Portrait de Candice Marchal, cofondatrice de Boxsons.

© Crédits photo : Candice Marchal.

BoxSons : « Nous n’avons pas consacré assez de moyens au marketing »

Quel modèle économique pour le podcast ? Là où la plupart des acteurs ont fait le choix du gratuit, financé par des partenariats, de la publicité ou de la création de contenus pour des marques, BoxSons s’est essayée à l’abonnement. Candice Marchal, fondatrice aux côté de Pascale Clark, revient sur ce choix et l’avenir de la société, actuellement en pause.

Temps de lecture : 7 min
Cet entretien a été réalisé lors de l’édition 2019 des assises du journalisme de Tours.

Pourriez-vous nous dire où en est BoxSons aujourd’hui ?

Avec Pascale Clark, nous avons lancé le site en avril 2017, un média de reportages sonores, indépendant et sur abonnement. Au bout d'un an et demi, en novembre 2018, nous sommes arrivées au bout de nos finances et les abonnements ne suivaient pas. Nous avons alors décidé de faire une pause pour réfléchir à une transition et donc tout remettre à plat, autant le modèle économique, le marketing — que nous avons sous-estimé —, que le contenu éditorial. L'idée n'est pas d'arrêter totalement.

La thématique de la table ronde à laquelle j’ai participé était « ils ont essayé et ont échoué », je dirais plutôt « ils ont essayé, ils vont rebondir ». Il faut le voir comme quelque chose d'assez positif, de très formateur. Le marché du podcast est en pleine ébullition, je vois ça plutôt comme une tendance qui va s'inscrire que comme une mode qui va s'effacer. Il y a énormément de choix, des tas de choses très différentes et de qualité, mais l'auditeur est encore très instable, c'est-à-dire qu'il est très excité par tout ce qui se passe, entre les podcasts et les replays. Il mélange les deux, il n'est pas encore décidé totalement sur ce qu'il est prêt à écouter. Je pense qu'il faut aussi prendre ce temps d'effervescence comme un temps de pause pour nous, afin d’analyser ce qui se passe pour, à terme, essayer de concilier nos envies et la réalité du marché. 


Quels étaient vos objectifs lorsque vous vous êtes lancées ? Vouliez-vous devenir les leaders du podcast payant ?

Nous ne prétendions pas révolutionner un monde du podcast qui existe depuis quinze ans et était plutôt amateur jusque-là, à l’exception d’Arte Radio. Nous souhaitions juste concrétiser nos envies, celle de faire du son, du bon son et de repartir sur le terrain. C'est de là qu'est née l'idée de BoxSons. 


Déjà à l’époque, votre choix du payant a été perçu comme peu orthodoxe. La tendance depuis quelques années est aux partenariats, à la publicité... 

Nous étions obligées de faire du payant pour plusieurs raisons. D'abord la première, essentielle, est que l'information a un coût, et donc un prix. Il s'avère que nous faisons du reportage. Jusqu'à présent, on retrouvait dans la plupart des podcasts une discussion autour d’une table, un récit intime, avec quasiment aucun coût. Forcément, nous arrivions avec des reportages, c'était déjà la première contradiction par rapport à ce qui se faisait en podcast jusqu'alors. C'est vrai que les gens n'ont pas l'habitude de payer pour du son. Quand on parle de redevance, 90 % des gens pensent d’abord à la télévision, alors qu’il n’y a pas que ça. Alors après on peut entendre qu’il y a une offre pléthorique sur Radio France. Certes, mais très peu en reportages et surtout de moins en moins.

« Il y a une porosité extrême aujourd'hui entre journalisme, communication et publicité » 

Par ailleurs, nous ne voulions pas de publicité parce qu'il y a une porosité extrême aujourd'hui entre le journalisme, la communication et la publicité, ce qui vient perturber l’écosystème journalistique. C'était inenvisageable pour nous. Que cela soit sous forme d'abonnement, de membership ou de dons, le modèle payant doit s’installer dans les esprits.


Vous vous étiez données trois mois de réflexion. La voie du modèle payant et sans publicité reste-t-elle pour vous la seule possibilité ?

Aujourd’hui, nous sommes évidemment accompagnées dans cette démarche de transition. Si nous devons repartir, ce sera avec deux à trois ans d'enveloppe budgétaire. Nous pouvons compter sur des engagements à hauteur d'un an, ce n'est donc pas suffisant. Et tout ça en nous rémunérant enfin Pascale et moi, ce qui n’était pas le cas jusqu'à présent. Ce qui est très important et ça, je le répète sans cesse, c'est que nous rémunérons nos journalistes comme des journalistes, avec des feuilles de paie, avec des salaires (et donc des charges). Nous ne payons pas en droits d'auteur, en auto-entrepreneur, ou en intermittent du spectacle comme le font certains studios de podcasts, mais aussi certains médias publics. Nous voulons faire les choses correctement. C’est très important pour nous. Et dans cette recapitalisation que nous envisageons, il fallait aussi calculer toutes ces charges.

L'intelligence des studios de podcasts est d'avoir développé la production pour les entreprises publiques ou privées

Nous avons remis à plat le modèle économique. Nous réfléchissons beaucoup à la notion de membership. À cause de cet abonnement payant, notre erreur a été de nous enfermer sur nous-mêmes. Nous avons mis des contenus en accès gratuit, mais ils n'étaient pas assez représentatifs de ce que nous produisions réellement. L'idée est peut-être d'aller dans cette direction, c'est-à-dire d'offrir moins de contenu, un contenu gratuit, mais supporté financièrement par des dons, par le membership. Il est hors de question pour nous de faire de la publicité, de faire comme certains studios de podcasts, de faire passer des productions de brand content, réalisées pour des marques donc, comme des podcasts éditoriaux. C’est insensé. Pas question pour nous de présenter une publicité dans la voix du journaliste qui va traiter le sujet derrière. 


La plupart des acteurs font pourtant ce choix…

Il y a cette partie que je désapprouve totalement : la publicité qui peut se retrouver dans la voix d'un journaliste, la publicité sur un reportage ou bien un contenu publicitaire qui est présenté comme du contenu éditorial. En revanche, l'intelligence des studios de podcasts est d'avoir développé la production pour les entreprises publiques ou privées qui leur permettent de vivre… On peut aussi choisir  ses clients : certains ne sont pas du tout déshonorants, il y en a qui le sont, nous-mêmes avons été sollicités plusieurs fois, et avons refusé parce que certains ne correspondaient pas à notre éthique. Mais il y a quand même la possibilité de faire des choses en bonne intelligence, qui coïncident avec l'éthique et le niveau de morale que l’on souhaite mettre dans le traitement journalistique. Et c'est très bien, sauf que nous sommes une toute petite structure  et avons préféré nous consacrer d'abord au contenu journalistique, aux reportages, ce qui est quand même l'essentiel quand vous lancez un média, plutôt qu'au brand content. Mais nous aurions dû nous y mettre avant évidemment. 


Si vous deviez recommencer aujourd'hui, que feriez-vous différemment ? 

Quand on va recommencer, plutôt que si on recommençait ! Même si ce n'est que dans huit mois ou un an, peu importe, parce que je pense que nous avons aussi la fibre entrepreneuriale qui s'est réveillée et puis nous avons la liberté de pouvoir faire ce que nous voulons avec exigence et bienveillance. La première erreur que nous avons faite a été de ne pas mettre assez de moyens et d'attention dans le marketing. Tout simplement. C’est-à-dire, aller chercher des abonnés, savoir bien se présenter, faire du RP, toutes ces choses-là sur lesquelles nous ne sommes pas très fortes avec Pascale Clark parce que nous étions vraiment focalisées sur le contenu. C'était une erreur majeure. On en a tout à fait conscience. Ensuite, autre erreur : peut-être pas assez de séries. Comme je le disais, nous ne voulions pas le faire de façon artificielle, or j'entends aujourd'hui énormément de séries. Tout le monde veut être le nouveau Serial, ce qui ne se reproduira jamais parce que Serial est un modèle particulier, qui s'est fait sur l'inattendu. Et lorsque l’on prévoit l'inattendu, ça ne marche pas de la même façon. En revanche, nous pouvons fabriquer de très belles séries. Je pense que nous n’avons pas tenu compte de ça, de l'appétence des gens pour le côté sériel. Autre erreur : je pense que nous avons offert un panel un peu trop large de thématiques, il aurait fallu resserrer. Après, il y a des petites erreurs un petit peu partout, mais nous sommes quand même assez fières de ce nous avons pu faire en termes de production.


L'éventualité de partenariats avec des médias écrits ou des médias audio, comme ce que fait Binge avec Libération et L’Équipe, ou Louie Media qui fait un podcast pour Madame Figaro, c’est envisageable pour vous ?

Nous avons produit un podcast thématique à deux reprises pour Le 1, C’était un podcast collaboratif pour mettre en valeur, non pas le journal, mais la thématique qui y était développée. Il y avait un juste équilibre.

Il faut faire extrêmement attention aux partenariats, qui pourraient s’apparenter à de la publicité et ne plus juste être un partenariat éditorial. Nous ne sommes absolument pas fermées à des partenariats avec des médias, bien sûr, à partir du moment où justement, la frontière est très claire entre le journalisme et la communication au profit d'une autre personne.


Nous avons parlé des choses que vous feriez différemment si vous en aviez la possibilité, mais y a-t-il un élément, un événement, auquel vous ne vous attendiez pas et qui vous a pris de court ?

Il y a une chose que l’on a pu observer quand nous avons reçu les réponses au questionnaire que nous avions fait auprès de nos abonnés…en fait les gens sont venus à 90 % pour Pascale Clark et, à 90 %, ce qui leur a manqué dans BoxSons, c'est Pascale Clark. Or nous ne l’avions pas estimé ainsi, et Pascale est de nature à aussi mettre le pied à l'étrier à des journalistes et à les porter, c’est quelqu'un d'assez discret pour se mettre en retrait. Nous ne nous attendions pas du tout à ce que des auditeurs disent, « ah non, pour finir, on n'a pas assez entendu Pascale donc nous sommes partis ». Après il y a d'autres aléas : par exemple, nous avons travaillé pendant de longs mois sur un partenariat avec un grand quotidien national, ce qui nous aurait permis d’avoir une visibilité énorme, mais cela n’a finalement pas pu aboutir.

Nous ne nous attendions pas du tout à ce que des auditeurs disent, « ah non, pour finir, on n'a pas assez entendu Pascale donc nous sommes partis »

Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un, peut-être un futur concurrent, qui voudrait aujourd'hui faire du podcast et lancer un studio avec un modèle payant ?

On nous met souvent, nous les différents studios producteurs de podcast, en concurrence. C'est ridicule. D'abord parce que nous faisons à peu près tous des choses différentes. Ensuite, plus nous serons nombreux, plus on parlera de nous, plus les gens auront le réflexe de se dire qu’ils peuvent écouter des podcasts, ou un replay, peu importe, tant qu’ils basculent vers le son. La preuve, nous sommes arrivées et ça a donné un appel d'air, la même chose s’est produite pour Nouvelles Écoutes et Binge en a aussi profité, tout comme les podcasteurs indépendants. Plus on sera nombreux, plus le son s’imposera. Mais aujourd’hui, Si un nouveau studio se lance et qu'il veut le faire sur abonnement, ce n’est pas gagné d’avance,  il faut vraiment avoir une identité très forte, ne pas se payer au départ mais penser que ça puisse être payant à un moment donné. C'est très compliqué aujourd'hui, il n'y a pas vraiment de modèle économique dans le secteur du podcast.

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