Canard PC, Unes de septembre et octobre 2022.

© Crédits photo : Canard PC / Presse Non-Stop

Canard PC, l’ultime migration ?

Canard PC, titre historique sur le jeu vidéo, est aujourd'hui en sursis. En vingt ans d'existence, il en a pourtant vu d'autres et su s'adapter sans y laisser trop de plumes. S'il devait disparaître, ce compagnon taquin d'un secteur en mutation perpétuelle laisserait un grand vide.

Temps de lecture : 4 min

Canard PC, magazine de référence dans le journalisme vidéo-ludique hexagonal, va mal. « Notre volatile traverse une zone de turbulences », prévenait déjà Ivan Gaudé, son co-fondateur fin juin. Licenciement de trois journalistes, les derniers arrivés. Arrêt de la collaboration avec un pigiste et non remplacement d’un départ à la retraite… Presse non-stop, l’éditeur de Canard PC, va donc passer de quatorze à une petite dizaine de salariés. La principale cause de cette crise : le prix du papier. « Lorsque l’imprimeur dit en décembre que les prix vont augmenter de 15 % et que quelques mois plus tard ils augmentent de nouveau, la situation devient vite complexe ».

Potache

Depuis sa création en 2003, Canard PC se démarque grâce à un ton proche de Fluide Glacial, des auteurs aux pseudonymes plus ou moins potaches (Ivan Le Fou, Louis-Ferdinand Sébum…), et des articles parfois expérimentaux dans la forme, toujours rigoureux sur le fond. C’est aussi une indépendance revendiquée par rapport aux studios, une approche critique du marketing. Ils sont rares aujourd’hui, ces magazines vidéo-ludiques à forte identité. JV, plus artisanal, fondé en 2013 par d’autres anciens de Joystick est publié au compte-goutte, sans visibilité sur le long terme. En ligne, Gamekult a été racheté par Reworld : un mauvais signe pour de nombreux journalistes, qui craignent de voir la communication prendre le pas sur le rédactionnel. « Si ces trois titres disparaissent, je ne sais pas quel média spécialisé sur le jeu vidéo je lirais en France », souffle un confrère.

 

Canard PC, c’est un certain nombre de crises, bravées les unes après les autres sans jamais changer de propriétaire. Un exploit dans ce secteur, aujourd’hui dévasté, résultat de choix mal avisés et de la déferlante internet. Ces crises ont aussi façonné son identité. Un proche de la rédaction évoque une réunion de crise par an depuis sa création. « C’est un peu exagéré », sourit Ivan Gaudé. À tout le moins, le journal est né dans un certain tourment.

Effondrement

2003, donc. Une quarantaine de publications sur le jeu-vidéo garnissent alors les rayons des maisons de la presse. En vingt ans, les trois-quarts ont disparu. Impensable aujourd’hui : le magazine Joystick, propriété de Hachette Digital, se vend à 60 000 exemplaires minimum, pour un tirage entre 90 000 et 100 000. Ivan Gaudé est alors rédacteur en chef de DVD Magazine, dans la même succursale de Hachette, mais plus pour longtemps : le titre est vendu au groupe Future France. Le journaliste redoute les intrusions du marketing dans l’éditorial et quitte le navire, un chèque en poche, en compagnie de Jérôme Darnaudet, alors rédacteur en chef de Joystick (décédé en 2018), Pascal Hendrickx, Olivier Peron et Michael Sarfati. « Nous n’avions pas envie de travailler avec Future France, ils ne connaissaient rien à la presse », tranche Ivan Gaudé.

Ils créent Presse Non-Stop et montent Canard PC en un été, persuadés de la fidélité du lectorat de Joystick à leur style. Pour le premier numéro, qui paraît en novembre 2003, 50 000 exemplaires sont imprimés sur du papier journal. Résultat, moins de 2 000 exemplaires vendus. « Une catastrophe », résume Ivan Gaudé. « Notre grande erreur, que nous considérions à l’époque comme un atout, c’est d’avoir surtout investi notre propre argent. Si nous avions eu des actionnaires, on nous aurait dit d’arrêter. » Le journal continue de barboter, tant bien que mal.

Argent, trop cher

En 2006, deux actionnaires entrent dans le capital de Presse non-stop pour sauver le groupe, apportant 100 000 €. Initialement hebdomadaire, Canard PC devient bimensuel début 2007. Et se résigne à deux licenciements. Le magazine sort le bec de l’eau, mais c’est un coup dur.

Épisode suivant : Presstalis. En décembre 2017, le principal distributeur de la presse en France risque la cessation de paiement. Un quart des sommes dues aux clients sont retenues. Double catastrophe pour les petits éditeurs, qui doivent aussi mettre la main à la poche dans le cadre du plan de sauvetage du distributeur. Seule solution : faire appel aux lecteurs sur la plateforme de financement Ulule pour Payer Presstalis et basculer sur un rythme mensuel, unique façon de s’en sortir sur le long terme. La rédaction passe de huit à quatre personnes, la pagination de 84 à 100 pages. 2018 n’est pas une bonne année, 2019 permet d’être optimiste.

La pandémie de Covid-19 prend le monde par surprise : les imprimeries sont à l’arrêt, les kiosques ferment, la poste est déréglée. « Pendant deux ans, on a géré la misère, estime Ivan Gaudé. Avec les mesures gouvernementales les banques acceptent de nous prêter. Ça simplifie les choses, mais rien n’est simple ». Il souligne :  « Notre modèle économique a totalement changé en l’espace de cinq, six ans ». Aujourd’hui, Canard PC vend 15 000 numéros par mois (contre environ 20 000 en 2019). En trois ans ses ventes aux numéros ont baissé d'environ 35%, en partie compensé par un report sur les abonnements. Cependant, moins le magazine se vend au numéro, plus sa présence en kiosque coûte cher à Presse Non-Stop, qui doit assurer la destruction des invendus (70 % des exemplaires en kiosque aujourd’hui). 

Twitch

Autre enjeu : trouver un nouveau public, car le lectorat de Canard PC vieillit. Ivan Gaudé en est persuadé : « Il faut aller chercher les jeunes là où ils sont, c’est-à-dire sur la vidéo. » Pendant la pandémie, face à l’impossibilité d’imprimer des magazines, Canard PC est devenu un temps un média 100 % vidéo. Il s’est appuyé sur Twitch, la plateforme de streaming prisée des gamers, propriété d’Amazon. Contrairement aux premiers pas du magazine sur la plateforme, en 2019, cette fois le virage de la production vidéo s’avère payant. Il représente aujourd’hui « un peu plus que de l’argent de poche ». Être présent sur la plateforme est « vital d’un point de vue tactique et stratégique. Tout indique que l’on a gagné en notoriété sur cet espace ». Ivan Gaudé en veut pour preuve la courbe de l’abonnement au magazine, « parallèle à l’augmentation de l’audience sur Twitch ». Le magazine compte aujourd’hui plus de 25 000 followers sur la plateforme.

De l’aveu du co-fondateur, « la pandémie a tout accéléréLe modèle du papier a vécu, c’est une certitude, mais on va le garder jusqu’au bout du bout ». À la mi-septembre, le co-fondateur nous annonce devoir faire face à une nouvelle hausse du coût de fabrication du magazine… « Voire à une hausse probable du prix du papier dans les mois à venir ». En novembre, Canard PC quittera ses locaux pour Arcueil, son nouveau nid. 

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