Comment concilier alors éducation au cinéma et déformation des œuvres ?La deuxième limite dans cette stratégie des festivals est la concurrence forte qui existe entre les différentes manifestations. Ainsi en 2012, le Abu Dhabi Film Festival, le Doha Tribeca Film Festival et le DIFF se sont succédés, entre mi-octobre et mi-décembre. Faut-il imputer la fin du Doha Tribeca Film Festival à cet effet de cannibalisation ? Toujours est-il que le Doha Film Institute organise désormais deux festivals : le Ajyal Film Festival a lieu en novembre, mais marque sa différence car il est consacré aux films pour la jeunesse ; le Qumra Film Festival consacré aux courts et longs métrages aura lieu quant à lui en mars 2014. Enjeux symboliques nationaux, régionaux et internationaux, ces festivals ne sont cependant qu’une pierre dans l’édifice que les pays du Golfe s’efforcent de construire.
Un dernier élément participe au développement des industries du cinéma dans le Golfe, qui n’est pas dans les mains de l’État : le secteur de l’exploitation. Alors que dans les années 1970, les pays du Golfe n’avaient pas de salles de cinéma, la région a participé depuis la fin des années 1990 à la vague de construction de multiplexes qui a touché le reste du monde. Ce secteur a notamment été développé sous l’impulsion des exploitants libanais réfugiés dans le Golfe au cours de la guerre civile des années 1980. Ce secteur explose à partir du début des années 2000. La plus grande chaîne est actuellement Grand Cinemas. Créée en 2000 par le rachat d’anciens circuits, Grand Cinemas est la branche exploitation de la société de distribution Gulf Film créée en 1989(10). Elle introduit des innovations tels le billet électronique, une application mobile avec la programmation ou la technologie 3D RealD. La chaîne compte aujourd’hui une douzaine de multiplexes à Abu Dhabi, Sharjah, Dubaï, Ras al Khaima, et Al Ain. Ces cinémas étant en général situés dans des malls, les opérateurs des grands centres commerciaux de la région commencent également à s’impliquer dans le secteur tel Reel Cinemas au Dubaï Mall et au Dubaï Marina Mall. Dans les années à venir, ces exploitants comptent développer les marchés voisins : le Qatar, le Koweït et Oman. La chaîne omanaise Cinema City a ainsi actuellement 22 écrans répartis sur 7 cinémas. Dans le contexte d’une société conservatrice où l’alcool est interdit et les boîtes de nuit inexistantes, le cinéma est le choix de divertissement privilégié de la population. Selon un distributeur de la région, les Koweïtiens iraient au cinéma trois fois par semaine. Les cinémas ultra-modernes du Golfe proposent alors de faire de chaque séance une expérience unique. Sachant le public local friand de nouvelles technologies, ils offrent la 3D, la qualité THX sur son et de l’image, et bientôt la 4D. Il existe également des cinémas IMAX aux Émirats arabes unis, au Qatar, à Bahreïn et au Koweït. Les exploitants inventent aussi d’attrayantes formules VIP. Les Platinum Movie Suite de Reel Cinemas proposent des sièges inclinables en cuir souple, des oreillers et des couvertures, un service de restauration à la place. La chaîne Vox qui propose cinq types d’expériences VIP, avec salons privés, restauration et technologies 3D et 4D. Aller au cinéma dans les pays du Golfe est un divertissement attrayant mais coûteux, avec des billets de 6 à 24 euros. La croissance exponentielle du secteur de l’exploitation profite cependant principalement aux films hollywoodiens à gros budgets.
La croissance exponentielle du secteur de l’exploitation profite cependant principalement aux films hollywoodiens à gros budgets.Des films tels Avatar (2009) participent en effet du même esprit d’« expérience », au sens anglais du terme. Selon les distributeurs de la région, ce sont ainsi les films d’action et les films d’animation qui sont les plus plébiscités. Si les films américains attirent la clientèle des élites fortunés et des nombreux expatriés occidentaux, les films bollywoodiens trouvent un public chez les expatriés venus du continent asiatique qui fréquentent des cinémas souvent de seconde classe. Le développement du secteur de l’exploitation est bénéfique pour l’économie du pays, mais il fait en définitive peu de place aux films locaux. Un seul cinéma d’art et essai existe dans les Émirats arabes unis, le PictureHouse (Reel Cinemas) du Dubaï Mall.
Un des enjeux de la création d’industries nationales du cinéma dans le Golfe est donc de se défaire de cette dépendance au Nord.Un des enjeux de la création d’industries nationales du cinéma dans le Golfe est donc de se défaire de cette dépendance au Nord. Parallèlement à la création des festivals de cinéma, les EAU et le Qatar mettent donc en place à partir de 2009 des systèmes de soutien à la production : le MENA Grant programme du Doha Film Institute(11), le fonds de financement du festival d’Abu Dhabi (SANAD), la Shasha Grant de l’Abu Dhabi Film Commission ou encore le programme Enjaaz du Dubaï Film Festival. Ces bourses sont ouvertes aux réalisateurs, producteurs et scénariste locaux, mais plus généralement à tous ceux originaires du monde arabe. En termes de financement, il s’agit donc d’une logique plus régionale que nationale. Deux raisons peuvent être avancées : le fait qu’aucun pays individuellement ne peut fournir une production assez importante et le désir de créer des solidarités régionales.
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