CCTV, la chaîne aux 1,2 milliards de téléspectateurs

CCTV, la chaîne aux 1,2 milliards de téléspectateurs

Dotée de 19 chaînes publiques, dont six en langues étrangères, et de plus de 400 programmes, la Télévision centrale de Chine (China Central Television ou CCTV) est le plus gros groupe audiovisuel public en Chine. 
Temps de lecture : 15 min

Dotée de 19 chaînes publiques, dont six en langues étrangères, et de plus de 400 programmes, la Télévision centrale de Chine (China Central Television ou CCTV) est le plus gros groupe audiovisuel public en Chine. Malgré l’existence de nombreuses autres stations de télévision (environ 400, provinciales ou municipales, satellites et câblées), CCTV reste « la principale source d’information pour les Chinois. Ainsi qu’une fenêtre importante sur l’extérieur à travers laquelle les Chinois peuvent s’informer sur le monde ».
 
Créée en 1958 et diffusant à l’origine sur une chaîne unique à raison de quelques heures par semaine dans la région de la capitale, la télévision de Pékin a été renommée CCTV en 1978. Depuis, la station n’a eu de cesse de s’accroître tant au niveau du nombre de chaînes et de programmes diffusés qu’en termes d’audience et de chiffre d’affaires. CCTV peut désormais se targuer d’avoir l’audience la plus importante au monde : 1,2 milliard de téléspectateurs, soit 95,6 % de la population chinoise. La station a également lancé depuis quelques années un certain nombre de chaînes payantes, ainsi qu’un dispositif de télévision sur Internet (IPTV) et de télévision mobile. Ses programmes, émissions et séries sont, par ailleurs, disponibles dans plus de 120 pays et régions.
 
Porte-parole du gouvernement et du Parti communiste chinois (PCC), dont elle est l’instrument privilégié de propagande politique, CCTV a fonctionné, jusqu’en 1978, grâce aux subsides de l’État. CCTV a ensuite subi une vague de réformes à partir de la fin des années 1970(1) : réorganisation des ressources financières, des stratégies de développement et de la programmation. Aux subventions de l’État s’est substituée la publicité comme principale source de revenus pour la quasi-totalité des médias, entraînant une marchandisation progressive des programmes. Les différentes chaînes se sont lancées dans une course effrénée au succès public et aux financements, seuls capable de leur garantir leur viabilité. Cependant – et c’est d’ailleurs l’une des spécificités du système chinois – CCTV reste soumise au contrôle du parti-État. Elle évolue donc entre volontarisme d’État d’un côté et soumission aux logiques du marché de l’autre. Aujourd’hui, les revenus publicitaires représentent 90 % de son budget total(2). CCTV génère donc plus de revenus grâce à la publicité qu’elle ne reçoit de subsides gouvernementaux et assume pleinement son statut d’organisme d’État à gestion privée.
 
Depuis les réformes des années 1980, les médias chinois ont illustré les contradictions inhérentes au système économique et social chinois : tiraillés entre forces capitalistes et contrôle étatique. Au milieu des années 1990, une deuxième vague de réformes a eu pour but de créer des programmes sous de nouveaux formats de qualité répondant aux besoins du public. Malgré le lifting subi par la station publique, elle reste l’outil de propagande du PCC avec comme priorité de promouvoir les lignes politiques du parti et de guider l’opinion publique en accord avec les principes dictés par le parti. CCTV doit ainsi satisfaire à la fois les demandes du gouvernement, de l’audimat et du marché.
 
D’un point de vue organisationnel, CCTV est sous le contrôle direct de l’Administrations d’État de la radio, des films et de la télévision (SARFT), département du Conseil d’État qui supervise et censure, en autres, l’industrie télévisuelle à travers toute la Chine. La SARFT dépend du Département central de la propagande du PCC et est &eaeacute;galement chargée des stations provinciales et municipales.
 
 Source : Marianne Friese, Consulting, TV in China – An Overview of TV in China, 2007, p. 6.
 
Étant donnée la place prépondérante qu’occupe CCTV dans le paysage médiatique, politique et social chinois, il ne fait aucun doute que toute transformation subie par la chaîne illustre les changements de l’industrie télévisuelle chinoise de manière générale.
 
L’imbrication du contrôle de l’État et de la course aux capitaux est l’un des grands dilemmes auxquels CCTV doit faire face : celui, en somme, de « travailler au sein d’un système capitaliste bureaucratique entre une idéologie dominante en voie d’extinction et des forces de marché florissantes »(3). Les forces du marché permettent-elles à CCTV de s’émanciper de la pression politique du parti-État ? Assiste-t-on à une progressive prise d’indépendance de CCTV ?

Un financement par la publicité

À partir des années 1990, l’État a cessé de verser des aides financières à CCTV et aux autres médias publics ; ainsi, en 2006, le budget de CCTV est supporté à 90 % par les revenus publicitaires qui représentent 860 millions d’euros, soit deux fois plus qu’en 1996. Principale source de revenus de la station publique, la publicité a entraîné la marchandisation accrue des programmes télévisés. Conséquence des réformes opérées à partir des années 1970, la publicité est présente à la télévision jusque dans les bulletins météo et les journaux d’information. Les recettes publicitaires ne cessent d’augmenter – surtout depuis les jeux Olympiques de 2008 – tout comme le volume horaire des publicités diffusées quotidiennement, strictement réglementé par le Bureau chinois de la diffusion télévisée (China Broadcast TV Bureau) et qui ne peut pas dépasser 15 % par tranche horaire.
 
Chaque année, CCTV procède à une vente aux enchères pour céder les espaces publicitaires de ses heures de grande écoute. En 2004, la vente de ces espaces a rapporté 570 millions d’euros à la station, soit 27,5 % de plus que l’année précédente, et représentaient 50 % du revenu total de CCTV(4). Un grand nombre de compagnies chinoises mais aussi internationales ont participé à cette vente aux enchères.
 
Le Gala du Nouvel An chinois, programme le plus regardé de CCTV, est très prisé par les publicitaires en termes de placement de produits. Chaque année, il comporte deux comptes à rebours - l’un avant le début de l’émission, à 20h, l’autre avant le passage à la nouvelle année lunaire, à minuit - et des espaces publicitaires sont alors mis aux enchères. En 2006, la vente de ces espaces pour le premier décompte a rapporté environ 600 000 euros, la seconde près d’un million d’euros (soit 300 000 euros de plus qu’en 2005). Le revenu publicitaire brut du Gala a atteint 40 millions d’euros en 2006, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. En 2010, il a généré un revenu de 70 millions d’euros, une somme record, avec une augmentation de 30 % du prix des espaces publicitaires par rapport à 2009. Or, seule une fraction de ce revenu est dépensée en espace publicitaire à proprement parler, puisque aucune publicité n’est diffusée durant les six heures de l’émission. Les publicitaires achètent donc des forfaits dont les prix varient de 350 000 à 700 000 euros et qui incluent la diffusion de spots et logos publicitaires de quinze secondes avant et après l’émission sur les différentes chaînes de la station publique.
 
Ce n’est qu’à partir de 2008, année des jeux Olympiques d’été à Pékin, que CCTV a commencé à tirer d’importants profits des revenus publicitaires, qui ont augmenté de 30 % grâce à l’« effet olympique », atteignant 40 millions d’euros – CCTV est la seule chaîne chinoise autorisée à couvrir les évènements sportifs. En novembre 2009, la vente aux enchères annuelle des espaces publicitaires des heures de grande écoute a rapporté 1,2 milliard d’euros à la station publique. Indicatrices de l’état général de l’économie chinoise, ces enchères ont été, en 2010, les plus élevées en seize ans (soit une augmentation de 18,5 % par rapport aux enchères de l’année 2009). Plus de cinquante compagnies internationales y ont pris part et ont dépensé 28 % de plus qu’en 2008. D’année en année, le prix des espaces publicitaires, mis à disposition par CCTV, augmente de 20 %. Pour l’année 2010, il y a eu deux mises aux enchères, l’une en novembre 2009, l’autre en avril 2010, en raison de la Coupe du monde de football en juin 2010, évènement qui connaît une popularité grandissante en Chine depuis quelques années (CCTV le retransmet depuis 1978). Consciente du potentiel de la Coupe du monde en termes de revenus publicitaires, CCTV a retransmis la totalité des 64 matchs en direct et a dépêché sur place une équipe de 74 correspondants. En juin 2010, pendant la période de diffusion des matchs, une seconde de publicité valait 13 000 euros. Pour la Coupe du monde 2006, plus de 100 compagnies avaient acheté des espaces publicitaires et, en 1998 et 2002, CCTV avait engendré respectivement près de 110 000 euros et 500 000 euros de revenus publicitaires lors de la retransmission des Coupes du monde de Corée et de France.
 
Revenu publicitaire de CCTV, 1990-2004

Chiffres obtenus à la Television Committee of the China Broadcasting Association, 2005.
Unité de valeur: 100 millions de yuans. 
Source : Ying Zhu et Chris Berry (dir.),
TV in China, p.44.
 
Les revenus générés par la publicité ont permis une augmentation du nombre de programmes et du nombre d’heures de diffusion. En 1990, CCTV diffusait 11 310 heures, soit trente heures de diffusion quotidienne sur trois chaînes avec 25 programmes, tandis qu’en 2005, la station publique diffusait un total de 163 303 heures, soit une moyenne de 440 heures par jour avec 400 programmes.

Audience et programmes

CCTV offre une gamme de plus de 400 programmes quotidiens sur 20 chaînes, dont cinq en langues étrangères (anglais, français, espagnol, russe et arabe). Elle est également dotée d’une chaîne généraliste, d’une chaîne d’information transmettant 24 heures sur 24, d’une chaîne à visée internationale, d’une chaîne consacrée à la finance, de plusieurs chaînes de divertissement (opéra chinois, jeunesse, séries, sport, musique, films), d’une chaîne à visée éducative et scientifique, d’une chaîne militaire et d’une chaîne dédiée aux questions légales. En outre, CCTV a récemment lancé une plateforme de télévision sur internet : China Network Television (CNTV). La plupart des programmes diffusés sur les différentes chaînes de CCTV, que ce soit le journal d’information diffusé tous les soirs à 19h ou les émissions de divertissement, ont une fonction éducative.
 
Le réseau CCTV couvre 95,6 % de la population chinoise, soit 1,2 milliard de téléspectateurs. Quotidiennement, les divers programmes de CCTV sont regardés par 72,8 millions de téléspectateurs. En moyenne, un téléspectateur regarde CCTV 45 minutes par jour, la chaîne représente donc 30 % du temps moyen passé devant la télévision. Par ailleurs, les programmes de deux chaînes de CCTV sont désormais accessibles dans plus de 120 pays grâce à la retransmission par câble et satellite.
 
Part d’audience du Gala de Nouvel An Chinois sur les différentes chaînes de CCTV, 2007-2010 (en %)
 

Source : site web CCTV
 
Alors que dans le passé, peu ou pas d’importance était accordée à l’audimat en Chine, il est devenu le facteur décisif concernant la programmation de CCTV. L’audimat des programmes et des émissions prime-time est régulièrement passé en revue et les programmes réalisant de mauvais scores passent ensuite en seconde partie de soirée. La course effrénée à l’audimat n’a pas mis fin au contrôle de l’État sur la programmation de la station publique qui doit donc satisfaire l’audimat mais également respecter les pressions politiques du Parti.
 
Le Gala du Nouvel An, considéré comme une véritable institution en Chine continentale, offre une excellente étude de cas de la façon dont le gouvernement et le Parti continuent, malgré les pressions du marché, d’exercer un monopole sur la diffusion des programmes, leur contenu ainsi que sur la formation des esprits. Il illustre la façon dont les programmes diffusés par la station publique sont intrinsèquement liés à des messages politiques et idéologiques. Le passage à la nouvelle année lunaire est la fête la plus célébrée en Chine continentale, ainsi qu’au sein des communautés chinoises d’outre-mer et des diasporas. Depuis 1983, CCTV organise et détient le monopole de diffusion du Gala et la programmation est contrôlée à quatre niveaux par trois administrations différentes : les responsables du Centre culturel et artistique de CCTV, les responsables de CCTV, les responsables de la SARFT et les responsables du Département de la communication du Comité central du PCC.
 
L’émission est composée d’une myriade de mimes, acrobaties, danses, chansons, tours de magie, dialogues comiques, numéros de variétés… qui mettent en scène la diversité chinoise, les héros, les sites historiques, ainsi que certaines traditions millénaires. Tous ces éléments participent à la construction d’un discours propageant l’impression que la Chine entière célèbre l’évènement de façon unie et communie dans le culte de la grandeur de la nation. Le Gala contribue à la construction d’un espace national chinois unifié et à la propagation d’un nationalisme chinois statique, en dépit de l’ouverture du pays et des réformes économiques initiées à partir de 1978.
 
Mais, malgré sa popularité, il est très critiqué sur le web. Beaucoup se plaignent du manque d’imagination de l’émission et de l’ennui qu’elle provoque, ainsi que de la publicité et des placements de produits, omniprésents lors du Gala pour attirer chaque année le plus grand nombre de téléspectateurs.
 
En 2010, le Gala du Nouvel An a enregistré le chiffre record de 730 millions de téléspectateurs, soit une part d’audience de 81,7 %. C’est l’une des seules émissions diffusées à cet horaire le soir du nouvel an et elle est retransmise en direct sur plusieurs chaînes du réseau CCTV, ainsi que sur 23 chaînes provinciales et sur les réseaux de CTNV. 8,21 millions de personnes ont suivi le Gala sur CCTV Mobile TV et 3,87 millions de téléspectateurs basés à l’étranger ont regardé la retransmission 2010.

 
Vidéo : Démonstration d'art martial lors du Gala du Nouvel An 2010

Un certain nombre de chaînes de télévision satellite ont récemment proposé des émissions répondant plus aux demandes du public et le monopole de CCTV commence petit à petit à être ébranlé, du moins en termes de popularité et d’audimat. De plus en plus de chaînes provinciales souhaitent par exemple produire leur propre Gala du Nouvel An, similaire à celui de CCTV, avec cependant un message politique moins marqué. Pourtant, à ce jour, aucune de ces chaînes n’a essayé de concurrencer la télévision centrale. Seul un petit groupe d’internautes a tenté l’aventure en 2009.

Une concurrence en développement

Au milieu des années 1990, la multiplication des chaînes câblées (domestiques et internationales) autorisées à émettre en Chine a poussé CCTV à une nouvelle vague de réformes. En ciblant un public ignoré par la station publique et en créant un type d’émissions non diffusé par CCTV, ces nombreuses chaînes ont érodé le public de CCTV, ainsi que les parts de marché de la chaîne. En 2003, la SARFT a autorisé une trentaine de compagnies médiatiques étrangères à opérer en Chine sous certaines conditions. En 2006, plus de 50 stations satellites étaient accessibles nationalement.
 
À cette époque-là, Phoenix Satellite TV s’était imposée comme le principal concurrent de CCTV. . Cette chaîne hongkongaise a forcé CCTV à repenser ses programmes et son approche commerciale et à partir du milieu des années 2000, une sérieuse concurrence aux programmes de CCTV s’est imposée grâce à des émissions diffusées par des chaînes satellites provinciales voire même sur le Web, comme par exemple « Super Girl » et le « Gala de Nouvel an » de la China Countryside Television (sic). En 2004 et 2005, l’émission de téléréalité « Super Girl », concours de chant auquel n’importe quelle jeune fille du pays pouvait postuler, diffusée sur la chaîne satellite provinciale Hunan TV, a concurrencé pour la première fois le monopole de CCTV. Cette « démocratisation » de l’accès au star-system et à la médiatisation est en complète opposition avec le Gala du Nouvel An de CCTV qui ne promeut que des stars déjà médiatisées. « Super Girl », dont les participantes représentaient fidèlement la réalité sociale chinoise, a connu un engouement sans pareil avec 400 millions de téléspectateurs lors de la finale en août 2005, soit plus que le nombre de téléspectateurs pour le Gala du Nouvel An de la même année. Le revenu publicitaire généré par l’émission (publicités et SMS) a atteint 11 millions d’euros en 2005. Le succès de cette émission a posé un sérieux défi au monopole et à la suprématie du strictement correct Gala du Nouvel An chinois, tant en termes d’audimat que de revenus publicitaires engrangés. À tel point que la SARFT a fini par interdire l’émission.

 
Vidéo : Un épisode de « Super Girl » édition 2005

Le Web concurrence également les médias traditionnels. En 2009, les internautes chinois ont pu visionner un contre-Gala du Nouvel An, alternative à bas coût du traditionnel Gala de CCTV. Cette contrefaçon, imaginée par un groupe de producteurs amateurs originaires de Pékin – la China Countryside Television, clin d’œil à la Chinese Central Television – aurait dû être diffusée au même moment que le Gala de CCTV avec comme slogan : « le Gala du Nouvel An du peuple fait par le peuple ». Les producteurs ont réussi à obtenir le soutien de quelques grandes compagnies chinoises d’Internet, pour enregistrer en direct et mettre le spectacle en ligne. Pourtant sous l’impulsion de la SARFT, l’émission a été déprogrammée et toute référence la concernant a disparu. Il semble probable que le Département de la propagande a vu ce contre-Gala comme une menace au monopole de CCTV. Les problèmes rencontrés ont montré la difficulté pour les productions indépendantes de produire un programme en dehors des circuits de production traditionnels contrôlés par l’État.

Un rapport indissociable au politique

Après un lifting nécessaire, de nombreux programmes de CCTV ont continué à favoriser les nouvelles d’ordre politique, puisque la station publique reste le porte-parole privilégié du gouvernement. Rencontres gouvernementales entre les leaders du parti et du gouvernement font la une des journaux d’information de la station, que ce soit en chinois, en anglais ou en français. Le Parti continue d’insuffler son contrôle idéologique à la station publique. Or les téléspectateurs commencent à se lasser d’informations dont le degré d’importance est mesuré en fonction du rang politique de telle ou telle personne assistant à une réunion politique.
 
Le journal d’information est l’un des programmes télévisés les plus importants du paysage audiovisuel chinois. Diffusé à 19h, il suit des lignes éditoriales assez strictes. Ces dernières sont dictées par le PCC et le gouvernement. La télévision doit en effet agir de façon positive à l’égard de la société, expliquer les politiques initiées par le gouvernement tout en poussant le peuple à travailler, afin d’atteindre certains buts économiques et contribuer à l’établissement d’une société harmonieuse. La primauté est donc donnée aux « nouvelles positives » censées valoriser les succès politiques et économiques du gouvernement et insuffler, au cœur de la société, espoir et réussite en dépit des difficultés auxquelles le régime doit faire face. Les seules nouvelles « négatives » ayant droit de cité sur les chaînes de CCTV sont celles pour lesquelles les solutions sont faciles à trouver. Les journaux télévisés ne sont jamais diffusés en direct, les quelques minutes de décalage ayant pour but de laisser aux censeurs le temps de vérifier leur contenu. Le journal est généralement présenté par deux « speakers », un homme et une femme, qui lisent tour à tour les grands titres, puis donnent les nouvelles en détail. Sur les trente-quatre minutes que dure le journal, vingt sont consacrées aux nouvelles domestiques, dix aux nouvelles internationales et quatre à la météo. Les nouvelles « négatives » ne forment que 10 à 20 % des nouvelles domestiques, la part de la politique – c’est-à-dire tout ce qui concerne le PCC, les visites d’État et les relations diplomatiques – représente un tiers des informations présentées, quant aux informations économiques elles constituent un autre tiers du journal.
 
 

Vidéo : Journal CCTV en français

Nouveaux visages de CCTV

« L’influence de la financiarisation de l’industrie des médias sur les contenus est désormais un fait réel »(5) et elle a permis l’émergence d’un nouveau type de journalistes télévisés comme Rui Chenggang. Jeune trentenaire, Rui Chenggang, le nouveau visage des médias chinois, incarne à la perfection le capitalisme à la chinoise : « jeune, intelligent et, au grand dam de certains, profondément nationaliste ». Au sein de son programme financier quotidien sur CCTV, suivi par plus de 13 millions de téléspectateurs, Rui Chenggang a pour habitude d’interroger des financiers de Wall Street ainsi que de nombreux politiciens, chinois ou étrangers. Il dit vouloir se servir de sa célébrité afin de changer l’opinion négative que les médias occidentaux ont de la Chine et améliorer l’image de son pays à l’étranger, ce qui correspond exactement aux objectifs du gouvernement chinois, qui compte utiliser les médias sous son contrôle pour améliorer l’image de l’Empire du milieu à l’international. Pékin insiste de plus en plus pour que ses programmes soient diffusés de façon plus large à l’étranger.
 
L’audience internationale visée par CCTV ne se limite plus aux populations chinoises d’outre-mer (qui constituent une grosse part de marché et d’audience et qui regardent CCTV grâce aux chaînes satellites, câblées et à CNTV). Après avoir lancé trois chaînes en anglais, français et espagnol, ce sont désormais les Russes et les habitants de 22 pays où l’arabe est la langue principale, qui peuvent regarder CCTV dans leur langue, soit 600 millions de téléspectateurs en plus. CCTV en portugais est en cours d’élaboration. L’objectif affiché de la création d’un grand nombre de chaînes internationales en différentes langues est de diffuser une « image objective » de la Chine. Or, de nombreuses voix ont souligné que CCTV avait une crédibilité internationale limitée en raison de la nature même de la station et du contrôle qu’elle subit de la part du Parti.

 
Vidéo : Émission CCTV en anglais
 
En décembre 2009, CCTV à lancé sa première chaîne de télévision sur Internet, China Network Television, qui diffuse de nombreux programmes (informations, évènements sportifs, émissions de divertissement) et possède également un réseau social en ligne et un service de vidéo à la demande. Le gouvernement a investi une vingtaine de millions d’euros dans le projet, qui devrait à terme anéantir la compétition.

La force de CCTV tient au fait qu’elle est la seule station de télévision publique d’une telle ampleur en Chine(6) et qu’elle bénéficie d’un soutien politique incontesté du PCC et du gouvernement. De ce fait, un grand nombre de ses émissions, programmes et journaux d’information font autorité dans le paysage audiovisuel chinois. Ses effectifs, les revenus publicitaires qu’elle engrange et l’audience qu’elle touche sont d’une ampleur sans précédent en Chine. Station « populaire », elle a vocation à se présenter comme un « forum pour le peuple », notamment à travers son Gala de Nouvel an.
 
Or, les plus grandes forces de la station constituent également ses plus grandes faiblesses. Elle dépend très fortement du contrôle de l’État et ne peut opérer de façon indépendante. Ce lien force la station à ne présenter que des informations positives et à mettre en avant les nouvelles d’ordre politique. Par ailleurs, son fonctionnement top-down signifie que la station ne deviendra jamais le quatrième pouvoir que la télévision et certains médias représentent dans d’autres pays.
 
Le développement d’Internet, qui offre de nouveaux espaces d’expression et de communication pour la population chinoise, commence à priver de plus en plus CCTV et le gouvernement central du monopole – par le biais unique de la propagande – de la formation des esprits. Les télévisions satellites constituent une autre menace au monopole de CCTV. « La signification des changements que CCTV a connu au cours des trente dernières années dépassent très largement la station publique. Cette dernière est très souvent vue comme une fenêtre sur la politique, l’économie et la société chinois. Les changements opérés au sein de CCTV sont la preuve que le pays a évolué vers une société de consommation dotée d’une culture civique portée sur l’audience, bien que l’idéologie communiste soit prédominante »(7). CCTV reste une chaîne publique hautement filtrée qui subit des contraintes à la fois fortes et contradictoires : les lignes politiques édictées par le PCC et la compétition pour les financements. La promotion de la consommation par les médias n’est pas moins idéologique que la promotion de la lutte des classes lors de la période maoïste. La propagande politique d’antan a été remplacée par l’idéologie du développement personnel et national, par le biais des forces du marché. Il n’en reste pas moins que la communication de masse en Chine demeure au cœur du processus d’unification du pays.

Données principales

Président : Jiao Li 
Budget de fonctionnement: pas de chiffres exacts
Employés: environ 10 000
Date de création : 1958
Nombre de chaînes : 20

Références

Dominique COLOMB, Médias et communication en Chine – Au delà des paradoxes, Collection Logiques sociales, Paris, L’Harmattan, 2008.

David FRENCH et Michael RICHARDS (dir.), Television in Contemporary Asia, Sage Publications, 2000.

C.C. LEE (ed.), Power, Money and Media: Communication Patterns and Bureaucratic control in Cultural China? Northwestern University Press, 2000.

Albert MORAN et Michael KEANE (dir.), Television Across Asia: Television Industries, Programme Formats and Globalization, RoutledgeCurzon, 2003.
 
Daphné RICHET-COOPER, « La Télévision chinoise, entre contrôle de l’Etat et forces de marché », Le Temps des médias, n°13, Hiver 2009-2010.

Ying ZHU et Chris BERRY (dir.), TV China, Indiana University Press, 2009.

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Crédit photo : Jim Gourley / Flickr
 
(1)

À partir de 1978, la Chine a connu d’importantes réformes économiques, politiques et sociales, qui ont abouti à l’ouverture du pays sur le monde extérieur. 

(2)

En 2008, les recettes publicitaires de la station publique étaient égales à 1,8 milliard d’euros contre 700 millions en 2002. 

(3)

C.C., Lee (éd.), Chinese Media, Global Contexts, Londres, Curzon Routledge, 2003, p.196. 

(4)

Ying Zhu et Chris Berry (dir.), TV China, Indiana University Press, 2009, p.45. 

(5)

Dominique Colomb, Médias et communication en Chine – Au delà des paradoxes, Collection Logiques sociales, Paris, L’Harmattan, 2008, p.46. 

(6)

La China Education TV est également une chaîne publique mais sans commune mesure avec CCTV. 

(7)

Ying Zhu et Chris Berry (dir.), TV China, Indiana University Press, p.40.  

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