Valentin Gendrot le 16 septembre 2020.

Pendant deux ans, le journaliste Valentin Gendrot a enquêté au sein de la police.

© Crédits photo : Didier Allard/INA

« La limite de mon intégrité physique est la seule que je me suis posée pour cette infiltration »

C’est un journaliste de 32 ans, déjà habitué de l’infiltration. Début septembre, Valentin Gendrot a publié Flic, dans lequel il raconte son expérience de deux ans au sein des forces de l’ordre. Une enquête médiatisée qui soulève plusieurs questions sur le rôle et la position du journaliste. Pourquoi privilégier cette méthode ? Jusqu’où aller ?

Temps de lecture : 14 min
Vous en avez forcément entendu parler. Dans Flic (éditions Goutte d’or), le journaliste Valentin Gendrot raconte son infiltration dans un commissariat de police du XIXe arrondissement de Paris, dont le quotidien est marqué par le malaise policier et la violence. Il y est affecté en tant qu’adjoint de sécurité (ADS), au terme d’une formation de trois mois puis d’une première affectation de quinze mois à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Si cette démarche est inédite pour enquêter sur la police, elle suscite bien des questions, qui méritaient une rencontre.

Ce n'est pas la première fois que vous menez une infiltration. Vous avez déjà eu recours à cette méthode pour votre enquête sur les travailleurs précaires, publiée sous le pseudonyme de Thomas Morel (Les enchaînés, Les Arènes, 2017), ainsi que pour un reportage pour Cash Investigation sur Lidl. Comment en êtes-vous venu à adopter cette méthode ?  

Valentin Gendrot : Le livre de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, a été un tournant pour moi. Je l'ai lu quand je finissais ma scolarité à l'école de journalisme de Bordeaux, en 2011. Je ne connaissais pas cette technique journalistique, complémentaire des autres manières d'enquêter. Elle apporte, pour moi, une véritable profondeur humaine, quelque chose au ras du réel, très près de la réalité de la vie des gens. Je découvre alors qu’il s’agit d’une très longue tradition journalistique, adoptée par de nombreux auteurs : Günther Wallraff, Arthur Frayer-Laleix, John Howard Griffin, Albert Londres, Nellie Bly... En sortant de l'école de journalisme, je veux rapidement faire de l'infiltration, mais je me rends compte que je ne suis pas prêt. J'ai certes été formé en école pendant deux ans, mais je n'ai pas encore d’expérience journalistique. Je travaille donc en presse locale pendant vingt mois, en radio chez France Bleu, puis je pars au Canada pendant six mois, avec ma copine de l'époque, qui me pousse à me lancer. Ma première expérience, c’est dans une usine de chocolat à Villeneuve-d'Ascq. Je me rends compte qu’il est très simple de s’infiltrer et que ça peut me permettre de discuter normalement de personne à personne avec les gens, comme le raconte Florence Aubenas dans son livre. Elle explique notamment que lorsqu'elle révèle à ses collègues qu'elle est journaliste, ceux-ci commencent à la vouvoyer, alors qu'ils la tutoyaient jusque-là. Les gens peuvent parfois se sentir inférieurs lorsqu'ils parlent avec des journalistes.   

Ce qui est extrêmement intéressant dans l'infiltration, c'est que c'est l'infiltré qui décide de la date de début et de la date de fin. J’arrête quand je pense avoir assez de matière. La contrepartie est que cela biaise les rapports humains que je peux avoir avec ceux qui m’entourent. Et dans le cadre de mon infiltration dans la police, je n'ai pas pu décider de tout, et notamment de ma première affectation. 

« L’infiltration permet de toucher le réel du doigt. »

Quels sont, selon vous, les bénéfices concrets de ce genre de méthode ? 

Valentin Gendrot : L'infiltration permet de toucher le réel du doigt et la complexité des liens entre les gens. Si vous faites un reportage classique dans une usine, comme j'ai pu en faire en presse locale, vous allez parler au président de l'entreprise, au directeur de l'établissement, au DRH, et peut-être aussi avec des salariés, qui seront alors encadrés. Evidemment que ce qu'ils racontent dans ce contexte n'est pas vrai. Mon premier projet de livre, c'était pour parler à ces gens dont on ne parle pas assez à mon goût. 

Sur un autre sujet, par exemple sur les conditions de travail des policiers, certains vont vous en parler, mais c’est rare. Vous avez, bien évidemment, déjà de la documentation sur ces problématiques. Durant mon infiltration, je suis six mois au même poste d'observation, je croise tous les jours les mêmes policiers. Ça n'a pas été fait avant. Je peux apporter beaucoup plus de complexité parce que, d'une part, je l'ai vécu moi-même, dans ma chair et, d’autre part, je les vois évoluer tous les jours. 

Pensez-vous que cette méthode devrait être plus régulièrement adoptée ? 

Valentin Gendrot : J'espère que d'autres gens vont se lancer là-dedans. Peut-être pas pour deux ans, parce que j'avoue que j'ai sûrement poussé le bouchon un peu loin. Mais tout est « infiltrable », donc infiltrons.  

Même la DGSE ou la DGSI ? 

Valentin Gendrot : Tout peut être infiltré, bien sûr. Il y a trop de lieux comme ça qui restent secrets. Vous vous faites embaucher à l'Élysée comme majordome, ça se raconte. Une personne qui fait ça aurait accès à des tas de choses qui peuvent paraître insoupçonnées, parce que tant qu’on n’y a pas mis les pieds, on ne peut pas savoir. 

Comment fait-on pour travailler dans cette atmosphère, quelles sont les techniques pour prendre des notes ? Aviez-vous des listes de choses que vous deviez aborder avec vos collègues, d'éléments que vous deviez découvrir, etc. ? 

Valentin Gendrot : Il y a déjà les deux heures de prise de notes quotidiennes. Parfois, j’écrivais sur mon téléphone, en faisant semblant d'aller aux toilettes. Vu la fréquence à laquelle j'y allais, ils ont dû se dire que j'avais un problème. Mais sinon, c'est vraiment au fil de l'eau. La seule fois où j'ai eu une check-list lors d’une infiltration, c'était pour Cash Investigation. La réalisatrice m’en avait donné une. Seul, je ne travaille pas comme ça. Si, la veille, j'ai discuté avec quelqu'un et que je n'ai pas pu ou su creuser des choses qui m'intéressaient, je garde ça dans un coin de ma tête pour lui en parler de nouveau plus tard. Mais si ça ne se fait pas, ça viendra plus tard, ce n’est pas grave. Le sujet est tellement riche qu'il n'y a pas besoin de liste. Je travaille sur le temps long, je ne suis pas pressé. Il y a aussi le fait que je ne peux pas mener d'interrogatoire avec quelqu'un avec qui je travaille, il pourrait se dire que je suis un peu trop curieux.  

Florence Aubenas raconte que pour tenir une infiltration de longue durée, il ne faut pas faire un numéro d'acteur. Je n'ai joué de rôle à aucun moment. Mais il y a des techniques qui me sont peut-être propres. Par exemple, j'adore passer pour un con. C'est notamment ce que j'ai fait durant l'oral pour devenir contractuel, qui dure cinq à dix minutes, et durant lequel un psychologue était présent. Je le redoutais, parce que je me disais que s'il faisait son travail correctement, il devrait réussir à me griller. La seule question qu'il m'a posée était liée au fait que je jouais au football. Il m'a demandé à quel poste j'étais, ce à quoi j'ai répondu « défenseur central, je suis un peu le dernier rempart face aux attaques adverses ». 

Il a dû se dire que je n’étais pas une lumière. À partir du moment où j'arrive à faire ça, le seuil de vigilance en face baisse. 

Mais vous n'auriez pas pu vous infiltrer avec une caméra cachée ou un micro, pour être absolument sûr de ne pas passer à côté de quelque chose ? 

Valentin Gendrot : Faire rentrer une caméra cachée dans un commissariat est impossible, elle est très proche du corps et prend de l'espace. Lorsque je me suis infiltré chez Lidl, je portais des chemises qui étaient trois tailles au-dessus de la mienne. J'avais un style de vieux rocker californien complètement has been, mais il y avait de la place pour la caméra, posée sur le torse et qui passe par un faux bouton. Si la chemise est trop proche du corps, il risque d’y avoir une bosse. Dans la police, vous avez l'uniforme, le gilet pare-balle... c'est compliqué, et il aurait été difficile d’installer la caméra dans la boucle de la ceinture. Et puis il est beaucoup plus facile de noter des choses sur mon téléphone que d'avoir à me demander en permanence si la caméra tourne toujours ou si le micro fonctionne bien. 

« Vous vivez une dissociation lorsque vous êtes infiltré. Vous avez le journaliste, tenu par certains intérêts, et le policier, qui doit faire son boulot. »

Il y a un seul moment où vous êtes démasqué : c'est au tout début du livre et vous réussissez à vous en sortir. Par la suite, vous continuez votre infiltration sans que personne ne se doute de rien. Cela vous a-t-il demandé un travail de nettoyage de vos traces numériques avant de vous lancer ? 

Valentin Gendrot : Je suis sur un seul réseau social, Facebook, et j'ai la chance d'avoir des homonymes. Il y a des articles que j’ai signés qui datent de 2012 ou 2013 et qui sont toujours visibles, mais mes homonymes ont pris le pas dans les résultats des moteurs de recherche. Certains de mes papiers ont été repris sur des blogs et j'ai envoyé des e-mails aux gestionnaires pour qu'ils effacent mon nom. Ça a représenté deux ou trois heures de nettoyage. Il y avait un de mes articles pour Sud Ouest où l'on m'avait pris en photo. J'ai contacté le journal à plusieurs reprises pour leur demander d'enlever mon nom et l’image, et ils ont finalement accepté. 

Cela risque d'être compliqué pour vous de vous infiltrer de nouveau... 

Valentin Gendrot : Je n'ai pas prévu d'en refaire tout de suite parce que ça use. Vous vivez une dissociation lorsque vous êtes infiltré. Vous avez le journaliste, tenu par certains intérêts, et le policier, qui doit faire son boulot. 

Comprenez-vous que la méthode de l’infiltration puisse choquer ? Une bonne partie des articles, interviews ou vidéos traitant de votre livre se sont concentrés sur l'agression d’un garçon de seize ans, à laquelle vous assistez et que vous couvrez. Cette focalisation était-elle recherchée ?

Valentin Gendrot : Je n'en parle dans les interviews que parce que l'on me pose la question, et j'aurais pu tout à fait occulter cet épisode dans le livre, ça aurait rendu service à tout le monde, sauf à l'adolescent (appelé « Konaté » dans le livre, NDLR) qui s'est fait tabasser. J'ai l'honnêteté de raconter cet événement alors qu'il ne me grandit franchement pas. Les échos médiatiques se sont pas mal concentrés autour de cette affaire-là, mais je n'y peux pas grand-chose. Évidemment, ce passage du livre est choquant et les gens peuvent être choqués par le fait que je n'ai pas dénoncé mon collègue. On peut toujours, après coup, dire qu’il fallait faire telle ou telle chose, mais la seule personne qui sait ce que j'ai ressenti à ce moment-là, c'est moi.  

J'ai toujours considéré que l'infiltration, c'était prendre le bateau en marche. Je suis là pour me fondre dans le collectif, il faut suivre le mouvement. Au bout d'un moment, ce n'est plus moi qui infiltre la police, c'est la police qui s'infiltre en moi. J'adopte des codes, des mots, des comportements qui sont ceux d’autres collègues. Évidemment, ça déforme. Parce qu'exercer ce métier, ça déforme la perception du réel. 

En ne couvrant pas vos collègues, le livre aurait pu devenir le récit de ce qu’il se passe quand un policier refuse de se conformer à ce que le groupe attend de lui. C’est une remarque que vous a adressé le journal Libération. Y avez-vous pensé ?

Valentin Gendrot : Là, on entre dans de l'hypothèse. Dans ce livre, il n'y a pas d'hypothèses, je raconte quelque chose qui ne me met pas en valeur, qui est honnête, documenté, précis, détaillé et complètement avéré. Au moment où tout ça se passe, je me crispe, je me fige. Mais après, notamment sur l'histoire du faux témoignage, je me suis demandé jusqu'où j'étais prêt à aller pour faire une infiltration. Est-ce que j'aurais pu faire autrement ? Si je l'avais dénoncé j'aurais été mis au placard, parce que dans la police il n'y a pas de balance, pas de traître. Je vis avec ce cas de conscience.  

Il est légitime qu'on en parle, que l'on me critique. Plusieurs éléments peuvent expliquer mon comportement, notamment le fait que lorsque se déroule l'agression de cet adolescent de seize ans, ça ne fait que trois semaines que je suis dans le commissariat, après avoir poireauté un an et demi — trois mois à l'école, quinze mois à l'I3P. Est-ce que je prends le risque de me mettre toute la brigade à dos et de ne plus rien avoir à raconter ? C'est une question qui se pose. Il y a le même débat actuellement avec le livre Rage de Bob Woodward, qui vient de sortir et qui rapporte des discussions du journaliste avec Donald Trump, notamment une, en février, au cours de laquelle il explique que le coronavirus va être extrêmement meurtrier. Woodward n'a rien fait sur le moment, parce qu'il ne voulait pas cramer sa source. Je n'ai pas voulu cramer mon infiltration. Les actes que j’ai dénoncés font parler, parce que je décris de A à Z comment des policiers peuvent se rendre coupables de telles bavures, et je montre comment ils se couvrent.  

Les violences policières dont je parle sont sous les radars. Toutes les personnes en garde à vue et les migrants qui se font tabasser, Konaté : on n’en aurait jamais parlé si je n'avais pas été là. Mon infiltration permet de parler de cette violence policière banale. On peut me reprocher des manques dans le livre, j'accepte toute critique, je ne suis pas dogmatique. Lorsque je suis passé dans Le Temps du débat sur France Culture, Patrick Eveno m'a fait remarquer qu'il n'y avait pas de recul historique dans mon livre. Effectivement, il n'y en a pas. J'ai une formation d'historien, j'aurais pu le faire.  

Valentin Gendrot le 16 septembre 2020.
Valentin Gendrot : « On peut me reprocher des manques dans le livre, j'accepte toute critique, je ne suis pas dogmatique. » Crédit : Didier Allard/INA.
 

L'une des parties les plus intéressantes du livre se situe dans sa première moitié, lors de votre affectation à l'I3P, l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. C'est un établissement assez obscur qui n'a jamais pu être infiltré par qui que ce soit, pas même par Albert Londres, qui a essayé en son temps. Or, lorsque l'on vous annonce que vous allez y être affecté après votre formation, vous êtes presque déçu, alors qu'il y a une matière extraordinaire à explorer. Pourquoi ne pas avoir orienté le livre sur ce sujet ? 

Valentin Gendrot : Il s'agit d'un choix éditorial fait avec mes éditeurs. Mon sujet de départ, c'est la police. L'infirmerie psychiatrique c'est de la psychiatrie, à la frontière entre le médical et le judiciaire. C'est un lieu où l'on envoie des gens interpellés par la police pour des délits, des troubles du comportement. Ils peuvent y être observés quarante-huit heures maximum, vingt heures en moyenne, et passent devant un psychiatre qui dit s'il faut une hospitalisation ou non. S'il y a hospitalisation, il faut faire un dossier pour un départ dans la journée, sinon, c'est un retour au commissariat avec une reprise de la garde à vue, ou alors une sortie libre. Une personne sur deux seulement est hospitalisée, soit entre 950 et 1 000 personnes chaque année, toutes quasiment sans leur consentement. C'est quelque chose qui n'est pas du tout représentatif de la psychiatrie française : la majorité des hospitalisations sont des soins psychiatriques libres. Notre travail consistait à transporter les personnes hospitalisées dans des établissements de soin à Paris ou en Île-de-France.

Mais vous voyez, on perd l'angle qui est : « Moi, Valentin Gendrot, journaliste qui infiltre la police et qui vous raconte comme ça se passe de l'intérieur ». J'espère faire un autre livre au sujet de l'I3P, ce serait logique. Nous sommes passés par plusieurs versions du livre avec mes éditeurs. Dans l'une d'entre elles, il y avait sept ou huit chapitres sur ce sujet, que nous avons ensuite drastiquement réduits, avant d'arriver à une version où j'en parlais de nouveau un peu plus. Parce que l'I3P, c'est quinze mois de mon infiltration, la plus grosse partie du voyage... 

Tout le long du livre, vous évoquez des personnes que vous aviez prévenu de ce que vous faisiez, des amis avec qui vous discutiez régulièrement et évoquiez ce qui vous pesait. Était-ce une volonté de votre part, de mettre en place des sortes de garde-fous ? Faites-vous toujours ça ? 

Valentin Gendrot : Je le fais tout le temps dans les infiltrations, parce que j'en ai besoin, comme d'un sas de décompression. C'est important de pouvoir parler librement, vivre avec ça tout le temps est assez compliqué. Je leur parle de la bavure, du faux témoignage. Je leur envoie des messages, et ils me disent, je le raconte d’ailleurs dans le livre, que je vais peut-être trop loin. Ça me permet de me positionner. Il y a eu des moments où j'allais mal, où c'était dur à encaisser psychologiquement. On m'a toujours appris à parler quand ça allait mal, donc il fallait que des personnes soient au courant des tenants et aboutissants pour que je leur en parle. 

Existe-t-il pour vous des limites morales ou déontologiques à l'infiltration ?  

Valentin Gendrot : Je me suis fixé une limite, mais elle n'est pas morale ou déontologique. La limite de mon intégrité physique est la seule que je me suis posée pour cette infiltration-là. Si elle est menacée, je réponds physiquement. Et quand il y a des balles qui partent, les premières ne sont pas pour moi, je me mets en arrière. C'est arrivé lors du braquage d'une station essence. Mes collègues y vont en courant, bourrés d’adrénaline. Moi je reste en retrait : je viens de conduire à 120 km/h dans les rues de Paris, l'adrénaline, je l'ai déjà eue, je peux en rester là.  

Vous avez eu peur, parfois ? 

Valentin Gendrot : J'ai eu beaucoup plus peur de me faire griller dans cette infiltration que dans les précédentes. C'est un monde qui est plus violent. Je me suis dit que si je me faisais attraper, il y avait un risque que je passe un mauvais quart d'heure. J'ai notamment eu peur en école, le jour de la cérémonie de départ, en présence du Préfet. Une partie de moi s'amusait de le voir marcher devant moi alors que je n’étais pas vraiment policier, mais j’avais hâte que ça se termine et de m’en aller. Les deux mois et demi d'école après avoir été découvert par l'un de mes camarades m'ayant reconnu ont vraiment été très longs. Une fois à Paris, n'y connaissant personne, je n'ai plus eu peur.  

Avez-vous revu les personnes que vous avez côtoyées pendant vos infiltrations ? Avez-vous eu des difficultés avec elles par la suite ? 

Valentin Gendrot : Dans les entreprises du Nord où j’ai été infiltré, il y a des gens avec qui je suis toujours en contact, d'autres que j'ai croisés. Et je n'ai pas eu de soucis, parce qu'il y a une reconnaissance de la part des personnes auprès de qui j'ai été infiltré. Je parle d'elles, de ce qu'elles vivent et endurent. En revanche il y a quelque chose qui est assez révélateur sur l'après-Flic, c'est que dans les messages que j’ai reçus par la suite, de la part de gens qui me connaissent ou non, entre 70 et 80 % me disaient « Bravo, mais fais attention ». Ça en dit long quand même sur le degré de confiance que l'on peut avoir en la police. Évidemment, il y a deux ou trois sujets dans le livre que les policiers du commissariat du XIXe arrondissement ne vont pas trop aimer. Pour tout ce qui touche aux conditions de travail, ils diront « C'est ce que l'on vit », et pour les violences que je décris, je suis persuadé qu'une part importante va se dire « Lui, ça fait X années qu'il fait n'importe quoi, il s'est fait choper et ce n’est peut-être pas plus mal ». J'ose espérer que certains auront la lucidité, la présence d'esprit de se dire ça, plutôt que de nier l'existence des violences policières. 

Si vous deviez recommencer, procéderiez-vous exactement de la même manière ?  

Valentin Gendrot : Oui, parce qu’assistant des gardiens de la paix, c'est un super poste d'observation. Sur le terrain, vous êtes derrière. Évidemment, les quinze mois en hôpital psychiatrique ont été longs, et c'était une période compliquée, car j'ai perdu mon père à ce moment-là. Mais je n’avais pas de prise sur tout ça, donc non, je n'ai pas de regret, je ne changerais rien. Je comprends les critiques, elles sont légitimes. Mais par exemple, qu'auriez-vous fait à ma place face à l'agression de Konaté, en sachant que vous venez de poireauter un an et demi, que vous venez d'arriver dans le commissariat ? J'ai subi la situation, puis j'ai fait un choix. Après on peut aussi réécrire l'histoire, mais je n'ai pas prévu de le faire.

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