Le lent déploiement du livre numérique
Le livre numérique est d’abord apparu comme un fichier quelconque à télécharger sur un ordinateur. D’un logiciel lié à une infrastructure partagée, il a évolué vers un système propriétaire spécifique grâce aux transformations technologiques des matériels et logiciels. On fait, en général, remonter la naissance du livre numérique à 1971, date de la création du projet Gutenberg (30 000 références de livres numériques en accès libre). Les premiers livres numériques (Cybook Gen 1 de Cytale, une société française, Gemstar 100, puis Librié) introduits dès 1999, ont échoués. En 2002, Random House et Harper Collins commenceront à commercialiser des livres numériques. A la foire de Frankfort de 2004, Google annoncera son projet ‘Google Print’ (devenu depuis Google books : 12 millions de références).
Le marché ne démarrera qu’avec les interventions successives d’Amazon, puis d’Apple qui sauront chacune à leur façon créer l’écosystème nécessaire, grâce à la combinaison du terminal (liseuse) et des contenus. L’arrivée de l’iPad, en 2010, jouera le rôle de stimulateur, Apple développant sa propre plateforme iBooks sur le modèle de l’iTunes. Apple, à la différence d’Amazon, qui à travers un modèle de grossiste ne remontait que 50 % des recettes à l’éditeur, offrira un autre modèle (dit d’agence) avec 70 %. Amazon s’alignera.
En 2008, les ventes mondiales de liseuses n’atteignaient que 608 000 unités, dont 556 000 sur les seuls marchés nord-américains, en 2011 elles dépassaient 9 millions d’unités toujours majoritairement dominées par l’Amérique du Nord. Selon le consultant spécialisé Statista, les principaux fournisseurs (Amazon, Kobo, Barnes & Noble, Sony) auraient atteint un pic en 2011 avec plus de 23 millions d’unités, pour décroitre par la suite. Le parc mondial atteignait 53,9 millions d’unités en 2012. En France, le SNE a noté un phénomène identique accompagnant la croissance des ventes en ligne. Les tablettes offrent un substitut aux liseuses.
Quoi qu’il en soit de la répartition des terminaux de lecture, leur diffusion (ainsi que le déploiement des réseaux haut débit) crée les conditions de développement du livre numérique. Un marché mondial de près de 3 milliards d’euros en 2012 (Idate, Digiworld Yearbook 2012 p.116), ce qui reste somme toute peu élevé au regard du chiffre total de cette industrie la même année : 101,6 milliards de dollars pour les marchés consommateurs et éducatifs. Ces chiffres n’intègrent pas toutefois les ventes d’Amazon ou d’Apple, qui ne segmentent pas leurs données.
Le marché des États-Unis continue à être le marché pionnier, les livres numériques ayant représenté, en 2012, 20 % des ventes de livres (hors secteurs spécialisés, scientifique ou éducatifs), en 2011 le format a pris la première place pour la fiction (hors littérature enfantine). Cette augmentation est liée à un fort accroissement de la détention des terminaux (liseuses ou tablettes) avec 29 % des américains de 18 ans et plus possédant au moins l’un de ces terminaux spécialisés pour la lecture. A l’opposé, les marchés européens continuent à être fragmentés et hétérogènes. Des marchés en expansion rapide, dont le Royaume Uni, qui suit les États-Unis, 16 % en 2013, coexistent avec des marchés moins développés (moins de 5 % des recettes totales en 2011 en Allemagne, France et Espagne), voire sous-développés.
Si l’on se tourne vers les types de livres, on constate que le segment de la littérature générale a pris du retard vis-à-vis du secteur spécialisé de l’édition scientifique et technique qui a parachevé sa mutation vers le numérique (90% des publications en numérique), non sans quelques turbulences en termes d’emplois et de restructuration. L’édition papier y est devenue marginale par rapport à la commercialisation des bases de données et des services associés. Une situation fort différente de la littérature générale, à quelques rares exceptions comme celui de l’édition « sentimentale » d’Harlequin. Les modèles d’affaires de l’édition scientifique et technique diffèrent de ceux de l’édition de littérature générale en raison de la place occupée par les abonnements: 86 % pour Thomson Reuters en 2010.
Enfin, si l’on considère le type d’entreprises porteuses de la diffusion du livre numérique, on constate, avec le consultant spécialisé Wischenbacht éditeur du « Global eBook report », que les plus grands éditeurs tels que Random House ou Hachette sont également les plus importants dans le domaine du livre numérique. Ainsi en 2013, pour Lagardère Publishing (Hachette Livre et filiales) si les ventes de livres numériques ne représentaient que 10.4 % du chiffre d’affaires total, elles atteignaient 27 % au Royaume Uni et 30 % aux États-Unis.
Par ailleurs, on constate l’apparition de nouveaux, entrants souvent issus du secteur ou liés à celui-ci, « pure players » dans ce secteur comme l’américain
ByLiner. Répercutant la réduction des coûts apportés par l’édition numérique, bien souvent, ils accordent des conditions plus favorables aux auteurs : en France, Publie.net rétrocède 50 % des recettes des téléchargements.