Vincent Bolloré et Philippe Labro lors du lancement de la chaîne Direct 8

Vincent Bolloré et Philippe Labro le jour du lancement de Direct 8.

© Crédits photo : Captures d'écran Direct 8/Julianne Rabajoie-Kany

« Happy birthday to you, Vincent ! »

La télé selon Bolloré, épisode 4. Pour la soirée de lancement de Direct 8, Vincent Bolloré a choisi un animateur exceptionnel : lui-même.

Temps de lecture : 6 min

C’est le grand soir. L’inauguration de la chaîne. Deux jours plus tôt, Vincent Bolloré a décrété une vaste répétition générale doublée d’une « pizza party ». Rebelote le lendemain — mais cette fois, il a commandé des sushis. Le jeudi 31 mars 2005, à 19 heures, Direct 8 commence à émettre. « Cela fait vingt ans, en France, qu’il n’y avait pas eu de nouvelle chaîne gratuite », lance à la caméra le présentateur d’un soir, Vincent Bolloré. À sa gauche, Philippe Labro embraye : « Le direct, c’est la vérité de la vie. » Ce qui veut dire que sur Direct 8, il n’y aura pas de vouvoiement artificiel, pas d’oreillette, pas de prompteur ; mais la prétention de casser les codes, et de faire le contraire de ce que font toutes les autres chaînes.

Ils ont pris place autour d’une vaste table arrondie. Elle est constituée de pans de verre et de bois assemblés autour d’une grande bulle bleue. Bleus aussi, les feutres des animateurs et le costume de Vincent Bolloré. La date apparaît dans un bandeau vert, en bas à gauche des téléviseurs. En haut à droite, les deux planètes du logo s’affichent en bleu et vert. L’écran est saturé de références environnementales. La grille des programmes aussi : trois émissions — « Touche pas ma planète », « Éléments Terre » et « Complément Terre » — sont consacrées à ce qui constitue « la préoccupation numéro 1 des Français dans les enquêtes d’opinion ». Et chaque bulletin météo fera le point sur la pollution de l’air. Attention, prévient Philippe Labro, « il ne s’agit pas de faire du prêchi-prêcha » mais de se demander, poursuit Vincent Bolloré, « comment on peut faire pour améliorer les choses ».

Phil & Vince

Les deux hommes se donnent du « Phil » et du « Vince ». Ils se prennent pour Dean Martin et Jerry Lewis. « Vincent Bolloré trouve qu’on forme un tel duo qu’on pourrait partir demain matin pour Las Vegas », s’amuse Philippe Labro. Pendant plus de quatre heures, « Phil » et « Vince » présentent ce que sera la chaîne. Vincent Bolloré, qui souvent prononce « Directeuh 8 », exige des plans sur la tour Eiffel qui scintille, fait matraquer l’instrumental de Moonlight Shadow, et lance « les sucettes »« les pastilles », corrige Philippe Labro — bref, les bandes-annonces des émissions. Il y en a 29, « comme le département du Finistère, dont nous sommes originaires », glisse le chef d’entreprise.

Les journalistes et les animateurs de la chaîne défilent autour de la table — tels des candidats de téléréalité, ils n’ont souvent que des prénoms. Pauline Lefèvre, coanimatrice de « Jeux sans enjeu », se dandine sur son siège : « Très sincèrement, je ne me sens pas prête du tout. » Flottant dans une chemise orange toute froissée, le jeune Thomas Sotto débite : « Avant de mettre le nez dehors, allumez la télé, allumez Direct 8 ! »

Alain Minc

Beaucoup de programmes ressemblent à des ersatz d’émissions existantes, ou se réfèrent à d’anciens programmes devenus cultes — cette « télé qu’on aime, qui a peut-être disparu », se lamente Philippe Labro. Il cite l’héritage de « Cartes sur table » et de « L’Heure de vérité » pour introduire le rendez-vous politique, tandis que l’émission littéraire, confiée au jeune patron du magazine Lire, François Busnel, est programmée le vendredi soir, en hommage à « Apostrophes ».

D’autres propositions éditoriales sont plus étonnantes : « 8 Fi » (un magazine dédié aux nouvelles technologies), « Nord-Sud » (un rendez-vous quotidien consacré au commerce équitable, animé par Marc Menant), « Solidarité et deuxième chance » (une émission édifiante en partenariat avec La Fondation de la deuxième chance, l’organisation caritative de Vincent Bolloré) ou encore « Face à Alain Minc » (le concept : l’essayiste répond à des questions d’étudiants). Oui, finalement, il n’y a pas que des « nouveaux talents » : quelques personnalités sont venues lester la chaîne de leur expérience et offrir des repères aux téléspectateurs.

Tuih-Tuih

À l’antenne, le milliardaire breton lance de nouvelles idées. Il pense à un grand jeu : « Où est Tuih-Tuih ? » L’idée que la mascotte de la chaîne sorte dans les rues de Puteaux et aille au supermarché avant, pourquoi pas, d’être raccompagnée par des policiers l’enchante au plus haut point. Il insiste : « Les chaînes de télévision sont à l'image de ceux qui les lancent. Nous ne sommes pas comme les chaînes normales. Nous faisons des choses originales. »

Dominique Baudis, le président du CSA, passe présenter ses vœux de succès. Philippe Labro fait visiter à ce « cher Dominique » les plateaux, la régie, les couloirs équipés de rails où se déplacent les « caméras de vie ».

En duplex du Mac Mahon, Axel Brücker et Laurie Cholewa détaillent la programmation du ciné-club : beaucoup de noir et blanc, des westerns, et les grandes productions de la télévision française... « On veut astiquer la cinéphilie », ose Axel Brücker. Gourmand, il promet aussi, « de temps en temps, un nanar incontournable, par exemple Mon curé chez les nudistes ». Vincent Bolloré, hilare : « Dans un groupe d’origine bretonne catholique, ça me paraît difficile, à mon avis t’auras pas de budget pour ça. » En revanche, Axel Brücker bénéficiera de crédits illimités pour acquérir les droits des Naufrageurs, un film de Charles Brabant écrit par... Gwenn-Aël Bolloré.

Tonton Gwen

Vincent Bolloré raconte : « Le 6 juin 1944, il n’y avait que 177 Français à débarquer sur le sol de Normandie. Deux étaient de ma famille, dont tonton Gwen. Plus tard, il a écrit ses mémoires, et un livre de 200 pages sur le bigorneau, ce qui est quand même assez fort, parce que généralement, à partir de la page 5, on gêne. »

Vincent Bolloré enchaîne les anecdotes sur cet oncle adoré, comme s’il était dans son salon, entouré d’amis — mais Direct 8, ce soir, est-elle vraiment autre chose ? Il arrive au bout de son histoire : « Gwen est tombé fou amoureux d’une actrice qui s’appelait Renée Cosima, alors il a voulu écrire le plus grand film sur la Bretagne, Les Naufrageurs. »

La soirée touche à sa fin. Il a été prévu de rendre l’antenne à 23 h 30. Demain, à 7 heures, la vraie grille commencera. Le cinéaste Jean-Jacques Annaud sera l’invité de « Direct Matin ». Et ce sera l’anniversaire du patron. Alors, sur le plateau, les cadres du groupe et les animateurs de la chaîne se mettent à chanter : « Happy birthday to you, happy birthday to you, happy birthday to you, Vincent, happy birthday to you ! »

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