Le président du Front national Jean-Marie Le Pen, candidat aux élections présidentielles, s'exprime le 13 mars 1988 à Paris au « Club de la presse » d'Europe 1, dont il était l'invité.

Le président du Front national Jean-Marie Le Pen, candidat aux élections présidentielles, s'exprime le 13 mars 1988 à Paris au « Club de la presse » d'Europe 1, dont il était l'invité.

© Crédits photo : AFP / Pierre Verdy

Quand Europe 1 boycottait Jean-Marie Le Pen

En octobre 1985, Europe 1 interdit à Jean-Marie Le Pen l’accès à ses émissions politiques. Cette sanction, encore unique à ce jour de la part d’un média audiovisuel à l’égard d’un responsable politique, fait suite à une attaque à connotation antisémite du président du Front national contre quatre journalistes de la station.

Temps de lecture : 13 min

Dimanche 13 mars 1988, 19 heures. Jean-Marie Le Pen est l’invité de l’émission politique phare d’Europe 1, « Le Club de la presse ». Autour d’André Dumas dans le grand studio Merlin, six journalistes vedettes représentant chacun leur média (L'Humanité, La Croix, Europe 1, La Cinq, L'Événement du jeudi et Le Quotidien de Paris). Une émission politique comme une autre ? Pas tout à fait. Ce soir-là marque le retour du président du Front national dans une émission politique de la station, après plus de deux ans de bannissement. « Il fallait lui donner une fessée. On la lui a donnée, mais au nom de la liberté d'expression et d'information, à un moment donné, après la punition et la fessée, et même s'il avait les fesses encore toutes rouges, il fallait le remettre dans le débat », explique aujourd’hui Jean-Pierre Elkabbach. 

BBR

Tout commence au Bourget, en 1985. Le Front national y tient sa cinquième Fête des BBR (Bleu, Blanc, Rouge). Cette « contre-Fête de L’Humanité » réunit, en ce week-end du 19-20 octobre, sous un ciel clément, près de 100 000 personnes. Sur les stands, le Front national et son président se déclinent sur tous les tons : autocollants, posters, pin’s, t-shirts (« Vas-y Jean-Marie ! »), livres, assiettes, bouteilles de rouge (30 francs [9,56 €]). Le caleçon au motif de la flamme tricolore est un des gros succès de l’année. Pour 200 francs [63,74 €], on peut aussi s’offrir une cassette vidéo de « L’Heure de vérité », diffusée trois jours plus tôt sur Antenne 2.

Si cette fête doit lancer la campagne des législatives de 1986, il s’agit aussi pour Jean-Marie Le Pen de rassurer ses troupes. La composition des listes provoque des tensions dans une partie des fédérations. Plus grave : dans son édition du 16 octobre, parue la veille au soir, Le Monde a publié un entretien explosif avec le docteur Jean-Maurice Demarquet. Ancien ami de trente ans de Jean-Marie Le Pen et figure de la fronde interne au FN, il l’accuse d’avoir « personnellement » torturé en Algérie, d’être antisémite et d’avoir une part de responsabilité dans la mort d’Hubert Lambert (1976). Acquis de longue date aux idées d’extrême droite, le millionnaire, fils du « roi du ciment » Léon Lambert, avait désigné, dans un ultime testament, Jean-Marie Le Pen comme son héritier. Un testament alors contesté par le cousin germain du défunt. L’affaire Lambert est relancée. Elle s’impose au menu de « L’Heure de vérité » du lendemain — qui réalise son record d’audience (32,1 %) depuis la création de l’émission, en mai 1982.

Sur le plateau d’Antenne 2, Jean-Marie Le Pen déclare à Franz-Olivier Giesbert n’être « pas astreint à faire la déclaration sur les grandes fortunes. » Or, la presse révèle rapidement qu’il y a été assujetti en 1982, 1983 et 1984. La polémique prend de l’ampleur.

Alors, dans son discours de clôture du dimanche, Jean-Marie Le Pen cogne fort. Annoncé par le Nabucco de Verdi, le voici qui fend la foule de ses supporters rassemblés dans le hall d’exposition, aux cris enthousiastes de « Le Pen ! Le Pen ! ». Parvenu à la tribune, il se lance dans un discours de plus d’une heure trente et attaque d’entrée de jeu : « Je dédie votre accueil tout spécialement à Jean-François Kahn, à Jean Daniel, à Ivan Levaï, à Elkabbach [les sifflets vont croissant à chaque nom prononcé], et à tous les menteurs de la presse de ce pays [clameur]. […] Ces gens-là sont la honte de leur profession. Monsieur Lustiger [archevêque de Paris, juif converti au catholicisme] me pardonnera ce moment de colère [sifflets], puisque même Jésus le connut quand il chassa les marchands du Temple, ce que nous allons faire pour notre pays ! »

« Ces gens-là sont la honte de leur profession »

Alors conseiller en communication du président du Front national, Lorrain de Saint Affrique commente aujourd’hui cette sortie « improvisée » : « Quand Le Pen dit ça à propos des journalistes d'Europe 1, il fait un cadeau aux militants, et puis succès assuré. Mais je ne crois pas que le fait qu'ils soient juifs soit déterminant. Pour une petite partie d'entre eux sans doute, mais c'est la presse en général qu'ils détestaient, et ça n'a pas changé. Sauf que maintenant, c'est tous les Français qui la détestent. »

Société secrète

Jean-François Kahn, directeur de L’Événement du jeudi et chroniqueur sur la radio périphérique, est le premier à réagir à l’antenne d’Europe 1. Il le fait dès le lendemain, par téléphone, dans le journal de 7 h 30 : « Écoutez, on s'en tire bien puisque […] il veut simplement nous exiler. […] Cela dit, c'est une phrase sur les marchands du Temple très célèbre. Elle a été prononcée, pendant l'Occupation, par un célèbre collaborateur de l'Allemagne nazie. [...] À la limite, ça devient un honneur d'être insulté par monsieur Le Pen. »

Ivan Levaï y consacre son billet du matin, à 8 h 40. « Qu'est ce qui nous vaut d'être rassemblés et voués ainsi aux gémonies du Bourget ? » Le journaliste réfute à l’avance les justifications du président du Front national : « Est-ce une critique plus radicale que nous ferions du Front national ? Certainement pas. Jean-Michel Helvig de Libération, Alain Rollat du Monde, Giesbert du Nouvel Observateur, Albert du Roy [de L’Événement du jeudi et de « L’Heure de vérité », NDLR] ont été ces derniers jours beaucoup plus sévères que nous ». Et conclut en parvenant à suggérer l’antisémitisme sans l’évoquer explicitement : « Cherchez, cherchez bien. Appartiendrions-nous Elkabbach, Daniel, Kahn et moi, à une société secrète […] ? Vous donnez votre langue au chat ? […] Jean-Pierre Elkabbach, Jean Daniel, Jean-François Kahn et moi avons un point commun aussi lourd à porter que la croix de Jésus sur le Golgotha : depuis des années et des mois, nos voix passent, le matin, sur Europe 1. Et comme Jean-Marie Le Pen n'écoute que ça... »

Jean Daniel se trouve en Amérique latine. Il y accompagne François Mitterrand en voyage présidentiel et réplique à son retour dans Le Nouvel observateur, pointant « la première vraie faute de parcours » de celui « qui n’est plus qu’un raciste manière 1934 ». Jean-Pierre Elkabbach nous raconte, quant à lui, avoir « pris ça avec indifférence ». Les quatre journalistes soutiendront, sans toutefois s’y associer, la plainte déposée par la LICRA qui conduira, en mars 1986, à la condamnation de Jean-Marie Le Pen, le tribunal d’instance d’Aubervilliers mettant en garde contre un « antisémitisme insidieux qui procède de la volonté déterminée de choisir des personnes exclusivement en fonction de leur origine ».

Bannissement

Cette attaque à l’encontre de deux membres de la rédaction (Ivan Levai et Jean-Pierre Elkabbach) et deux éditorialistes du week-end (Jean-François Kahn et Jean Daniel) provoque l’indignation à tous les étages de la station. « Bien évidemment, j'en ai parlé à Pierre Barret et à Jacques Abergel [respectivement président et directeur général d’Europe 1, NDLR] », se souvient Gérard Carreyrou, alors directeur de la rédaction.

Celui-ci prend la parole, mercredi 23 octobre, dans le journal de 8 heures. Il y annonce sa décision d’ « interdire d’émissions politiques Jean-Marie Le Pen », considéré jusque-là par Europe 1 « comme un homme politique parmi les autres ». Et ce, « aussi longtemps qu'il n'aura pas fait d'excuses publiques aux journalistes ainsi agressés. Ce qui n'empêchera pas de rendre compte dans nos journaux des activités du Front national et de son président. »

« En tant que patron d'une antenne, je ne pouvais pas avoir l'air de dire "j'en ai rien à foutre" », nous explique aujourd’hui Gérard Carreyrou. « C'[était] une attaque frontale contre quatre journalistes à la fois d'une même rédaction, et en plus juifs. Donc c'est ça qui a fait que ça a eu un écho, et c'est pour ça qu'on ne pouvait pas ne pas le sanctionner. »

Solidarité limitée

À Europe 1, rue François-1er, cette décision est largement approuvée. Interrogé par Libération, Albert du Roy considère « normal que des sociétés n’acceptent pas de se laisser injurier », mais considère que le boycott expose la station au « risque de ne plus remplir sa fonction d’information ». Le quotidien rapporte que, devant la Haute Autorité, les patrons de l’audiovisuel public expriment leur solidarité avec les journalistes visés, tout en souhaitant éviter un autre risque : « faire de M. Le Pen un martyr en le boycottant. ». Les autres médias audiovisuels seront sur cette ligne : soutien sans pour autant s’aligner sur la position d’Europe 1.

« Il n'y a pas de marche arrière sur le véhicule Le Pen »

« Il y avait un risque qu'il y ait un boycott un peu général qui dure pendant quelque temps. Ils ne l'ont pas fait, et nous on a soufflé, très vite d'ailleurs, dès qu'on a vu que ça ne concernait qu'Europe 1 », témoigne Lorrain de Saint Affrique. Hors de question pour le patron du FN, nous explique-t-il, de présenter des excuses : « il n'y a pas de marche arrière sur le véhicule Le Pen ». Au contraire, il riposte le jour même par communiqué, dénonçant des « procédés totalitaires dignes du pays du goulag ». Se défendant d’avoir « jamais fait quelque allusion que ce soit à la race ou à la religion des journalistes » visés, il réclame que l’affaire « soit soumise à un jury d’honneur composé de journalistes et d’hommes politiques d’une objectivité indiscutable ». Et dans l’après-midi, au micro de RMC-Proche Orient, il invite « tous les gens qui ont de l’estime et de l’amitié pour lui » à boycotter Europe 1 en retour — ce qui n’aura pas plus d’effet sur l’audience qu’en juillet 1976, quand le PCF tenta l’expérience, insatisfait de la couverture des négociations électorales à gauche. Au 7e Congrès du FN, début novembre, Jean-Marie Le Pen indique vouloir faire « la paix » avec les médias.

Voici donc, à cinq mois des élections législatives, le leader frontiste privé d’accès à la deuxième radio la plus écoutée (derrière RTL) et, symboliquement, à celle qui lui avait offert sa première grande émission politique : le « Club de la presse ». Inspirée de « Meet the press », diffusée sur la chaîne américaine NBC, l’émission a été lancée le 17 octobre 1976. Le principe : soumettre, une heure durant, un responsable politique à une batterie de questions posées par un panel de journalistes issus de journaux de sensibilités différentes, voire opposées — un moyen tout à la fois de faire vivre le débat et de multiplier les échos dans la presse. Introduite par l’exposition du thème du Guide de l’orchestre pour la jeunesse (Op. 34) : Variations et fugue sur un thème de Purcell, de Benjamin Britten, programmée le dimanche soir à 19 heures — à l’heure des retours de week-ends en voiture — et rapidement filmée pour faciliter les reprises dans les journaux télévisés de 20 heures, le « Club de la presse » devient un rendez-vous politique incontournable. C’est au lendemain du premier tour de l’élection municipale de Dreux, où la liste conduite par Jean-Pierre Stirbois atteint 16,72 % des voix, que ses animateurs, Gérard Carreyrou et Alain Duhamel, ont eu l’idée de convier Jean-Marie Le Pen.

Les portes de la télévision

À l’époque, inviter Le Pen ne va pas de soi. Son parti n’est encore qu’un groupuscule mais déjà sulfureux. Dans son livre Europe 1. La grande histoire dans une grande radio (Centurion, 1990), Luc Bernard rapporte que l’initiative était « tellement controversée » que la rédaction avait dû voter pour décider de l’inviter. Ivan Levaï, nommé directeur de la rédaction trois mois plus tôt, se souvient quant à lui d’avoir été appelé par Jacques Abergel dans son bureau, alors en discussion avec Gérard Carreyrou et Alain Duhamel, venus lui demander son aval. Consulté, il se rappelle avoir répondu : « Faites Jean-Marie Le Pen si ça vous fait plaisir, prenez vos responsabilités. C'est vous qui êtes les responsables du "Club de la presse", eh bien décidez, vous êtes libres. Je dis simplement que, si Jean-Marie Le Pen fait le "Club de La Presse", vous lui ouvrez toutes grandes les portes de la télévision. » 

Le président du Front national au micro du Club de la presse, le 18 septembre 1983.
Le président du Front national au micro du « Club de la presse », le 18 septembre 1983. 20h d'Antenne 2 / Capture d'écran. 

L’émission du 18 septembre 1983 s’ouvre sur un propos liminaire de Gérard Carreyrou justifiant la présence de Jean-Marie Le Pen au micro du grand studio Merlin : « Nous voulions savoir et vous faire mieux apprécier ce qui se cache aujourd'hui derrière le Front national et ce qu'est la réalité de l'extrême droite, sans complaisance ni préjugé. Nous n’ignorons pas les réserves ou les critiques que cela pourrait susciter. […] Aux uns et aux autres, nous disons qu'il s'agit ce soir ni d'offrir une tribune de propagande, ni de faire d'amalgames abusifs, mais de s'efforcer de comprendre et d'informer. » Conviés à participer à l’émission, au cours de laquelle le leader du FN ne sera pas ménagé, L’Unité (hebdomadaire du PS) et L’Humanité (quotidien du PCF) refusent.

« Ce n’est pas la télévision qui a fait le Front national »

L’inviter ou pas. Cette question traverse à l’époque tous les médias audiovisuels. La présence de Jean-Marie Le Pen sur le plateau de « L’Heure de vérité » (Antenne 2), le 13 février 1984, s’est joué à un vote, a ainsi confié au Monde Alain Duhamel. « Vous faites partie de la réalité de la société française, c’est un fait » avait constaté François-Henri de Virieu dès le début de l’émission. Sa présence suscite manifestations, nombreux appels hostiles, et même attentats — le 15 octobre 1985, le groupe terroriste Action directe revendique ainsi deux attaques à l’explosif contre Antenne 2 et Radio France, pour protester contre la venue de Jean-Marie Le Pen dans « L’Heure de vérité » et « Face au public ». « Fallait-il faire une émission avec Jean-Marie Le Pen ? », c’est aussi la question que pose Anne Sinclair, en ouverture de « Questions à domicile », le 17 décembre 1987 sur TF1. Elle y répond alors ainsi : « ce n’est pas la télévision qui a fait le Front national […] et ce n’est pas la télévision non plus qui lui permet de concourir demain pour l’élection présidentielle. Ce sont les électeurs d’abord, et les lois de la République ensuite. » C’est cependant à la suite de cette émission qu’elle décide, à titre personnel, de ne plus l’interviewer.

Couvrir le FN, sans inviter Le Pen

Si Jean-Marie Le Pen ne met plus les pieds rue François-1er, Europe 1 continue à couvrir l’actualité de son parti. Le boycott a-t-il changé quelque chose au travail quotidien des journalistes, à leur rapport aux sources ? Pas vraiment, selon les anciens d’Europe 1 interrogés. « C'était plutôt un débat d'éditorialistes dans la presse, […] la rédaction en elle-même, elle bossait, elle s'en foutait », se souvient Jean-François Rabilloud. « Personnellement, je n'ai eu aucun problème avec le Front national. Donc non, je n'ai pas souvenir que ça ait changé quoi que ce soit », confirme Sylvain Attal. Marc Tronchot appuie : « J’ai couvert le FN à cette époque (entre autres) et au contraire, l’idée était de montrer qu’on restait une antenne qui dans les journaux restait pluraliste. On n’invitait pas Le Pen. Mais on couvrait l’activité du FN. On n’en faisait pas des tonnes, mais on restait présents. »

La rédaction a, durant cette décennie, d’autres préoccupations. En tête des audiences (27,7 %) en 1981, la voici déstabilisée par les pressions plus ou moins directes du pouvoir, comme avant l’alternance, mais aussi par la concurrence des nouvelles radios privées, la chute des revenus publicitaires, le débauchage de journalistes par les chaînes de télé (notamment La Cinq),… Le rachat par Hachette, en mars 1986, ne met fin ni aux luttes de pouvoir en interne, ni à la baisse de l’audience (alors de 12,7 %, puis 9,6 % deux ans plus tard, derrière RTL, Inter et même NRJ).

Le boycott de Jean-Marie Le Pen des émissions politiques n’empêche pas Jean-Pierre Elkabbach de l’interroger dans « Découvertes », par téléphone. Cette émission, plutôt culturelle, accueille, l’estime aidant, de plus en plus de politiques. Ce 22 septembre 1986, c’est pour évoquer la manifestation (interdite) « contre le terrorisme et pour la sécurité » qui s’achève tout juste et qu’a organisée le FN, place de l’Opéra, à la suite de l’attentat de la rue de Rennes. « Le boycott de Jean-Marie Le Pen avait duré presqu'un an, il avait perdu son procès [contre la Licra]. Et je pensais que durer plus longtemps pénalisait Europe 1 par rapport aux autres médias qui ne se privaient pas d'interroger Le Pen. J'ai pris, moi, la décision de cet entretien en toute liberté. »

Retour obligé

Les années 1980 voient le Front national s’implanter durablement dans le paysage politique. En juin 1984, il crée la surprise aux élections européennes en réunissant 10,95 % des suffrages, talonnant la liste du PCF de 50 000 voix. En mars 1986, il rassemble 9,5 % des voix et constitue un groupe de 35 députés au Palais-Bourbon.

La perspective de la présidentielle de 1988 a raison du boycott. Depuis sa ville natale de La Trinité-sur-Mer, Jean-Marie Le Pen annonce, dès le 26 avril 1987, sa candidature à l’élection présidentielle. Un mois plus tard, au « Club de la presse », le premier secrétaire du Parti socialiste, Lionel Jospin, se dit « tout à fait prêt à une confrontation » avec le candidat du FN. Ce débat, le premier entre Jean-Marie Le Pen et un autre chef de parti, se tient le 22 juin sur RTL. Mi-juin, c’est au tour d’André Lajoinie, candidat du Parti communiste, de se déclarer « prêt à l’affronter ». La Cinq parviendra, en septembre, à organiser la confrontation.

En cet été 1987, tout indique que, contrairement à 1981, Jean-Marie Le Pen réussira à être candidat et que, s’il n’a aucune chance de l’emporter, son score sera suffisant pour perturber le jeu politique. Le voici crédité de 9 à 11 % d’intentions de vote dans les sondages BVA/Paris-Match

« Il n'y avait pas de raison de continuer à le censurer »

Le boycott n’est plus tenable. Une large majorité des journalistes de la station — consultés par écrit, précise Le Monde —, se déclarent favorables à la levée définitive de la sanction, les autres possibilités étant le maintien de la sanction ou sa levée temporaire durant la campagne. Le leader du FN avait « fait sa peine », estime Gérard Carreyrou. « À partir du moment où son parti n'était pas interdit et qu'il était sur d'autres antennes, il n'y avait pas de raison de continuer à le censurer alors qu'en 1988 il allait y avoir une élection présidentielle et qu’il devait avoir sa place, qu’elles qu’aient été ses interventions déplacées  au moins déplacées », détaille Jean-Pierre Elkabbach, devenu directeur d’antenne en février 1987. Une invitation est lancée pour le 11 septembre, sans suite. Deux jours plus tard, au micro du « Grand Jury RTL – Le Monde », Jean-Marie Le Pen déclare que les chambres à gaz sont « un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale » et demande s’il s’agit d’« une vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire ». Davantage que le boycott, c’est cet épisode que garderont en mémoire les journalistes d’Europe 1.

La campagne officielle approchant, la station est soumise aux recommandations de la Commission nationale de la communication et des libertés, l’ancêtre du CSA, pour qui « la politique d’invitation des candidats [doit être] conduite de manière à permettre à chacun d’eux d’avoir accès aux différentes antennes pour faire connaître leur projet politique et leur personnalité. ». Cheveux désormais coiffés en arrière, vêtu d’un costume sombre à fines rayures, pochette blanche, chemise bleu ciel et cravate à petits losanges, c’est bien un candidat qui compte qui répond aux questions du « Club de la presse », le 13 mars 1988. Aucune référence au boycott ne sera faite au cours de l’émission — à laquelle participe, contrairement à 1983, L’Humanité. Six semaines plus tard, avec 14,39 % des voix, le président du Front national se hisse à la quatrième place du premier tour.

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