Médias et terrorisme - épisode 4/8
13 novembre, naissance d’une web sphère
Les attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre 2015 ont mis en lumière le fonctionnement du système de communication global dans lequel nous vivons.
Les attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre 2015 ont mis en lumière le fonctionnement du système de communication global dans lequel nous vivons.
Les attentats sanglants perpétrés à Paris le 13 novembre dernier ont constitué un drame qui restera dans l’histoire et dont les conséquences politiques à moyen terme sont encore incertaines. Mais, dans le même temps, ils ont été des révélateurs de la manière dont fonctionne désormais ce système de communication global qui nous entoure.
Plusieurs facteurs ont contribué à faire des attentats de Paris un événement médiatique sans commune mesure, notamment sur l’internet. D’abord, les attentats ont eu lieu au cœur de Paris, grande capitale européenne qui occupe une place importante dans l’imaginaire collectif, siège d’une multitude d’organisations médiatiques et lieu de travail d’un grand nombre de correspondants étrangers. Par conséquent l’attention médiatique mondiale envers les attentats a été tout de suite maximale d’autant plus que les quartiers en questions sont fréquentés par des journalistes et des professionnels de la communication et des médias. Ensuite, le milieu frappé est constitué en grande partie par des jeunes urbains, actifs et diplômés. Autrement dit, parmi ceux qui ont été touchés directement, beaucoup appartiennent à une catégorie sociale dont le taux de connexion et d’usage des dispositifs de communication et de réseautage mobile est très élevé. Il en a découlé une énorme et quasi-immédiate production de contenus et d’interactions sur le sujet. Enfin, le degré d’atrocité et de brutalité ainsi que l’échelle atteinte par ces crimes odieux est très rare en Europe, ce qui a décuplé la force du choc au sein de l’opinion.
Ces facteurs ont contribué à faire émerger une web sphère immense et très complexe. Une web sphère est définie par Steven M. Schneider et Kirsten A. Foot comme un ensemble de ressources numériques librement accessibles, réparties sur différentes pages web ou serveurs internet reliées entre elles par des liens, qui se réfèrent à un événement ou thème spécifique(1) .
Le grand public a lui-même mis en œuvre une panoplie communicationnelle sophistiquéeIl s’agit donc d’un micro-espace public, circonscrit à la fois par une orientation thématique et des limites temporelles. La web sphère du 13 novembre a été constituée par une multitude de canaux médiatiques dont une grande partie fonctionne en temps réel (chaînes d’information en continu, sites d’actualité, radios d’information), qui se surveillent mutuellement et qui interagissent en permanence. Chacun de ces canaux médiatiques professionnels dispose des prolongements au sein des réseaux socionumériques comme Facebook et Twitter où quasiment tous leurs journalistes sont également présents. C’est sur ces plateformes propriétaires, régies par des règles techniques et des logiques socioéconomiques complexes, que les acteurs médiatiques ont interagi avec le grand public qui lui-même a mis en œuvre une panoplie communicationnelle sophistiquée pour suivre le déroulement de l’actualité.
Grâce à la rapidité et la facilité de circulation des messages qui y sont publiés, Twitter a sans aucun doute constitué le système nerveux de la web sphère qui s’est structurée autour des événements du 13 novembre. Des millions de tweets en plusieurs langues ont été produits dans les heures et les jours suivants les attentats un peu partout dans le monde, comme on peut le voir dans les données ci-dessous produites par le laboratoire SMaPP de l’université de New York et publiées par le Washington Post.
Aucun hashtag emblématique n’a émergé, à l’image du #JeSuisCharlie (ou de #CharlieHebdo) en janvier dernier, mais plutôt une multitude comme #Bataclan, #Fusillade, #Attentats en français et bien sûr #Paris dans toutes les langues comme on peut le constater dans les données extraites de Topsy.
Twitter a d’abord été utilisé pour répandre l’information factuelle de ce qui s’est passé mais aussi pour diffuser des témoignages personnels. Par la suite d’autres hashtags se sont répandus dans une visée plus pratique. Par exemple #porteouverte a été utilisé pour proposer un refuge à des personnes en danger ou #recherche pour tenter de retrouver des proches manquant à l’appel. Les informations données par les médias, les conseils des autorités ainsi que des appels comme celui pour le don du sang ont aussi été largement relayés. Enfin, un débat s’est engagé assez rapidement sur les causes et les responsabilités de ces attentats, parallèlement aux hommages aux victimes. Nous retrouvons là des fonctions très proches de celles qu’assure Twitter au moment de catastrophes naturelles.
Facebook, de son côté, a mis à disposition deux fonction dédiées, le Safety Check permettant de rassurer ses proches, qui a été utilisé selon la société américaine par quatre millions de personnes et vu par leurs 360 millions d’amis, et un module permettant d’insérer le drapeau tricolore dans son avatar. La compagnie de Mark Zuckerberg a été critiquée à ce sujet pour ne pas avoir activé les mêmes fonctionnalités au moment de l’attentat de Beyrouth survenu quelques jours plus tôt. En dehors de la France, la polémique dénonçant les deux poids et deux mesures dans la couverture médiatique de ces deux attaques terroristes sanglantes a pris de l’ampleur, portée par l’émergence de hashtags comme #prayforbeirut, équivalent du #prayforparis très utilisé dans le monde anglo-saxon. Instagram, quant à lui, a été mis à contribution comme source d’images pour illustrer notamment les hommages aux victimes.
Twitter et Facebook ont été critiqués pour leur refus, ou leur incapacité, de censurer certains contenus. Facebook a notamment fait l’objet d’une polémique en France pour ne pas avoir effacé systématiquement une image choquante montrant les corps des victimes mortes au Bataclan. Twitter quant à lui a été mis à l’index parce qu’il a laissé pulluler les comptes de l’État Islamique et de ses supporteurs. Pourtant des multiples demandes ont été adressées à ces sites, notamment par les autorités françaises, qui ont été pour la plupart satisfaites.
Il est politiquement inacceptable que des plateformes privées mettent en place des dispositifs de censure qui entravent la liberté d'expression
Lors d’événements de cette envergure, la présence sur les lieux de citoyens équipés des smartphones et des dispositifs de communication en réseau accélère le temps de la circulation de l’information au point où on a l’impression de vivre les événements en direct.
L’accélération du temps crée l’illusion d’être bien informé alors qu’en réalité nous sommes simplement informés à grande vitesseCette accélération du temps crée l’illusion d’être bien informé alors qu’en réalité nous sommes simplement informés à grande vitesse. Combinée au sentiment de panique qui s’est emparée de la population, notamment en région parisienne, pendant les heures qui ont suivi les attentats, l’accélération de la circulation de l’information a constitué le terreau d’une multiplication de rumeurs et d’alertes infondées, voire instrumentalisées, qui ont été diffusées et relayées en masse sur les réseaux socionumériques dans les jours et les heures qui ont suivi les attentats. Mais cette fois-ci de nombreux médias, notamment en ligne, ont su répondre en mettant en place des dispositifs de vérification et en utilisant ces mêmes réseaux pour démentir les rumeurs et les tentatives de manipulation.
Dans le même temps, les réseaux socionumériques ont constitué des sources d’information brute non seulement pour le grand public mais pour les journalistes eux mêmes : images, vidéos, témoignages produits et diffusés par des amateurs se sont trouvés dans les médias professionnels après vérification et recoupement. Nous remarquons là le renforcement d’une tendance déjà ancienne qui voit les journalistes chercher à intégrer la production amateur dans leurs routines de travail, au point de constituer ce qu’Alfred Hermida appelle un « journalisme ambiant »(2)
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Ainsi, les citoyens et les journalistes co-produisent des fragments d’information qui, agrégés par les médias, font l’actualité. Cette mutation du travail journalistique nécessite des compétences techniques et des savoir-faire spécifiques. Elle exige également une déontologie rigoureuse dont les limites ont parfois été franchies. Ainsi, dans la frénésie médiatique qui a suivi les attentats, des journalistes voulant obtenir à tout prix une exclusivité ont multiplié les sollicitations, parfois la limite du harcèlement, auprès des personnes ayant publié leurs témoignages sur les réseaux socionumériques. D’autres, n’ont pas hésité à payer pour des vidéos amateurs tournées sur les scènes des crimes ou au moment d’assauts policiers.
Entretien avec Daniel Dayan, enseignant-chercheur ayant consacré une grande partie de ses travaux à la théorie des médias. Il interroge la façon dont les médias ont rendu compte des actes terroristes qui ont eu lieu en France du 7 au 9 janvier 2015.
Depuis les attentats contre le World Trade Center, le 11 septembre 2001, les rumeurs conspirationnistes fleurissent, relancées lors de chaque attentat en Europe. Emmanuel Taïeb, professeur de science politique, analyse dans cet article les caractéristiques récurrentes de ces thèses complotistes.