Photo d'une conférence de presse de BFM TV à Paris

© Crédits photo : BERTRAND GUAY / AFP.

Bras de fer avec Orange et Free : BFM TV face aux limites de l’information en continu

Après avoir disparu quelques jours des boxs Free et Orange, BFM TV et les autres chaînes d’Altice ont finalement accepté que les opérateurs diffusent gratuitement leurs contenus, évitant une trop grande chute de leur audience. Quelles leçons tirer de cette épreuve de force ?

Temps de lecture : 4 min
Nadine Toussaint-Desmoulins est professeure émérite en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-II, ancienne directrice de l’Institut français de presse et auteure de L’Économie des médias (Presses universitaires de France, 2015).

Pourquoi Altice France (BFM TV, RMC Story et RMC Découverte) estimait-il que les opérateurs Orange et Free devaient rémunérer ses chaînes, et notamment BFM TV, pour avoir le droit de diffuser leurs contenus ?

Nadine Toussaint-Desmoulins : Cela touche à l’économie générale des chaînes de télévision : les contenus que BFM TV produit sont coûteux, il est donc nécessaire pour elle d’avoir la diffusion la plus large possible afin de bénéficier de recettes les plus importantes possibles. La chaîne estimait donc, comme tout apporteur de contenu à un opérateur, avoir droit à une rémunération, qui lui donnerait une ressource autre que celle de la publicité, en un temps où cette dernière a tendance à aller plutôt vers ce qu’on appelle les Gafa, au premier rang desquels Google et Facebook. Tous les médias traditionnels font face à cet enjeu.

Après avoir disparu temporairement des boxs (deux jours chez Orange, deux semaines sur les Free boxs), Altice a finalement accepté que les opérateurs diffusent gratuitement ses contenus pour éviter que l’audience de ses chaînes ne continue de chuter. L’entreprise pouvait-elle prévoir que le rapport de force serait favorable aux opérateurs ?

Nadine Toussaint-Desmoulins : Altice pensait sans doute que le contenu de ses chaînes serait attractif pour les opérateurs, et qu'elle serait de ce fait en position de force pour négocier une rémunération. D'autant que TF1 et M6 avaient obtenu un accord avec Free et Orange en 2018, et qu’en août le Tribunal de grande instance avait rendu sa décision : Free ne pouvait plus diffuser sans l’autorisation d’Altice.

« L’attractivité de BFM TV n’est pas celle de TF1 ou de M6. »

Par ailleurs, l’audience de BFM TV progressait légèrement depuis des années, donc les responsables de la chaîne ont dû se dire que si BFM TV n’était plus distribuée sur les boxs, cela engendrerait un mécontentement des abonnés à Free ou Orange. La chaîne a dû espérer que son attractivité serait plus importante pour les opérateurs que la non-diffusion. Mais l’attractivité de BFMT V n’est pas la même que celle de TF1 ou de M6, car le contenu proposé est évidemment très différent, et les chaînes d’information en continu ont une audience relativement faible. D’ailleurs, les nouveaux acteurs comme Netflix ne diffusent pas d’information, mais des films, des séries,…

Quelles ont été les conséquences pour BFM TV ?

Nadine Toussaint-Desmoulins : La première conséquence a été une chute d’audience pour BFM TV, et donc une baisse des recettes publicitaires.

Maintenant qu’Altice, Free et Orange sont revenus à un accord de diffusion gratuite de ces chaînes, il reste à Altice de réussir à se faire rémunérer sur les services associés à ses chaînes, comme TF1 a réussi à le faire grâce à TF1 Premium, qui donne accès à des épisodes en avant-première, des programmes en ultra-haute définition (4K), un replay allongé à 30 jours… Mais la palette de contenus offerts par BFM TV est beaucoup moins diversifiée que celle de TF1. Cela va donc les pousser à diversifier leurs contenus, à sortir de l’information à chaud et répétitive, et à développer des contenus qu’ils reproposent de manière systématique, comme leurs documentaires récents sur Elizabeth II ou sur Brigitte Macron.

« Vous ne pouvez pas rediffuser éternellement les informations du matin. »

On en revient à la différence entre le « flux » et le « stock » en matière de contenu. En économie, le flux perd de sa valeur dès qu’il est diffusé : vous ne pouvez pas rediffuser éternellement les informations du matin, alors qu’un documentaire gardera de la valeur dans le temps.

Que peut-on imaginer quant aux relations futures entre BFM TV et les opérateurs ?

Nadine Toussaint-Desmoulins : Il est difficile de prévoir l'évolution des relations entre BFM TV et les autres opérateurs, en un temps où, de façon générale, la concurrence s'avive entre les opérateurs du fait des modifications d'audience, liées notamment à l'irruption de nombreuses plateformes (Netflix, Amazon Prime…). De surcroît, il ne faut pas perdre de vue que la concurrence est déjà vive entre le propriétaire de BFM TV, c'est-à-dire Altice (Patrick Drahi), et celui de Free, c'est-à-dire Iliad (Xavier Niel).

D’une façon générale, est-il facile pour les chaînes de télévision de négocier avec les opérateurs ? Peut-on dire que les contenus comptent désormais moins que les services ?

Nadine Toussaint-Desmoulins : Il n'est jamais facile de négocier avec les opérateurs : c'est un peu une partie de poker. Les chaînes estiment qu'elles apportent un contenu original qu'elles ont élaboré et qui est coûteux, les opérateurs rétorquent que la diffusion qu'ils en font offre une fenêtre supplémentaire aux chaînes, et donc la possibilité de se faire connaître, d'accroître leur audience et éventuellement leurs ressources de publicité.

« Les services participent au mouvement plus général de diversification des sources de revenu. »

Je ne pense pas que l’on puisse dire que les services sont désormais plus importants que les contenus, car ils ne représentent qu’une petite part de l’usage des chaînes. Les services participent au mouvement plus général de diversification des sources de revenu.

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