Le monde selon l’IQNA
Une comparaison avec les dépêches d’agences de l’AFP (et, secondairement, de Reuters) ne permet pas de conclure à des mensonges ou falsifications caractérisés de la part de l’IQNA. En revanche, le regard est troublé par de manifestes omissions, propres à présenter une réalité acceptable et surtout conforme aux buts poursuivis par l’agence. Quelques exemples ? On se souvient que deux groupes armés palestiniens avaient menacé, le 2 février, de prendre pour cible tout Français, Norvégien ou Danois [présents] dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Très prolixe, ordinairement, sur cette région du Proche-Orient, l’IQNA n’en dit pas un mot, non plus que de tout autre appel au crime contre les Occidentaux. L’agence reste également fort discrète sur les violences dont font preuve les manifestants et sur les affrontements qui les opposent à la police. Les morts et les blessés sont tabous : on ne saura rien des trois manifestants tués en Afghanistan, le 6 février, ou des quatre autres tombés, le lendemain, après que les forces de l’ordre ont répliqué à des tirs. De même, l’IQNA informe très partiellement sur la vague de publication des caricatures à travers l’Europe et le monde, sauf quand cela l’arrange. C’est le cas, par exemple, à propos de la Pologne où le quotidien Rzeczpospolita fait paraître les dessins incriminés : car, immédiatement, Lech Walesa et le Premier ministre Kazimierz Marcinkiewicz condamnent sévèrement l’initiative (le ministre des Affaires étrangères, Stefan Meller, présente même ses excuses à la communauté musulmane).
L’IQNA se garde bien de révéler le sondage qui, au Danemark, montre que 58 % des personnes interrogées rendent les chefs religieux musulmans responsables de la crise.
L’agence est moins diserte encore sur les déclarations de fermeté à l’égard de la liberté d’expression qui se multiplient dans les pays occidentaux, et se garde bien de révéler le sondage qui, au Danemark, le 10 février, montre que 58 % des personnes interrogées rendent les chefs religieux musulmans responsables de la crise. On cherche aussi vainement les indices qui contrarient l’idée d’unanimisme musulman, comme l’arrestation, le 5 février, en Jordanie, de deux journalistes (Jihad Momani et Hicham al-Khalidi) qui avaient publié les caricatures dans le tabloïd al-Mehwar. Mais c’est peut-être sur l’Iran lui-même que le silence de l’IQNA est le plus éloquent. Le 7 février, en effet, le quotidien Hamshahri, de Téhéran, annonce le lancement d’un « concours international de dessins sur l’Holocauste », offrant des pièces d’or aux auteurs des douze caricatures finalement retenues (le nombre de celles parues dans Jyllands-Posten). L’IQNA n’en dit rien. Le 11, dans la même veine, Ahmadinejad qualifie la Shoah de « mythe ». L’IQNA semble ne pas avoir entendu la déclaration télévisée. L’exemple de l’agence iranienne montre finalement combien l’affaire des caricatures a pu, durant une brève mais effervescente période, contribuer à la stratégie d’influence déployée par Téhéran. L’IQNA a nourri, à sa façon, la guerre médiatique dont on a surtout retenu les éléments les plus spectaculaires, les plus visibles aussi, portés par le flux des images télévisées. Mais la guerre de propagande fut aussi plus sourde — plus subtile, peut-être —, s’éloignant des slogans et des cris pour mimer l’objectivité de l’information, si chère aux démocraties occidentales. Un miroir aux alouettes amené à resservir.
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Crédit photo :
Capture d'écran du site de l'IQNA