Guilhem Ricavy, directeur des rédactions de La Provence, le 24 août 2022, sur BFM TV

Guilhem Ricavy, directeur des rédactions de La Provence répond à Stéphane Maggiolini.

© Crédits photo : Capture BFM Marseille

Un an après l’arrivée de BFMTV dans le sud-est, les médias locaux entre émulation et coopération

Un an après l’installation de trois chaînes locales de BFM dans le sud-est de la France, le quotidien des médias locaux a évolué. Les craintes du début ont peu à peu laissé la place à un sentiment d’émulation collective.

Temps de lecture : 6 min

« On va se prendre des claques », redoute Guilhem Ricavy, rédacteur en chef de La Provence, au printemps 2021. BFMTV vient d’annoncer le lancement de trois chaînes locales dans le sud-est. Pour lui comme pour les médias locaux, le sang frais des jeunes équipes, la notoriété de la chaîne au niveau national, ses moyens et ses méthodes parfois réputées agressives, inquiètent. « Je me suis dit : soit on se déteste dès le départ, soit on essaie de faire les choses ensemble. » Il mise sur la deuxième option et invite à déjeuner, dans les locaux de La Provence et en présence de Jean-Christophe Serfati, son PDG, Philippe Antoine, directeur des rédactions de BFM Régions et Hervé Béroud, PDG d’Altice.

Quelques semaines plus tard, Denis Carreaux, directeur des rédactions du groupe Nice-Matin (qui réunit les quotidiens Nice-Matin, Var-Matin et Monaco-Matin), appelle son homologue de La Provence : « BFM arrive, tu fais quoi ? » et décide lui aussi d’organiser un déjeuner. Dans les deux cas, le PDG d’Altice fait le déplacement sans hésiter : « Nous souhaitions nous rapprocher des médias locaux pour essayer d’en faire des partenaires. Notre ambition n’est pas de prendre leur place mais d’agir en complémentarité », explique Hervé Béroud.

Ainsi, les médias locaux, et les correspondants et correspondantes des chaînes nationales assistent aux soirées de lancement des trois chaînes. BFM Marseille-Provence, BFM Var-Toulon et BFM Nice-Côte d’Azur commencent à émettre le 26 octobre 2021 après avoir été rassemblées sous une même chaîne depuis juillet. Désormais, chacune est dotée d’un programme propre ciblé sur son actualité locale et dispose d’un budget d’environ 2 à 3 millions d’euros.

Concurrence

L’arrivée sur le marché local des trois chaînes siglées BFMTV suscite rapidement des inquiétudes. La première porte sur le marché publicitaire. Les annonceurs seront-ils davantage tentés d’apparaître dans les bandeaux de la chaîne info, plutôt que dans les journaux ? « 50 % de notre chiffre d'affaires vient de la diffusion et 50 % de la pub », détaille Guilhem Ricavy pour La Provence. Mais un an après l’irruption de cette concurrence, il ne constate pas de départ massif de publicitaires. « Certes, notre modèle économique est 100 % privé et repose exclusivement sur la pub, valide Philippe Benayoun, directeur des régions pour le groupe BFM. Mais le marché est énorme : on est loin de se marcher dessus ! »

« Le marché est énorme : on est loin de se marcher dessus ! »

Les antennes de Marseille et de Nice comptent une vingtaine de journalistes, c’est à peine moins pour Toulon. Toutes les trois ont axé leurs recrutements sur des profils plutôt jeunes, souvent sortis d’école il y a moins de cinq ans. Pour recruter en CDI, BFM Marseille ne s’est d’ailleurs pas privée de demander des recommandations aux médias locaux. « D’anciens stagiaires travaillent désormais pour la chaîne. Aucun média marseillais n’a embauché autant d’un coup, ce sont de belles opportunités pour les jeunes », se réjouit le rédacteur en chef de La Provence. À BFM Marseille, « nos journalistes connaissent le terrain pour être originaires des Bouches-du-Rhône ou y avoir déjà travaillé, fait valoir Julien Desvages, ayant lui-même fait partie pendant six ans d’Azur TV, ancêtre de BFM Marseille avant son rachat par Altice. On ne débarque pas et cela sert notre intégration. »

Quant aux craintes de débauchage, le phénomène semble anecdotique. Au début, une pigiste de France Bleu Provence a rejoint BFM Marseille mais la chaîne d’info locale a eu moins de succès auprès des pigistes de France 3 PACA. « La marque France Télé garde une certaine aura et nos conditions de travail sont bonnes : les journalistes partent à deux en reportage», commente Anne-Sophie Maxime, rédactrice en chef.

Côté audience, BFM se réjouit de son lancement avec, de septembre 2021 à juin 2022, 415 000 téléspectateurs et téléspectatrices en cumulé pour l’antenne de Marseille (soit 1,8 % de la part d’audience). Sur cette même période, c’est 215 000 pour Toulon-Var (soit 2,4 % PDA) et 240 000 pour Nice-Côte d’Azur (soit 2,3 % PDA). Pour autant, aucun média local n’associe une perte d’audience à l’arrivée de ces antennes. La Provence et Nice-Matin ont observé de légères baisses mais les relient au Covid-19, aux changements d’usages ou à des modifications techniques internes. France 3 PACA affirme quant à elle que ses chiffres sont en hausse.

Émulation et adaptations

C’est finalement sur le plan éditorial que les médias locaux ont été bousculés. Pour ne pas se prendre une « claque » sur l’actu et les faits divers, La Provence envoie désormais des pushs sur smartphone après 23 heures « car BFM le fait », explique Guilhem Ricavy, satisfait de cette « nouvelle exigence ». Anne-Sophie Maxime voit aussi dans cette concurrence une invitation pour France 3 PACA à ne pas « se reposer sur ses lauriers ». Depuis l’arrivée de BFMTV, la rédactrice en chef fait évoluer formats et contenus qu’elle amène « au-delà du factuel ». « On 'saucissonne' l’info ! S’il y a eu un règlement de compte à 10 heures, BFM a déjà sorti l’actu mais nous la décryptons à midi avec les personnes invitées. »

« Je cale des plateaux et les personnes que j’appelle me disent : ''On est déjà sur BFM'' »

Idem sur les réseaux sociaux, sur lesquels BFMTV est très présente. France 3 PACA a ainsi développé un compte Instagram « pour toucher les jeunes » et Anne-Sophie Maxime alimente davantage le fil Twitter pour « capter des profils plus CSP+ qui peuvent potentiellement venir en plateau ensuite ». Elle encourage aussi des évolutions de postes vers l’édition et à la gestion de compte sur les réseaux sociaux, et souhaite ouvrir d'ici à la fin de l'année un nouveau poste dédié à la création de contenu. BFMTV est aussi une source d’inspiration sur le terrain où ses journalistes tournent au smartphone. « Cela nous a poussé à adopter ces outils et c’est super pratique ! », se réjouit-elle, précisant que les caméras restent indispensables dans de nombreuses situations.

La concurrence, décrite comme une « émulation », se niche aussi dans la composition des plateaux TV ou radio. Notamment lors d’évènements comme les soirées électorales. « Je cale des plateaux et les personnes que j’appelle me disent : ‘On est déjà sur BFM’ », témoigne Thierry Bezer, journaliste politique chez France 3 PACA. Pour satisfaire tout le monde, il faut gérer les horaires, « voir comment on peut se coordonner ». Chaque jour, sur la tranche du matin, BFM Marseille reçoit une personnalité. À la même heure, France Bleu anime aussi un plateau. « Une fois, on n’a pas pu avoir Renaud Muselier [président du conseil régional en PACA, ndlr], alors on a invité quelqu’un d’autre », se souvient Laurent Grolée, rédacteur en chef adjoint. Lors du premier et du second tour des législatives, « les personnalités doublement sollicitées me demandaient de leur donner mon créneau pour se caler ensuite avec BFM. C’est la première année que je remarque une concurrence mais je sens que le crédit France 3 nous laisse la priorité », raconte Anne-Sophie Maxime.

Échange de bons procédés

Sur le terrain, l’entraide domine. « On fait les interviews ensemble », confie Laurent Grolée. De manière générale, appuie Anne-Sophie Maxime, « les journalistes à Marseille coopèrent facilement ». Pour preuve, ce groupe Whatsapp d’environ 120 membres créé lors de la couverture des « gilets jaunes » et sur lequel s’échangent des contacts et s’organisent des covoiturages.

BFM Marseille et Nice ont aussi développé des partenariats avec La Provence et Nice-Matin, dont les rédacteurs en chef sont présents en plateau chaque jeudi pour co-animer des débats politiques. « Cela apporte une caution de sérieux quand des médias s’associent », estime Guilhem Ricavy.

Sur le plateau de BFM TV, à Nice, pendant l'entre-deux tours
Céline Moncel, journaliste-présentatrice pour BFM-Nice Côte d’Azur et Denis Carreaux, directeur des rédactions du groupe Nice Matin, co-animent l’émission hebdomadaire Azur Politiques le 16 juin. Capture d'écran BFMTV.

Hors partenariat, les locales de BFMTV convient régulièrement des journalistes locaux pour commenter l’actualité. Ainsi, Léo Purguette, président et directeur éditorial de La Marseillaise ou Jean-Marie Leforestier, rédacteur en chef de Marsactu fournissent en plateau une analyse de l’actu et parlent de leurs sujets bouclés ou en cours. « Leur carnet d’adresses est encore maigre et il a fallu faire appel aux médias locaux pour trouver des commentateurs et commentatrices sur l’actu, explique Lisa Castelly, journaliste pour Marsactu. Cela nous permet d’avoir une certaine visibilité auprès d’une audience qui n’est pas la nôtre. »

Dans leur pratique quotidienne, aucun des médias interrogés n’est branché sur les chaînes locales de BFM en journée. Certains disent ne « quasi jamais » les regarder, d’autres seulement de temps en temps ». Ça dépanne, souligne Lisa Castelly « quand on ne peut pas être là à une conf de presse, on regarde la retransmission en direct pour récupérer des citations. »

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