Illustration représentant différents usages de la 5G par les médais

© Crédits photo : INA. Illustration : Alexis Grasset.

5G : quels usages pour les médias ?

Dès 2020, la 5G commencera à être installée en Europe. À l’image de la 4G dont les services vedettes étaient à peine envisagés au moment du lancement, il est difficile de prédire les plus grands succès. Mais le champ des possibles reste intéressant à étudier.

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Les années qui viennent devraient voir l’arrivée progressive de la cinquième génération de réseaux de télécommunications mobile. Chaque vague technologique est censée apporter une série d’innovations, susciter le développement de nouveaux marchés. La 5G ne devrait pas y échapper.

Le déploiement de cette nouvelle génération doit être accompagné de la généralisation de l’Internet des objets (IoT) et, de surcroît, soutenu par les récents développements de l’intelligence artificielle (IA). Jusqu’à présent, les services à venir restaient dans le flou pour des usages qui ne peuvent pas encore s’être révélés lors de la phase actuelle d’expérimentation. On se souviendra que les services vedettes de la 4G (Netflix, Uber, et Facebook) étaient à peine envisagés lors du lancement de cette génération.

Après avoir été annoncés en 2018, les premiers équipements compatibles ont fait leur entrée sur le marché cette année, accompagnés (voire parfois précédés) des premiers lancements commerciaux d’offres 5G aux États-Unis et en Corée du Sud, fin 2018. Et l’Europe devrait suivre en 2020. À l’horizon 2025, pendant que la 4G continuera de progresser sur le plan mondial, la 5G ne représenterait que 14% des technologies mobile, selon les projections de la GSM Association (GSMA, une association qui représente plus de 750 opérateurs dans le monde).

 

Figure 1. Évolution de la répartition entre générations technologiques sur le plan mondial (2015-2015). Source : GSMA, The Mobile Economy 2018.

Quelques secondes pour un film en HD

Plus vite, meilleure, plus rapide, plus forte, la 5G ? C’est du moins ce qu’indique l’Union internationale des télécommunications (UIT), institution spécialisée des Nations unies pour les technologies de l’information et de la communication. Cette nouvelle génération permettra des vitesses de transmission de données 100 fois plus élevées que celles de la 4G (le chargement d’un film en HD qui prend 6 minutes avec la 4G ne mettra plus que quelques secondes), pour un délai de latence (délai de transmission de la communication) 10 fois plus faible, et des capacités de réseaux multipliées par 100.

L’organisme prévoit trois axes principaux d’améliorations apportées par la 5G sur le plan technique : des services haut débit mobiles large bande améliorés(1) , des communications à la fiabilité fortement accrue et au très faible niveau de latence(2)  , des communications de machine à machine de masse touchant un nombre élevé de terminaux de faible coûts et batteries de longue durée(3)  (cf. figure 2 : les scénarios d’usage prévu par l’UIT).

Scénarios d’usage

Pour les médias, ces capacités « boostées » seront particulièrement nécessaires puisque les applications figurent parmi les plus gourmandes en ressources, demandant de très importantes capacités de réseaux pour des services audiovisuels haut débit ainsi que des délais de latence très faibles pour permettre de véritables expériences immersives, interactives et tactiles. Pour ces dernières, une étude réalisée en 2018 pour Intel par le cabinet d’analyses Ovum(4) considère que la 5G ouvrira l’accès à de nouvelles sensations, encore plus immersives : systèmes tactilo-kinesthésique : vêtements haptiques liés à des capacités de réalité virtuelles avancées comme dans le film Ready Player One,

 

La figure 2 indique comment les contenus (côté droit : vidéo 3D, réalité augmentée) pourront être impactés, et comment les utilisateurs (côté gauche : maison intelligente, l’accès par la 5G se substituant aux réseaux filaires pourront être affectés. C’est à partir de ces dimensions que le consortium de recherche 5G Media a esquissé des évolutions dans trois directions pour les médias : applications « immersives » / réalité augmentée et virtuelle, « smart » production et production à distance, et transmission haute définition dynamique et flexible sur des réseaux de distributions de contenus.

Figure 2. Quelques exemples de scénarios d’usage envisagés par l’UIT à partir de 2020. Source : UIT

Le groupe de recherche propose deux scénarios pour chacune de ces déclinaisons :

1. Applications « immersives » : d’un côté des joueurs multiples pourront jouer ensemble à des jeux en 3D immersifs dans des espaces virtuels, de l’autre les spectateurs de l’eSport pourront suivre les jeux en 3D et sur divers terminaux (mobile, réalité virtuelle).

2. « Smart production » : la réduction des coûts, du temps de production et de la complexité permise par la 5G (grâce au codage virtuel et aux moteurs de compression) permettra une meilleure exploitation des contenus autoproduits (UGC) notamment, mais aussi l’accès à des archives de ces contenus. Il en découle deux scénarios de « smart production », l’un de production à distance en particulier d’événements en direct, et un autre de contribution (par exemple de journalistes) à travers le terminal mobile et facilité par les développements de la production assistée par l’intelligence artificielle.

3. Transmission : d’un côté les utilisateurs bénéficieront d’une expérience sans couture pour accéder à leur écran à leur domicile ou en déplacement (« My Screen follows me »), de l’autre ils pourront sélectionner et personnaliser leur sélection d’événements (« I-Director »).

Plusieurs expériences de transmission de télévision haute définition (4K ou 8K) sur réseaux 5G ont déjà eu lieu : tournoi de golf en streaming pour Fox Sports aux États-Unis en 2018, célébration annuelle du printemps en Chine par le réseau chinois CCTV en collaboration avec l’équipementier Huawei et China Mobile en février 2019.

Une technologie à fort impact ?

L’étude d’Ovum - Intel quantifie une contribution aux recettes à venir (cf. figure 3) à hauteur d’un total mondial de 765 milliards de dollars cumulés sur la période, dont 260 milliards pour les États-Unis et 167 milliards pour la Chine. Les seules recettes moyennes annuelles des médias mobiles devraient doubler en dix ans pour atteindre 420 milliards de dollars en 2028, mais, comme le montre, le graphique les effets ne se feront sentir de façon sensible qu’à partir de 2022. Bien que ne représentant que 14% des solutions technologiques en 2025, la 5G pourrait néanmoins contribuer à plus de 50% des recettes à partir de cette même année.

Figure 3. Évolution des recettes globales sur les réseaux mobiles (3G/4G/5G) sur la période 2016-2028 (en milliards de dollars).

L’étude répartit les recettes selon différentes catégories :

  •  média mobile amélioré (vidéo, musique et jeux), avec les jeux à l’avant-garde des innovations en matière de 5G. Un constat partagé par OpenNet et le cabinet Akin Gump ;
  • publicité sur média mobile amélioré, à travers des vidéos, des bannières, des publicités dans les jeux et autres formats visuels pouvant apparaître dans un contexte de réalité virtuelle et augmentée. La 5G devrait également contribuer à démocratiser l'utilisation de l'intelligence artificielle dans la publicité extérieure digitale (digital out of home, ou Dooh), souligne le Journal du Net ; 
  •  haut débit et télévision domestique grâce à l’accès fixes sans fil, l’offre de nouveaux bouquets et un accès aux données illimité.
  •  média immersifs (réalité virtuelle et augmentée, jeux dans le cloud) qui pourraient connaître un développement explosif avec une croissance estimée à 2 394 % entre 2018 et 2028. À cet horizon, la Chine devrait être le premier marché ;
  •  et enfin de nouveaux médias correspondant à des applications… qui n’existent pas encore. L’étude cite les loisirs dans les véhicules autonomes, les hologrammes 3D, et les vêtements haptiques connectées.
Figure 4. Impact de la 5G par segments de marchés (2016-2028) (en milliards de dollars).

Une croissance, mais sous quelles conditions ?

Les prévisions d’Ovum - Intel peuvent apparaître plutôt optimistes, notamment vis-à-vis de développements « immersifs » dans un marché de masse, tant l’adoption de terminaux de réalité virtuelle (VR) ou améliorée (AR) pose toujours question. Leur usage dans le cas des jeux vidéo peut, néanmoins, avoir un effet d’entraînement. D’après ces prévisions, les jeux assureront plus de 90 % des recettes totales de l’AR à travers la 5G, soit 35,7 milliards de dollars en 2028.

Les données disponibles sont bien sur sujettes à débat, toutefois il est possible de se livrer à un petit exercice de prospective sur la base de tendances actuelles qui semblent largement confirmées, afin de les confronter à des variables comme la réglementation ou l’environnement économique.

Le volume des données mobiles devrait poursuivre sa croissance explosive, avec une multiplication par cinq en 2024 et un quart du trafic assuré par la 5G.

Sur le plan des tendances, il existe un consensus sur la poursuite de l’expansion de l’univers mobile (Cisco, Ericsson, GSMA) : plus d’utilisateurs, plus de connexions, une vitesse accrue, et plus de vidéo mobile (Figure 5), même si la croissance actuelle de l’équipement en terminaux mobiles devrait se poursuivre à un rythme inférieur. La GSMA prévoit 5,9 milliards d’abonnés uniques en 2025, contre 5,1 milliards en mai 2019 (+ 3,72 % sur un an). Le volume des données mobiles devrait poursuivre sa croissance explosive, avec une multiplication par cinq en 2024 et un quart du trafic assuré par la 5G.

De la même façon, ce que l’organisme avait qualifié de « "vidéoification" absolue » devrait durer, la vidéo représentant près de 75 % du trafic de données en 2023 contre 55 % en 2017 selon leurs projections (le rapport annuel de Cisco annonce 79 % dès 2022).Un phénomène que l’on peut notamment constater avec les réseaux sociaux, qui évoluent. Les réseaux sociaux évoluent, en effet, vers des services vidéo.

Enfin, la consumérisation des contenus (UGC) prend toujours de l’ampleur, confirmant l’utilisateur dans son rôle de cocréateur de contenus. Les échanges de contenus multimédias devraient encore s’intensifier.

Ces tendances cernent bien l’espace potentiel de développement des médias et d’offre de contenus vidéo personnalisés pour attirer de nouveaux clients. Toutefois, l’atteinte de ce potentiel dépendra de tout un faisceau de conditions.

 

Figure 5. Les moteurs de la croissance mondiale des données mobiles (2017-2022). Source : Cisco, Mobile Visual Networking Index (VNI) Forecast 2017-2022.

Examinons simplement deux paramètres : la réglementation et l’environnement économique. Le développement d’une réglementation plus contraignante dans divers domaines (allant de (accès aux réseaux, protection de la vie privée, etc.) peut largement obérer le développement de nouveaux services.

La confiance des utilisateurs vis-à-vis de la technologie sera sans doute plus aisée à obtenir que vis-à-vis des fournisseurs. Le rôle des marques sera donc important et constituera un atout d’envergure pour les médias qui détiennent de fortes marques, ce qui est toujours le cas de nombre d’acteurs traditionnels (titres de presse, radiodiffuseurs comme la BBC).

Si la 5G permettra un renforcement du streaming, en particulier en direct, elle pourrait aussi faciliter un retour du téléchargement — le temps nécessaire pour un téléchargement se rapprochant de l’immédiateté du streaming —, ce qui pourrait une nouvelle fois générer des conflits autour de la protection des droits d’auteur. De la même façon, la prolifération de contenus générés par les utilisateurs posera aussi de nouveaux défis pour limiter la circulation de contenus non seulement illégaux, mais aussi inappropriés de différentes façons (dont les « fake news »).

Des opportunités inégalement réparties entre acteurs

Si l’on envisage un environnement économique détérioré ou insuffisamment porteur, d’une part les investissements nécessaires au déploiement des réseaux peuvent être retardés (le montant des sommes demandées pour la mise à disposition des fréquences pouvant aggraver la situation). D’autre part, une partie des modèles d’affaires reposant sur les recettes publicitaires se verrait affectée dans un contexte ou la commercialisation d’abonnements deviendrait plus délicate. Des modèles d’affaires innovants et flexibles joueront un rôle clé.

Par ailleurs, les sociétés de média ne disposent guère d’expertise en matière des technologies les plus récentes comme on a pu le voir avec les mégadonnées (big data), et maintenant avec l’intelligence artificielle. Investir et recourir à des experts qualifiés a un coût. Dans un scénario de mauvaises conditions économiques, les acteurs de médias pourraient se trouver en position d’infériorité vis-à-vis des acteurs techniques aux ressources plus importantes (société IT ou opérateurs). De plus, les sociétés technologiques, comme le duopole Facebook / Google, sont mieux placées pour drainer des ressources publicitaires même réduites, leur part des recettes publicitaires n’a cessé de croître et devrait dépasser cette année les 28 %.

Quel que soit le scénario retenu, les nouveaux acteurs (OTT, VOD) et les acteurs numériques semblent pouvoir tirer le meilleur parti des améliorations promises par la 5G. Les diffuseurs d’événements en direct, de sports et d’eSports devraient aussi en bénéficier. À lire Frédéric Filloux, les acteurs traditionnels des médias ne devraient pas en espérer grand-chose, mais le journaliste raisonne avant tout sur le cas de l’information et de la presse, à la différence de l’étude Ovum - Intel qui se concentre sur le divertissement. 

La position des opérateurs de télécommunications pourrait se voir renforcée, des coopérations avec les radiodiffuseurs sont déjà annoncées, notamment en Corée du Sud. En revanche, les réseaux câblés se verraient contournés, comme ils ont commencé à l’être avec le phénomène de « cord-cutting ».

À l’image de la 4G qui a permis l’émergence de nouveaux usages, la 5G devrait donc être accompagnée de sa propre révolution. Reste à savoir pour les médias dans quelle mesure ils en feront partie.

    (1)

    eMBB : Enhanced Mobile Broadband

    (2)

    uRLLC : Ultra-reliable and Low Latency Communications

    (3)

    mMTC : Massive Machine Type Communications

    (4)

    Étude conduite à partir de la base de données prospectives de la société britannique, d’analyses approfondies et d’une enquête en ligne auprès de 4676 correspondants réalisée à l’été 2018

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