éric zemmour sur le plateau d'élysée 2022

Éric Zemmour sur le plateau d'« Élysée 2022 », le 9 décembre 2021.

© Crédits photo : Capture d'écran franceinfo: ; Justine Babut.

Audiovisuel public et Éric Zemmour : it’s complicated

Enquête sur quatre mois d’une relation marquée par les faux-semblants, d’accusations et d’utilité mutuelle.

Temps de lecture : 8 min

La Revue des médias poursuit, avec cet article de Cyril Lacarrière, une série sur « la fabrique médiatique » de la prochaine élection présidentielle. Elle accompagnera toute la campagne électorale. 

La Marche impériale, musique qui accompagne Dark Vador dans Star Wars, pour illustrer le portrait d’Éric Zemmour, quelle idée… étonnante ! France 2 prenait ainsi le risque d’énerver son invité avant même qu’il n'arrive sur le plateau, il n’en fut rien. Au contraire, durant la première séquence, c’est un Éric Zemmour plutôt agréable qui s’est adressé aux journalistes Laurent Guimier et Léa Salamé, à qui il donnait même du « ma chère Léa », sans que l’on sache s’il s’agissait de sympathie ou d’une tentative de déstabilisation.

Il était clair en tout cas qu’Éric Zemmour n’était pas venu dans « Élysée 2022 » pour débattre ou s’en prendre aux journalistes du service public. Son rival jeudi soir, c’était Bruno Le Maire. Un face-à-face attendu par l’invité et par la chaîne, mais visiblement aussi par les téléspectateurs. Ils étaient 2,84 millions devant leur poste, soit le meilleur score pour le rendez-vous politique de France 2 depuis mars 2020 (mais derrière les 3,8 millions du débat face à Jean-Luc Mélenchon en septembre sur BFMTV).

Ce fut donc un « win-win » pour le candidat et l’audiovisuel public, qui entretiennent des relations pour le moins compliquées. Olivier Ubéda, qui s’occupe de la communication de Zemmour, fait remonter cela à l’époque où Thierry Ardisson l’invitait dans « Tout le monde en parle » (1998-2006) et explique que depuis, l’affrontement larvé ne s’est jamais apaisé. Il s’est même accentué début octobre à cause d’une sortie en direct du journaliste Gilles Bornstein sur franceinfo: [chaîne à laquelle l’INA contribue depuis son lancement en 2016, NDLR] qui, face à Ian Brossat (PC), lâche à propos de Zemmour : « Il n’a pas le droit de venir ici ! » Des propos qui font vite le tour des réseaux sociaux et servent l’accusation de censure. Si Gilles Bornstein fait amende honorable dès le lendemain dans un tweet en regrettant s’être « mal exprimé », la machine est lancée, et Éric Zemmour s’empare de ce faux pas pour tancer le service public. Après avoir laissé planer la menace d’une sanction contre son journaliste, France Télévisions a finalement passé l’éponge. « Gilles a été maladroit dans son expression mais des incidents en direct, cela arrive », justifie Sophie Guillin, la directrice de la chaîne.

Chaque côté campe toutefois sur ses positions, les deux se sachant utiles à l’autre. « Zemmour est pragmatique et sait que les médias publics demeurent très puissants et donc très utiles pour s’adresser à un maximum d’électeurs potentiels », souligne un cadre de France Télévisions. De l’autre côté, on n’en démord pas : « Je déplore l’idéologie du service public et ne conçois pas que cela soit payé par les Français. Leurs partis pris systématiques sont grotesques », nous fait savoir Éric Zemmour.

Propos mobilisateur

Pourquoi dès lors avoir commencé la tournée promotionnelle de son livre mi-septembre sur France 2, dans « On est en direct », face à Laurent Ruquier et Léa Salamé ? « Il était curieux du moment que cela pourrait donner, répond Olivier Ubéda. Il y voyait une forme de challenge. » À l’antenne, le résultat sera pour le moins heurté, surtout avec Ruquier. « Il était content de régler ses comptes avec moi », commente Éric Zemmour, qui estime avoir été « viré pour des raisons politiques » de l’émission « On n’est pas couché », où il est devenu un phénomène avant d’être mis sur une prétendue liste noire. Ses invitations, en 2021, aux émissions « On est en direct » et « Complément d’enquête » (il a refusé cette dernière) montrent que cette consigne, si tant est qu’elle ait existé, n’est plus d’actualité. Mais le propos demeure mobilisateur auprès de militants ou d’électeurs de droite déjà remontés contre les médias en général et ceux du service public en particulier. Olivier Ubéda se souvient d’ailleurs que Nicolas Sarkozy « jouait » déjà sur ce registre lors de sa campagne de 2007. « Un jeu qui peut être dangereux, convient le communicant, mais Éric Zemmour capte ce ressentiment. »

Il faut se souvenir qu’en septembre dernier, en commençant la promotion de son livre La France n’a pas dit son dernier mot (Rumbepré), Éric Zemmour assurait au journal Le Monde que si France Inter l’avait invité, il aurait « bien sûr » privilégié la matinale de Léa Salamé et Nicolas Demorand à tous les autres médias. Mais l’audiovisuel public n’était alors pas au clair sur le cas de celui qui était encore seulement essayiste. « Quand il sera officiellement candidat », disait-on dans plusieurs rédactions. Une sorte de règle officieuse jamais pleinement assumée.

Du côté de franceinfo:, canal 27, la directrice Sophie Guillin rappelle l’importance de la chronologie : « Quand Éric Zemmour annonce la sortie de son livre, il est encore sur CNews, où il bénéficie d’une large exposition médiatique. S’il ne vient pas chez nous, ce n’est donc pas par rapport à ce qu’il dit mais parce qu’il est une figure importante d’une chaîne concurrente. » La patronne estime par ailleurs que les premiers sondages qui intègrent Zemmour en tant que candidat, en juin, sont « contestables ». Il s’agit donc à cette époque de garder la maîtrise du tempo.

Puis les choses s’accélèrent. Le 8 septembre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel demande à tous les médias de décompter les prises de parole du polémiste-pas-encore-candidat-mais-presque. « C’est une décision importante car elle permet d’objectiver les choses, notamment sur les critères de la représentativité, à savoir les sondages et l’animation du débat public, or ce sont ses positions qui le polarisent à ce moment-là », ajoute Sophie Guillin. Le 21 octobre, le grand sondage d’Ipsos pour le Cevipof et Le Monde donne Éric Zemmour à 16 % d’intentions de vote au premier tour. De quoi mettre fin aux atermoiements.

« Dupe de rien »

Tout le monde n’avait pas attendu cette fulgurante ascension sondagière. Muriel Pleynet, la rédactrice en chef de l’émission « Élysée 2022 », avait rencontré les équipes d’Éric Zemmour dès le 18 octobre pour lui proposer d’être l’invité de France 2. Une date en novembre avait été évoquée, mais Zemmour ne s’était pas encore déclaré candidat. Ce faux suspense étant terminé, il était ce jeudi soir sur le plateau de l’émission, neuf jours après la diffusion de sa vidéo sur YouTube et juste après son premier grand meeting de campagne. Un rendez-vous télévisuel qui, malgré un début de saison très difficile demeure statutaire et toujours la seule du genre en prime time sur une chaîne généraliste. Éric Zemmour ne s’y est pas trompé, il justifiait d’ailleurs mardi matin chez Jean-Jacques Bourdin l’annulation d’un déplacement prévu à Lyon par la préparation d’une « émission importante ».

Un enjeu qui n’a pas nui à la bonne préparation de l’émission. « La rencontre avec lui s’est très bien déroulée, il n’a eu aucune exigence particulière, aucune remarque sur l’invitée mystère [dont il ignorait l'identité : Samia Ghali, adjointe à la mairie de Marseille, NDLR], à dire vrai, il n’y a même pas eu de négociation, nous relate Muriel Pleynet. Il a manifestement suffisamment confiance en lui pour accepter le jeu tel qu’il est et, peut-être, aussi en nous pour ne pas imaginer que cela puisse être piégeux. » Une référence à l’invitation faite en septembre à Jean-Luc Mélenchon, qui n’avait pas abouti à cause des multiples exigences du leader de La France insoumise. Dans l’équipe d’Éric Zemmour, on joue plutôt la carte de la force tranquille même si son communicant, Olivier Ubéda, nous soutient que son candidat n’est « dupe de rien ».

Preuve que la ligne du service public n’était pas gravée dans le marbre, l’antenne radio de franceinfo: avait également pris langue avec l’équipe du bientôt-candidat depuis la mi-octobre. Jean-Philippe Baille, directeur de la station, raconte son cheminement : « J’ai défendu avec la médiatrice de Radio France que nous ne participions pas à une opération de promotion, mais combien de temps pouvions-nous tenir ? La décision du CSA a changé la donne et il était difficile pour une chaîne d’information de ne pas interroger une personne qui pèse dans les sondages. » Et voilà Éric Zemmour invité du 8 h 30 de franceinfo face à Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia dès le lundi 22 novembre, huit jours avant d’entrer officiellement en campagne. L’invité ne se prive pas d’un tacle à ses hôtes pour commencer l’échange : « Depuis trois mois, j’étais sur toutes les chaînes privées parce que j’avais un livre à présenter. Je note que le service public ne m’a pas du tout invité pour mon livre mais j’ai l’habitude, ce n’est pas la première fois, ce n’est pas le premier livre qui est ainsi boycotté par le service public. » Et lorsque Salhia Brakhlia lui rappelle son passage dans « On est en direct », Zemmour joue la surprise et balaie, petit sourire en coin. « C’est vrai, j’ai été invité au tribunal de Laurent Ruquier et Léa Salamé, j’avais oublié, vous avez raison. »

Grand entretien

Aux manettes de la matinale, Marc Fauvelle rappelle qu’au sein de la rédaction de la radio franceinfo:, les débats sur la pertinence de cette invitation ont été nombreux « avec de bons et de mauvais arguments » et qu’il y a cinq ans, certains disaient aussi qu’il ne fallait pas inviter Emmanuel Macron. Considérant que son interlocuteur était bel et bien entré dans la course à l’Élysée, Fauvelle a jugé qu’il devait être traité comme tel et l’a interrogé sur tous les sujets, notamment celui du pouvoir d’achat, peu abordé par ailleurs. La seule référence au livre La France n’a pas dit son dernier mot concernera le traitement des femmes. « Je ne fais pas le match service public contre Éric Zemmour, je ne suis pas le chevalier blanc », rappelle le journaliste. Il fallait donc faire comme si c’était un matin comme les autres…  Preuve que cette séquence n’était quand même pas tout à fait comme les autres, Marc Fauvelle raconte qu’il a réécouté l’interview, « ce que je ne fais pas souvent », et trouvé que l'équilibre avait été respecté. L’entretien a fait progresser la courbe d’audience côté télé de 10 à 15 %, nous confie la chaîne, qui codiffuse quotidiennement le « 8 h 30 » avec la radio.

Désormais officiellement candidat, Éric Zemmour va donc faire,  après « Élysée 2022 », le tour du service public comme des autres médias. Le talk-show « C à vous », qui ne l’a pas reçu pour la sortie de son livre, a lancé à son tour une invitation. Et son désir de France Inter doit se concrétiser, selon les informations de La Revue des médias, le jeudi 16 décembre puisqu'il doit être l’invité du grand entretien de la matinale. À en croire Olivier Ubéda, il sait où il met les pieds : « Un média qui le conspue du matin au soir… Quand on est de droite, il faut être masochiste pour aller sur Inter. » Mais là encore, à en croire Ubéda, cet affrontement idéologique serait bénéfique à son champion : « Plus Inter nous tape dessus, plus on gagne des points. » Un petit jeu qui, jusqu'ici, convient à tout le monde. Il avait d’ailleurs été exactement le même aux États-Unis avant l’élection de Donald Trump.  

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