Audiovisuel et Internet : photographie d'une rencontre

Audiovisuel et Internet : photographie d'une rencontre

En quelques années, Internet a bouleversé les conditions de création, de production et de diffusion des œuvres audiovisuelles, obligeant le secteur à s'adapter à de nouveaux usages.

Temps de lecture : 9 min Sommaire

 

Apparu au milieu des années 1990, l’Internet grand public a d’abord été utilisé comme un simple outil de communication et d’information. Les internautes pouvaient s’échanger des courriers électroniques, accéder à des informations en ligne ou consulter les sites Internet d’entreprises sur lesquels ces dernières présentaient leurs produits et services. Malgré cet usage relativement limité, les investisseurs ont rapidement perçu les immenses possibilités offertes par Internet. Cet engouement des investisseurs a d’ailleurs provoqué certains excès conduisant à la création d’une bulle spéculative autour d’Internet qui a ensuite éclaté au début des années 2000.

 

Les espoirs placés dans Internet ont commencé à se concrétiser à partir de l’année 2003 avec l’implantation progressive du haut débit dans les pays développés puis dans le monde entier. L’augmentation des capacités de stockage offertes aux entreprises et la rapidité des connexions a favorisé l’essor du commerce électronique. Ceci a également permis aux éditeurs de sites Internet de mettre en ligne des fichiers numériques plus lourds tels que des vidéos. C’est à cette époque que des œuvres audiovisuelles(1) ont commencé à être diffusées à grande échelle sur Internet. Depuis, de nombreuses plateformes de vidéo à la demande (VàD) permettant de visionner en streaming ou de télécharger des vidéos à l’unité(2) ou par abonnement(3) ont vu le jour. 

 

À partir de l’année 2004, une autre révolution a bouleversé les usages des internautes : l’apparition de l’Internet participatif, communément appelé « Web 2.0 ». Avant cette date, les contenus diffusés sur Internet émanaient essentiellement d’acteurs dits institutionnels(4). Depuis, de nombreux internautes créent leur propre blog ou site Internet, donnent leur avis sur des forums de discussion, réagissent aux articles diffusés sur le site Internet d’organes de presse ou contribuent à la diffusion du savoir(5). Alors que seules les œuvres audiovisuelles créées et produites par des professionnels(6) étaient diffusées jusqu’à cette date en raison du nombre limité de canaux de distribution(7), tout internaute peut désormais librement communiquer au public des vidéos sur des sites de partage tels que YouTube ou Dailymotion.

 

L’usage d’Internet a également été fortement modifié en raison de l’évolution des supports permettant d’y accéder. Initialement, les utilisateurs pouvaient uniquement accéder à Internet sur leur ordinateur personnel. Mais les avancées technologiques réalisées en quelques années dans le secteur des télécommunications ont bouleversé ce schéma établi. Les consommateurs peuvent désormais accéder à Internet sur leur téléphone portable, soit en navigant directement sur Internet, soit en consultant des widgets(8) dont l’usage s’est considérablement développé depuis 2007 sous l’impulsion de l’iPhone et des applications de l’App Store d’Apple.

 

Parallèlement, Internet a commencé à être accessible sur des écrans de télévision, particulièrement en France où un modèle original d’offre triple play(9) a été créée à la fin de l’année 2003 par Free et a depuis été adopté par les autres opérateurs de télécommunications(10). Ce modèle de télévision connectée à Internet pourrait se développer très rapidement dans un proche avenir. Des acteurs d’Internet tels que Yahoo! et Google ont conclu des accords avec des fabricants de téléviseurs(11) afin que les téléviseurs manufacturés par ces fabricants intègrent leurs services Internet et des widgets.

 

À terme, l’ensemble des consommateurs pourraient non seulement avoir accès sur leur téléviseur à des services de VàD et de télévision de rattrapage(12) mais pourront également consulter sur leur téléviseur des sites Internet proposant un large catalogue d’œuvres audiovisuelles(13) ainsi que des widgets(14). L’intérêt suscité par la télévision connectée à Internet auprès d’entreprises telles que Yahoo! et Google se comprend aisément dans la mesure où « le marché publicitaire télévisé est trois fois plus important que le marché publicitaire Internet »(15).

 

L’utilisation généralisée de la télévision connectée n’est pas non plus négligeable pour les producteurs d’œuvres cinématographiques et télévisuelles lorsque l’on sait qu’en 2009, 91,3 % des transactions payantes pour des services de VàD en France ont été réalisées par l’intermédiaire d’un téléviseur(16).

 

Ce sont donc tous les intervenants du secteur audiovisuel qui sont affectés par le développement d’Internet : distributeurs, producteurs, diffuseurs et consommateurs. Mais ce sont également les processus de création, de production et de diffusion qui ont été modifiés.

Utilisation croissante d’Internet dans le processus de création de l’œuvre audiovisuelle

 

L’idée selon laquelle des internautes pourraient être à l’origine de la création d’une oeuvre audiovisuelle paraît séduisante et innovante. Toutefois, le fait que ces participants ne soient pas des professionnels complique un peu ce schéma.
 

  • Création d’une œuvre audiovisuelle composée de vidéos d’internautes

Les sites de partage de contenus tels que YouTube et Dailymotion offrent aux utilisateurs d’Internet la possibilité de communiquer au public les vidéos qu’ils créent. Certains utilisateurs y voient l’occasion de partager avec des proches une vidéo personnelle alors que d’autres peuvent utiliser ces sites Internet à titre professionnel afin d’exposer leur travail et/ou attirer l’attention des médias sur un sujet.

 

Le potentiel artistique offert par ces vidéos d’internautes du monde entier a été perçu par Ridley Scott(17) dont la société de production Scott Free coproduit actuellement avec YouTube un film de long-métrage intitulé Life in a Day qui sera réalisé par Kevin McDonald(18) exclusivement à partir de vidéos d’internautes(19).
 

 

 

Les participants dont la vidéo est intégrée dans le film(20) ne reçoivent aucune rémunération pour leur travail mais leurs noms seront mentionnés dans le générique du film en qualité de metteur en scène associé et seront invités à l’avant-première du film au Festival de Sundance en janvier 2011.

 

Le règlement, qui est soumis au droit anglais, impose aux internautes auteurs des vidéos de céder à titre non exclusif les droits nés de leur création au producteur. Dans un souci de sécurité juridique, le règlement du jeu indique que les participants dont la vidéo est sélectionnée par l’équipe du film signeront à nouveau un formulaire de cession de droits au profit du producteur.

 

Le mécanisme juridique est donc assez simple puisque les internautes autorisent le producteur à exploiter la vidéo sur le site YouTube, comme c’est traditionnellement le cas pour les vidéos postées par les internautes sur ce site. La différence réside dans l’étendue de la cession dans la mesure où les vidéos sont destinées à être incorporées dans une œuvre cinématographique qui sera à tout le moins présentée au Festival de Sundance.

 

L’utilisation de vidéos d’internautes dans un film n’est toutefois pas sans risque pour le producteur car ces internautes peuvent être amenés à reproduire des œuvres de tiers dans leurs vidéos.
 

  • Risques d’atteinte aux droits des tiers

Dès lors que les internautes peuvent librement diffuser sur Internet leurs propres vidéos, le risque que les vidéos communiquées au public portent atteinte aux droits des tiers augmente considérablement. En effet, la plupart des internautes ne sont pas des professionnels du secteur de l’audiovisuel et, dès lors, ils ne sont pas conscients que les vidéos qu’ils mettent en ligne peuvent violer les droits de propriété intellectuelle d’autres individus ou sociétés ou ne mesurent pas les conséquences d’une telle atteinte à ces droits de propriété intellectuelle. Ainsi, les vidéos diffusées sur des sites tels que YouTube et Dailymotion contiennent souvent un morceau de musique, une image ou un extrait ou la totalité d’un film ou d’un programme audiovisuel protégés par le droit d’auteur.

 

Devant l’impossibilité pratique d’agir en justice contre chaque internaute qui mettrait en ligne des contenus portant atteinte à leurs droits, les titulaires de droits tentent d’agir directement contres les sites de partage sur lesquels les vidéos litigieuses sont communiquées au public. Après quelques hésitations, les tribunaux français considèrent désormais que ces sites agissent en tant qu’hébergeurs et leur appliquent le régime favorable instauré par la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN)(21).

 

Dans le cadre d’un film tel que Life in a Day, le producteur doit porter une attention toute particulière au risque d’atteinte aux droits de tiers dans la mesure où le film est composé exclusivement de vidéos d’amateurs(22).

 

À supposer que le film Life in a Day porte atteinte aux droits de tiers, non seulement le producteur pourrait voir sa responsabilité engagée, mais celle de YouTube également. En effet, il semble aisé de démontrer que YouTube n’intervient pas en qualité de simple hébergeur puisqu’il participe activement au film en qualité de co-producteur et de diffuseur, le film devant être diffusé sur une chaîne dédiée du site YouTube.

 

Si l’utilisation d’Internet dans la création d’œuvre audiovisuelle fait naître un risque pour le producteur, il lui procure également des opportunités pour trouver des compléments de financement en vue de la production de ses oeuvres mais également pour produire de nouvelles formes d’œuvres.

Utilisation croissante d’Internet dans le processus de production de l’œuvre audiovisuelle

 

Les producteurs d’œuvres audiovisuelles, qui sont toujours à l’affût de nouveaux moyens de financement de leurs œuvres, ont désormais accès à des financements mis à disposition par les internautes. Ces compléments de financement qui interviennent aujourd’hui pour des œuvres audiovisuelles classiques seront peut-être utilisés pour la production de nouvelles formes d’oeuvres, les oeuvres transmédias.
 

  • Apports de financements de la part des internautes

Internet offre aux personnes souhaitant développer un projet une plateforme afin de trouver des financements auprès de communautés d’internautes. Ce mode de financement original(23) fut particulièrement médiatisé en France en 2007 lorsque le site Internet MyMajorCompany a levé des fonds auprès d’internautes afin de produire le premier album du chanteur Grégoire. Suite au succès rencontré par MyMajorCompany dans la musique, plusieurs sociétés ont transposé ce modèle au secteur de l’audiovisuel. Trois principaux sites Internet offrent aujourd’hui la possibilité aux internautes d’investir leur argent dans un film : TousCoprod, Motion Sponsor et PeopleForCinéma.
 


Selon les sites Internet, la contribution financière des internautes sert à financer une partie de la production et/ou des dépenses de distribution d’un film. La contribution minimale que peuvent apporter les internautes s’élève à 10, 20 ou 25 euros selon les sites. En contrepartie, ces contributeurs perçoivent un droit sur les recettes d’exploitation du film qu’ils soutiennent financièrement ainsi que d’autres avantages en nature(24). Par ailleurs, le producteur et/ou le distributeur du film peuvent solliciter l’avis des contributeurs sur un élément de la production ou de la promotion du film. En revanche, les contributeurs n’acquièrent aucune quote-part sur les droits d’auteur ou le matériel du film(25).

 

Les montants collectés auprès des internautes par le site Internet sont reversés au producteur ou au distributeur uniquement si le montant total de contributions minimum fixé d’un commun accord entre le site Internet et le producteur ou le distributeur est atteint. À défaut, le site Internet rembourse aux internautes leurs contributions. En contrepartie de ses services, le site Internet perçoit une commission sur les sommes collectées auprès des internautes ainsi que sur les recettes d’exploitation du film(26).

 

Jusqu’à présent, les sommes collectées par ces sites Internet sur un film restent relativement faibles(27) au regard du coût de production(28) ou de distribution d’un film. Néanmoins, cette contribution permet aux producteurs de films d’obtenir un financement supplémentaire qui vient compléter les sources de financement traditionnelles(29) et qui permet de financer une partie des salaires et les frais généraux qui sont souvent mis en participation par les producteurs.

 

L’intérêt de ces sites Internet repose essentiellement sur leur capacité à promouvoir un film. En effet, ces sites permettent d’atteindre et de fidéliser une communauté d’internautes, qui expriment un intérêt pour le film notamment, en y contribuant financièrement. Ces internautes s’efforceront d’assurer la promotion du film auprès de leurs proches et/ou dans le cadre de blogs, de forums et/ou de réseaux sociaux(30).

 

Les blogs, les forums et/ou les réseaux sociaux ne sont pas seulement utilisés comme supports de promotion d’oeuvres audiovisuelles. Ils peuvent en effet constituer des composantes d’un nouveau type d’œuvre, communément appelée œuvre transmédias.
 

  • Production d’un nouveau type d’œuvre : l’œuvre transmédias

En cas de succès d’une œuvre littéraire(31), son auteur ou un tiers peut décider d’adapter cette œuvre sur un ou plusieurs autres supports. Ainsi, des bandes dessinées telles que « Batman » et « Spiderman » ont été adaptées en livres, magazines, dessins animés télévisés, films d’animation, films dit « live » et en jeux vidéo. Toutefois, le plus souvent, c’est la même histoire conçue pour un support(32) qui est déclinée sur différents médias.
 

L’apparition d’Internet a créé une certaine interactivité entre les œuvres audiovisuelles et les internautes. Ces derniers peuvent par exemple aisément exprimer leur avis sur une œuvre audiovisuelle et échanger leurs opinions avec d’autres internautes. Certains producteurs ont souhaité profiter de cette interactivité offerte par Internet afin d’approfondir et pérenniser la relation entre le spectateur et l’œuvre audiovisuelle en développant des œuvres de narration dite transmédias(33).

Dans ce type d’œuvres, les différentes parties d’une même histoire sont communiquées au public chacune sur un média différent(34) si bien que les spectateurs doivent utiliser chaque média afin de connaître l’intrigue dans son ensemble(35).
 

Ce nouveau mode narratif semble aujourd’hui établi aux États-Unis. En mars 2010, le syndicat des producteurs américains(36) a ainsi donné sa définition de l’œuvre transmédias(37) et a créé un crédit de « Producteur Transmédias »(38).
 

En France, ce nouveau mode de narration est encore à ses balbutiements(39). Toutefois, il devrait être porteur économiquement car il permet au producteur d’augmenter ses recettes d’exploitation en multipliant les plateformes d’exploitation. Ainsi, jusqu’en 2009, la websérie « Heroes 360 »(40) diffusée sur Internet en complément de la série TV américaine « Heroes » aurait rapporté 50 millions de dollars de revenus publicitaires à son producteur NBC Universal(41). De même, il assure une certaine pérennité à l’œuvre audiovisuelle, qui est exploitée sur plusieurs mois voire plusieurs années, et renforce la fidélité du spectateur vis-à-vis de l’œuvre audiovisuelle.
 

Le développement de la narration transmédias en France devrait faire apparaître de nouvelles fonctions telles que celle d’architecte narratif qui est proche de celle de « Producteur Transmédias ». L’architecte narratif serait la personne en charge de créer la structure narrative de l’histoire, sa segmentation et l’exploitation de chaque partie sur un média différent en tenant compte de la spécificité de chaque média et de s’assurer de la continuité de l’histoire sur ces différents médias. Cette nouvelle fonction ne rentre pas véritablement dans le schéma habituel de création d’une œuvre audiovisuelle de fiction qui est le plus souvent une collaboration entre un réalisateur, un scénariste, un adaptateur, un dialoguiste et, en cas de musique originale, un compositeur.
 

Dans l’œuvre transmédias, Internet est pris en compte dès le processus de production. Pour les autres types d’œuvres audiovisuelles, Internet est simplement utilisé comme mode de diffusion.

Utilisation d’Internet comme mode de diffusion

 

Si les professionnels de l’audiovisuel ont salué la possibilité de diffuser des œuvres audiovisuelles sur Internet avec une fonction interactive, ils ont déploré le développement du piratage sur Internet et ont longuement discuté la manière de rémunérer les auteurs des oeuvres audiovisuelles. Par ailleurs, le développement de la VàD sur Internet pose la question de la participation des plateformes de VàD au financement des œuvres audiovisuelles.
 

  • Rémunération des auteurs au titre de l’exploitation de leurs œuvres sur Internet

L’apparition d’un nouveau mode d’exploitation comme Internet constitue en principe une nouvelle source de recettes pour les producteurs d’œuvres audiovisuelles. Naturellement, les auteurs des œuvres audiovisuelles souhaitent participer aux recettes résultant de cette exploitation.

 

Aux États-Unis, l’accord conclu en 1988 entre le syndicat des scénaristes américains(42) et le syndicat des producteurs américains de télévision et de cinéma(43) ne stipulait aucune rémunération en faveur des scénaristes au titre de l’exploitation des œuvres audiovisuelles sur Internet car ce moyen de communication n’existait pas au moment de la signature de cet accord. A l’échéance de cet accord en 2007, les scénaristes ont souhaité être intéressés aux recettes résultant de cette exploitation. Les deux parties ne parvenant pas à un accord, les scénaristes ont entamé une grève qui a duré près de quatre mois et a couté plusieurs centaines de millions de dollars à l’industrie télévisuelle et cinématographique aux États-Unis. A la suite de ce conflit, les parties ont finalement trouvé un accord en février 2008 aux termes duquel les scénaristes perçoivent une part des recettes issues de l’exploitation de leur travail sur Internet.

 

En France, les organisations professionnelles ont abordé cette question dès 1999. Ainsi, la SACD et plusieurs organisations de producteurs(44) ont conclu le 12 octobre 1999 un protocole d’accord au terme duquel la rémunération des auteurs issue de l’exploitation d’œuvres cinématographiques en paiement à la séance ou à la demande contre un prix déterminé devait correspondre au minimum à 1,75 % du prix payé par le public et devait être directement perçue auprès des services de communication par la SACD qui serait ensuite chargée de répartir cette rémunération entre les auteurs(45).

 

Le 10 avril 2009, trois syndicats de producteurs indépendants(46) ont dénoncé le protocole d’accord du 12 octobre 1999. Cette dénonciation crée une certaine insécurité juridique auprès des professionnels de l’audiovisuel car ce protocole avait été étendu à l’ensemble des sociétés du secteur(47). Ainsi, il apparaît aujourd’hui impératif que la SACD et les organisations de producteurs se réunissent afin qu’elles se mettent d’accord à tout le moins sur le sort du protocole d’accord à l’égard des producteurs qui ne sont pas membres des trois organisations professionnelles ayant reconduit tacitement le protocole d’accord(48).

 

Bien entendu, le problème de la rémunération des auteurs ne se pose que dans le cadre de la VàD légale qui ne s’est pas beaucoup développée jusqu’à ce jour, notamment à cause du piratage.
 

  • Lutte contre le piratage

Le développement de l’Internet haut débit a favorisé la progression du téléchargement illicite d’œuvres audiovisuelles. Ainsi, le piratage d’œuvres audiovisuelles en France est aujourd’hui quantitativement « six fois plus important que la consommation légale »(49). Afin d’y remédier, le législateur français a incité les organisations professionnelles du secteur de l’audiovisuel à réaménager la chronologie des médias et a mis en place un système original de riposte graduée. 
 

  • Réaménagement de la chronologie des médias

Dès le début des années 1980(50), le législateur français a introduit une chronologie des médias dans le cinéma en interdisant aux sociétés de télévision de diffuser des films à la télévision pendant une certaine durée à compter de leur sortie en salles(51).

 

Désormais, cette chronologie n’est en principe plus établie directement par le législateur mais résulte d’accords professionnels(52). Ainsi, les professionnels du secteur de l’audiovisuel ont conclu le 20 décembre 2005 un accord au terme duquel les producteurs de films doivent attendre respectivement six mois et 33 semaines(53) à compter de la sortie du film en salles pour l’exploiter leur film en DVD et en VàD(54). Toutefois, le développement de l’Internet haut débit ayant entrainé une explosion du téléchargement illicite d’œuvres audiovisuelles(55), les ventes de DVD ont considérablement chuté(56) et la progression de la VàD légale n’a pas permis de compenser cette baisse des ventes de DVD(57).

 

 


Afin d’enrayer cette tendance, producteurs, éditeurs de vidéo et éditeurs de plateformes VàD ont appelé de leur vœux un réaménagement de la chronologie des médias. Ils arguaient notamment que le délai requis pour qu’un film puisse être exploité en DVD ou en VàD était trop long et incitait les internautes à se diriger vers des sites de téléchargement illicite en l’absence d’offre légale en DVD et VàD dans les mois suivant la sortie des films.

 

Depuis juillet 2009(58), les DVD et les services de VàD payante à la séance sont disponibles au minimum quatre mois après la sortie en salles du film. Ces délais sont portés à 36 mois pour la VàD par abonnement(59) et à 48 mois pour la VàD gratuite(60).

 

Le réaménagement de la chronologie des médias étant relativement récent, il est difficile d’apprécier avec suffisamment de recul les effets de cette réforme sur les ventes de DVD et la VàD payante. Toutefois, il est intéressant de relever que les ventes de DVD de films ont augmenté de 13,8 % en valeur entre juillet 2009 et juin 2010(61).

 

Certains producteurs américains souhaiteraient raccourcir davantage le délai d’exploitation en DVD et VàD. En effet, plusieurs studios américains s’estimeraient en mesure d’offrir les films en VàD 45 jours à compter de leur sortie en salles(62). Ils considèrent que cette formule leur permettrait de faire progresser la VàD et ainsi compenser le recul des ventes de DVD et de réduire les frais de promotion en lançant la diffusion VàD peu de temps après la sortie du film en salles.

 

En l’état, une telle mesure ne serait évidemment pas applicable en France compte tenu du délai de 4 mois qui s’impose aux professionnels du secteur. En tout état de cause, si cette formule était envisagée, elle devrait certainement rencontrer une vive opposition des exploitants de salles car la VàD à 45 jours risquerait de détourner les spectateurs des salles de cinéma(63).

 

Pour faire face au piratage, certains pays ont également souhaité se doter d’un arsenal législatif à caractère répressif.
 

  • Riposte graduée

En France, le fait de reproduire une œuvre protégée par un droit d’auteur, telle qu’une œuvre audiovisuelle, sans l’autorisation des titulaires de droits(64) constitue un délit de contrefaçon lourdement sanctionné(65). Malgré la sévérité de ces sanctions, de nombreux films sont téléchargés illicitement sur Internet en France(66) et, compte tenu de la généralisation de cette pratique et de la longueur et du coût d’actions en justice, les titulaires de droits d’auteur ont de grandes difficultés à protéger leurs droits.

 

Devant l’ampleur prise par le téléchargement illicite d’œuvres audiovisuelles ces dernières années, les titulaires de droits ont demandé aux pouvoirs publics de réagir afin de préserver la santé économique des secteurs de l’audiovisuel et de la musique. Après un débat public relativement mouvementé, le législateur a adopté en 2009 deux lois(67) instaurant un système de riposte graduée et mettant en place une Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI) chargée de mettre en œuvre cette riposte graduée. Ces lois créent un délit de négligence caractérisée en cas de manquement des titulaires d’accès à Internet à leur obligation de veiller à ce que cet accès ne soit pas utilisé afin de télécharger illicitement des œuvres audiovisuelles(68).

 

Plusieurs pays européens ont adopté un système de riposte graduée similaire, notamment au Royaume-Uni et en Suède(69). Si l’on peut se réjouir de l’existence d’un système protégeant les intérêts des titulaires de droits, l’efficacité de ce système en pratique reste incertaine. Selon les promoteurs de la riposte graduée, une majorité d’internautes devrait cesser les faits litigieux dès réception d’une première recommandation de l’HADOPI(70). Toutefois, il est possible que ce système soit vite dépassé par les avancés technologiques et la modification des habitudes de consommation sur Internet. En tout état de cause, l’existence d’une riposte graduée doit obligatoirement être accompagnée d’une promotion active et du développement rapide d’une offre légale qui réponde aux attentes des internautes afin que ces derniers prennent l’habitude d’utiliser les plateformes légales de VàD et ne soient pas tentés de se tourner vers les sites illégaux de téléchargement(71).
 

  • La contribution des plateformes de VàD au financement des œuvres audiovisuelles françaises

En tant que premier producteur de films en Europe et le troisième dans le monde(72), la France dispose depuis de nombreuses années d’une industrie cinématographique relativement prospère. Cette vitalité tient en partie de son système de financement original qui repose notamment sur l’obligation faite aux chaînes de télévision françaises de participer financièrement à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises(73).

 

Lorsqu’en 1990(74), le gouvernement français a initialement imposé cette obligation d’investissement aux chaînes de télévision, on a considéré que cette obligation constituait une contrepartie de l’usage exclusif du domaine public hertzien accordé à ces chaînes. Dès lors, cette obligation ne s’applique pas aux autres acteurs du secteur de l’audiovisuel tels que les éditeurs et distributeurs de DVD.

 

En raison notamment du développement d’Internet, les principales chaînes de télévision française connaissent depuis 1999 une baisse d’audience(75) et une baisse corrélative de leurs revenus publicitaires. Cette tendance pourrait engendrer à terme une réduction des investissements des chaînes de télévision françaises et, de fait, un ralentissement de la production cinématographique et audiovisuelle française. Dans ce contexte, le gouvernement a publié un décret(76) imposant aux éditeurs de services de médias audiovisuels dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 10 millions d’euros d’investir une partie de leur chiffre d’affaires afin de contribuer au développement de la production cinématographique et audiovisuelle française.

 

Ce choix politique peut surprendre car la VàD constitue en quelque sorte une version dématérialisée de la location et de la vente de DVD. Or, les éditeurs et les distributeurs vidéo n’ont jamais connu une telle obligation d’investissement. De surcroît, cette obligation s’impose à des opérateurs dont la viabilité n’est pas acquise pour des services qui sont certes en pleine expansion, mais restent relativement faibles en valeur et pâtissent durement du téléchargement illégal. À cet égard, il est intéressant de constater que le chiffre d’affaires de la VàD dans son ensemble en France en 2009(77) est près de 20 fois inférieur à celui des recettes publicitaires du groupe TF1 pour la même période(78).

 

Par ailleurs, les plateformes de VàD investissant dans un film en coproduction ou en pré-achat devront certainement exiger en contrepartie une exclusivité sur l’exploitation du film en VàD, à l’instar des diffuseurs. Or, on sait que le développement de la VàD légale passe notamment par l’existence d’une offre complète et lisible pour le consommateur. Si, en raison du jeu des exclusivités, un consommateur ne peut avoir accès sur la plateforme de VàD qu’il utilise habituellement, il pourrait être tenté de se tourner vers des sites de téléchargement illégal.

 

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a pris conscience de ces enjeux. En effet, consulté par le gouvernement avant la publication du décret, le CSA a rendu un avis dans lequel il a insisté sur la nécessité d’introduire une progressivité annuelle des taux de contribution imposés aux plateformes de VàD afin de ne pas pénaliser excessivement ces opérateurs et a recommandé « de ne pas privilégier l’acquisition de droits exclusifs par le préfinancement des œuvres, afin de favoriser leur plus large exposition et leur circulation »(79). Les recommandations du CSA ont été partiellement suivies par le gouvernement dans la mesure où le décret finalement publié instaure une progressivité annuelle des taux de contribution mais impose aux services de médias à la demande d’investir au moins 25 % de leur contribution dans le préfinancement d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.

 

En tout état de cause, il est possible que le système de financement de la production cinématographique et audiovisuelle en France soit bientôt reconsidéré. En effet, avec le développement annoncé de la télévision connectée, de nouveaux acteurs économiques tels que Google TV et Apple TV apparaissent. Or à ce jour, ces deux géants, qui sont situés à l’étranger, ne sont soumis à aucune obligation de soutien de la production française, ce qui pourrait créer une distorsion de concurrence au détriment des opérateurs français.

 

La rencontre entre les mondes de l’audiovisuel et d’Internet ne s’est pas faite pas sans heurts. Internet vient aujourd’hui bouleverser un secteur assez stable et structuré et tend à imposer de nouvelles règles du jeu et une culture originale. Comment cette cohabitation évoluera-t-elle dans l’avenir ? Assisterons-nous à un combat entre les décideurs du monde de l’audiovisuel et ceux de l’Internet ou ces deux mondes se fonderont-ils ensemble naturellement en un seul secteur ?



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Crédits photos : capture d'écran Life in a day / YouTube, motionsponsor.com , deadoll / Flickr

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