Des candidats de téléréalité et leurs avocats.

© Crédits photo : Illustration : Charlotte Magic Mo.

Candidat de téléréalité, un travail comme un autre

Après près de dix ans sans contrat de travail, les candidats et candidates de la majorité des programmes de téléréalité sont maintenant considérés comme des salariés. Malgré cette évolution, des irrégularités semblent subsister dans les contrats et les sociétés de production continuent d’être attaquées en justice.

Temps de lecture : 9 min

18 candidats et candidates sur l’archipel vietnamien de Côn Đảo, le soleil, la mer, les palmiers et la survie. Philippe Duron, gagnant la neuvième saison de « Koh Lanta » en 2010, se souvient de cette aventure comme si c'était hier. « Je rempaillais des chaises sur un marché dans la Drôme, je me faisais à peine 1 000 euros par mois. » Quand il apprend qu’il est retenu pour participer à l’émission créée en 2001, il n’en revient pas : « Je n’avais jamais voyagé de ma vie, et jamais pris l’avion. » Il reçoit une liste avec l’équipement nécessaire et investit dans des tee-shirts unis et de couleurs bien précises, un sac à dos étanche, des chaussures de randonnée et son premier passeport. Quelques jours avant de partir, il reçoit un « contrat de participation à l’émission "Koh Lanta" » qui le lie à la boîte de production Adventure Line Productions (ALP).

Philippe Duron est l’un des derniers à avoir signé un contrat de ce type. En 2013, la Cour de cassation confirme, dans un arrêt, la jurisprudence sur les émissions de téléréalité : les candidats doivent désormais être considérés comme des salariés. S’il était arrivé par le passé à certains candidats de téléréalité de renégocier leur contrat — ce fut le cas  d’une candidate de la saison 1 de « Loft Story », comme son avocate l’avait raconté à Libération —, cette décision marque un tournant. 

Prouver le lien de subordination

La première décision de la Cour de cassation sur ce sujet remonte à juin 2009 et fait suite à la demande de trois candidats ayant participé à « l’Île de la tentation » (TF1) en 2003. Défendus par l’avocat Jérémie Assous, fraîchement débarqué dans la profession, ils demandent à ce que les termes de leur participation à l’émission soient requalifiés en contrat de travail. Les contrats de participation à une émission sont à l’époque considérés comme des contrats sui generis, explique l’avocate Aurélia Psalti dans son mémoire « Les enjeux juridiques des émissions de télé-réalité », rédigé en 2014. Ils relèvent donc d’une situation juridique impossible à classer dans une catégorie déjà répertoriée. « Sous cette forme, [les contrats] engendrent moins de coûts aux sociétés qu’un contrat de travail qui entraîne des dépenses au niveau de la sécurité sociale et également des restrictions au niveau des horaires de tournage (jour de repos, heures maximales) qui sont parfois difficilement conciliables avec l’émission. [...] Les règles juridiques à respecter sont beaucoup plus souples », écrit-elle. 

En droit français, le code du travail ne définit pas le travail en lui-même mais le contrat de travail. « La question n’est pas de savoir ce que vous faites mais pour qui vous le faites », explique Jérémie Assous. Pour prouver que la production aurait dû fournir des contrats de travail aux participants, l’avocat a dû prouver le lien de subordination entre un employeur (la boîte de production) et un ou plusieurs employés  (les candidats). Et ce fut là toute sa difficulté puisque la société Glem a fait valoir l’absence de prestation de travail. Et qu’elle  déroulé de nombreux arguments, explique Aurélia Psalti. La filiale de TF1 argue en effet que l’activité des candidats consiste à s’impliquer dans des relations générées naturellement par une vie communautaire, assure qu’ils restent eux-mêmes tout en livrant leur intimité au public en étant filmés, et explique que cela ne requiert aucun travail. 

De son côté, la Cour de cassation constate que les participants ont l’obligation de prendre part aux activités et de suivre des règles « unilatéralement définies par le producteur ». Elle établit aussi que les participants doivent être disponibles en permanence, qu’ils ne peuvent ni sortir du site ni communiquer avec l’extérieur, que les heures de réveil et sommeil sont fixées par le production et que des scènes peuvent être répétées pour valoriser les moments essentiels. Elle convient enfin que les participants se trouvent dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, et que la production d’image qui en est issue se différencie donc d’un reportage. En outre, le règlement signé par les candidats prévoit que toute infraction sera sanctionnée par le renvoi.

Après plusieurs années de procès, la victoire est donc accordée aux candidats et à leur avocat. Après cela, « des dizaines puis des centaines de candidats et candidates d’autres émissions sont entrés dans mon cabinet », raconte Jérémie Assous qui cite notamment le « Loft », « Pékin Express » ou encore « Koh Lanta ». « Ce qui est difficile, c’est que vous n’avez pas un adversaire mais plusieurs car les boîtes de productions ont des intérêts communs dans ces affaires et le combat est disproportionné », lâche-t-il. Mais les procès s'enchaînent, et les victoires aussi. D’autres arrêts similaires sont rendus par la Cour de cassation et concernent « Mister France » et « Koh Lanta » en 2013, « Greg le millionnaire » en 2014 ou « Pékin Express » en 2015. À chaque fois, le contrat de jeu est écarté au profit du contrat de travail. 

Intermittents du spectacle

En 2014, Philippe Duron participe une seconde fois à « Koh Lanta » pour une saison spéciale. « Cette fois-ci, j’ai signé un contrat de travail, j’avais une fiche de paie et j’étais déclaré comme intermittent du spectacle », explique-t-il. Il ne souhaite pas en dire plus, « pour ne pas avoir de problèmes » avec la production avec qui il a de « bons rapports ». Difficile d’obtenir davantage d’informations sur le contenu desdits contrats de travail, d’autant que les anciens candidats restent souvent soumis à la clause de confidentialité (pendant au moins dix ans). Mais plusieurs témoignages recueillis par la Revue des médias concernant les contrats de « Koh Lanta » assurent que les candidats sont désormais payés à la semaine et environ 400 euros net. « Plus tu restes, plus tu travailles, plus tu as de l’argent », confie l’un d’eux, qui souhaite rester anonyme. Concernant le respect du code du travail, Maud Michotte, la gagnante de la saison 20 de « Koh Lanta », diffusée en 2019, explique que le « planning » s’articule en périodes de trois jours dont le troisième est un jour de repos. « Le premier, on a l’épreuve de confort, le deuxième, celle pour l’immunité. » Le troisième, « on a quand même le conseil le soir qui dure minimum une heure et demie [à l'issue duquel un candidat est éliminé, NDLR ]. »

En 2014, Alex Bertrand participe à l’émission « The Voice » (TF1). Quelques heures avant les « auditions à l’aveugle », première étape du jeu et qui permet ou non d’entrer officiellement dans la compétition, « je signe un contrat d’engagement ». « Mais le contrat ne prend acte que si tu passes l’épreuve et entres dans l’aventure », précise-t-il. Une fois dedans, toutes les dépenses sont prises en charge par la production mais les frais avancés en déplacement et hôtels pour se rendre aux différents castings ne sont pas remboursés, assure-t-il. Ensuite, Alex Bertrand participe à une « battle », deuxième étape du jeu où il affronte une autre candidate — et à l’issue de laquelle il est éliminé. Pour préparer cette « battle », il doit assister à quatre répétitions, dont une à l’écart des caméras, mais qui se déroulent à trois moments différents, ce qui l’a conduit à faire des aller-retours entre son lieu de résidence, à Marseille, et Paris. « Les répétitions sont obligatoires mais non rémunérées. Seul le jour où nous chantons sur scène devant le jury est payé. » Sa paie a été versée par l’Adami, la Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes, assure-t-il.

Selon un candidat de « Danse avec les Stars » (TF1) de 2016, le montant de la rémunération peut varier d’une personne à l’autre, notamment en fonction de la notoriété des candidats. En effet, certains ont parfois déjà participé à d’autres émissions de jeu et de téléréalité. « J’ai négocié mon salaire, comme dans un entretien d’embauche », raconte ce candidat, qui reconnaît avoir fait appel à un avocat pour l’aider à relire le contrat, par prudence. Côté obligations, « il faut être présent pour le “prime” et pour un minimum de répétitions », indique-t-il. Ainsi, « certains font le minimum, d’autres délaissent leur emploi durant les trois mois de l’émission pour s’entraîner tous les jours de la semaine ». 

Pas de téléphone, pas de montre, pas d’horloge

Aujourd’hui, il semblerait que la majorité des émissions de téléréalité fournissent des contrats de travail à leurs participants, même si aucune d’entre elles n’a souhaité nous répondre. Mais pour l’avocat Jérémie Assous, le fait qu’il y ait des contrats de travail n’empêche pas les problèmes puisque « les boîtes de production font des contrats illégaux et abusent du droit du travail ». Fin février, la Grosse Équipe, la société de production des « Anges de la téléréalité », a d’ailleurs été condamnée par les prud’hommes à verser plus de 70 000 euros de dommages et intérêts à une ancienne participante pour « manquement à l’obligation de sécurité », « perte de chance » et « travail dissimulé ». Après s’être blessée sur le tournage, une candidate, Andréane Chamberland, avait demandé une indemnité à la production, qui avait refusé. Selon L’Obs, la société de production a aussi été condamnée à payer des indemnités pour travail dissimulé et violation du repos quotidien. Le contrat de travail de la candidate prévoyant en effet « qu’elle peut être filmée, enregistrée, interviewée… et notamment dans le cadre des off du tournage, que les images pourront être exploitées, que son téléphone portable lui a été retiré et ne lui sera rendu qu’à la fin du tournage. Ces faits constituent des atteintes graves aux libertés individuelles, qui ne peuvent être justifiées par l’exécution du contrat de travail », ont expliqué les juges.

Jérémie Assous mène ainsi entre dix et vingt procès par an et est devenu assez incontournable sur ces questions. « Avoir beaucoup de clients est utile car les preuves des uns peuvent bénéficier aux autres. » Toutefois, certaines preuves restent difficiles à apporter : « Dans ces émissions, les candidats n’ont pas leur téléphone, pas de montres et il n’y a pas d’horloge : comment prouver qu’ils ont travaillé douze heures par jour ? Surtout que les boîtes de production ne veulent pas donner les rushs... », illustre Jérémie Assous. 

Les dépassements de temps de travail réglementaire sont donc difficiles à prouver, d’autant plus que le fait d’être présent sur le lieu de travail ne suffit pas à déterminer le temps de travail, rappelle Aurélie Psalti. Durant les pauses, par exemple, le travailleur n’est pas à disposition de l’employeur. En téléréalité, les différences entre les pauses et le temps de travail sont plus complexes qu’ailleurs : « Malgré le fait que dans certaines émissions, le candidat passe une bonne partie de sa journée à bronzer, il accepte d’être filmé pendant cette activité, il reste par conséquent disponible pour la société de production », écrit Aurélia Psalti. 

« De nombreuses personnes seraient prêtes à payer pour participer »

Malgré les condamnations régulières de boîtes de production « les sanctions sont sans commune mesure avec les gains », assure Jérémie Assous. « Pour que ces pratiques cessent, il faudrait que les participants et participantes saisissent les juridictions, mais ils ne le font pas… », regrette l’avocat. Et plusieurs facteurs permettent d’expliquer cela. 

Pour les émissions telles que « The Voice », « Koh Lanta » ou « Danse avec les Stars »par exemple, toutes les personnes interrogées n’associent pas leur participation à du travail. « Je n’ai pas fait cela pour l’argent mais pour l’aventure et le plaisir, assure Maud Michotte, gagnante de « Koh Lanta » en 2019. Nous sommes des milliers à vouloir participer, alors quand on est pris, c’est une fierté, une chance. Je suis d’ailleurs sûre que de nombreuses personnes seraient prêtes à payer pour participer. » Philippe Duron assure d’ailleurs qu’il était prêt à payer son billet « sans problème ». Comme la majorité des personnes interrogées, il admet aussi ne pas avoir lu le contrat : « J’ai signé toutes les pages en une minute, j’étais surexcité ! » 

Si ces émissions sont plus perçues par les candidats comme des télé-crochets ou des jeux d’aventure, d’autres émissions telles que « Les Anges de la téléréalité », « Mamans et célèbres » ou encore « Les Ch’tis VS Les Marseillais » s’en différencient. Les candidats participent davantage à ces émissions pour accroître leur notoriété, voire pour faire carrière dans la téléréalité  — alors que les participants de « The Voice » ou « Koh Lanta » disent « détester la téléréalité ». Nombre de candidats des « Anges » ou des « Marseillais » — nous en avons contactés certains, ils n’ont pas souhaité nous répondre — enchaînent d’ailleurs ces émissions. Ils désirent d’autres propositions de contrats avec les boîtes de production et « ne vont donc pas les attaquer en justice », conclut Jérémie Assous. 

Pour l’avocat, les origines sociales des participants ont également à voir là-dedans. « Certains quittent leur HLM dans la banlieue de Roubaix pour atterrir dans une villa à Miami : il peut donc leur sembler difficile de contester quoi que ce soit. »

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