On ne compte plus, ces dernières semaines, les attaques incessantes de la part du président brésilien contre journalistes et organes de presse. Alors que des rumeurs couraient sur son état de santé et que son secrétaire à la communication était testé positif au Covid-19 après un voyage aux États-Unis, Jair Bolsonaro démentait le 14 mars 2020 sur Facebook et Twitter avoir contracté le nouveau coronavirus. Celui qui a fait du relais des fausses informations l’un des enjeux principaux de sa campagne en 2018, jetait alors l’opprobre sur « les médias fake news ! » :
Jair Bolsonaro, le 13 mars 2020 sur Twitter.
Et de déclarer le 20 mars : « Après avoir été poignardé, ce n’est pas une petite grippe qui va me faire tomber. »
Il n’était alors pas le seul à relativiser la gravité du dernier coronavirus (SARS-CoV-2) : Record TV, dont le propriétaire Edir Macedo n’est autre que le fondateur de l’Église universelle du royaume de Dieu, diffusait à la même période des témoignages de malades relativisant largement la gravité du nouveau coronavirus.
« Il n’y a qu’une seule chose pire que le coronavirus. C’est le « média virus »
Jair Bolsonaro
Quelques jours plus tard, le président brésilien a critiqué la partialité de grands médias tels que TV Globo et Veja, les accusant de diffuser uniquement des informations à propos des concerts de casseroles massifs convoqués dans plusieurs villes du pays contre sa gestion de la crise, sans traiter les manifestations organisées pour le soutenir.
Jair Bolsonaro, le 18 mars 2020 sur Twitter.
Et alors que l’Italie comptait déjà plus de 9 000 morts, Jair Bolsonaro a continué de minimiser l’impact de la maladie dans une vidéo envoyée le 27 mars par WhatsApp à ses soutiens, confondant facteurs de comorbidité et causes des décès. Le président brésilien en a profité pour comparer les effets du journalisme et du Covid-19 : « Il n’y a qu’une seule chose pire que le coronavirus. C’est le « média virus ». » (« Só tem uma coisa pior do que o coronavírus. É o « mídia vírus ». »)
Médias et réseaux sociaux engagés contre la désinformation autour du Covid-19
Face à ces attaques régulières et afin de lutter contre la propagation de fausses informations concernant les symptômes, risques réels, précautions à prendre et causes du Covid-19, l’Association nationale des journaux (ANJ) a organisé une campagne contre le coronavirus et la désinformation. Les principaux titres de la presse écrite brésilienne, affichant d'ordinaire des divergences éditoriales et politiques — comme O Globo, O Estado de Sao Paulo ou Zero Hora — sont ainsi parus le 23 mars avec la même Une, déclinée en format spécial pour les publications numériques. Le message indiquait « Ensemble, nous allons vaincre le virus : Unis pour l’information et la responsabilité ».
Autre fait marquant : le réseau social Twitter a décidé le 29 mars de supprimer deux publications du président brésilien, expliquant avoir étendu ses règles concernant les contenus susceptibles de diffuser des informations contraires aux recommandations de santé publique, et donc de mettre en danger la population. Au cœur de ces publications ? Des vidéos réalisées le matin même, dans lesquelles le président brésilien se promenait dans les rues de Brasília, saluant les passants et provoquant des attroupements. Il désobéissait ainsi ouvertement aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du gouvernement du District fédéral (Brasília) et… de son propre ministère de la Santé ! Le lendemain, Facebook, Instagram et YouTube supprimaient à leur tour un post consacré au même événement, au prétexte de la désinformation provoquée par le message.
Sur les réseaux sociaux, un président tourné en dérision
Ces décisions ne semblent pas inquiéter Jair Bolsonaro : le 4 avril, il partage sur Facebook une vidéo dans laquelle, accompagné de plusieurs figures évangéliques (Silas Malafaia, Edir Macedo ou Marco Feliciano), il prône la tenue de la « plus grande campagne de jeûne et de prière de l’histoire du Brésil », pour lutter contre le Covid-19.
Ces prises de parole publiques, recommandations douteuses et bravades délibérées du président brésilien révèlent les désaccords notoires avec son ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta, limogé quelques jours plus tard et remplacé par Nelson Teich, médecin et homme d’affaires proche de Bolsonaro.
Les réseaux sociaux constituent actuellement un foyer important de critique de la gestion de crise
Les réseaux sociaux constituent actuellement un foyer important de critique de la gestion de crise de l’actuel président brésilien. La vidéo d’une conférence de presse organisée le 18 mars, au cours de laquelle Jair Bolsonaro et son ministre de l’Économie Paulo Guedes, avaient manifestement les plus grandes difficultés à porter correctement leur masque — le premier l’attachant à une oreille et le second le plaçant sur ses yeux — a été largement relayée par la presse mondiale, tandis que les réseaux sociaux ont vu apparaître de très nombreux stickers humoristiques ridiculisant le président Bolsonaro.
Plus récemment encore, le 20 avril, alors que Jair Bolsonaro participait à une manifestation en faveur du coup d’État et du retour à l’Acte institutionnel n°5, instauré en 1968 en pleine dictature militaire, le dessinateur Renato Aroeira publiait une caricature de Bolsonaro en Louis XIV, la perruque criblée de coronavirus et le visage peint aux couleurs du drapeau national, soulignant, si besoin en était encore, les liens intrinsèques entre les pratiques autoritaires, les ambitions internationales et l’inefficacité des politiques sanitaires du chef d'État.
« Je suis la Constitution, p*tain ! … et si je savais dire cette m*rde en français, je le dirais, ok ? ». Crédits : Renato Aroeira, le 20 avril 2020 sur Facebook.
Docteure en histoire contemporaine