Bollywood et le cricket, les fers de lance du jeu vidéo indien

Bollywood et le cricket, les fers de lance du jeu vidéo indien

Le marché du jeu vidéo indien est porté par le développement des smartphones et la croissance de l’Internet mobile. Malgré le fort succès des jeux occidentaux, l’appétence des Indiens pour ceux en lien avec leur propre culture laisse une large place aux acteurs locaux.

Temps de lecture : 16 min

L’économie indienne est censée connaître la plus forte croissance mondiale(1) , ce qui devrait amener l’Inde à devenir la quatrième puissance économique mondiale. Cette croissance a été notamment portée par le secteur des nouvelles technologies(2) . En l’espace d’une décennie, l’Inde est devenue le second marché des télécommunications mobile du monde avec plus de 600 millions d’abonnés et plus d’un milliard d’abonnements aux services mobiles. GSMA Intelligence prévoit que 337 millions s’y ajouteront entre 2015 et 2020. À l’orée du siècle, le pays comptait à peine 50 millions de lignes. L’Inde est devenue aussi le second marché mondial pour les smartphones, derrière la Chine, mais devant les États-Unis, avec 275 millions de terminaux.

Cette explosion des ventes des terminaux mobiles est le vecteur principal de la pénétration de l’Internet en Inde et du passage à l’Internet mobile haut débit. Le nombre de connexions 3G/4G devrait ainsi passer de 430 à plus de 670 millions en 2020 et toucher ainsi près de 50% de la population indienne. Les terminaux mobiles génèrent ainsi près de 80% du trafic Internet, contre 50 % sur le plan mondial.
 
Le commerce électronique a connu une croissance significative de 20 % de 2015 à 2016, et les contenus numériques sont en pleine expansion. Selon EY ce dernier segment (qui inclut la publicité numérique, les abonnements à la vidéo, à la musique ainsi que les jeux) des industries des médias et divertissement devrait atteindre 2,755 milliards d’euros (198 milliards de roupies indiennes)(3) à l’horizon 2020.
 
L’ensemble du secteur des médias devrait passer d’un chiffre d’affaires de près de 18 milliards de dollars en 2015 à plus de 35 milliards en 2019, soit un taux de croissance prévu de 14,3 %, près de trois fois celui attendu pour l’ensemble du secteur sur le plan mondial. Ce développement s’intègre dans un paysage des médias différenciés et très développés : environ 890 chaînes de télévision (dont près de 400 d’information), 100 millions de foyers abonnés à la télévision payante, plus de 100 000 journaux et une production annuelle de plus de 1250 films. Les films y sont produits en plus de 20 langues.
Ce contexte de diversité linguistique cinématographique joue également un rôle important pour l’ensemble des médias. Parmi les 22 langues officielles du pays, deux d’entre elles font partie des langues les plus répandues dans le monde (l’hindi avec 490 millions de locuteurs et le bengali avec 215). De plus, il s’agit du second pays anglophone de la planète. Actuellement, 45 % des utilisateurs d’Internet utilisent une langue régionale, un pourcentage qui devrait augmenter au fur et à mesure de la progression du nombre d’utilisateurs, qui a commencé par les villes les plus importantes, dites de premier rang, telles que Chennai, Bangalore ou Mumbai  suivies de villes de second et troisième rang, puis des zones rurales. Cette préférence des consommateurs indiens pour les langues vernaculaires est manifeste, notamment en ce qui concerne les contenus vidéo qui sont proposés pour leur quasi-totalité en langues locales (93 %, dont 63 % en hindi), ne laissant qu’un maigre 7 % aux contenus en anglais. L’Inde est aussi connue comme étant le « pays des villages », 60 % de la population résidant dans les zones rurales et étant donc plutôt encline à recourir aux langues régionales.

Un marché en mutation, porté par l’essor du mobile

Dans ce contexte, l’Inde est en passe de devenir l’un des principaux marchés du jeu vidéo, ayant atteint la cinquième place mondiale en 2016, en termes de téléchargements. L’étude AppAnnie-Nasscom prévoyait que, toutes catégories confondues, les téléchargements de jeux doubleraient en 2016 atteignant 1,6 milliard, pour grimper à 5,3 milliards en 2020, assurant alors un chiffre d’affaires de 1,1 milliard de dollars. Ce chiffre d’affaires semble encore modeste, surtout au regard de celui des jeux en Asie, 44,6 milliards de dollars en 2016. La dernière étude KPMG-FICCI(4) indiquait 424 millions d’euros pour 2016, contre 137 millions seulement en 2010, et prévoyait un chiffre de 836 millions d’euros à l’horizon 2020, soit une progression annuelle de près de 18,2 %(5) . L’étude précédente de Nasscom précisait que seul 9 % des recettes provenaient du marché indien, sans pour autant préciser la base de ce taux.
 
Cette croissance est rendue possible par les évolutions que nous venons d’évoquer (explosion des smartphones, adoption de l’Internet mobile large bande, déploiement des réseaux sur l’ensemble du territoire) qui contribuent à l’augmentation du nombre de joueurs potentiels en touchant progressivement les villes de second et troisième rang, ainsi que les zones rurales. Elle est également facilitée par les appétences ludiques d’une population massivement jeune (plus de 55 % de la population, soit 550 millions de personnes, a moins de 30 ans), et d’une classe moyenne qui voit ses revenus augmenter. Les dépenses consacrées aux activités récréatives et éducatives devraient passer de 5% du budget des ménages en 2009, à 9% en 2025.
 
L’industrie des jeux indienne a donc saisi cette opportunité du passage au mobile. On comprend que dans ce contexte, vu le faible taux d’équipement initial, l’Inde ait sauté l’étape des jeux sur PC pour passer directement à l’étape mobile. La part des jeux sur consoles n’a pas été plus importante, pour des raisons similaires : prix élevé des consoles et des jeux dans un pays où les revenus disponibles sont peu élevés, les moyens de paiement limités, la propension à payer faible, les réseaux de télécommunications encore insuffisants, et qui de surcroît connait des problèmes endémiques d’alimentation en électricité.
 
En 2015, la société professionnelle de l’industrie des technologies de l’information, la National Association of Software and Services Companies (Nasscom), estimait que le nombre de joueurs sur PC était situé entre 5 et 7 millions, dont 1 à 1,5 millions de joueurs « hard core », pour une base installée d’environ 50 millions de PC. Ces chiffres sont en effet faibles au regard des données que nous venons de voir pour les mobiles. Le segment est dominé par des jeux sous franchise, tels que FIFA, Grand Theft Auto, Assassins Creed mais aussi les jeux de cricket.
 
Le marché des jeux sur consoles, ainsi que sur téléviseurs, est du même ordre de grandeur, et donc aussi fort limité, étant estimé en 2015 par Nasscom à 3-4 millions de joueurs. Il est dominé par Sony et Microsoft. La Play Station de Sony détenait la plus large base de clients de 3 à 3,5 millions (marché « gris » inclus) et la Xbox 360 autour de 2 millions. L’étude Nasscom précise que les chiffres réels sont sans doute inférieurs, vu l’obsolescence d’une partie des consoles. Dans ce cas, comme dans celui des jeux sur PC, les études Nasscom anticipent un effet positif de l’augmentation du nombre de joueurs induite par les mobiles, ce qui paraît quelque peu optimiste, vu les (autres) contraintes qui pèsent sur ces jeux et le poids du modèle d’affaires « freemium » qui  caractérise les mobiles.
 
Ces deux marchés ont vu néanmoins la création, en 1997, de Milestones, une société de distribution, en un premier temps, de PC et de jeux sur PC, puis de consoles. Cette société de Mumbai, a étendu ses activités, en 2002, à la création de jeux pour alimenter ces deux marchés. Elle s’est lancée ensuite dans la distribution en ligne, en 2009 avec sa filiale Game4u, qui a ouvert des magasins à partir de 2011. Le groupe revendique la première position en Inde pour ce commerce de détail.
 
Le rôle des cybercafés est sans commune mesure avec celui qu’il a pu avoir en Chine ou en Corée du Sud : quelques 3 000 cybercafés dont seulement la moitié dispose de plus de cinq machines pour les jeux. Ils toucheraient environ 250 000 joueurs de MMO(6) sur PC. Les jeux les plus populaires étaient Counterstrike, DOTA, League of Legends et World of Tanks.

Des acteurs locaux indépendants, souvent issus de l’industrie des technologies de l’information

Cette structuration du marché des jeux, dont l'esquisse reste imparfaite, compte tenu de l’absence de données fiables, se retrouve dans l’histoire de l’évolution des jeux vidéo en Inde. L’étude Nasscom de 2015 découpe cette évolution en trois périodes : une période de pionniers avant 2005, une période d’innovation sur les mobiles de 2005 à 2010, et un « après 2010 ». Le nombre d’acteurs croît à chaque période, passant d’une poignée (cinq sociétés répertoriées par Nasscom : Diruva, IndiaGames, Lakshya, Parado, et Raptor entertainment), à 25 pour la période suivante, et enfin à plus de 200 pour la dernière. Le cœur de métier de ces acteurs évolue aussi, les pionniers sont avant tout des prestataires de services pour les acteurs mondiaux qui alimentent les consoles, les PC et les portails. La seconde période voit notamment l’arrivée des acteurs mondiaux (EA Mobile à Hyderabad, Ubisoft à Pune, Zynga à Bangalore…) qui portent les jeux sur mobiles mais aussi acquièrent ou s’allient à des studios et des prestataires locaux. Par exemple, Ubisoft a racheté à Gameloft un studio à Pune, en 2008 . La dernière période se caractérise par un foisonnement des développeurs indépendants.
 
On trouve parmi les acteurs du jeu vidéo, outre les acteurs habituels (éditeurs, développeurs, distributeurs), un autre groupe d’acteurs : les sociétés prestataires de services informatiques(7) . Elles sont le fer de lance de l’industrie des technologies de l’information (TI) en Inde et assurent une contribution majeure aux exportations : 108 milliards US$ sur 143 milliards en 2016 (à comparer au milliard de chiffre d’affaires des jeux)(8) . Il s’agit là de l’un des traits les plus caractéristiques de l’industrie des technologies de l’information indienne Leur intervention à ce titre, comme sous-traitants des groupes mondiaux, semble donc logique, compte tenu des compétences disponibles en Inde en matière de programmation de logiciels.
En ce qui concerne ces prestataires de services informatiques spécialisés dans le jeu, on note les mêmes tendances de base que pour le reste des technologies de l’information, la part de l’ « offshoring »(9) et des services à valeur ajoutée étant en croissance. La création de contenus (animation et « game art ») pour des tiers et le co-développement sont leurs principales sources de revenus, à raison de 50 % et 20 % respectivement en 2014. 90 % d’entre eux offrent ces services de développement. À titre d’exemple, une société comme GameShastra a vu le jour en 2006, grâce à un contrat d’un million de dollars avec Activision. En 2012, Disney a racheté son studio de création.
 
Le second trait caractéristique, plus récent car il renvoie au rôle moteur des mobiles, est la place des indépendants dans ce marché en formation et à l'évolution rapide. Ils assuraient en 2014 65 % de l’emploi dans les studios. Plus de la moitié de ces sociétés ont été créées après 2012(10)  . Elles sont de faible dimension ; en 2014 près de 60 % d’entre elles avaient moins de 10 employés, alors que seulement 13 % en avaient plus de 200, ce qui se reflète dans leur chiffre d’affaires, un pourcentage équivalent réalisant moins de 160 000 dollars de chiffre d’affaires et seulement 27 % dépassant les 1,6 million de dollars. En 2014, 75% des développeurs visaient le marché mondial. À une écrasante majorité (96 %) ils développaient des jeux sur mobiles, suivi par les jeux sociaux sur le web (22 %) et les jeux casual(11) sur PC (18 %). Le modèle du free-to-play était également dominant : plus de 60 % des développeurs. La monétisation des jeux demeure toutefois un problème, la propension des joueurs à payer étant très faible et leur nombre encore plus : ils ne sont qu'1 % à dépenser de l’argent. L’essentiel des recettes vient donc de la publicité plutôt que de la vente d’articles dans les « apps » qui ne rapportent qu’environ 15 %. Mais les acteurs sont conscients des limites de ce financement par la publicité. Ils tentent soit de trouver des financements alternatifs, soit de la rendre plus attrayante pour les joueurs, notamment en l’association à une progression dans le jeu.
 
On notera que les acteurs combinent souvent ces deux types d’activité, développement et prestations, la seconde pouvant servir de tremplin à la première, comme dans le cas de sociétés comme Nextwave, ou Reliance Games, par exemple.
Tous ces éléments conduisent à rendre la géographie de l’industrie du jeu similaire à celle des technologies de l’information(12) . On retrouve 60 % de ces sociétés(13) dans les trois premières villes de premier rang (Bangalore, Mumbai/ Navi Mumbai/ Thane et Pune) qui sont aussi les centres d’excellence technologique du pays (avec Hyderabad, Delhi/New Delhi et Kolkata).
Source : Nasscom (2015).
En l’absence de données sur la répartition des recettes au sein de l’industrie, on peut raisonnablement avancer l’hypothèse que les plus gros de ces acteurs (développeurs comme prestataires) assurent la majorité des revenus(14) . Ils ont probablement un effet d’entrainement sur les autres et de structuration du marché. C’est dans cette optique de structuration du marché que Nasscom a instauré son groupe de travail (forum) s ur les jeux en 2006 et créé sa conférence annuelle, la Nasscom Game Developers Conference (NGDC), pour promouvoir le jeu indien.
 
C’est aussi le cas de la société Reliance Games qui revendique d’ailleurs explicitement ce rôle de structuration du milieu. La société est la filiale de jeux sur mobile de Reliance Entertainment, l’une des premières sociétés de médias et divertissement indienne, elle-même filiale du conglomérat d’Anil Dhirubhai Ambani, Reliance Industries, l’une des premières sociétés privées indiennes (avec un chiffre d’affaires de 44,7 milliards de dollars pour l’exercice 2015-2016). La société de Mumbai a acquis en 2009 les studios de Dreamwork Animation et créé une filiale commune de création de contenus, avec Steven Spielberg, Amblin Partners, ayant apporté plus d’un milliard de dollars à cette société commune.
 
La filiale jeu s’appuie sur les contenus de Bollywood et d’Hollywood pour développer ses jeux. La société annonce 20 titres, s’appuyant donc souvent sur les « blockbusters » d’Hollywood, et 200 millions de téléchargements en 2016, avec un public réparti dans 45 pays. Outre Dreamworks, la société détient des accords de développement avec la société de Nicolas Cage, Saturn Films, celle de Jim Carrey, JC 23 Entertainment, et celle de George Clooney, Smokehouse Productions. Sa stratégie épouse le fil historique présenté par Nasscom : après des débuts sur le marché indien, la société avait choisi de viser le marché mondial en assurant des prestations de service, pour revenir enfin ces dernières années sur le marché indien tenant compte des évolutions (diffusion des mobiles bien sûr, mais aussi chute du prix des données et demande de contenus locaux). La société peut aussi s’adosser à une autre filiale du groupe Reliance, Reliance Communications, le second groupe de communications mobile d’Inde. Sa filiale Reliance Jio mène une politique très agressive de déploiement de la 3G/4G avec des tarifs extrêmement bas (plan données 4G pour 1,50 $ par mois). Dans un contexte où la monétisation des jeux est délicate, comme l’indique Reliance Games, et le taux de détention de cartes de crédit très faible, cette société peut s’appuyer sur la facturation de la filiale de télécommunications(15) . Reliance Games détient Zapak le principal portail de jeux gratuits en Inde, selon le groupe. Le portail avait lancé en 2011, Zapak Plus, le premier service de jeux en ligne par abonnement. Outre les jeux et ce portail, la société assure des prestations de services.
 
Dans le cas de son activité de structuration, la société organise depuis trois ans la conférence Pocket Gamer Connect. Surtout, elle a annoncé sa volonté de soutenir les nouvelles sociétés en investissant dans les start-ups de jeux (près de 20 en 2016). La société qui estime que le marché des jeux indiens est à un tournant, sur le point de prendre le second rang mondial, prévoit que plus de 50 000 personnes travailleront dans les jeux dans un avenir proche. Nazara a fait de même avec la création d’un premier fonds de financement en 2013, suivi d’un second en 2014. La société se lance en 2017 dans la promotion du eSport, un marché encore balbutiant. En 2016, UCWeb, filiale d’Alibaba et premier navigateur mobile en Inde, avait annoncé sa volonté de soutenir une centaine de start-ups de jeu à hauteur de 20 millions de dollars.
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Derrière le succès des jeux occidentaux, un attrait pour la culture locale

Selon l’étude d’AppAnnie, le classement par ordre de popularité des cinq premières catégories de jeux sur Google Play(16) en Inde se présente de la manière suivante :
- En nombre de téléchargements : les jeux de course, les jeux d’action, les jeux casual, les jeux d’arcade et de simulation,
- En de temps de jeu : les jeux de stratégie, les jeux casual, les jeux d’action, les jeux de sport et les jeux de cartes sociaux,
- Pour ce qui est des recettes : les jeux de stratégie, jeux de cartes sociaux, jeux de cartes, les jeux casual et d’action.
 
L’étude constate l’augmentation globale du temps de jeu, mais note aussi un déplacement au second trimestre de 2016 vers des jeux plus immersifs de stratégies au détriment des jeux casual. L’étude Nasscom de 2015 fournissait le classement suivant pour les activités de développeurs : jeux d’arcades avec 39 %, suivi des jeux de type puzzle à égalité avec les jeux de course (31 %),  les jeux de sport (22 %), les jeux de simulation (20 %), les jeux d’action (14 %), les jeux de tir (shooter, 12 %) et les jeux de casino (8 %). Bien que derniers, ceux-ci semblent avoir le moins de problèmes de monétisation et attirer le plus d’investisseurs en 2015.
 
Parmi les 10 premiers jeux téléchargés (App Store et Google Play), on ne trouve qu’un seul jeu indien, Train Simulator 2016, édité par la société Timuz, en quatrième place. Ce jeu indien exploite les traits géographiques du réseau ferroviaire local, l’un des plus grands du monde. Les autres sont les « blockbusters » internationaux habituels (Candy Crush Saga ; Temple Run, Clash of Clans). En termes de temps de jeu, Clash of Clans remonte de la dixième place à la première, pour les téléchargements. Là encore, on ne trouve que deux jeux indiens, Teen Patti (de la société Octro) et World Cricket Championship 2 (de la société Nextwave Multimedia) respectivement en 8e  et 10e position. Le classement par les recettes voit l’entrée de deux autres jeux de cartes parmi les dix premiers, Ultimate Teen Patti  (de la société Play Games 24x7) en 6e position, Teen Patti Gold (de la société Moonfrog) en 8e. Le jeu d’Octro se place en 4e position toujours derrière Clash of Clans (n°1), Candy Crush Saga (n°2) et Clash of Kings (no3). Cette domination des jeux internationaux conduisait à une remontée des recettes de seulement 15 % (iOS) pour les éditeurs indiens, en 2014(17) .
 
Dans les cas de jeux indiens, comme Train Simulator 2016 ou Teen Patti , on notera la forte composante culturelle indienne : jeux sociaux locaux et cricket. Teen Patti est en effet l’adaptation en jeu vidéo d’un jeu de cartes traditionnel(18) , déclinée en hindi, marathi et gujarati. AppAnnie met en avant le caractère avant tout social de ce jeu plutôt que l'aspect de jeu de casino. En l’absence d’une quelconque rétribution financière, les joueurs s’en servent pour interagir avec famille et amis, ce que la publicité pour ce jeu met en avant. Le modèle d’affaires du jeu tient à l’envoi de cadeaux par les joueurs, un modèle que l’on retrouve parmi les jeux générant le plus de recettes. Les joueurs utilisent des jetons virtuels pour envoyer des cadeaux comme des fleurs ou des bagues, ce qui accroît encore leur implication dans le jeu. Ces jeux sont de plus intergénérationnels et facilitent la croissance du nombre de joueurs.
Source : Octro.
Par ailleurs, le cricket est le sport le plus populaire en Inde, la seconde forme de divertissement derrière le cinéma. Les développeurs de jeu passent des accords avec les vedettes de ce jeu, la société Nazara a ainsi signé des accords d’exclusivité en 2016 avec le champion Rohit Sharma, pour son jeu Rohit Cricket Championship. La société Reliance Games a, de son côté, passé un accord avec l’équipe de première division de cricket, les « Gujarat Lions », devenant son partenaire officiel pour les jeux. À l’exploitation des droits de Bollywood, s’ajoute celle des droits d’Hollywood, compte tenu des liens et des investissements réalisés par des sociétés comme Reliance. Dans l’ensemble, les éditeurs locaux connaissent un succès accru pour les jeux de simulation, les jeux de sports et jeux de cartes. Cette localisation des jeux anticipe la demande de contenus locaux de nouvelles catégories de joueurs, en dehors des grands centres urbains.
Source : Nazara Games(19)
Le troisième facteur culturel, bien qu’il n’apparaisse pas directement dans ces hit-parades des dix premiers titres, est l’exploitation des droits de la cinématographie indienne. Sultan : the Game une adaptation de l’un des plus grands succès du box-office pour un film en hindi, par la société Robosoft pour 99Games», sa filiale de jeux, a connu d’excellents résultats.
 
Les jeux Match 3 de la société Timuz touchent avant tout des joueuses qui y passent une heure ou deux . La popularité de Candy Crush tient aussi à sa forte audience féminine, les joueuses se mesurant entre elles à ce jeu. Selon Sumit Chakraberty, les Indiens passeraient près de 8 h 30 heures par jour en moyenne en ligne, les Indiennes 6 heures, soit plus que leurs voisins et voisines chinois. Il précise toutefois qu'il est probable que ces chiffres incluent des temps d’attente ou de téléchargement ! Selon un analyste travaillant sur les données de jeu collectées par sa société, la population masculine de joueurs serait de 60 %, les moins de 35 ans représentant 70 % du total, la moitié d’entre eux ayant entre 18 et 24 ans. Les femmes sont des consommatrices plus importantes et plus intensives de jeux, 63 % d’entre elles jouant quotidiennement selon une étude Gamesbond-Mauj(20) . Elles préfèrent les jeux de puzzle, de stratégies et les jeux casual et sont plus réticentes à payer que les hommes. Ceux-ci sont majoritaires pour les jeux multiplateformes, alors que les femmes sont majoritaires (54 %) pour les jeux sur mobiles. Les joueurs plus âgés favorisent également les jeux sur mobiles.
On pourrait s’étonner de l’absence, dans les données disponibles, de jeux en provenance d’Asie, notamment de Chine (à l’exception de Clash of Kings) ou de Corée du Sud, mais, d’une part, la différence de culture (et les relations diplomatiques qui ne sont pas toujours au beau fixe avec le grand voisin chinois), et d’autre part, la prévalence de l’anglais offrent un accès privilégié aux jeux occidentaux.
 
Le marché des jeux vidéo en Inde, relativement dormant jusqu’à récemment, a connu un fort coup d’envoi grâce à l’explosion des téléphones mobiles. Ce marché offre une sorte d’illustration canonique du rôle des mobiles pour les jeux vidéo Les sociétés occidentales de jeux vidéo ont largement profité de cet essor, mais les sociétés indiennes ont également pris le tournant, de façon à conquérir de larges fractions de la population non encore touchées, notamment à travers la localisation des jeux (langues, thèmes…). Elles disposent pour cela d’atouts concurrentiels importants, outre les facteurs proprement culturels, comme les contenus locaux (cricket et Bollywood), notamment en raison du poids de la culture logicielle dans l’industrie des technologies de l’information indienne, de leur rôle antérieur de sous-traitants informatiques et enfin du recours à la langue anglaise. Celui-ci en effet favorise la diffusion des jeux indiens, ce sur quoi avaient d’ailleurs misé les premières sociétés de jeux offrant prestations logicielles et édition de jeux.
 
Quels que soient les résultats d’une éventuelle expansion en dehors de l’Inde, on ne peut que partager l’optimisme des consultants cités sur la poursuite de l’expansion de ce marché. Il reste de très importantes marges de développement, surtout pour une économie qui connaît le plus fort taux de croissance au monde. L’intensité et l’amplitude de cette croissance dépendra de la capacité des acteurs à faire face aux principaux défis du pays(quasi-absence de moyens de paiement et monétisation délicate, faiblesse des bandes passantes, faiblesse des capacités de stockage des smartphones bon marché, problèmes de réseaux électriques et de télécommunications, pénurie de talents) mais l’industrie tout comme le gouvernement indien avec le plan « Digital India » lancé en 2015 s’efforcent d’y remédier. Enfin, le gouvernement s’est lancé dans une politique agressive de développement des paiements électroniques(21) qui devrait aussi avoir des effets positifs.

Références

Giuditta DE PRATO, Daniel NEPELSKI, et  Jean-Paul SIMON, Asia in the Global ICT Innovation Network. Dancing with the tigers, (co-ed), Chandos, Whitney Oxforshire, 2013.
 
Simon KEMP., We Are Social/ Hootsuite (2017), Digital in 2017. Global Overview, 2017.
 

--
Crédits photos :
Capture d'écran de World Cricket Championship. Avec l'aimable autorisation de la société Nextwave multimedia
    (1)

    Malgré des doutes exprimés sur les données : « India’s GDP data. The elephant in the stats », mais néanmoins confirmée par le FMI qui prévoit 7,6 % pour 2016–17, World Economic Outlook .

    (2)

    Payal MALIK et P. VIGNESWARA LLAVARASAN, « Information and communications technology sector in India », pp.21-44, in Giuditta DE PRATO & al, 2014, Giuditta DE PRATO, Daniel NEPELSKI, and Jean-Paul SIMON, Asia in the Global ICT Innovation Network. Dancing with the tigers, , Chandos, Whitney Oxforshire, 2013.

    (3)

    En juin 2017, 1 roupie indienne (INR) valait, 0,0139 EUR, 0,0154596 USD. 

    (4)

    Federation of Indian Chambers of Commerce & Industry. 

    (5)

    Remarque méthodologique, il convient d’être prudent sur la fiabilité des données concernant ce secteur car autant les données sur les mobiles émanant d’organismes reconnus comme GSMA sont considérées comme fiables, autant, vu la faible structuration du marché, ce n’est pas le cas avec les jeux vidéo. Nasscom soulignait d’ailleurs, dans son étude de 2015, qu’il était impossible de donner une image fiable du marché des jeux vidéo. L’étude repose sur une enquête auprès de ses adhérents. Les études citées, AppAnnie-Nasscom, EY, KPMG convergent toutefois autour du milliard de dollars pour 2020.

    (6)

    Massively Multiplayer Online : jeux de rôle en ligne massivement multi-joueurs. 

    (7)

    Sociétés répertoriées par la Nasscom comme « IT services and software » et « Business Processing Operations » (BPO) ou « Business Processing Management » (BPM).

    (8)

    National Association of Software and Services Companies (Nasscom) (2017), IT-BPM Industry Snapshot.

    (9)

    Délocalisation des activités de services.  

    (10)

    Nasscom, 2015. 

    (11)

    Jeux vidéo destinés au large public des joueurs occasionnels. 

    (12)

    Comme l’indique le rapprochement de la carte de localisation de ces industries et de celle des technologies de l’information. OECD, (2010 : p.8), The Information and Communication Technology Sector in India: Performance, Growth and Key Challenges , No 174, OECD Digital Economy Papers from OECD Publishing, Paris.

    (13)

    Sur la base de l’échantillon de l’enquête Nasscom de 2015.

    (14)

    Il suffit de se livrer à un petit exercice mathématique élémentaire sur la base des 200 sociétés et des pourcentages de chiffre d’affaires réalisé par les 27 % qui dépassent les 1,6 millions de dollars contre les 60 % à moins de 160 000: le chiffre d’affaires des premiers est plus de trois fois supérieur à celui des seconds.

    (15)

    On notera que le prépayé domine sur le marché indien.

    (16)

    L’étude ne donne pas le classement sur iOS, sans doute en raison de la dominance de Google Play. 

    (17)

    Nasscom, 2015.

    (18)

    Une version simplifiée du poker. 

    (19)

    Diwali est une fête très populaire en Inde.

    (20)

    Citée par Tech 2016, « Women play more mobile games than men. Report.».

    (21)

    Sur fond de démonétisation, en retirant de la circulation les billets de 500 and 1000 roupies dans le cadre de sa lutte contre la corruption, la fausse monnaie et le marché noir. 

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