radio allemande et a produit une émission télé au Luxembourg pendant près de dix ans. Cependant, les programmes allemands dont disposait la CLT n'étaient pas de très grande qualité. De l'autre côté de la frontière, Bertelsmann était devenu un acteur majeur dans la production de contenus pour la télévision allemande et avait pris conscience que les changements qui s'opéraient dans le cadre législatif offriraient bientôt une chance inouïe pour mener plus en avant une politique d'intégration (en ne se limitant plus à la production de contenus, mais aussi en prenant en charge son insertion au sein d'une chaîne). Malheureusement, il manquait à Bertelsmann un savoir-faire en matière de diffusion – une compétence que la CLT, elle, détenait.
Au cours des années qui ont suivi, le seul lien entre la CLT et Bertelsmann a été leur joint-venture RTL Plus, qui a fait rapidement grimper son audience de moins de 1 % en 1984 à plus de 20 % dix ans plus tard. Avec RTL Plus qui apparaît comme une opération couronnée de succès et comme une très grande opportunité pour les deux partenaires, les deux groupes ont utilisé leurs liquidités communes pour alimenter leurs portefeuilles d'actifs respectifs dans le domaine de la diffusion. De ce fait, encouragés par le succès rapide de RTL Plus, la CLT a lancé une série de chaînes de télévision commerciales en Europe, comme M6 en France et RTL Véronique aux Pays-Bas (1989). De son côté, Bertelsmann a décidé de tenter une plus forte implantation sur le marché allemand en s'associant au projet allemand de chaîne commerciale Premiere, une chaîne lancée en 1990. Bertelsmann a aussi participé au lancement de Vox, une nouvelle chaîne de télévision privée et gratuite, apparue en 1993.
Structure organisationnelle en 1997 : avant la fusion CLT-UFA
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Au fil des années, la collaboration entre les deux groupes, la CLT et Bertelsmann, n'a pas toujours été des plus tendres. Des querelles de pouvoir se seraient produites au sujet du contrôle de RTL, qui était devenue la grande affaire en or, pour chacun des deux groupes. Sans oublier que la CLT – en tant que diffuseur entièrement dédié à ce domaine, prêt à faire fructifier ses actifs dans le secteur – s'est sentie laissée de côté concernant les projets Premiere et Vox de Bertelsmann. Ainsi, fin 1996, l'idée d'un futur commun entre la CLT et Bertelsmann était plus qu'incertaine.
L'un des grands sujets de l'époque était la création d'une chaîne payante numérique, dont le développement était déjà assez avancé au Royaume-Uni et aux États-Unis. Le plus grand acteur européen sur ce secteur était Sky, propriété de News Corporation – le célèbre géant des médias façonné par Ruport Murdoch. Ainsi, au début des années 1990, les trois plus grands opérateurs de télévision en Allemagne (la CLT, Bertelsmann et le groupe Kirch) sont entrés en compétition pour gagner une alliance avec News Corporation. En 1996, Bertelsmann venait tout juste de récupérer News Corporation comme partenaire, alors que la CLT était sur le point de signer un accord de joint-venture avec News Corporation. Selon l'accord de partenariat entre Bertelsmann et la News Corporation, une nouvelle entité juridique, Newco, était créée parallèlement à Canal + et à Havas pour développer un modèle de télévision numérique. Autre point du contrat : News Corp obtenait 25 % des parts de Premiere.
En toile de fond de ces derniers développements, lesquels avaient, dans une certaine mesure, donné l'avantage à Bertelsmann en termes de positionnement stratégique, les deux groupes à l'origine de RTL lancèrent des négociations, qui ont débouché sur la signature d'un accord de fusion entre l'UFA possédée par Bertelsmann et la CLT, en janvier 1997. Bertelsmann et l'actionnaire principal de la CLT, GBL (dirigée par l'investisseur belge Albert Frère) possédaient à présent 50 % chacun des opérations de l'UFA-CLT.
Structure organisationnelle en 1997 : après la fusion CLT-UFA
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Une conséquence partielle de cette fusion a été le retrait, un peu plus tard, de NewsCorp de la joint-venture de recherche et développement Newco - officiellement, pour s'être sentie trahie par Bertelsmann, auquel News Corp avait pourtant donné la priorité sur la CLT, contre la promesse implicite que Bertelsmann ne poursuivrait aucun travail commun avec la CLT.
Le projet avec News Corp, qui avait été un facteur décisif dans le choix de la CLT, fût donc abandonné avant même d'avoir été vraiment lancé. Malgré tout, à ce moment précis, le contrat de fusion entre l'UFA et la CLT était déjà bel et bien acté, ce qui assurait à Bertelsmann un positionnement très avantageux sur le futur marché de la télévision européenne.
Au cours des années qui ont suivi, le projet de chaîne payante Première pour l'Allemagne – un projet qui focalisait toutes les attentions – s'est révélé être très éloigné de l'idée que tout le monde s'en était fait – du contenu de très grande qualité vendu pour des prix très élevés. Le développement d'une solution numérique avait consommé tellement de crédits que même les abonnements chers payés pour avoir accès à l'offre n'étaient pas en mesure de rééquilibrer la balance. C'est cette situation qui a conduit les deux plus grands groupes de télévision allemands, la CLT-UFA et le groupe Kirch, à combiner leurs forces pour trouver les fonds d'investissement nécessaires et développer le contenu de qualité souhaité. Cependant, la Commission européenne a déclaré cette option non valide en 1998, en raison des impératifs d'anti-concentration. Sans compter que, un peu plus tard cette même année, l'Office des cartels allemand a rejeté la demande de la CLT-UFA de faire passer ses parts actionnariales à 50 %. De cette façon, il est apparu clairement qu'un seul des acteurs du duopole allemand de diffusion privé (entre la CLT-UFA et le groupe Kirch) pourrait, en fin de course, contrôler la chaîne Premiere. Au final, en 1999, la CLT-UFA décida de se retirer, en vendant la quasi-totalité de ses parts dans Premiere au groupe Kirch. Comme la télévision payante était toujours considérée comme un marché porteur par les Allemands, même si, dans ce secteur, les projets consommaient, chaque jour, des sommes d'argent qui se comptaient en millions, le groupe Kirch a payé un montant généreux de 1,6 milliards de Deutsche Mark pour les parts de la CLT-UFA et a aussi conclu un accord d'approvisionnement en contenus avec le vendeur. Avec le recul, cette vente s'est avérée être une sage décision pour Bertelsmann et un choix fatal pour le groupe Kirch – qui a été contraint à déclarer faillite en 2002, en partie à cause des performances désastreuses de la chaîne Première.
L'injection massive de fonds dans le groupe CLT-UFA en 1999 a offert à ce dernier la solidité nécessaire pour envisager de nouvelles opportunités d'investissement. Contrainte à se développer uniquement sur son sol natal en raison des règles concernant les pénétrations excessives du marché, le groupe a examiné les possibilités d'extension géographique et a jugé que le Royaume-Uni serait un marché complémentaire très intéressant. C'est ainsi qu'en avril 2000, la CLT-UFA a fusionné avec Pearson Television, une filiale de la maison d'édition britannique Pearson. La structure qui en a résulté a été rebaptisée RTL Group et s'est trouvée directement cotée au London Stock Exchange (le capital flottant est toujours resté non substantiel et n'a jamais atteint les 15 % promis au départ, ce qui a conduit les actionnaires minoritaires, à terme, à engager des procès au civil). La nouvelle entité était sous contrôle majoritaire de Bertelsmann, avec une participation de 37 %, et de GBL, avec une participation légèrement inférieure de 30 %. Le reste était détenu par Pearson (22 %) et des actionnaires publics. Ainsi, même si la transaction, dans sa forme, était une fusion, il ne s'agissait pas d'une fusion “d'égal à égal” - comme l'a montré la structure de propriété qui a suivi l'opération. D'un point de vue stratégique, cette fusion signifiait que Bertelsmann aurait à présent un premier pied dans le marché du divertissement anglo-saxon.
Structure organisationnelle en 1999 : après la fusion CLT-UFA / Pearson TV.
La première initiative concrète est la création de Fremantle Media, société de production basée à Londres. À ce jour, Fremantle Media est toujours la structure de production de contenu principale pour RTL. Les activités de production de l'UFA, première entité rattachée à la télévision dans laquelle Bertelsmann avait investi, seront dès lors gérées par Fremantle Media. C'est aussi par le biais de la nouvelle structure Fremantle Media que Bertelsmann réalisera ses premières ventes de contenu télévisé à destination des États-Unis, avec Pop Idol, un concept qui sera rebaptisé American Idol par la Fox.
- L'intégration finale : le retour aux commandes
À l'aube des années 2000, Bertelsmann était l'un des acteurs majeurs dans le secteur de l'audiovisuel payant en Europe. Ses 37 % d'actionnariat dans RTL n'était pas tant le résultat de la croissance organique d'une structure historique, mais bien plus le produit final de nombreuses années d'adaptation fiévreuse à un paysage médiatique en constante mutation, avec des coopérations stratégiques, des positionnements tactiques et, parfois, des coups de chance. Le prix que devait payer le groupe de médias allemand de Gütersloh pour assurer sa croissance par le biais d'acquisitions (et non pas sur un mode organique) était la perte de contrôle sur ses propres affaires. Ainsi, Bertelsmann a mobilisé toutes ses forces au début des années 2000 pour évincer ses anciens alliés – pour atteindre son objectif, avoué, de reprendre les commandes.
L'un des premiers pas de Bertelsmann pour atteindre cet objectif a été de montrer un comportement peu habituel au sein du groupe : le contrôle d'un bien très privé auparavant a été abandonné – les parts de Bertelsmann AG. Au cours d'une transaction par échange de parts au début de 2001, Bertelsmann a accepté d'échanger 25,1 % des parts de Bertelsmann contre 30 % de participation de GBL dans le groupe RTL. À la seule vue des conditions financières de l'accord (soit seulement 4,9 % de différence en termes d'intérêts financiers lors de l'échange entre la propriété de la filiale et la propriété du groupe), on peut juger très aisément du rôle central qu'avait gagné RTL, à l'époque, dans le portefeuille d'actifs de Bertelsmann. En outre, Bertelsmann a accordé à GBL le droit de côter ses parts en 2005 – une concession qu'aura à regretter le groupe, quelques années plus tard. Il faut aussi noter que cette concession a été accordée parce que l'une des subtilités de l'échange de parts était que GBL avait donné son accord pour détenir seulement 25 % des droits de vote, alors qu'elle détenait 25,1 % des intérêts financiers. Pour comprendre la signification de cet écart de 0,1 % qu'a accepté GBL, il faut savoir que, selon la loi allemande concernant le droit des titres, de nombreuses décisions de gouvernance importantes (par exemple l'amendement d'articles portant sur l'association ou la vente d'un actif substantiel) requièrent un accord de 75 % des actionnaires.
En ne donnant pas plus de 25 % des droits de vote à GBL, la Fondation Bertelsmann s'était assurée d'avoir toujours le contrôle pour ces décisions majeures. Néanmoins, avec le recul, il semble que l'échange de parts ait eu lieu selon des termes largement en faveur de GBL. En effet, la transaction incluait un contrôle prioritaire de GBL pour les actifs médias les plus prometteurs de Bertelsmann. En d'autres termes, Bertelsmann a échangé son ancien portefeuille médias pour se concentrer plus sur son tout nouveau portefeuille.
Structure organisationnelle au début des années 2000 : échange de parts GBL. (Echange de parts, de co-actionnaires de la filiale à l'actionnaire de Bertelsmann).
GBL sortant en quelque sorte du cadre (du moins au niveau de la filiale), tous les yeux se sont braqués sur Pearson. En 2001, Bertelsmann a racheté, pour 1,5 milliards d'euros, les 22 % de parts de Pearson dans RTL. Le moment et le prix d'achat ne pouvaient être mieux choisis pour Bertelsmann. La contrepartie payée a impliqué une valeur totale de 6,8 milliards d'euros d'actions – près de 50 % des 13,5 milliards d'euros de capitalisation du marché un an plus tôt. La raison de cette baisse sensible a été expliquée par l'importante dépréciation financière – 2,3 milliards d'euros – de Pearson Television – dont l'ancien propriétaire était alors sur le point d'être racheté. Dans ce contexte, il semblait que Bertelsmann et GBL avaient, en quelque sorte, dépensé beaucoup trop pour Pearson TV, mais cette perspective négative était contrebalancée par le fait que la fusion entre Pearson et la CLT-UFA était, dans les faits, un accord de papier et que Pearson n'a rien eu à dépenser avant que les évaluations aient substantiellement baissé, tout au début de l'explosion de la bulle Internet.
Structure organisationnelle à la fin 2000 : contrat sur Pearson.
En 2006, cinq années après les derniers changements majeurs, Bertelsmann devait prendre une décision importante. Dans sa frénésie de prise de pouvoir en 2001, quand le groupe avait réussi à écarter GBL et Pearson de la liste des actionnaires directs de RTL, Bertelsmann avait fait une offre généreuse à GBL en lui accordant la possibilité de coter les 25,1 % de parts dans le groupe que GBL avait obtenues au cours de l'échange de parts présenté précédemment. Au départ, ce droit était censé disparaître en 2005, mais l'option a été étendue pour deux années supplémentaires une fois arrivée à échéance. En 2006, Bertelsmann a décidé de mettre un terme à la pression qui pesait sur GBL concernant le moment de son introduction en bourse et lui a fait une offre financière. En juillet 2006, un contrat a été signé, assurant l'existence de Bertelsmann comme une compagnie privée. Pour une contrepartie de 4,5 milliards d'euros, GBL a accepté de revendre sa participation au groupe. C'est de cette façon que Bertelsmann a pu mettre un point final à l'ère CLT et a pu gagner un contrôle total sur le groupe RTL (exception faite, à cette date, de 9 % de capital flottant pour le groupe RTL). Pour financer cet acte de libération, Bertelsmann a dû faire le fond de ses poches – en acceptant un emprunt provisoire, remboursé plus tard grâce à la vente de BMG Music Publishing au groupe Vivendi et grâce à l'émission d'une dette publique.
Structure organisationnelle en 2006 : accord GBL.