frédéric says journaliste politique france culture

© Crédits photo : Radio France / Christophe Abramowitz

8 h 16, France Culture : le billet politique selon Frédéric Says

À l’aube de sa sixième — et dernière ? — saison, qui sera marquée par la prochaine élection présidentielle, Frédéric Says nous raconte la fabrique de son billet politique sur France Culture.

Temps de lecture : 11 min

Frédéric Says délivre chaque jour à 8 h 16 depuis septembre 2016 un billet politique aux auditeurs de France Culture. Il vient de faire paraître un recueil de ses chroniques, "Billets politiques, sur le fil du quinquennat" (éditions Bouquins).

Quel cadre vous a-t-on donné, lorsqu'on vous a proposé de réaliser le billet politique du matin sur France Culture ?

Fréderic Says : Ça semble évident comme ça, mais France Culture étant une radio publique, il y a par définition un devoir de respecter les faits et le pluralisme. Dans la matinale, le billet arrive juste après les informations de huit heures et juste avant l’invité, interrogé par Guillaume Erner. L'enjeu est de ne pas être redondant par rapport à tous les sujets qui auront été traités dans le journal. Il s’agit donc de trouver un angle qui soit un pas de côté ou un raisonnement au-delà du factuel, des reportages ou des analyses qu'on entend à huit heures.

Hubert Huertas, ancien chef du service politique de France Culture, a créé ce format au début des années 2010, et il a eu quelques successeurs sur plusieurs mois, avant que je reprenne la chronique en septembre 2016. J’ai suivi ses pas, il n’y a pas eu de séance intense de briefing avec un chef me disant quels critères ma chronique devait remplir — hormis la durée : quatre minutes. J’ai essayé d’y apporter ma propre patte au fur et à mesure des semaines. Je savais dès le début que je voulais profiter du temps que l’on me donnait. Quatre minutes d’antenne, c’est un luxe et ça me donne la possibilité d’aller un peu plus dans la nuance.

Concrètement, comment se structure votre journée, entre la fin de votre chronique le matin et celle du jour suivant ?

Lorsque le billet est terminé, je le publie sur le site de France Culture, j’enrichis le texte avec des liens, des images, etc. Il y a ensuite une conférence de rédaction où je prends connaissance des sujets qui vont être développés dans le journal de la mi-journée, et je prends parfois part aux débats avec mes confrères. Tout ça me permet de commencer à réfléchir un peu à mon sujet pour le billet du lendemain. Dans la matinée, j'essaie de faire la revue de presse la plus large possible, les titres de presse écrite, les interviews audiovisuelles. Je vais voir un petit peu ce qui ressort sur Twitter. Les idées de sujets se nichent souvent dans un petit entrefilet, avec une citation d'un homme politique qui va me faire penser à autre chose. Par exemple, j’ai fait un billet sur l’expression « Qui imagine le général de Gaulle… ». Au bout de la dixième fois que je vais la lire, je vais connecter les exemples entre eux en me disant qu’il y a peut-être quelque chose à faire. Je m’attache à identifier les mots qui apparaissent dans les discours politiques. Leur émergence donne des indices sur l’époque : par exemple, « les territoires » sont des termes employés à toutes les sauces depuis la crise des gilets jaunes, comme s’il fallait montrer que le parisianisme reproché au pouvoir est derrière nous !

L'après-midi est plus variable. Parfois l’idée vient assez vite, mais il arrive qu’à 18 heures ou 19 heures, je n’aie pas d’angle qui me semble correspondre à ce que je veux faire. Il y a des jours où beaucoup de choses ont déjà été dites et l’auditeur de France Culture étant, par définition, très exigeant, il ne veut pas entendre parler de l'actualité politique comme on le fait ailleurs. Il veut du recul, c'est l'ADN de la chaîne. Je demande parfois conseil à Guillaume Erner, quand j’hésite sur quelque chose, notamment en lien avec l’invité, ou à Stéphane Robert, le chef du service politique de France Culture. Une fois l’idée en tête, j'écris assez longuement. Quatre minutes, ça peut sembler court, mais c'est long à écrire. Je reprends le texte en permanence pour qu'il soit le plus clair possible, aussi bien pour les gens qui sont pétris de politique que pour les personnes qui écoutent France Culture sans appétence particulière pour ce sujet. Il faut qu'ils puissent comprendre directement de quoi je parle. Étant couche-tard, j’y suis en général jusque vers minuit, une heure du matin. Tout est bouclé à 95 % le soir, j’envoie alors mon texte à Guillaume Erner qui sait comme ça de quoi je parlerai, ce qui me permet le matin d'arriver à la radio à 7 heures — un horaire tardif par rapport à la moyenne des confrères matinaliers. Là, je relis une dernière fois mon billet.

Incorporer des archives dans vos billets est-il important pour vous ?

J’accorde une partie de mon temps de préparation à la sélection d’archives, car elles sont un outil supplémentaire pour essayer de comprendre ce qui se passe, pour aller au-delà du simple descriptif des polémiques du jour. Cela me permet d’apporter une dimension historique : lorsque l’on est confronté à un phénomène, on se demande très vite s’il a déjà existé, comment on en est arrivé là, ce qu’il y a derrière, et ainsi de suite. J'aime bien aller chercher des vidéos explicatives sur les dernières décennies du côté de l’INA, que je mets en relation avec le sujet que je traite. Je peux aussi discuter de mes sujets avec les documentalistes de Radio France, qui se souviennent parfois (et me retrouvent) des papiers parus il y a quinze ans dans L'Humanité ou Le Figaro.

Une actualité vous a-t-elle obligé à réécrire en catastrophe votre billet ?

Je ne pourrais pas écrire mon billet à 11 heures du matin, j'ai vraiment du mal à être dans l'anticipation et puis j'aime aussi attendre parce qu’il peut se passer des choses, au journal de 20 heures par exemple. Une fois, exceptionnellement, en 2016, j’avais réussi à finir mon billet à 18 heures. Nous étions le 1er décembre, et à 19 heures, je vois une dépêche AFP annonçant que François Hollande va s'exprimer. Le château de cartes s'effondre, le lendemain, le billet portait sur le renoncement de François Hollande à se présenter à l’élection présidentielle, ce qui n’était pas du tout mon sujet initial. J’ai dû tout réécrire dans la nuit.

Le ton de votre billet politique a-t-il changé au fil du temps ?

Je pense qu’au début, il était plus classique, voire guindé, dans la lignée de ce que j’imaginais être un édito politique sérieux avec deux relances du matinalier. Et puis j’ai peu à peu appris à me faire confiance. J’avais 29 ans lors de la première saison, alors que l’exercice du billet politique est plutôt laissé à des personnes un peu plus âgées et expérimentées. J’étais très content parce que je suis passionné de politique depuis tout petit, mais je passais aussi des nuits très courtes parce que j’étais stressé de bien faire. Et puis au fil des ans, j’ai commencé à déborder du billet politique classique et à aborder des thématiques sociétales dans ce que j’écrivais.

Qu’est-ce qui fait un « bon » ou un « mauvais » billet ?

Le mauvais billet c’est celui qui tape à bras raccourcis sur un thème éculé et qui ne permet pas d'apporter une nouvelle matière à réflexion. J'ai essayé de ne pas les mettre dans le livre, qui en contient 80, dont deux ou trois inédits, sur les 1 000 faits jusqu’ici. Il y en a tout de même un qui figure dans le livre, c’est celui sur l’écrivain Philippe Besson et le poste de consul général qu’il visait à Los Angeles. Je ne regrette pas d’avoir traité le sujet parce qu’il y avait beaucoup à dire, mais en relisant le billet, je me suis dit que j’avais été très dur et que j’aurais pu exprimer la même position sans lui taper autant dessus.

Quant au bon billet… Tout dépend de ce que vous entendez par « bon », et il y a un paradoxe. Si on se fie aux partages sur les réseaux sociaux, les billets les plus nuancés ou les plus modérés sont vraiment ceux qui marchent le moins bien. Alors que si vous faites un libelle pour dire du mal d’un opposant ou du gouvernement, ça va plaire à tous les fans. Un billet qui me plaît combine plusieurs ingrédients, dont la dimension historique, un peu d’ironie ou d’humour, des références culturelles ou artistiques pour mieux illustrer ce que je veux dire. C’est plus ou moins facile en fonction des sujets, mais ça permet d'être moins professoral et technique. Quatrième ingrédient : il faut que l’angle n’ait pas été déjà lu partout ailleurs. Ce qui n’est pas facile, vu le nombre d’émissions et d’éditos qui traitent de politique. Le billet sur la façon qu’ont beaucoup de politiques de dire « J’assume » est, a posteriori, un de ceux qui combine le mieux tous ces éléments. Il y a aussi celui que j’avais titré « Qu’est-ce qui est petit, politique et qui revient tous les cinq ans ? » [Réponse : un gouvernement resserré après la présidentielle, NDLR].

Aviez-vous en tête, en vous lançant, des grands principes conducteurs pour votre billet, ou bien des modèles ?

Ma boussole, c'était que l'on ne puisse pas dire pour qui je vote, ce qui veut dire que je peux taper sur chaque parti. J'ai envie que les auditeurs sentent chaque matin qu'il n'y en a pas un responsable politique qui va être épargné et l'autre systématiquement mis plus bas que terre. C’est important dans le contrat que l’on passe avec l'auditeur, et c'est encore plus important sur une chaîne de service public. Il existe évidemment des médias d'opinion, il en a toujours existé, c'est normal. Le service public est un bien commun, financé par la redevance. Je fais donc attention, non pas à être à mi-chemin de tout et à faire quelque chose de mou qui n’avance pas, mais à ce que, si l’on écoute plusieurs de mes chroniques dans le temps, on se dise que la critique est répartie.

Pour ce qui est des modèles, c’est particulier parce qu’il n’y a pas une personne unique que je prendrais en modèle absolu et total. J’aime plutôt picorer des qualités chez les uns et les autres. Du côté du recul historique, Alain Duhamel a une énorme connaissance de l'histoire de France qu’il met à parfois à profit dans ses éditos. Autre qualité que j’apprécie beaucoup, et cette fois, on est loin de l’édito politique : l’énorme attention que Difool, présentateur sur Skyrock, accorde à ce que l'auditeur se sente toujours à sa place et soit respecté. Quand vous l’écoutez, vous savez toujours où vous en êtes dans l’émission. J’en avais d’ailleurs parlé lorsque de mon passage au concours de Radio France, ce qui avait un peu étonné le jury, mais pour moi, c’est un génie radiophonique. Il y a aussi le côté ironique de Thomas Legrand que j’aime bien, mais vraiment, c’est une liste non exhaustive.

Y a-t-il, pour vous, un contre-modèle ?

Nous sommes les témoins d’une hystérisation totale du débat depuis plusieurs années, qui devient encore plus flagrante avec la campagne présidentielle. Très souvent, on met ça sur le dos des réseaux sociaux ou des souhaits idéologiques de certaines chaînes. Je pense que c’est en partie vrai, mais il y a également une énorme dimension économique qu’on ignore souvent lorsque l’on analyse cette évolution. Lorsque vous mettez trois grandes gueules autour d'un plateau, qui ne sont pas expertes de tous les sujets abordés, car il est mathématiquement impossible d’être expert de fiscalité, de la guerre en Irak et de la Ligue 2, il y a de l’audience, c’est vrai. Et ça ne coûte pas grand-chose. Nous avons quatre chaînes d'info en continu qui se font concurrence et qui sont obligées, justement, avec très peu de moyens, de parler toujours plus fort, d'attirer toujours plus l'attention. C’est une banalité affreuse de le dire, mais c'est évidemment un contre modèle pour moi. Je pense d’ailleurs que c’est ce qui fait que le public vient sur France Culture, une radio qui a gagné énormément d’auditeurs ces dernières années. C'est aussi une sorte de contre programmation par rapport à l'époque, très portée sur le péremptoire, l'agression gratuite et l'opinion, au détriment de la connaissance et de l'analyse.

La campagne présidentielle rendra-t-elle plus difficile l’application, dans vos billets, des principes que vous défendez ?

Je pense que cette campagne va être bouillonnante, parfois violente. Mais j'y vois une raison de plus pour que mes confrères et moi, dans le journalisme politique, dans l'édito, nous fassions justement cet effort de « démilitariser » le débat public, qui actuellement ressemble très souvent à une guerre des tranchées : vous êtes avec moi ou contre moi, vous êtes dans un camp ou dans l’autre. Les auditeurs de France Culture, et en réalité une grande partie des électeurs et des citoyens, attendent un débat public « démilitarisé » qui permet d'exprimer des idées, de vraiment confronter les arguments, ce qui est la base d'une démocratie.

Pensez-vous que l’on gagnerait à avoir davantage de rendez-vous qui prennent du recul sur l’actualité politique ?

Ce n’est pas forcément une question du nombre de rendez-vous, mais plutôt de comment ces derniers sont construits, des rythmes qui y sont adoptés et des thématiques qu’on y aborde. Il y a énormément de rendez-vous politiques, d'émissions qui se proposent de décrypter, etc. Mais une partie d'entre elles sont un peu hypnotisées par cette essoreuse quotidienne des sujets politiques toujours plus clivants et superficiels. Traiter une polémique, un propos agressif, c'est aussi une facilité. Ça ne vous oblige pas à travailler le fond comme vous seriez amené à le faire pour la proposition clé de tel ou tel candidat, par exemple sur le mix énergétique de la France.

Comme pour une drogue, nous devons nous désaccoutumer collectivement et politiquement du rythme des « forts en gueule » politico-médiatiques. Ils ne doivent plus dicter ce rythme fou, sur lequel on n'a de toute façon pas le temps de creuser et qui menace, énerve, lasse tout le monde de la politique et de la démocratie. Ce qui me frappe, c’est que même les très grandes émissions politiques à la télévision se sont un peu adaptées à cette pression. Vous ne pouvez pas passer plus de deux minutes sur un raisonnement, c'est une sorte de tapis roulant durant lequel on a prévu d'aborder 237 sujets en une heure et demie, avec quatre débats, dont un avec un invité surprise. Ce format-là, selon moi, et contrairement à ce qu'on croit, ne fait pas revenir des gens qui s'étaient détachés de la politique. S'ils veulent du suspense, de l’aventure, de l’action, ils iront sur Netflix. Et dans le même temps, les quelques personnes qui aimaient encore le débat public ont un haut-le-cœur, comme dans un manège qui va trop vite, et veulent descendre pour respirer.

Dans l’avant-propos du recueil, vous évoquez une rencontre hors micro un peu surréaliste avec Benjamin Griveaux, qui n’est pas encore candidat à la mairie de Paris, à sa demande. Est-ce un genre de rencontre que vous faites régulièrement ?

J'essaie de limiter, même si parfois, ça peut être intéressant. Je ne tutoie pas les responsables politiques, mais je ne pars pas non plus du principe qu'il faille mettre un mur de Chine entre nous. Il peut être assez intéressant de les rencontrer, de les interroger, notamment durant les moments de crise. Je donne dans l’avant-propos l'exemple d'une rencontre hors micro avec Olivier Dussopt, secrétaire d'Etat au Budget, au moment des gilets jaunes, et j'ai été complètement frappé de constater que oui, à l'image du gouvernement, il ne savait pas du tout comment sortir du mouvement. Je pense que c'est important de pouvoir le ressentir comme journaliste et de pouvoir le raconter ensuite. Il faut simplement le faire avec parcimonie, en ayant toujours en tête qu'ils sont là pour vendre quelque chose et qu'ils ont un message à faire passer.

Vous évoquez les « gilets jaunes » dans l'avant-propos de votre recueil. Ont-ils fait évoluer votre réflexion et votre manière de faire ?

Les « gilets jaunes » ont été un phénomène très intéressant qui m'a obligé à me demander quel était le fil conducteur du billet politique et à renforcer ma propre exigence de n’être ni dans la critique permanente ni dans le commentaire enamouré. Le parisianisme de beaucoup de rédactions les a empêchées d'anticiper ce mouvement social. Elles n’ont pas su détecter les signaux faibles. Je me suis attaché à aller dans les manifs pour au moins sentir l'ambiance de ce mouvement qui était à la fois très inédit et très inorganisé. Pouvoir, de temps en temps, faire du reportage quand on est éditorialiste permet de ne pas s’enkyster dans des certitudes un peu trop passées. Chaque année, je demande à délaisser quelques jours le billet politique pour faire du reportage. Je pense aussi que ça fait partie des jobs qu'il ne faut pas faire des années et des années, et je suis vraiment dans l'optique d'arrêter à la fin de cette élection présidentielle. J’en aurai fait deux en tant que billetiste, ça me permettra de clore le cycle électoral. Si on fait ce job trop longtemps, sans aller dans d'autres spécialités ou d’autres services, je pense qu'il y a un risque de se répéter, de s'ennuyer et de ne plus bien capter la société.

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