En raison du RGPD jugé trop strict, le site n'est plus accessible depuis l'Europe (capture d'écran).

En raison du RGPD jugé trop strict, le site n'est plus accessible depuis l'Europe (capture d'écran).

© Crédits photo : Yahoo ! Japan (capture d'écran)

Comment Yahoo News domine l'info en ligne au Japon

Au Japon, Yahoo News est devenu la principale source d’information des Japonais, devant les médias traditionnels ou Google. Sa force : avoir su créer un modèle hybride qui mêle sélection et production d’articles. Mais sa position dominante attire les critiques.

Temps de lecture : 8 min

 

C’est une originalité japonaise et une situation unique au monde : dans l’archipel, Yahoo News arrive largement en tête des sites d’informations les plus consultés. 56 % des Japonais interrogés dans l’édition 2022 du Digital News Report publié par le Reuters Institute of Journalism de l’université d’Oxford, déclarent utiliser le site plus de trois fois par semaine. À titre de comparaison, en France, Yahoo Actualité se place en 9e position, loin derrière les sites d’information des grandes chaînes de télévision, de la presse régionale ou de 20 minutes. Une enquête encore plus précise, menée par le sociologue Kimura Tadamasa, montre que Yahoo News est le premier moyen d’accès à l’information en ligne, toutes générations confondues. Et donc un acteur majeur de la construction de l’opinion publique en ligne. Yahoo News numéro 1 au Japon, c’est un paradoxe dans un pays disposant d’un marché médiatique particulièrement dense, où les médias traditionnels gardent une place centrale dans la production de l’information, et qui compte de puissantes institutions telles que la chaîne publique NHK.

« Infomédiaire »

Yahoo News est accessible par le portail Internet, ou via une application pour Smartphone dédiée, elle aussi largement en tête des taux d’utilisation : 63,5%, devant Smartnews (56,2%) et Google News (19,5%), d’après une enquête du bureau d’étude ICT Sōken

Concrètement, Yahoo News est un agrégateur d’articles, un site qui rassemble et synthétise des actualités en provenance de l’extérieur, surtout de sites d’information, dispersés sur le web. La majorité des articles publiés proviennent de médias qui ont préalablement passé un accord commercial avec l’entreprise. On y trouve aussi bien des articles sur des discussions diplomatiques entre dirigeants, que les dernières aventures amoureuses d’une célébrité en vue, en passant par un reportage sur une catastrophe naturelle ou un entretien exclusif avec une star du tournoi de baseball des lycéens.

Comme tous les agrégateurs, Yahoo News joue le rôle d’intermédiaire entre, d’un côté, les médias et les journalistes qui produisent de l’information, et de l’autre, l’audience qui la consomme, brisant au passage le monopole de l’accès des premiers vers les seconds. On peut ainsi parler d’ « infomédiaire ». 620 médias d’information généralistes (lien accessible par VPN) ou spécialisés ont ainsi passé un accord commercial avec la plateforme et proposent leur contenu à Yahoo News. On y trouve les grandes agences de presse mondiale (Reuters, AFP, AP), les principaux quotidiens du pays (à l’exception notable du quotidien économique Nihon Keizai Shinbun), les sites des principales chaînes d’information commerciales, ainsi que de très nombreux magazines, et des médias d’information en ligne. En revanche, la chaîne publique NHK n’y propose pas ses articles en ligne.

6 000 articles en ligne par jour

Le format de la page rappelle celui des portails Internet et des moteurs de recherche du début des années 2000. Les rubriques y sont nombreuses, contrastant avec le format épuré de Google. Sur la colonne de gauche, on trouve un ensemble de services proposés par Yahoo Japan comme son site de vente d’occasion Yahoo Auction, son service de monnaie en ligne PayPay, ou encore le forum de discussions en tout genre Chiebukuro.

Le site publie ou republie plus de 6 000 articles par jour. Mais le principal accès aux articles se fait via l’encart Yahoo Topics (ou « Yafutopi » dans sa forme contractée en japonais), une sélection de huit sujets couvrant neuf rubriques : news, économie, entertainment (célébrités), sport, informations nationales, informations internationales, technologie et sciences et informations locales. Pour les différents médias, l’enjeu est d’apparaître impérativement dans cette fenêtre. Dans les rédactions, des réunions sont précisément dédiées aux propositions de sujets susceptibles d’accéder à ce qui ressemble à la Une de la plateforme.

Situé en milieu de page sous la barre de recherche Yahoo, l’encart Yahoo Topics fait l’objet d’une intense compétition entre les médias pour y être apparaître (capture d'écran).
L’encart Yahoo Topics fait l’objet d’une intense compétition entre les médias (capture d'écran).

L’article de tête de l’onglet News traite le plus souvent d’un événement récent de politique nationale ou internationale. Les deux derniers portent à l’inverse sur l’actualité des célébrités. Ceux du milieu évoluent entre ces deux pôles, en incluant des faits divers. « La place accordée aux articles dont on sait qu’ils seront lus et partagés est évidemment centrale, nous explique un cadre de Yahoo  News. Mais d’autres nouvelles méritent d’être mises en avant, même s’il s’agit de thèmes qui plaisent moins. C’est le cas du premier article dans la liste. Sur ce point, la vision éditoriale n’est pas différente des journaux. On ne veut pas se contenter d’articles “ kotatsu (aguicheurs, NDLR) ».

Dans cette vidéo proposée sur Youtube, un consultant explique « Comment être publié sur Yahoo topics » (capture d'écran).
Sur YouTube, un consultant explique « Comment être publié sur Yahoo Topics » (capture d'écran).

La plateforme reçoit chaque jour, via une sorte de fil d’actualités, un peu plus de 7 500 articles de médias affiliés. Après un premier tri automatique, une centaine environ sont publiés dans l’encart Yahoo Topics, la plupart dans leur intégralité. Certains médias exigent que seul le début de l’article soit accessible, la lecture de la suite nécessitant un clic vers leur propre site.

Contrairement à d’autres plateformes en ligne (notamment le grand rival national Smartnews), la sélection finale des articles n’est pas confiée à des algorithmes, mais à des éditeurs, qui sont souvent d’anciens journalistes issus de médias traditionnels. Depuis 2011, Yahoo News recrute des jeunes diplômés, une pratique jusque-là réservée aux quotidiens et aux chaînes de télévision. Le pôle éditorial compte ainsi une trentaine de personnes qui se relaient tout au long de la journée par rotation pour sélectionner et mettre à jour les articles sur l’encart Yahoo Topics.

En y regardant de plus près, un lecteur attentif remarquera que le nom du média d’origine n’apparaît qu’après avoir cliqué sur le lien. Un lecteur moins averti pourra tout à fait lire l’article sans comprendre qu’il provient d’un média traditionnel. La raison ? Tous sont retitrés par les éditeurs de Yahoo, ce que ne fait pas Google.

Dans cet article, le logo de l'agence de presse Jiji est visible en haut à droite
Le logo de l’agence de presse Jiji apparaît en haut à droite.

Ce nouvel editing des articles est essentiel pour le référencement et la visibilité sur les réseaux sociaux, et perçu comme une valeur ajoutée par rapport à la version d’origine. Longueur maximum des titres publiés par Yahoo : 15 caractères. Pour les médias qui cèdent leurs articles, voir leur nom cité représente pourtant un enjeu de visibilité. « Ça fait longtemps que nous sommes conscients du problème, témoigne une journaliste. Yahoo fait le moins d’effort possible pour mettre en avant l’origine des articles, et le fait que nous, médias traditionnels, rédigeons l’essentiel de leurs contenus. Là-dessus, les autres plateformes comme MSN étaient plus honnêtes ».

Le tournant 2008 - 2012

La naissance de Yahoo Topics remonte à avril 1998, deux ans après que le magnat des télécommunications, Son Masayoshi, fonde la filiale japonaise de la compagnie américaine Yahoo. Dès le début, la plateforme entreprend de débaucher des journalistes des grands médias. Okumura Michihiro, le directeur éditorial de Yahoo News de 1998 à 2018, a commencé sa carrière au Yomiuri Shinbun, le principal quotidien du pays. Les news prennent de l’importance sur la plateforme à partir de 2008, lorsque Yahoo décide d’inclure sa fenêtre Yahoo Topics au milieu de sa page.

La décision d'installer l'encart Yahoo Topics au centre de la page, en 2008, a été un choix éditorial fort. 
La décision d'installer l'encart Yahoo Topics au centre de la page, en 2008, a été un choix éditorial fort. 

Au début des années 2000, les médias s’inquiétaient surtout de voir Yahoo les concurrencer sur la production d’information. Mais la première décennie s’est finalement déroulée dans une paix relative, grâce à une division du travail implicite entre production de l’information par les médias traditionnels et distribution par la plateforme.

À l’époque, Yahoo bénéficiait d’un faible prix de rachat des articles, car les grands médias tardaient à se digitaliser et gardaient encore des revenus importants liés à la fidélité du lectorat, à un système de distribution efficace, et à la publicité.  Leurs difficultés n’ont réellement commencé à partir du milieu des années 2010, avec la diminution de plus en plus forte de l’audience traditionnelle, l’absence de renouvellement des générations et la chute des revenus publicitaires. Seul le Nihon Keizai Shinbun, le grand quotidien économique, a rapidement pris la décision de ne pas proposer ses articles à la plateforme. Sans surprise, c’est celui qui a le mieux réussi sa transition digitale.

Brouillage des genres

Au cours des années 2010, les modalités de la production d’articles évoluent. À partir de 2012, le nouveau service Yahoo News kojin propose des articles rédigés par des spécialistes, à la demande de Yahoo. Même s’ils sont externalisés, ces contenus restent une production originale de la plateforme. Les auteurs, généralement des journalistes spécialisés, des universitaires ou des commentateurs de l’actualité renommés, bénéficient en retour de la très grande visibilité qu’offre la plateforme.

Le nombre de ces contributions n’a cessé d’augmenter, tout en restant largement minoritaire par rapport au volume des articles issus des médias traditionnels. Mais peu à peu, Yahoo News a renforcé sa légitimité dans le monde médiatique japonais, en installant un flou entre son identité de médias d’information et celle de plateforme.

Face à une forme de vampirisation de leurs revenus, les médias traditionnels peinent toutefois à faire front commun. Contrairement à l’adoption du droit voisin par l’Union européenne en 2019, à ce jour, la Japan Newspaper Publishers and Editors Association comme la Japan Commercial Broadcasters Association les principaux syndicats des dirigeants de presse et de l’audiovisuel privé —  ne sont toujours pas parvenus à s’entendre pour renégocier la position des médias qu’ils représentent, face à Yahoo.

Messages haineux

Cette position de force cache cependant un point faible : la difficile gestion des propos haineux publiés par des anonymes en commentaires des articles. Depuis le début des années 2000 et l’apparition des premiers forums en ligne, les « hate speech » (terme repris par les Japonais) sont devenus un véritable sujet de société au Japon, régulièrement ravivé par des tragédies comme le suicide, fin 2021, d’une jeune catcheuse victime de cyber-harcèlement.

La plupart des sites web des grands médias ne permettent pas aux lecteurs de commenter les articles, à l’exception de l’Asahi Shinbun qui les trie sur le volet. Yahoo News fait tout l’inverse avec son service Yahoo Comment (diminutif « yafukome »). Instauré en 2007, puis complété avec l’ajout d’une fonction « d’accord / pas d’accord », ce système de commentaires en ligne fait intégralement partie de la stratégie de mise en visibilité des contenus de la plateforme : en plus des articles les plus lus, les articles les plus commentés apparaissent dans la fenêtre Yahoo Topics.

Filtres

Flux moyen : 320 000 commentaires par jour ! Les commentaires haineux ont très vite fait surface. Dès 2014, Yahoo a eu recours à l’intelligence artificielle pour identifier rapidement les commentaires pouvant poser problème. Renforcé en 2018, ce système de filtrage efface, chaque jour, environ 20 000 commentaires jugés problématiques. Parmi ceux-là, inévitablement, des commentaires mal filtrés engendrent des critiques, qui portent notamment sur l’opacité des critères de sélection.

La plupart des sites web des grands médias ne permettent pas aux lecteurs de commenter les articles. Yahoo le fait.
À l'inverse de Yahoo, la plupart des sites web des grands médias ne permettent pas aux lecteurs de commenter les articles (capture d'écran).

Dernier scandale majeur en date, la publication de l’annonce du mariage de la princesse Mako avec une personne n’appartenant pas à la famille impériale, à l’automne 2021. Face à la profusion de réactions haineuses sur cette actualité, la plateforme a été poussée à prendre des initiatives plus radicales. En désactivant par exemple la fonction commentaire de certains articles, dès lors que les messages laissés dépassent un certain nombre. C’est le cas pour 3,5 articles par jour, a expliqué Yahoo en janvier 2022.

Là encore, si l’objectif était de désamorcer les critiques sur sa responsabilité concernant les commentaires problématiques, Yahoo s’est rapidement vu reprocher de surtout cibler des articles des magazines people. L’entreprise vient d’annoncer qu’à partir de novembre 2022, les utilisateurs qui souhaitent laisser un commentaire devront enregistrer leur numéro de téléphone.

Nuages

Rançon du succès, les nuages qui s’accumulent peuvent-ils faire vaciller le géant de la tech ? Sa position sur le marché médiatique est quasiment monopolistique du point de vue de la visibilité. Outre les problèmes de gestion des commentaires haineux en ligne, les tentatives d’union des grands médias et d’action des pouvoirs publics, sur le modèle des initiatives récentes en Europe et en Australie, pourraient rapidement changer la donne.

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris