la dpa vend des podcasts en marque blanche pour les médias locaux

© Crédits photo : Illustration : Axel Thomas

En Allemagne, des podcasts en marque blanche pour la presse régionale

Une trentaine d'éditeurs de journaux locaux et régionaux se sont regroupés pour produire leurs podcasts. La particularité ? Une base commune, produite par la dpa, principale agence de presse du pays. Ils y ajoutent ensuite leurs propres contenus.

Temps de lecture : 7 min

Chaque matin, en lançant le podcast quotidien de leur journal régional respectif, les habitants d’Aix-la-Chapelle, de Darmstadt ou d’Oldenbourg entendent une même voix. Celle de Maya Dähne, journaliste de la principale agence de presse outre-Rhin, la dpa, depuis ses studios berlinois.

Particularité : sur les plateformes de diffusion, le logo de l’agence n’apparaît pas, et son nom n’est pas toujours mentionné. Positionnée en ouverture ou fermeture, la séquence fournie par l’agence de presse — un flash d’informations nationales et internationales d’une dizaine de minutes — est complétée par des actualités fabriquées par les rédactions locales. Un format hybride pour permettre l’accès des plus petits journaux à l’« eldorado de l’audio » ?

Un premier pas stratégique dans l’audio

C’est le sens d’une initiative portée par une trentaine d’éditeurs de journaux locaux et régionaux allemands. Regroupés au sein de l’Online Marketing Service (OMS), ils ont annoncé en février dernier le lancement d’un partenariat avec l’agence de presse dpa, laquelle tente de s’établir sur le marché du podcast comme plusieurs de ses concurrentes et a créé récemment un « Audio Hub ».

Sur le principe de la marque blanche, l’OMS a confié à la dpa la production d’une séquence d’une dizaine de minutes, sélection quotidienne d’actualités présentée par leur journaliste maison. Une séquence livrée en deux versions, avec des transitions différentes, pour pouvoir la raccrocher de la manière la plus transparente possible aux éventuels contenus produits par les rédactions locales. Le tout étant ensuite proposé et diffusé sous la forme d’un podcast unique.

Parmi les premiers à avoir rejoint l’aventure, le Nordwest Zeitung (NWZ). Le quotidien implanté à Oldenbourg, en Basse-Saxe, illustre bien la manière dont les plus petits titres de la presse s’étaient emparés de l’audio jusque-là. S’il proposait déjà de la webradio et du podcast, l’existence de ces formats et les sujets abordés (jardinage, séries télé) reposaient sur la bonne volonté de quelques membres de la rédaction, sans véritable vision stratégique. Comme le souligne Max Holscher, en charge du développement numérique, le podcast conçu avec la dpa est donc le « premier produit fort » audio du journal.

Alors que le NWZ mise de plus en plus sur ses contenus payants, le podcast quotidien, accessible gratuitement, est vu comme « un moyen de renforcer l’attachement des gens à notre marque, et de gagner de nouveaux clients. » Porte d’entrée à part entière dans l’univers du journal, le podcast s’ouvre donc sur une séquence où des journalistes de la rédaction énoncent les principaux titres de l’actualité locale : « Ça apporte peu si l’on propose seulement les actualités de la capitale, parce que les gens nous lisent pour les actualités d’ici, c’est notre force. C’est pourquoi nous avons mis la partie locale en premier. »

Issus des différents services de la rédaction, les journalistes volontaires ont bénéficié d’une formation spécifique à l’écriture et à la prise de parole par un présentateur radio. Chaque jour, à tour de rôle, l’un d’entre eux rassemble les principales actualités et enregistre sa séquence en début de soirée. La suite est expliquée par Max Holscher : « On fait le montage avec l’outil commun mis à disposition par l’OMS et on télécharge. Pendant la nuit, nos collègues de la dpa produisent leur partie et la connectent à notre séquence placée au début. »

« Nous sommes encore au début et nous testons »

Malgré le soin apporté par la rédaction à la réalisation, le podcast d’actualités du NWZ (« NWZ Nachrichten Podcast ») donne l’impression, à l’écoute, de contenir deux podcasts en un, avec deux séquences peu reliées entre elles. Par ailleurs, les auditeurs peuvent être déçus du déséquilibre : la séquence des actualités locales ne dure que trois minutes, quand celle de la dpa dure plus de dix minutes.

Touché par des critiques émises par Übermedien — un site web d’actualité et de critique des médias, comparable à Arrêt sur images en France — Max Holscher reconnaît que le produit fini « ne sonne peut-être pas aussi professionnel que chez le Spiegel ou d’autres grands médias. Mais on ne peut pas comparer : nous avons beaucoup moins de personnel, nous en sommes encore au début et nous testons. »

Mis en cause pour la collaboration avec la dpa et la livraison de contenus prêts à être publiés, Max Holscher se défend : « Les journaux papier achètent des contenus à la dpa et les intègrent, ce n’est pas blâmable. Alors pourquoi ne pourrait-on pas essayer aussi dans le domaine du podcast ? » Lui se dit satisfait du résultat final et des premières audiences : entre 600 et 1 000 auditeurs quotidiens en fonction de l’exposition accordée au podcast sur les supports du journal, dont la diffusion papier approche chaque jour les 100 000 exemplaires.

Un contenu commun pour attirer les annonceurs

Une audience encore limitée mais que le journal espère accroître grâce à l’initiative portée par l’OMS. Créée en 1996, celle-ci a accompagné, à ses débuts, ses membres dans la monétisation de leur site internet. Le principe : la force du collectif et une audience cumulée pour une plus grande attractivité auprès des annonceurs. Las, la forte érosion du marché publicitaire en ligne ces dernières années a poussé la société à trouver d’autres relais de croissance.

Ancien de la radio, son dirigeant, Wolfgang Schmitz-Vianden, a vu dans le podcast un « nouveau champ d’affaires potentiel pour l’OMS ». Comme il l’écrit lui-même dans un rapport soutenu par le « Journalismus Lab » : « Un podcast local seul a peu de chances d’atteindre l’audience nécessaire pour être intéressant aux yeux des annonceurs nationaux. Pour cela, des coopérations entre éditeurs seraient indispensables et logiques afin de rassembler les audiences. » C’est avec cette ambition que le domaine du podcast est ajouté aux statuts de la société en 2019.

Avant de s’intéresser aux contenus, le premier chantier est toutefois d’ordre technique. La simplicité de certains formats cache des investissements importants, que les plus petits acteurs ne peuvent pas ou difficilement assumer. Malgré un paysage médiatique structuré différemment en Allemagne, le développement des podcasts dans la presse régionale y fait face aux mêmes difficultés qu’en France et se limite ainsi souvent aux plus grands titres (Stuttgarter Nachrichten, Rheinische Post, Osnabrücker Zeitung, Hamburger Abendblatt…).

Une plateforme pour produire des podcasts facilement

Face à des rédactions peu équipées en matériel audio, et où se pose la question des compétences pour maîtriser différents logiciels (prise de son, montage, diffusion), l’OMS fait alors le choix de se rapprocher de Sonarbird. Une entreprise, basée à Aix-la-Chapelle, qui développe une plateforme d’accompagnement à la création de podcasts.

Un groupe de travail commun est mis en place, auquel Wolfgang Schmitz-Vianden, podcasteur lui-même, participe : « [Sonarbird] avait déjà une certaine base technique, que nous avons regardée. Nous avons dit ce qui devait encore être optimisé, changé et élargi, pour que les besoins des éditeurs de journaux soient pris en compte, et que la solution soit adaptée à leurs "workflows". »

Le résultat est une solution entièrement accessible à travers un navigateur web, qui permet la réalisation de l’ensemble des étapes de la production d’un podcast, de son enregistrement jusqu'à sa diffusion et l’intégration de publicités dynamiques. Sans oublier une forte dimension collaborative permettant le travail de plusieurs journalistes sur un même projet.

Si la solution se rapproche de celle d’Anchor, rachetée en février 2019 par Spotify, Wolfgang Schmitz-Vianden souligne l’attachement des éditeurs regroupés au sein de l’OMS à limiter leur dépendance vis-à-vis des grandes plateformes. À partir de Sonarbird, « chaque éditeur peut, s’il le souhaite, obtenir une application podcast individuelle », selon le principe de la marque blanche, et créer ainsi « son propre canal avec ses clients. Cela n’a pas vraiment de sens de venir renforcer la valeur de Spotify et consorts, d’être dépendants de ces plateformes, et de ne pas gagner d’argent à la fin », explique le dirigeant.

Podcasts premium et voix de synthèse

Une stratégie bien comprise par le Aachener Zeitung, quotidien d’Aix-la-Chapelle. S’il a rejoint l’initiative dès son lancement, l’investissement y est pour l’instant minimal. « Ce que nous avons produit, c’est le cadre audio : l’entrée et les jingles », souligne Ulrich Rutsch, le « Chief Digital Officer ». En l’absence de contenus locaux, le podcast se limite donc aux actualités présentées et fournies par la dpa. Un choix qui peut surprendre mais qui ne doit pas occulter la stratégie et les projets futurs.

« Nous passons pleinement en payant, avec abonnement. Nous concentrons donc nos ressources sur ce domaine et produisons seulement des contenus avec une telle qualité que nous savons qu’ils vont fonctionner derrière un "paywall". » À la différence du NWZ, pas question donc pour le journal diffusé à 88 000 exemplaires d’alimenter un podcast, accessible gratuitement, en contenus vendus par ailleurs.

Si l’audience est pour l’instant limitée (entre 80 et 180 lectures du podcast par épisode), l’initiative permet davantage à Ulrich Rutsch et ses équipes de tester la plateforme Sonarbird et de préparer la suite: « Ce que nous attendons de la coopération, c’est l’application en marque blanche. Elle rend possible la gestion de podcasts premium, qui feront partie intégrante de notre abonnement digital. » Le lancement est prévu pour la seconde moitié de l’année 2021.

Alors que d’autres journaux se préparent à rejoindre la démarche, le groupe de presse VRM, basé à Darmstadt, en Hesse, a lui lancé deux podcasts : « Gude, Südhessen » (Salut, Hesse du sud) et « Gude, Mittelhessen » (Salut, Hesse du centre). Ici, la partie locale des actualités est portée par une voix de synthèse. Placée au début du podcast pour en améliorer la fluidité, le résultat n’en reste pas moins étrange. Alors que de nombreux titres de presse ont recours à ce type de dispositif, l’association au sein d’un même podcast d’une voix de synthèse et d’une voix réelle, celle de la dpa, ne convainc pas véritablement.

Si le contenu délivré par l’agence « fournit une base à partir de laquelle, avec un investissement limité, on peut construire un podcast quotidien », comme le souligne Wolfgang Schmitz-Vianden, force est de constater qu’entre injonctions à l’audio, recherche de modèles économiques pérennes et contraintes opérationnelles, la presse locale et régionale tâtonne encore sur le terrain du podcast. Mais à l’heure où les agences de presse développent leurs offres audio « B to B », nul doute que de telles expérimentations sont observées avec attention.

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