La nouvelle radio : mobilité, vidéo, interactivité
Il est cependant réducteur de parler uniquement de radio filmée et plus judicieux d’avancer le terme de radio 2.0 ou de radio visuelle, tant le numérique, le transmédia, la complémentarité prennent le pas sur la seule vidéo. Pour Mathieu Gallet, ex-président de l’INA, et président de Radio France depuis le 12 mai dernier, « le numérique est avant tout une opportunité ». « Les jeunes générations n’auront sans doute pas le réflexe transistor, mais elles ne vont pas abandonner la radio pour autant », déclarait-il dans un entretien au quotidien économique Les Échos, le 28 avril 2014. « Elle doit s’enrichir, en mariant le son et les formats numériques comme les vidéos ou les infographies. Mais la radio, ce n’est pas de la télévision. Et si elle doit mieux être à l’écoute des réseaux sociaux, elle a l’avantage d’être le premier média interactif », poursuivait-il, en ajoutant que, selon lui, la radio est moins fragilisée que d’autres médias par l’évolution technologique. « Avant, chaque média avait son territoire, ses moments dans la journée. Il y avait un temps pour la presse, un temps pour la radio, un temps pour la télévision […] La radio conserve son avantage : celui d’être un média d’accompagnement et de mobilité. On peut écouter la radio et faire autre chose en même temps. »
La démocratisation des smartphones, l’arrivée de la 4G, de la fibre optique, la baisse des tarifs et les forfaits tout compris proposés par les opérateurs téléphoniques et les fournisseurs d’accès à Internet ont permis aux auditeurs de multiplier leurs supports d’information. Mais les stations ont dans le même temps été obligées de mettre en place des contenus spécifiques, ce qui ne va pas sans changer la pratique du métier, d’où des réactions pas toujours positives : « Il y a quelques réticences, une sorte d’appréhension : la radio, ça reste la magie du son. Mais on ne forcera personne à être filmé, affirme Christophe Israël. Il faut accompagner les gens, expliquer les projets, faire de la pédagogie. » Du côté syndical, on suit attentivement toutes ces évolutions. Christophe Pauly l’explique par ces mots : « Si cette nouvelle radio exige des compétences particulières, elles doivent être reconnues et valorisées d’une manière ou d’une autre. » Comprendre : par une revalorisation salariale. D’autres se posent des questions qui peuvent paraître anecdotiques mais qui sont importantes. Par exemple : faut-il se maquiller ou non avant d’entrer en studio ? D’autres interrogations portent sur la formation, les compétences ou le savoir-faire qu’il faut acquérir pour maîtriser les techniques permettant de produire ces nouveaux contenus.
Car derrière les micros, les lumières rouges, les sites, les vidéos, se cache une autre bataille, celle qui met en compétition les prestataires de services qui proposent des solutions logicielles ou matérielles, comme les sociétés Vizion’R ou David Systems. « La technique influe aujourd’hui directement sur le contenu », n’hésite pas à dire Christophe Pauly. À entendre Marc Brelot, cofondateur de Vizion’R, le lien apparaît évident. « Nous nous positionnons en intermédiaire, en donnant les moyens à l’animateur ou au réalisateur de pousser les métadonnées [le contenu complémentaire disponible numériquement, comme des cartes, des infographies, etc.] quand il le souhaite et de manière très simple avec un clic sur un écran tactile, explique-t-il lors d’une interview au Salon de la radio en février dernier. Une photo est intéressante ? On l’envoie. Un tweet arrive et mérite d’être partagé ? On l’envoie. L’idée, c’est que l’animateur ou le réalisateur, dont les choix éditoriaux auront été faits en amont, n’a plus qu’à se poser la question de la synchronisation, à savoir : à quel moment envoyer la métadonnée. » Il n’est pas évident pour un journaliste, un réalisateur ou un animateur de maîtriser ces nouveaux outils rapidement et sans un minimum de formation. Or, estime le syndicaliste de la CFDT Médias, « face à des évolutions matérielles aussi rapides que celles que nous connaissons, nous avons du mal à adapter notre ligne éditoriale car tout va trop vite. Nous n’avons pas le temps d’avoir un retour d’expérience tant le matériel change rapidement. »
La nouvelle radio, celle d’aujourd’hui, répond à trois critères déterminants, que rappelle Christophe Israël : « la mobilité, la vidéo et l’interactivité. » Optimiste et enthousiaste, le responsable des nouveaux médias de France Inter est conscient de vivre un moment particulier et motivant pour ce média. « Peut-être que la radio de demain ou d’après-demain ne ressemblera pas du tout à celle que l’on fait aujourd’hui. Mais une chose est sûre : le son restera primordial », conclut-il. « Savoir ce que sera la radio de demain, c’est aussi savoir ce que sera le monde des médias en général, en termes de contenu, de support, de technique, lui répond Christophe Pauly. Le chemin que prend la radio est celui que prennent tous les autres médias, c’est celui du numérique. Internet est le lieu de toutes les rencontres, le point de convergence de tout le monde. Du coup, la spécificité de chaque média a tendance à s’estomper. Les outils que nous utilisons sont presque toujours les mêmes, quel que soit le support, nous allons vers une uniformisation de tous les médias. » Une vision peut-être un peu pessimiste. D’autant qu’il ajoute : « le fait que tout se passe via un écran pose la question suivante : n’existe-t-il, finalement, plus qu’un seul type de média diffusé sur le même support ? Si la réponse est oui, ce n’est plus la peine de dire qu’on fait de la radio… »
Mais laissons le mot de la fin à Michel Serres. Lors d’une émission de la RTBF sur le centenaire de la radio publique belge en mars dernier, le philosophe rassurait les auditeurs : « Ne croyez pas qu’une révolution détruise complètement ce qui précède. Ce n’est pas parce que nous avons écrit que nous avons arrêté de parler ; ce n’est pas parce qu’on a imprimé qu’on a arrêté d’écrire ; et ce n’est pas parce que nous avons un ordinateur que nous allons arrêter d’imprimer, puisque nous avons tous une imprimante à la maison.
Ce que dit l’image est beaucoup plus faible que ce que dit le son
On écoutera encore probablement la radio dans cent ans, parce que le média par oreilles est plus fondamental que le média par images, contrairement à ce que l’on croit. L’aveugle est moins handicapé que le sourd parce que ce que dit l’image est beaucoup plus faible que ce que dit le son. »