Charline Vanhoenacker n’a pas sommeil. Il est deux heures du matin, ce vendredi 9 mars 2012, et la correspondante à Paris de la RTBF sent monter en elle un regain d’énergie. Un peu de colère aussi, elle s’en rend compte à présent. Elle l’a contenue, le temps d’assurer le montage de son « enrobé » pour la radio, mais maintenant, son exaspération prend ses aises. Elle en a trop vu, trop entendu. Il faut que ça sorte.
La veille, Charline Vanhoenacker avait pour mission de « suivre » François Hollande, le prétendant socialiste à l’élection présidentielle française. Comme 70 autres journalistes « embedded ». Ce jour-là, ils étaient répartis dans deux cars : un petit pour le « pool » (le groupe réduit de reporters autorisés à marcher sur les talons du candidat) ; et un grand pour les « non-poolés », qui doivent se contenter des images et des informations transmises par leurs confrères « poolés ». Tout le monde avait dévoré Paris Match, qui avait mis en une sa propre collaboratrice, « Valérie [Trierweiler], l'atout charme », à la grande fureur de l'intéressée. Vanne du jour : « C'est la journée de la femme… de Hollande ! »
En ce 8 mars, le planning du candidat était dense. Un saut dans une maternité, un autre dans une crèche, puis direction Reims pour y déambuler en compagnie d'Adeline Hazan, « une des trois seules femmes maires de villes de plus de 100 000 habitants », rencontrer des militantes associatives, visiter une entreprise « dirigée par une femme », avant de tenir un grand meeting.
C’est dans le parc d’affaires de Bezannes que Charline Vanhoenacker a craqué. Déjà mécontente d’avoir été assignée au grand véhicule, celui des « journalistes de seconde zone », elle s’est retrouvée cantonnée dans une salle de réunion avec ses camarades non-poolés, condamnés à boire des cafés pendant que François Hollande et les journalistes du pool devenaient des experts en vérins pneumatiques et hydrauliques.
Discrètement, elle sort alors de la salle de réunion, contourne des hangars, mi-fière de braver l’interdit, mi-inquiète à la perspective de rater le car et de se retrouver seule « dans un zoning industriel désert ». Mais elle finit par localiser l’usine, pousse une porte et se retrouve nez-à-nez avec... François Hollande.
Journalisme à deux vitesses
Suit alors ce que tout le pool semblait attendre : un « off ». Quelques minutes au cours desquelles les enregistreurs restent éteints. Le candidat fait mine de livrer des confidences en réponse aux questions plus ou moins inspirées des journalistes. Eux se racontent que ces instants leur permettent de mieux connaître l’homme politique, même s’ils lui font surtout commenter l’écume des jours : « C’est une semaine cruciale qui s’achève ? » ; « Vous pensez que le meeting de Sarkozy dimanche peut inverser la vapeur ? » ; « La parité sera-t-elle appliquée pour le Premier ministre ? » (réponse : « On ne peut pas couper en deux : ce sera soit un homme, soit une femme ») ; ou encore : « Vous serez à Tulle le soir du 22 avril ? » Révélation fracassante de François Hollande : « Sans doute, je n’y ai pas encore pensé. »
Le grand car est déjà reparti. Charline Vanhoenacker prend place dans le petit. Une journaliste crie : « Y a déjà presque plus de chambres au Mercure de Tulle, il faut se grouiller ! » Puis, une préoccupation logistique en amenant une autre : « Le premier G8, c’est Chicago, non ? » Une autre voix : « Ça va être cool de voyager dans l’Air Hollande One ! » Et parce qu’ils sont à Reims : « Le champagne, c’est maintenant ! » — détournement transparent du slogan du candidat socialiste. Au retour, Charline Vanhoenacker s'enfoncera dans son fauteuil en entendant un journaliste de BFMTV exulter : « Les gens sont tellement à donf à nous regarder que si je mettais mes moufles en vente sur Le Bon Coin, elles partiraient en deux secondes ! »
C'est tout cela qui remonte en elle, à deux heures du matin. Les pools qui excluent les petits médias et fabriquent un journalisme à deux vitesses. Le désintérêt total de l'équipe de campagne pour la presse étrangère. Les « off » qui suintent la connivence. La griserie qui gagne les uns et les autres. Les échanges dans le bus qui, à ses oreilles, frisent l'indécence.
Alors elle écrit. En 4 687 signes, elle rapporte ce qu'elle a perçu. Elle attaque sec : « Dans le car qui balade les journalistes du Hollande Tour, mes confrères parisiens se voient déjà à l’Élysée. C’est inquiétant. Mais ça se passe comme ça en France : vous suivez un candidat 16 heures sur 24 pendant quatre mois. Ça crée des liens : il connaît votre prénom, son entourage vous a à la bonne et votre rond de serviette est réservé en cas de victoire. Votre rédaction ne risque pas de ruiner ce capital. Dès lors, comment ne pas tenter de le vendre dans vos articles et vos reportages ? »
Elle rédige « en vitesse ». Elle a « l'impression d'enfoncer des portes ouvertes » tant la connivence entre les journalistes français et les responsables politiques est rituellement dénoncée, mais ça alimentera le blog qu'elle tient bénévolement sur le site du Soir, le quotidien francophone de référence en Belgique.
« Quelle conne ! »
Avant de devenir la correspondante officielle de la RTBF à Paris, Charline Vanhoenacker a rédigé un mémoire de maîtrise sur la droite française et longtemps travaillé comme pigiste pour différents médias belges. Ce blog est le lieu où elle a pris l'habitude de vider ses carnets, libérée des contraintes d'espace et de temps : « Quand on est correspondant à l'étranger, décrit-elle, on nous demande toujours d'être assez synthétique, mais comme il faut tout recontextualiser, il reste peu de place pour raconter les coulisses dans les sujets qu'on nous demande de faire. » Sur ce blog — titré « @Pèèèris, correspondance depuis le nombril du monde » - elle expérimente un ton « moins orthodoxe » que celui qu'elle emploie dans ses reportages.
À 8 h 56, son récit est tweeté. À cette heure-là, le Hollande Tour s'apprête à embarquer sur le vol AF 2046 à destination de Varsovie. En quête de stature internationale, François Hollande doit y rencontrer Bronislaw Komorowski, le président polonais — le seul chef d'État qui ait accepté de le recevoir.
Les blogs du Soir ont disparu à l'occasion d'une migration vers un nouveau système d'édition mais le texte de Charline Vanhoenacker reste lisible via archive.org. Illustration : Benjamin Tejero.
Dans la plupart des rédactions, la campagne est couverte sur le terrain par un binôme. Deux reporters se relayent pour suivre un candidat de l'aube au crépuscule, sept jours sur sept, et produire leur lot d'articles, de montages sonores, de vidéos. Les journalistes qui étaient à Reims ne sont donc pas ceux qui, à la sortie de l'aéroport Frédéric-Chopin, grimpent à présent à bord d'un bus. Tandis que l'appareil roule vers le centre-ville, un cri fuse dans l'habitacle : « Non mais quelle conne ! » Un premier journaliste vient de découvrir le texte de Charline Vanhoenacker.
L'écrivain Laurent Binet, lui aussi « embedded », se souvient que « les journalistes étaient un peu vexés, certains amusés, certains furieux, parfois les deux en même temps (l’un d’entre eux avait émis l’idée — pour plaisanter — d’aller lui casser les genoux) ». La délégation mitraille de textos les collègues qui étaient sur le pont la veille. Les impressions s'échangent. Les esprits s'échauffent. Une voix répète : « Quelle conne ! » Mais il est temps d'aller visiter le ghetto de Varsovie.
« Procédé déloyal »
À Bruxelles, Cédric Petit, le responsable de l'information du Soir en ligne, assiste à la multiplication des likes et des retweets. Sur le blog, le trafic est inhabituellement élevé. Beaucoup d'internautes proviennent de Rue89 et d'Arrêt Sur Images, qui se sont fait l'écho du piquant billet d'humeur. Quelques heures plus tard, Big Browser, la puissante « Revue de web » du Monde.fr, amplifie le phénomène. Puis l'AFP consacre une dépêche à cette « journaliste belge » qui « égratigne » ses confrères. « Après, expose Charline Vanhoenacker, j'ai été appelée par quantité de journalistes qui me faisaient répéter ce qu'ils auraient rêvé de dire eux-mêmes sur leurs collègues des services politiques. » L'écho est tel que Le Soir décide de reproduire son texte dans son édition papier.
Beaucoup de journalistes du Hollande Tour sont mortifiés. Mais que peuvent-ils faire ? Ils voient bien que leur consœur d'outre-Quiévrain a mis les rieurs de son côté. Ils serrent les rangs à coups de « Follow Friday », cette coutume alors en vogue sur Twitter qui consiste, le vendredi, à recommander des comptes amis. À Varsovie, les reporters font honneur à la vodka locale tandis que, dans le lobby de leur hôtel, un responsable de la communication et une attachée de presse retouchent une interview du candidat jusqu'à deux heures du matin.
Samedi. L'équipe de Reims est de retour dans la caravane — en fait, une rame de métro : après les femmes et les Polonais, François Hollande consacre sa journée aux Ultramarins depuis l'est parisien. Évidemment, les journalistes présents discutent de « L'Affaire ». Certains apostrophent @Charlineaparis sur Twitter. Ils lui expliquent que le système des pools est devenu inévitable du fait de la multiplication des médias en ligne et des chaînes d’info en continu. Et que, contrairement à ce qu'elle a écrit, les places ne sont pas toujours réservées aux mêmes médias. La preuve ? Le mardi précédent, une agence de presse financière faisait partie du pool... C'est factuel, à défaut d'être renversant.
Mais ils ne peuvent pas dire ce qu'ils ont sur le cœur. Ils n'ont pas la possibilité de se plaindre. Ils passeraient pour des enfants gâtés.
Ils jugent le procédé déloyal. Reporter à Europe 1 [les postes et médias indiqués sont ceux de 2012, NDLR], Camille Langlade dit : « Charline a fait un parfait travail de satiriste mais elle s'était présentée comme journaliste politique. Elle aurait pu chercher à avoir notre version, notre avis. » Ils s'en veulent de ne pas avoir vu venir le coup, comme ils s'en veulent, par le passé, de s'être laissé piéger par des micros du « Petit Journal » de Canal+ ou d'avoir parlé un peu trop librement devant des « bœuf-carottes », ces journalistes qui écrivent sur (et font la leçon à) leurs confrères.
Lessiveuse
Ils regrettent que Charline Vanhoenacker ait tiré des conclusions définitives dès son premier jour sur le Hollande Tour. « Pour rendre compte fidèlement d'une réalité, souligne Mariana Grépinet (Paris Match), on ne peut pas se contenter de glaner des petits trucs comme ça. » Elle a raison. Mais, chaque jour, combien de confrères n'ont que quelques heures pour rendre compte d'une réalité ?
Ils déplorent enfin que Charline Vanhoenacker les campe en semi-débiles et se soit permis d'épiloguer à partir d'un moment de relâchement. Elizabeth Pineau (Reuters) : « Ce qui compte, ce n'est pas l'attitude des confrères dans un car. Ce qui compte, c'est leur travail. Leurs papiers. » Quand bien même, estime Valérie Nataf (TF1), il y a un contexte : « Quand tu arrives dans un groupe déjà constitué, tu n'as pas tous les codes et la plupart des jokes t'échappent. Le bus, c'était un univers particulier. »
Montons à bord. TF1, le JDD et France Inter squattent volontiers la banquette du fond. France 2, qui a toujours le cœur au bord des lèvres, préfère s'installer devant. Même si l'équipage compte quelques vétérans, le gros des troupes a 30 ans. C'est leur première campagne présidentielle et ils ont l'impression de vivre l'histoire en direct. Ils possèdent la plus grande des qualités professionnelles : ils ont de la chance. À l'aube de la primaire socialiste, ils avaient hérité d'un candidat qui n'intéressait personne, « Monsieur 3 % », quand les stars de leurs rédactions avaient préempté Dominique Strauss-Kahn. L'affaire du Sofitel a accéléré leur carrière.
Les premières affinités se sont construites sur des contraintes partagées : même type de deadlines, mêmes impératifs techniques. La pâte humaine a fait le reste. Ils se connaissent par cœur : les grandes gueules, les timides, les hypocrites, les compétiteurs, les sanguins prêts à se battre pour un badge de pool, les vrais gentils, les puits de science et ceux qui croient cacher leur inculture sous des rodomontades permanentes... Ils sont suffisamment nombreux pour tous se trouver de bons copains. C'est vital : « Les liens qui se créent au cours de cette aventure, c'est une manière de mieux vivre ces longs mois où l'on est dans une lessiveuse et où la vie personnelle est complètement sacrifiée », pose Yaël Goosz (RTL). Il ajoute : « Combien de couples ont été brisés… »
Micro-scoops
L'ambiance est bon enfant. C'est une colo. Une colo d'obsédés de la politique. Ou plutôt : de politique politicienne, de « popol ». Les plus âgés ont été surpris de voir émerger ces jeunes gens biberonnés à The West Wing plus qu'à l'Histoire des idéologies en vingt volumes. « Quand j'ai commencé, à la fin des années 90, la rubrique politique était occupée par les meilleurs journalistes, les meilleures plumes, des gens qui avaient une énorme culture politique, historique », témoigne une consœur du Hollande Tour. Comment dire les choses sans être méchante ? « C'est devenu des services où il y a beaucoup de très jeunes journalistes dont c'est le premier poste… Il y a une baisse effarante du niveau du personnel politique, mais on peut en dire autant des journalistes politiques. »
Cécile Amar (Le Journal du dimanche) s'étonne quant à elle de la quantité de papiers « consacrés à des bisbilles minuscules ». Il y a chez certains un réel intérêt pour la stratégie, les coulisses et l'exégèse de petites phrases, mais pas seulement. Il y a aussi une vraie difficulté, pour se démarquer de concurrents chaque jour plus nombreux, à trouver mieux que ces micro-scoops sur des affaires qui n'intéressent que le microcosme. Il y a enfin un classique mouvement de balancier dans les modes journalistiques : après le triomphe des grands portraits politiques des années 2000, souvent très psychologisants, les rédacteurs en chef prônent un retour à l'info brute et morcelée. C'est le format qui semble convenir à une époque où, sur leurs sites internet, tous les médias sont engagés dans une course permanente. « Une campagne, c'est proche du journalisme sportif, plaide Yaël Goosz (RTL). Tu suis le candidat, tu chroniques les revirements de sa campagne, tu racontes qui il recrute autour de lui pour mieux performer… Ça peut créer le sentiment de quelque chose d'un peu sale par rapport aux grandes idées, mais tu ne peux pas changer les règles. Il faut faire le récit du match tel qu'il est joué. »
Par instinct et par goût, ils se parlent sans arrêt, un peu comme s'ils faisaient partie d'une même rédaction. C'est un moyen d'alléger la pression qui pèse sur eux. Certains annoncent l'angle qu'ils retiennent. Les radios s'accordent sur le meilleur son. Camille Langlade (Europe 1) explique : « L'art du journalisme politique réside beaucoup dans l'interprétation. Donc c'est rassurant de se dire que les autres ont compris la même chose que toi. Au début j'essayais de faire des pas de côté, mais tu es rattrapé par la dépêche AFP ; pour tes rédacteurs en chef, c'est ça l'info du jour ; si tu es le seul à passer à côté, c'est un peu vertigineux. » La camaraderie fabrique ainsi du consensus et contribue à uniformiser la couverture médiatique. « Dans ces moments-là, déplore un journaliste de presse écrite, le pluralisme des médias est une vaste blague. »
La possibilité d’une victoire
Ces trentenaires achevaient leurs études lorsque François Ruffin a publié son pamphlet sur Les petits soldats du journalisme (Les Arènes, 2003). « Quand Charline met une pièce dans la machine à baffes, j'ai l'impression de revivre ce genre d'attaques, se remémore Yaël Goosz (RTL). Je suis comme un boulanger à qui on vient de dire qu'il fait du mauvais pain, ça me semble très injuste. » D'autant plus injuste que cette génération est convaincue de faire son boulot honnêtement. Et, pourquoi ne pas le dire, se croit a priori plus vertueuse que ses aînés. Leurs anti-modèles ? Les consœurs groupies du « Ségo Tour » (personne ne disait « Royal Tour ») autant que les journalistes sous le charme — ou l'emprise — de Nicolas Sarkozy, semblables à des disciples autour de leur prophète sur une célèbre photo d'Olivier Laban-Mattei.
La photo d'Olivier Laban-Mattei dans Paris Match en 2006, le pamphlet de François Ruffin et un micro du « Petit Journal ». Illustration : Benjamin Tejero.
Ils s'étaient juré de garder leurs distances. Mais ils ont compris, sur le terrain, que la proximité était un outil de travail. Camille Langlade (Europe 1) : « Il faut être assez proche du candidat et de son entourage pour qu'il te fasse confiance, que tu sois averti des déplacements surprises, que tu aies un coup d'avance sur la stratégie. Ça n'empêche pas du tout d'être très critiques dans nos papiers : tant qu'on pointe des choses factuelles, on ne peut pas nous reprocher d'être de parti-pris. » Et puis, il y a la personnalité de François Hollande. « C'est vrai que dans l'ensemble, on l'aimait bien, reconnaît Charlotte Chaffanjon (Le Point). Il faisait tout pour être un candidat agréable, drôle, sympa, attentionné. Il nous alimentait beaucoup. Peut-être trop. Est-ce que ça faussait les choses ? »
À ce stade de la campagne, rappelle Sylvain Courage (L'Obs), « Hollande devient le désir de la foule ; l'excitation de la campagne gagne l'entourage du candidat et par capillarité les journalistes ». Ces derniers commencent à croire à la possibilité d'une victoire. Quelques-uns, c'est vrai, savent qu'ils seraient alors nommés correspondants à l'Élysée. Mais cette tradition de suivre au pouvoir le parti que l'on a suivi dans l'opposition n'existe pas dans tous les médias. Et pour l'instant, ils se vivent surtout comme « des soutiers », que cela fait bien rire quand on leur prête le pouvoir d'influencer une élection...
Bien sûr, quand Manuel Valls, le directeur de communication de la campagne, a commencé à évoquer un déplacement aux États-Unis pour les sommets du G8 et de l’OTAN, programmés juste après l'investiture du nouveau président français, les journalistes se sont dit que ça les changerait de la Fête de la Rose, de l'Université d'été de la Rochelle et des soirées déprime pendant les congrès du PS. Puis « on a tous fait la queue à l'ambassade américaine, expliqué qu'on n'était pas des terroristes et qu'on n'avait jamais fumé de beuh, relate Laure Bretton (Libération) ; mais les collègues qui suivaient Sarkozy s'étaient accrédités eux aussi. Il fallait forcément anticiper, ça n'a pas de signification politique. »
La fin de la colo
Que resterait-il du billet nocturne de Charline Vanhoenacker s'ils avaient répondu sur tous ces points ? Leurs blagues qui sentent la fatigue, sans doute. Et les difficultés inhérentes à la condition d'« embedded ». Cette bulle qui, à un moment, « peut asphyxier », témoigne Yaël Goosz (RTL). Tous estiment qu'il serait intéressant d'observer plusieurs candidats en parallèle. Mais ce serait trop complexe à organiser au sein des rédactions ; et ce serait prendre le risque de ratés, de couacs… « En temps de campagne, on est vite réduits à raconter une dramaturgie, observe Thomas Wieder (Le Monde). Sur le terrain, on a assez peu de possibilités de pas de côté, de recul critique, d'expertise des propositions — heureusement, si on est dans une rédaction importante, des collègues peuvent se charger de ces aspects. »
Le dimanche matin, le très placide François-Xavier Bourmaud (Le Figaro) constate qu'il n'a toujours pas digéré les attaques de Charline Vanhoenacker. À son tour, il se fend d'un billet de blog : « Avec toute la mesure qui s'impose face à la polémique que vous avez provoquée, je me permets de vous l'assurer : vous racontez absolument n'importe quoi. Un peu comme si après avoir vu The Artist, vous expliquiez que le cinéma français a cent ans de retard. Les conclusions que vous tirez de vos observations m'apparaissent complètement déconnectées de toute réalité. » L'auteur est le premier surpris : « Je tape jamais sur mes confrères. C'est la seule fois de ma vie où je me suis énervé ad hominem. » Ça soulage toute la caravane.
Et ça amuse François Hollande qui, devant quelques reporters, fait mine de s'émouvoir de cette passe d'armes : « Vous vous disputez ? Une journaliste belge vous fait des misères ? » Un mois plus tard, il s'attardera dans leur car pour un long « off ». Des photos seront prises. Un prophète et ses disciples, comme sur le « Sarko Tour »…
François Hollande dans le car des journalistes pendant sa campagne. Illustration : Benjamin Tejero.
De son côté, Charline Vanhoenacker fait les comptes. Si « trois ou quatre journalistes du Hollande Tour sont très fâchés », elle affirme avoir reçu des réactions positives « à nonante-cinq pour cent ». Elle gagne des followers. Après dix années de labeur, elle est enfin identifiée. Et puis, le soir du premier tour, elle s'effondre. Littéralement. Glissade à scooter. Rupture des ligaments croisés. Alitée, elle décide de commenter l'entre-deux tours sur Twitter. « Twitter devient mon média. J'avais déjà l'esprit un peu espiègle mais la contrainte des 140 caractères me pousse à penser des punchlines et, au fond, c'est ce qui m'apprend mon nouveau métier. Et c'est comme ça que Pascale Clark me repère et m'invite à faire mes premières chroniques sur France Inter. »
Le soir du second tour, un avion transporte les journalistes de Tulle à Paris. On leur sert à boire. L'un d'eux lance, pour la centième fois : « Le champagne, c'est maintenant !» Certains repensent au « papier de Charline ». Ils sont épuisés par cette longue campagne, excités par ce qui les attend. Une bataille de coussins s'ébauche. C'est la fin de la colo.