Africa n°1, le crépuscule d'une radio africaine

Africa n°1, le crépuscule d'une radio africaine

Après avoir été la première radio d'Afrique, Africa n°1 a été surpassée en audience par les radios internationales et se cherche un nouvel avenir, entre le Gabon, la Libye et la France.

Temps de lecture : 6 min

La radio panafricaine à la recherche d'un second souffle entre Paris et Tripoli

 

Après avoir été la première radio d'Afrique, avec plus de vingt millions d'auditeurs, Africa n°1, radio gabonaise créée en 1981, n'est plus que l'ombre d'elle-même. La société française SOFIRAD (1) qui détenait 40 % de son capital s'est retirée en 2002. Le nouvel actionnaire libyen, devenu majoritaire en 2007, a promis un « redéploiement » qui tarde à se concrétiser. En attendant, l'audience est au plus bas dans la plupart des capitales d'Afrique francophone. Elle est stable, en revanche, en France, où Africa n°1, avec trois fréquences en Ile de France, est écoutée quotidiennement par 80 000 personnes. (Audience veille mesurée par l’enquête Médiamétrie de 2008)
 
« La société est en pleine restructuration, une cinquantaine de personnes et autant de pigistes locaux et correspondants extérieurs assurent la continuité des services en attendant le redéploiement » explique Jean Nativité Ongala, directeur général adjoint d'Africa n°1 à Libreville. Au début des années 2000, la radio employait une centaine d'agents permanents. Elle se voulait la cinquième radio mondiale, avec plus de vingt millions d'auditeurs. Selon l'universitaire André Jean Tudesq, cette station, après avoir été soutenue financièrement pendant dix ans par l'État gabonais, a commencé à dégager des bénéfices en 1991. À l'époque, la diffusion se faisait essentiellement en ondes courtes et, dans ce contexte, Africa n°1 possédait un atout maître : son centre émetteur de Moyabi, le plus puissant du continent africain. La location de ces émetteurs à des concurrents comme RFI, Radio Suisse Internationale ou même la NHK (le diffuseur japonais) rapportait à la radio plus que la publicité.

Traversée du désert

 

Le modèle économique qui a permis à Africa n°1 d'atteindre la rentabilité a commencé à être remis en cause l'année même où la radio engrangeait ses premiers bénéfices. Dès 1991, l'ouverture du paysage audiovisuel dans la plupart des pays d'Afrique francophone a entraîné une course aux fréquences. Africa n°1 a installé son premier émetteur en modulation de fréquence en 1992, un an après son principal concurrent, Radio France Internationale. Aujourd'hui, la radio panafricaine possède 19 fréquences FM en Afrique (2)(3), dont 17 en Afrique francophone. Mais sur la même zone (hors Océan indien), RFI aligne 64 émetteurs et la BBC, 29. Parallèlement, l'intérêt de la diffusion en ondes courtes a fortement décliné (4) et plus aucun diffuseur ne loue désormais à Africa n°1 ses installations de Moyabi. Cette évolution des habitudes d'écoute, ajoutée au retard accumulé par rapport aux concurrents en termes de réseau de diffusion, explique en partie la chute de l'audience globale d'Africa n°1. Mais d'autres facteurs entrent en jeu. Après 2002, la radio, déstabilisée par le retrait de la SOFIRAD, son principal actionnaire, a ainsi réduit son effectif de moitié.

Abandonné par son partenaire français, l'État gabonais doit assumer seul le fonctionnement d'Africa n°1 jusqu'à l'arrivée d'un nouvel actionnaire majoritaire, la Libyan Jamahirya Broadcasting. La Libye entre au capital de la radio dès 2006 mais c'est en 2007 qu'elle en prend le contrôle, avec 52 % des parts. Malgré cette offensive, le patron historique de la station, Louis Barthélémy Mapangou, reste en place jusqu'en avril 2010. Pendant cette période de transition, Africa n°1 connaît une véritable descente aux enfers : difficultés financières, plan social avec des dizaines de licenciements, grèves, et même, en avril 2010, une coupure d'eau consécutive à l'accumulation de factures impayées. Les difficultés de la radio affectent ses installations de diffusion dont certaines nécessitent ce qu'un responsable appelle pudiquement une « remise à niveau technique ». Le départ de nombreux journalistes et animateurs n'est pas sans effet sur les programmes. Un auditeur s'étonne d'avoir entendu longuement un soir les élucubrations d'un marabout proposant ses services à des clients potentiels en quête de « retour d'affection ». Il semble que les difficultés de réception et les bouleversements de la grille aient fini par rebuter bon nombre d'auditeurs. La radio n'a plus commandé la moindre étude d'audiences en Afrique depuis le retrait de la SOFIRAD, mais les enquêtes réalisées à l'initiative de sa concurrente Radio France Internationale en 2009 et 2010 témoignent de son déclin.

Africa n°1 devancée par RFI... et la BBC
 
 
Marginalisée dans la plupart des capitales africaines, alors qu'autrefois, il lui arrivait d'être en tête (5)(6), Africa n°1 ne conserve une audience honorable que dans son fief gabonais où elle est, cependant, largement devancée par Radio France Internationale.

L'heure libyenne

 

En avril 2010, la Libyan Jamahirya Broadcasting passe le relais à la Holding des médias et d'édition, structure créée par le Libya African Portfolio, un fonds d'investissement dirigé par le directeur de cabinet de Mouammar Kaddafi, Béchir Salah Béchir. Cette fois, le patron historique de la radio, Louis Bartélémy Mapangou, est poussé vers la sortie et remplacé par le libyen Anber Elbashir Ali Abubaker. Lors du conseil d'administration du 28 avril 2010, le nouvel actionnaire annonce un plan de développement triennal (2011-2013) assorti d'une mise de fonds de 4,82 milliards de francs CFA, destinée à renforcer les effectifs et à réhabiliter le réseau de diffusion. L'année précédente, la ministre de la Communication du Gabon a même annoncé le lancement d'une chaîne de télévision sous le label Africa n°1.

En octobre 2010, ces annonces n'avaient pas encore été suivies d'effets concrets. La seule conséquence tangible de l'arrivée des actionnaires libyens a été l'ouverture d'une nouvelle fréquence à Tripoli.

Le bastion français résiste

 

Malgré son déclin sur le continent noir, Africa n°1 est parvenue à conserver un auditoire fidèle en France où une étude BVA lui attribuait en 2007 une « notoriété spontanée » deux fois et demi plus importante que celle de Radio France Internationale parmi les « Africains d'origine » résidant en région parisienne. Titulaire de trois fréquences en Ile de France (7) (contre une seule pour RFI), la radio n'a pas souffert en France des mêmes bouleversements qu'en Afrique, pour plusieurs raisons. D'une part, la moitié seulement des programmes produits à Libreville est diffusée sur l'antenne française, le reste de la grille étant alimenté par le bureau parisien de la radio (8). D'autre part, les fréquences obtenues sur le sol français appartiennent à une société de droit français (Africa Média (9)) où le nouvel actionnaire libyen n'est représenté qu'indirectement et de façon minoritaire (à travers les 20 % de parts détenues par Africa n°1 – Gabon).

Malgré les bouleversements intervenus depuis près de trente ans, malgré les aléas techniques, géopolitiques et financiers, Africa n°1 garde des auditeurs fidèles et pas seulement parmi les nostalgiques. Beaucoup savent aujourd’hui que cette radio panafricaine n’est pas forcément la meilleure source d’information sur l’Afrique, que des centaines de radios locales du continent s’efforcent de concurrencer sa programmation musicale et ses commentaires sportifs, que certains de ses animateurs vedettes ont pris de l’âge... Mais il reste encore un public pour une radio qui parle de l’Afrique toute entière dans toutes ses dimensions et qui reste inimitable par certaines de ces émissions, comme le « programme-fétiche » que constitue « L’aventure mystérieuse » (10), feuilleton hebdomadaire à base de sciences occultes, proposé par Patrick Nguema Ndong. Ce petit bijou radiophonique a fait vibrer des millions d’auditeurs du continent depuis vingt-cinq ans avec de terrifiantes histoires de sorcellerie. Il reste l’un des emblèmes les plus forts d’Africa n°1. Ses personnages ont vendu leur âme au diable plus d’une fois, ce qui ne les a pas empêché de survivre. Bien au contraire.

Dominique Guihot, directeur général d'Africa Média, affirme que l'arrivée des actionnaires libyens n'a pas eu d'impact sur la politique éditoriale de la radio, bien que la totalité des bulletins d'information soit produite à Libreville. La consultation du site de la radio ne permet pas de déceler une complaisance particulière à l'égard de la Libye. Ainsi, les violations des droits de l'homme au pays de Mouammar Kaddafi n'y sont pas esquivées. Le passage du pôle gabonais de la radio sous contrôle libyen ne semble pas non plus avoir affecté le niveau d'audience en région parisienne, où le nombre d'auditeurs est toujours estimé à 80 000. Africa n°1 a même failli connaître une extension de sa diffusion lorsqu'en 2009 le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel lui a attribué une nouvelle fréquence à Marseille dans le cadre du projet de Radio numérique terrestre. Mais la mise en oeuvre de ce projet ayant été reportée sine die, les espoirs de diffusion de la radio panafricaine à Marseille, mais également à Toulouse et à Bordeaux, se sont estompés.

Faits et chiffres sur Africa n°1

 

Africa n°1-Gabon est détenue à 52 % par la société Afrique des médias et d'édition (Libye), à 35 % par l'État gabonais et à 13 % par un actionnaire privé gabonais.
 
Africa Média, société éditrice d'Africa n°1-Paris, annonce un chiffre d'affaires annuel d'1,4 million d'euros. Son capital est détenu à 63 % par la société Partenaire Production (dirigée par Dominique Guihot, PDG d’Africa Média), à 17 % par ANTC (Africa Nouvelles Technologies et Communication, société dont Dominique Guihot est l'actionnaire majoritaire) et à 20 % par Africa n°1-Gabon.
 
André-Jean TUDESQ, « L’Afrique parle, l’Afrique écoute : les radios en Afrique subsaharienne », Karthala, Paris, 2002.
(1)

La Société financière de radiodiffusion, créée initialement pour gérer les participations de l'État français dans les radios dites « périphériques », a également été actionnaire, par la suite, de Radio Monte-Carlo Moyen Orient (devenue filiale de Radio France Internationale sous le nom de Monte Carlo Doualiya) et aussi de la radio franco-marocaine Médi 1.

(2)

Abidjan 91.1 ; Bamako 102 ; Bangui 94.5 ; Brazzaville 89.6 ; Cotonou 102.6 ; Dakar 102 ; Douala 102 ; Kinshasa 102 ; Libreville 94.5 et 99.5 ; Lomé 102 ; Malabo 102 ; N'Djamena 103 ; Niamey 103 ; Ouagadougou 90.3 ; Pointe Noire 93.6; Porto-Novo 102.6 ; Tripoli 101.9 Yaoundé 106.7.  

(3)

bidjan 91.1 ; Bamako 102 ; Bangui 94.5 ; Brazzaville 89.6 ; Cotonou 102.6 ; Dakar 102 ; Douala 102 ; Kinshasa 102 ; Libreville 94.5 et 99.5 ; Lomé 102 ; Malabo 102 ; N'Djamena 103 ; Niamey 103 ; Ouagadougou 90.3 ; Pointe Noire 93.6; Porto-Novo 102.6 ; Tripoli 101.9 Yaoundé 106.7.

(4)

La BBC a annoncé avoir perdu, vingt millions d'auditeurs en ondes courtes à travers le monde rien qu'en 2009. 

(5)

En 1994, la radio panafricaine atteignait 22 % d'audience veille à Abidjan, contre 17 % à Radio France Internationale. 

(6)

n 1994, la radio panafricaine atteignait 22 % d'audience veille à Abidjan, contre 17 % à Radio France Internationale.

(7)

À Paris, Melun et Mantes-la-Jolie. 

(8)

Ce bureau emploie une vingtaine de personnes et produit, notamment, les émissions suivantes : Le Journal des Auditeurs, Africasong, 50 ans de musique africaine (animé par Manu Dibango), Les Cartes du Monde, Le Monde des Femmes, 100 % Culture, Tout Feu Tout Foot.

(9)

Le Conseil d'administration de cette société est composé de Dominique Guihot, Manu Dibango, Hervé Bourges, Georges Courrèges ainsi que de deux représentants d'Africa n°1 - Libreville.

(10)

A écouter le dimanche à 21 h 10, heure de Paris.

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