Derrière le succès des jeux occidentaux, un attrait pour la culture locale
Selon l’étude d’AppAnnie, le classement par ordre de popularité des cinq premières catégories de jeux sur Google Play
en Inde se présente de la manière suivante :
- En nombre de téléchargements : les jeux de course, les jeux d’action, les jeux casual, les jeux d’arcade et de simulation,
- En de temps de jeu : les jeux de stratégie, les jeux casual, les jeux d’action, les jeux de sport et les jeux de cartes sociaux,
- Pour ce qui est des recettes : les jeux de stratégie, jeux de cartes sociaux, jeux de cartes, les jeux casual et d’action.
L’étude constate l’augmentation globale du temps de jeu, mais note aussi un déplacement au second trimestre de 2016 vers des jeux plus immersifs de stratégies au détriment des jeux
casual. L’étude Nasscom de 2015 fournissait le classement suivant pour les activités de développeurs : jeux d’arcades avec 39 %, suivi des jeux de type puzzle à égalité avec les jeux de course (31 %), les jeux de sport (22 %), les jeux de simulation (20 %), les jeux d’action (14 %), les jeux de tir (shooter, 12 %) et les jeux de casino (8 %). Bien que derniers,
ceux-ci semblent avoir le moins de problèmes de monétisation et attirer le plus d’investisseurs en 2015.
Parmi les 10 premiers jeux téléchargés (App Store et Google Play), on ne trouve qu’un seul jeu indien, Train Simulator 2016, édité par la société Timuz, en quatrième place. Ce jeu indien exploite les traits géographiques du réseau ferroviaire local, l’un des plus grands du monde. Les autres sont les « blockbusters » internationaux habituels (Candy Crush Saga ; Temple Run, Clash of Clans). En termes de temps de jeu, Clash of Clans remonte de la dixième place à la première, pour les téléchargements. Là encore, on ne trouve que deux jeux indiens, Teen Patti (de la société Octro) et World Cricket Championship 2 (de la société Nextwave Multimedia) respectivement en 8e et 10e position. Le classement par les recettes voit l’entrée de deux autres jeux de cartes parmi les dix premiers, Ultimate Teen Patti (de la société Play Games 24x7) en 6e position, Teen Patti Gold (de la société Moonfrog) en 8e. Le jeu d’Octro se place en 4e position toujours derrière Clash of Clans (n°1), Candy Crush Saga (n°2) et Clash of Kings (no3). Cette domination des jeux internationaux conduisait à une remontée des recettes de seulement 15 % (iOS) pour les éditeurs indiens, en 2014
.
Dans les cas de jeux indiens, comme Train Simulator 2016 ou Teen Patti , on notera la forte composante culturelle indienne : jeux sociaux locaux et cricket. Teen Patti est en effet l’adaptation en jeu vidéo d’un jeu de cartes traditionnel
, déclinée en hindi, marathi et gujarati. AppAnnie met en avant le caractère avant tout social de ce jeu plutôt que l'aspect de jeu de casino. En l’absence d’une quelconque rétribution financière, les joueurs s’en servent pour interagir avec famille et amis, ce que la publicité pour ce jeu met en avant. Le modèle d’affaires du jeu tient à l’envoi de cadeaux par les joueurs, un modèle que l’on retrouve parmi les jeux générant le plus de recettes. Les joueurs utilisent des jetons virtuels pour envoyer des cadeaux comme des fleurs ou des bagues, ce qui accroît encore leur implication dans le jeu. Ces jeux sont de plus intergénérationnels et facilitent la croissance du nombre de joueurs.
Par ailleurs, le cricket est le sport le plus populaire en Inde, la seconde forme de divertissement derrière le cinéma. Les développeurs de jeu passent des accords avec les vedettes de ce jeu, la société Nazara a ainsi signé des accords d’exclusivité en 2016 avec le champion Rohit Sharma, pour son jeu Rohit Cricket Championship. La société Reliance Games a, de son côté, passé un accord avec l’équipe de première division de cricket, les « Gujarat Lions », devenant son partenaire officiel pour les jeux. À l’exploitation des droits de Bollywood, s’ajoute celle des droits d’Hollywood, compte tenu des liens et des investissements réalisés par des sociétés comme Reliance. Dans l’ensemble, les éditeurs locaux connaissent un succès accru pour les jeux de simulation, les jeux de sports et jeux de cartes. Cette localisation des jeux anticipe la demande de contenus locaux de nouvelles catégories de joueurs, en dehors des grands centres urbains.
Source : Nazara Games
.
Le troisième facteur culturel, bien qu’il n’apparaisse pas directement dans ces hit-parades des dix premiers titres, est l’exploitation des droits de la cinématographie indienne. Sultan : the Game une adaptation de l’un des plus grands succès du box-office pour un film en hindi, par la société Robosoft pour 99Games», sa filiale de jeux, a connu d’excellents résultats.
Les jeux Match 3 de la société Timuz touchent avant tout des joueuses qui y passent une heure ou deux . La popularité de
Candy Crush tient aussi à sa forte audience féminine, les joueuses se mesurant entre elles à ce jeu. Selon Sumit Chakraberty,
les Indiens passeraient près de 8 h 30 heures par jour en moyenne en ligne, les Indiennes 6 heures, soit plus que leurs voisins et voisines chinois. Il précise toutefois qu'il est probable que ces chiffres incluent des temps d’attente ou de téléchargement !
Selon un analyste travaillant sur les données de jeu collectées par sa société, la population masculine de joueurs serait de 60 %, les moins de 35 ans représentant 70 % du total, la moitié d’entre eux ayant entre 18 et 24 ans. Les femmes sont des consommatrices plus importantes et plus intensives de jeux, 63 % d’entre elles jouant quotidiennement selon une étude Gamesbond-Mauj
. Elles préfèrent les jeux de puzzle, de stratégies et les jeux
casual et sont plus réticentes à payer que les hommes. Ceux-ci sont majoritaires pour les jeux multiplateformes, alors que les femmes sont majoritaires (54 %) pour les jeux sur mobiles. Les joueurs plus âgés favorisent également les jeux sur mobiles.
On pourrait s’étonner de l’absence, dans les données disponibles, de jeux en provenance d’Asie, notamment de Chine (à l’exception de Clash of Kings) ou de Corée du Sud, mais, d’une part, la différence de culture (et les relations diplomatiques qui ne sont pas toujours au beau fixe avec le grand voisin chinois), et d’autre part, la prévalence de l’anglais offrent un accès privilégié aux jeux occidentaux.
Le marché des jeux vidéo en Inde, relativement dormant jusqu’à récemment, a connu un fort coup d’envoi grâce à l’explosion des téléphones mobiles. Ce marché offre une sorte d’illustration canonique
du rôle des mobiles pour les jeux vidéo Les sociétés occidentales de jeux vidéo ont largement profité de cet essor, mais les sociétés indiennes ont également pris le tournant, de façon à conquérir de larges fractions de la population non encore touchées, notamment à travers la localisation des jeux (langues, thèmes…). Elles disposent pour cela d’atouts concurrentiels importants, outre les facteurs proprement culturels, comme les contenus locaux (cricket et Bollywood), notamment en raison du poids de la culture logicielle dans l’industrie des technologies de l’information indienne, de leur rôle antérieur de sous-traitants informatiques et enfin du recours à la langue anglaise. Celui-ci en effet favorise la diffusion des jeux indiens, ce sur quoi avaient d’ailleurs misé les premières sociétés de jeux offrant prestations logicielles et édition de jeux.
Quels que soient les résultats d’une éventuelle expansion en dehors de l’Inde, on ne peut que partager l’optimisme des consultants cités sur la poursuite de l’expansion de ce marché. Il reste de très importantes marges de développement, surtout pour une économie qui connaît le plus fort taux de croissance au monde. L’intensité et l’amplitude de cette croissance dépendra de la capacité des acteurs à faire face aux principaux défis du pays(quasi-absence de moyens de paiement et monétisation délicate, faiblesse des bandes passantes, faiblesse des capacités de stockage des smartphones bon marché, problèmes de réseaux électriques et de télécommunications, pénurie de talents)
mais l’industrie tout comme le gouvernement indien avec le plan « Digital India » lancé en 2015 s’efforcent d’y remédier. Enfin, le gouvernement s’est lancé dans une politique agressive de développement des paiements électroniques
qui devrait aussi avoir des effets positifs.