La page d'accueil du site Actu.fr

Plus de 400 journalistes alimentent Actu.fr quotidiennement.

© Crédits photo : Capture d'écran Actu.fr

Actu.fr : le national à l’aune de l’hyperlocal

Lancé en 2017, Actu.fr agrège les contenus de plus de cent journaux locaux répartis dans toute la France et, pour la plupart, issus du groupe Publihebdos.

Temps de lecture : 8 min

Les premières visites d’Actu.fr sont déroutantes. On y fait le tour de France en quelques articles. Des inconnus peuplent la page d’accueil et des villages sont placés au cœur de l’actualité quotidienne, sans qu’un attentat ou une catastrophe majeure ne justifie leur place. Ce site a été imaginé par Francis Gaunand, le président du groupe Publihebdos. En 2017, il a décidé de réunir, en ligne, sous une marque ombrelle, les 88 titres de presse régionale du groupe qui, chacun dans leur coin, peinaient à s’imposer sur internet.

Pour Actu.fr, plus de 400 journalistes scrutent chaque jour le pays. « Nous proposons une hiérarchie différente de l’information, vue depuis les régions. C’est l’ADN de la plateforme », assure Francis Gaunand. Chaque jour, les éditeurs du desk national, installé à Rennes, au siège de Publihebdos, réservent aux informations locales une place de choix sur les pages d’accueil nationales et régionales. De leur côté, les rédactions du groupe pilotent leur propre page d’accueil et publient une partie des articles qui apparaîtront ensuite dans les journaux papier.

Actu défend un journalisme de proximité, utile dans la vie quotidienne. Les lecteurs sont prévenus, par exemple, quand une nouvelle crèche ouvre dans leur commune et peuvent découvrir la météo en tête de la newsletter quotidienne. Mais il est demandé aux journalistes locaux de penser à « être intéressants pour des gens hors de la zone de leur journal imprimé », et de s’adresser à un lectorat « à la fois très rural et très urbain », explique Carole Gamelin, la rédactrice en chef. Éditeur en charge de six titres, dont L’Action-L’Écho et Actu Le Mans, Samuel Quignon concède qu’on « n’écrit pas de la même façon pour son voisin que pour l’ensemble du pays ».

Huitième site d’info en France

Alors que la diffusion payée des journaux imprimés de Publihebdos stagne à un peu plus de 800.000 exemplaires au total, pour une centaine de titres vendus à petits tirages (entre 2000 et 18.000 exemplaires), il a suffi de deux années d’existence pour qu’Actu.fr intègre le top 10 des sites d’info les plus consultés en France —  huitième en 2020. Ses audiences n’en finissent pas de croitre : 30 millions de visites par mois en 2018, environ 50 millions l’année suivante et presque 80 millions en  2020, selon les chiffres de l’ACPM. Prochain objectif : faire d’Actu.fr « le premier site d’info national, d’ici un an et demi ».

Historiquement installé dans le Grand Ouest, avec plus de 80 titres de presse hebdomadaire régionale, Publihebdos, société filiale du Groupe SIPA - Ouest-France, complète son maillage traditionnel de deux manières. D’abord en ouvrant les portes d’Actu à des médias extérieurs au groupe. Ça a été le cas avec le Métropolitain de Montpellier, La Dépêche de Tahiti ou Le Haut-Anjou. Indépendants, ces nouveaux entrants se félicitent d’un partenariat porteur sur le plan publicitaire. Pour Francis Gaunand, le pendant digital de la presse locale n’a de futur qu’à travers ce type d’agrégateur. « Ma conviction est que les médias hyperlocaux, en France, risquent de disparaître s’ils ne se fédèrent pas. C’est déjà le cas. » Son appétit peut sembler vorace, mais il se défend d’aller « démarcher » les titres : « Il faut que ce soit une volonté de leur part, que la réflexion des éditeurs soit déjà suffisamment aboutie pour qu’ils décident de s’adosser à notre plateforme. »

Ailleurs, pour conquérir de nouveaux territoires, Actu.fr débarque sous la forme de pure players locaux : à Strasbourg, à Bordeaux et, plus récemment, à Lyon, Saint-Étienne, Grenoble, Marseille et Nice. « L’idée n’est pas d’arriver telle une armée sur ces villes, où il y a déjà d’autres médias », prévient Carole Gamelin, la rédactrice en chef d’Actu. Le travail des nouveaux venus n’est « pas de faire ce que font déjà les autres ». Charge à eux « d’aller explorer d’autres pistes, de trouver des sujets plus humains, plus décalés, et après on voit si ça prend. »

« On était très en retard »

Dans un premier temps, l’ambition de Francis Gaunand a engendré des interrogations en interne. « On ne voyait pas très bien comment ça allait marcher : les partages régionaux, les partages nationaux », se rappelle Bénédicte de Chivré, éditrice de La Marne et de La Croix du Nord, un hebdomadaire chrétien racheté par Publihebdos en 2015. « On était très en retard », concède a posteriori Corinne Gallier, journaliste à La Presse de la Manche depuis plus de vingt ans. Cheffe d’agence à Valognes, elle égrène les craintes suscitées par le projet : « la surcharge de travail » en premier, parce que « mettre un article en ligne prend du temps », et la peur de devoir « jongler entre le print et le web avec nos bouclages quotidiens ».

Formés au print, les journalistes du groupe ont d’abord eu du mal à accorder la priorité à Actu.fr sur leur journal local. Une journaliste se souvient que « certains ne voulaient pas entendre parler d’internet ». Un autre se rappelle avoir souvent entendu : « Ce sujet, je me le garde pour le papier. » « Ça a fait un tour complet dans leur tête », s’imagine-t-il, admiratif de l’agilité du groupe face à cette « vraie révolution ». « En deux ans, c’était plié, tout le monde s’y était mis. » Pour l’éditeur Samuel Quignon, toutefois, « certains continuent à rencontrer des difficultés ». Le réflexe d’écrire d’abord pour le web n’est pas encore ancré partout. Corinne Gallier, par exemple, explique « réécrire complètement pour le web », avant de rire de sa boulette — « je ne devrais pas dire ça » — et de préciser qu’elle et ses collègues sont pleins de bonne volonté.

Pour assurer la transition, les journalistes ont été formés : «écriture plus claire, plus concise», infographie, Google Maps, vidéo et autres techniques web, liste Bénédicte de Chivré, éditrice pour le groupe. Au début d’Actu, dans une série d’articles, « toute la rédaction de L’Éclaireur de Châteaubriant tapait "NDDL" au lieu de Notre-Dame-des-Landes », se souvient Jean-Pierre Robino, éditeur du titre. « Forcément, nous étions très mal référencés, ça ne décollait pas, sans que nous ne comprenions pourquoi, alors que nous étions souvent les premiers sur l’information ! » Ils ont appris. « Actu nous a tirés vers le haut, clame une Bénédicte de Chivré conquise. Nous avons été obligés d’écrire mieux. Et lier tous les territoires demande d’avoir une certaine homogénéité. » Mais aussi de prendre de la hauteur. Plus question de travailler les yeux rivés sur « sa petite boutique, chacun chez soi ». Les sites des hebdomadaires du groupe, tels que ceux du Journal des Sables, aux Sables-d’Olonne (près de 67.000 fans sur Facebook), et de La République de Seine-et-Marne (plus de 63.000 fans sur Facebook), ont d’ailleurs disparu à la faveur de l’agrégateur.

Culture de l’émulation

Avec « cette logique de plateforme » les localiers écrivent pour un « média dans le média », nous explique un journaliste. Pour éviter « les doublons, voire les triplons », « l’une des obsessions éditoriales d’Actu », selon ce dernier, les journalistes doivent se parler avant de se lancer dans un sujet national susceptible d’être traité par d’autres rédactions. Cette « concertation permanente » passe par Slack, un logiciel de messagerie. Parfois, cela demande de faire une croix sur ses envies. D’autres, de voir son sujet connaître un retentissement national. Publiée par La Marne en août 2020, l’histoire d’un homme arrêté pour avoir tenté de voler un grand cru à une caisse automatique d’un supermarché, à Chelles, a compilé « 500.000 pages vues », d’après Bénédicte de Chivré. Celle du pharmacien qui signale un problème sur des pilules contraceptives «a servi à des nanas dans toute la France», assure-t-elle.

On sent beaucoup de journalistes excités par cette machine qu’ils n’ont pas complètement domptée. Heureux de sentir, enfin, plus de reconnaissance pour le métier de localier constamment sur le terrain. Ces succès sont, selon eux, « gratifiants » et « motivants ». Ils entretiennent une forme de concurrence, qu’ils jurent « saine », entre les titres. « Chaque jour, seuls quelques sujets locaux sont partagés sur la home nationale. Quand ce n’est pas le nôtre, on peut voir les bons sujets qui remontent. » Et s’en inspirer… Voire lancer un sujet en collaboration avec d’autres titres. Une première enquête collaborative sur le proxénétisme des mineurs a ainsi été menée par la rédaction de Lille et deux équipes normandes.

La culture de l’émulation entre titres locaux n’est pas nouvelle chez Publihebdos. Chaque année, les « Hebdos stars » récompensent d’un trophée les meilleures progressions du groupe. La rédaction de L’Éclaireur de Châteaubriant a obtenu le sien après des résultats spectaculaires en 2020. Ses pages seraient passées « de 60.000 vues à 1 million par mois », selon Jean-Pierre Robino, son éditeur. Son équipe s’est adaptée aux exigences du web (travail le samedi, articles publiés tôt le matin et tard le soir...) et convertie à Google Analytics. La rédaction sait désormais ce qui marche (« les faits divers, l’économie positive et les belles histoires ») et ce qui ne marche pas (« la culture et le sport »).

Une marque encore méconnue

Construit sur le modèle du gratuit financé par la publicité, Actu est « encore dans une stratégie de massification ». Les nouveaux partenaires aident à rendre l’agrégateur incontournable et à entretenir la hausse des revenus publicitaires, passés de 500.000 euros en 2017 à 6 millions d’euros en 2020. « Les ventes papiers représentent encore 80 % du chiffre d'affaires, selon Jean-Pierre Robino, mais on a vu que la publicité programmatique [automatique et basée sur un système d’enchères] pouvait rapporter 15/20 % du chiffre… Et plus tu fais de vues, plus tu ramasses de fric ! »

« Plus de 500 articles sont publiés chaque jour » sur le site, détaille la rédactrice en chef Carole Gamelin, soit plus de 15.000 par mois. « Ce n’est pas du bâtonnage, insiste Francis Gaunand, mais de l’info sourcée localement. Et là-dedans, il y a des trésors ! » « Il y a un indicateur qui ne trompe pas, reprend Carole Gamelin. Quand on découvre nos belles histoires dans les journaux télévisés, le lendemain de leur publication sur le site, c’est que les articles ont été partagés suffisamment pour arriver à Paris. »

Pourtant, la renommée du site n’égale pas encore ses très bons résultats. En tête du classement NewsGuard des médias fiables en 2020, Actu.fr doit encore être présenté par ses concurrents : 20 Minutes le décrit comme « un site d’information locale qui publie des articles de près de 100 journaux et sites locaux ». Pour Francis Gaunand, « la marque Actu n’emporte pas encore assez avec elle ». Les visites sont nombreuses, mais viennent en grande partie de Facebook, où Actu.fr compte plus de 2 millions de fans répartis en une centaine de pages locales. L’éditeur espère faire grandir le nombre de lecteurs venus par eux-mêmes, directement sur le site.

Pour le rendre plus clair, une refonte a été menée à l’automne 2020 par l’agence-conseil Datagif. Il fallait que « les enjeux originaux d’Actu se répercutent spécifiquement sur ce qu'on voit », détaille Maxime Loisel, chef de projet de cette agence parisienne. C’est-à-dire « faire cohabiter le local et le national », clarifier « l’imbrication des nombreux niveaux géographiques ». «Nous avons « revalorisé l’échelon régional, classé les médias locaux par grande région », dans un menu « inspiré de Netflix, pour son côté télécommande ». Le logo de chaque média apparaît également sur chacun de ses articles, pour mettre en avant la marque locale. Prochaine étape : les lecteurs connectés à leur compte pourront bientôt « s’abonner à des villes ou des médias locaux et se constituer leur propre flux ». Par exemple : région d’origine, ville d’adoption et verticale rugby. La fonctionnalité, qui sera dévoilée lundi 26 avril, permettra à chacun de créer ses propres combinaisons. Sa propre Actu.

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