Des cités du cinéma
Au-delà des rendez-vous annuels de cinéma, les Émirats visent également à l’installation pérenne de structures industrielles. Deux pôles ont ainsi été créés : Dubaï Media City, une zone franche consacrée aux technologies de l’information et des médias en 2001, et twofour54, une zone consacrée aux médias à Abu Dhabi, en 2008. Ces deux lieux comptent notamment développer leur activité économique en attirant les tournages de films étrangers. Face à la compétition d’autres lieux de production comme Londres ou Toronto, le Golfe a de nombreux atouts. Dubaï Media City vante ainsi son efficacité administrative (qui permet des tournages moins longs), ses paysages variés (qui peuvent représenter le monde arabe mais aussi l’Inde ou le Pakistan), la présence de nombreuses nationalités (pour la figuration), son absence de taxes et les plateaux de tournages de Dubaï Studios City. Twofour54 met en avant les faibles coûts de tournage, ses équipements ultramodernes, son soutien administratif, sa facilité d’accès. Si twofour54 attire les productions bollywoodiennes, et si le Qatar fait parler de lui avec le tournage du film Or noir du Français Jean-Jacques Annaud en 2011, c’est Dubaï qui atteint la reconnaissance internationale lorsque Tom Cruise escalade la tour Burj Khalifa dans le film Mission : Impossible – Protocole fantôme.
Locaux de la chaîne MBC (Dubaï Media Center)
Mais ces centres ne se dédient pas qu’au cinéma. En 2012, c’est la chaîne de télévision saoudienne MBC qui installe sa production de téléfilms dans les locaux de Dubaï Media City. Se fondant sur des modèles tels Hollywood et la Silicon Valley, les Émirats arabes unis cherchent à créer des « clusters », des pôles de compétitivité. Dubaï Media City fait en réalité partie d’un centre plus large, le TECOM Media Cluster, qui englobe également l’ International Media Production Zone et le Dubaï Studio City. Les autres émirats ne sont pas en reste et se proposent de devenir des concurrents sérieux tels Fujairah Creative City, Ras Al Kaimah Media Free Zone and Film City, ainsi que la zone Halley Media City d’Oman, gérée par des intérêts privés, sans compter la compétition de la Jordanie, de l’Égypte ou du Maroc. La bataille de l’image fait rage : Dubaï se présente comme la « Métropole » du Moyen-Orient, tandis qu’Abu Dhabi se targue d’être un « plaque tournante des médias et du divertissement fait par des Arabes pour les Arabes ».
Le développement de cette activité économique fait partie d’une réflexion menée depuis les années 1980 sur la nécessité de préparer l’après-pétrole. Les pays du Golfe se lancent peu à peu dans une stratégie de diversification de leur activité économique vers des secteurs tels la pétrochimie, l’aluminium, la finance islamique et celui des technologies de l’information et de la communication. Le niveau de vie élevé au début des années 2000 favorise le développement d’une économie fondée sur les nouvelles technologies. Ces « media clusters » résultent donc d’une démarche volontariste de la part de l’État qui y voit une source de développement économique : non seulement les entreprises installées et les tournages étrangers créent de l’emploi pour une population majoritairement jeune, mais les films tournés dans la région créent également un élan pour le secteur du tourisme.
Bien que les États y mettent de conséquents moyens, le développement de ces cités médiatiques ne se fait pas sans difficultés. Un problème apparaît notamment de façon cruciale : le manque de personnel qualifié. Un livre blanc de 2013 commandité par la Dubaï Film and TV Commission note ainsi que si le personnel local a permis jusqu’ici d’assurer l’activité économique, il sera rapidement insuffisant. Or leur existence est capitale. En effet, si les producteurs étrangers apportent dans leur bagages les personnels créatifs (réalisateurs, acteurs), ils comptent bien trouver sur place tout les techniciens nécessaires. Les auteurs du rapport proposent ainsi de faciliter l’obtention de visa pour les personnels étrangers travaillant en freelance. La question de l’éducation et de la formation technique est donc fondamentale si ces centres souhaitent perdurer. En 2009 twofour54 agit dans ce sens en créant la Tareeb Training Academy, le premier centre de formation professionnelle aux médias dans la région. Des cours sont proposés dans les domaines de la télévision, de la radio, du journalisme, des technologies de la diffusion, de la communication et des relations publiques, du web design, de l’animation, des jeux vidéo et des nouvelles technologies. Là encore, le développement s’appuie sur un système de transfert des connaissances. L’académie est fondée en partenariat avec la BBC. En 2010, c’est en partenariat avec Turner Broadcasting Systems Arabia, une filiale de l’Américain TBS (Time Warner), qu’est lancée la Cartoon Network Animation Academy qui propose des sessions dispensées par des experts de chez Turner Studios, mais également Warner Bros Animation ou encore Disney.
Si les Émirats arabes unis s’efforcent ainsi de prendre leur place dans l’industrie mondiale du cinéma, ils n’en gardent pas moins leur spécificité locale. Mais le conservatisme culturel qui caractérise la région peut s’avérer un obstacle, notamment lorsque les pays tentent d’attirer les productions étrangères. Ainsi le film
Sex and the City 2 (2010) dont l’action se situe à Abu Dhabi a été tourné… au Maroc. Difficile en effet de tourner sur place un film osé centré sur quatre femmes aux tenues légères et au parlé cru. Par ailleurs, même les films tournés dans la région peuvent rencontrer des problèmes de distribution commerciale. C’est le cas de
Syriana (2005). Bien que le script ait été approuvé au moment du tournage de certaines scènes à Dubaï, le comité de censure a réclamé pour le passage en salles que soient coupées deux minutes montrant les conditions de vie difficile des travailleurs immigrés dans la région. Selon la journaliste Samah Ahmed, si de tels cas se mettaient à devenir fréquents à Abu Dhabi, le centre perdrait de son attractivité, en dépit de ses autres atouts.