Les parents d'Alexia Daval avec leur avocat et l'avocat de la soeur et du beau-frère d'Alexia Daval en 2018.

L'affaire Alexia Daval est l'une des affaires judiciaires qui ont contribué à médiatiser le sujet des violences faites aux femmes dans les JT.

© Crédits photo : Sebastien Bozon / AFP

ÉTUDE INA. Dans les JT, les violences faites aux femmes restent des « faits divers »

On parle de plus en plus des violences sexistes et sexuelles, mais elles représentent, sur vingt ans, moins d’1 % des sujets des journaux télévisés. Les réseaux sociaux, surtout Twitter, ont donné plus de visibilité à ces sujets et permis aux femmes de prendre la parole.

Temps de lecture : 6 min

Si les violences faites aux femmes semblent enfin apparaître à l’agenda politique et médiatique, les chiffres montrent qu’elles occupent toujours une part infime de l’information télévisée : sur vingt ans, les sujets qui leur sont consacrés représentent moins de 1 % des JT (0,89 %).

Elles ne font l’actualité, la plupart du temps, que dans le cadre d’affaires judiciaires traitées comme des faits divers. Quelques évènements très médiatisés ont contribué à mettre le sujet à la une : le meurtre de Marie Trintignant et le procès qui a suivi (2003-2004), les affaires Emile Louis et Stéphane Krauth, durant les mêmes années, ou encore, en 2018, les affaires Harvey Weinstein, Tariq Ramadan, et le meurtre d’Alexia Daval. Les abus sexuels dans le sport sont évoqués à partir de 2007, à la sortie du livre d’Isabelle Demongeot (Service volé, éditions Michel Lafon), et seront ensuite plus largement médiatisés à partir de 2020 suite aux révélations de Sarah Abitbol sur le milieu du patinage artistique.

Et depuis 2003, le sujet revient chaque année comme « marronnier » le 25 novembre à l’occasion de la « Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes », instaurée en 1999.


L’affaire Strauss-Kahn, en 2011, constitue une exception et non un tournant. Cette année-là, si les agressions dont Nafissatou Diallo puis Tristane Banon ont déclaré avoir été victimes suscitent un pic de 1 006 sujets, l’intérêt médiatique est déterminé par la notoriété de l’accusé et le contexte de l’élection présidentielle — Dominique Strauss-Kahn apparaissant alors comme favori des primaires socialistes. La couverture de ces affaires retombe ensuite rapidement. La médiatisation des violences augmente légèrement depuis 2011 et surtout de 2015 à 2018, dépassant la barre des 200 sujets par an, mais à un rythme très modeste. On remarque aussi que l’année 2015, dominée par le contexte des attentats, représente un creux de médiatisation des violences faites aux femmes. « Il suffira d’une crise (1)  »…


La parole est… aux avocats

Conséquence de cette focalisation sur les affaires judiciaires : si l’on regarde, pour chaque année, le top 5 des personnes qui se sont le plus exprimées dans ces sujets de JT sur les violences faites aux femmes, on constate l’écrasante domination d’une catégorie, celle des avocats et avocates, qui assurent 50 % des prises de parole. Les hommes et femmes politiques, principalement des membres du gouvernement, viennent en deuxième (16 %) — il s’agit de ministres de la Justice, et, plus récemment, de la secrétaire d’État à l’égalité, dans le cadre de la « loi Schiappa » contre les violences sexuelles (2018). Les proches des victimes et plaignantes assurent 11 % des prises de parole, les associations militantes 8 % (elles ont surtout été visibles en 2019, grâce au collectif #NousToutes) et les plaignantes elles-mêmes, 6 % seulement.


M6 et France 2 en tête de la médiatisation

Si 2011 et l’affaire DSK ont eu un effet, c’est peut-être d’amener une chaîne comme M6 à saisir le potentiel médiatique du sujet. En effet, si France 2 était jusque-là celle qui médiatisait le plus les violences faites aux femmes, elle s’est fait dépasser depuis 2012 par M6. Sur les vingt années observées, M6 aura ainsi consacré 1,33 % de son offre de JT au sujet, contre 0,9 % en moyenne sur toutes les chaînes. Sur la période, c’est Arte qui médiatise le moins le sujet (334 sujets, contre 1 325 pour France 2 et 1 285 pour M6). La dimension nationale et faits-divers des « affaires » médiatisées par les autres chaînes ne correspond probablement pas à la ligne éditoriale de la chaîne franco-allemande, qui traite donc des droits des femmes de préférence sous d’autres angles,  plus sociétaux (féminisme, parité, …).


70 % des sujets consacrés aux violences sexuelles

De quelles violences parle-t-on ? Nous proposons un repérage de différents phénomènes, sachant qu’une même agression peut relever de plusieurs catégories.


En premier lieu, 70,8 % des sujets identifiés sont consacrés à des faits de viols et violences sexuelles — ce qui s’explique aussi par la surmédiatisation de l’affaire DSK. Les affaires de viols collectifs, très médiatisées dans les années 2000 à 2006 sous l’appellation de « tournantes », sont moins présentes par la suite.

Les violences conjugales représentent 15 % de l’ensemble des sujets sur les violences. Après l’affaire DSK, les deux autres « affaires » les plus médiatisées sont des cas de violences conjugales ayant donné lieu à des feuilletons judiciaires : il s’agit des suites du décès de Marie Trintignant (154 sujets depuis 2003) et de celui d’Alexia Daval (131 sujets depuis 2019). Le sujet est enfin traité de manière plus générale depuis 2019, avec les campagnes de décompte des victimes de ce que l’on commence à appeler de plus en plus couramment « féminicides », et le Grenelle des violences conjugales, qui participe également à répandre l’usage du terme.

Dans les JT, le mot « féminicide » est évoqué pour la première fois, dans un titre de sujet, le 18 septembre 2011 sur France 3, puis sur M6 le 24 novembre. Il concerne le meurtre en Argentine de deux jeunes randonneuses françaises et l’appel du père de l’une d’elles, Jean-Michel Bouvier, à introduire cette notion dans le droit français. On le trouve ensuite le 12 juillet 2017 sur Arte, dans un sujet sur l’augmentation des violences envers les femmes en Turquie, et sur Canal+ le 11 janvier 2018 dans un sujet sur la situation inquiétante des femmes au Mexique.


Le harcèlement sexuel est abordé dans 11 % des sujets sur les violences. Sur cette thématique, un tournant est bien perceptible à partir de 2011 : le thème, jusque-là quasiment inexistant, devient visible à l’occasion de l’affaire Georges Tron (100 sujets). Il réapparaît à partir de 2016 (affaire Denis Baupin, manifeste d’anciennes ministres contre le sexisme et le harcèlement sexuel), puis dans le sillage de l’affaire Weinstein en 2017, avec la multiplication des témoignages sur les réseaux sociaux et la mobilisation contre le harcèlement de rue.


Une visibilité accrue sur Twitter

Si la thématique des violences faites aux femmes occupe le débat public ces dernières années, c’est autant, et peut-être plus, par l’intermédiaire des réseaux sociaux que par les médias d’information traditionnels. Ainsi, alors que la médiatisation du thème dans les JT n’augmente qu’à peine, une succession de hashtags ont entretenu sa visibilité sur Twitter, et surtout permis une prise de parole des femmes.

Parmi ces mots-clés, #balancetonporc, initié le 13 octobre 2017 sur Twitter par la journaliste Sandra Muller, fut de loin le plus important.

Evolution de #balancetonporc sur Twitter
Évolution du nombre de tweets dans l'échantillon constitué par le Dépôt légal du web de l'INA (voir méthodologie).

Le hashtag bénéficie d’abord d’une très grande viralité en octobre-novembre 2017, mais son utilisation diminue fortement début 2018. Elle remonte ponctuellement, en lien avec la mise en accusation (le 18 janvier 2018) puis la condamnation (le 25 septembre 2019) de Sandra Muller pour diffamation, ou encore à la suite de l’utilisation du hashtag par Nabilla Vergara. À l’échelle internationale, le hashtag qui marque cette période est #MeToo, lancé par Alyssa Milano le 15 octobre 2017 dans le sillage de l’affaire Weinstein. 

Les médias audiovisuels sont assez peu cités dans les conversations sur Twitter sur le sujet. La catégorie la plus mentionnée est celle des chaînes info (2,26 %) des tweets, dont la moitié cite BFMTV), suivies par la radio (1,28 %, dont près de la moitié pour France Inter), tandis que les chaînes de télé généralistes sont assez peu citées (0,2 %).

Méthodologie

Cet article est la version enrichie du « Baromètre des JT » n°60 (mars 2021), portant sur la place des violences faites aux femmes dans les JT, de 2000 à 2020 inclus. Les résultats publiés dans le cadre de cette étude ont été obtenus via l’outil de suivi statistique de l’information télévisée de l’INA, qui analyse depuis 1995 le traitement de l’information dans les JT du soir de six grandes chaînes (TF1, France 2, France 3, Canal+ – jusqu’en 2018 – Arte et M6). Le corpus Twitter a été collecté par l’INA grâce aux API de Twitter. Il est composé d’un échantillon représentatif, analysé par Tiffany Anton, de 544 214 tweets et retweets utilisant le hashtag #balancetonporc envoyés entre le 13 octobre 2017 et le 8 janvier 2021.

    (1)

    En référence à la citation célèbre de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » (Le Deuxième sexe, Gallimard, 1949) Cette phrase donne aussi son titre au rapport d'information sur les femmes dans l’audiovisuel, remis au Sénat au nom de la délégation aux droits des femmes en juillet 2020.

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris

À lire également