Le groupe Cisneros (Organisation Cisneros) est l’un des quatre plus grands groupes médiatiques en Amérique latine. Créé au Venezuela dans les années 1960 par Diego Cisneros, sa gestion est aujourd'hui assurée par l’un de ses fils, Gustavo, un des hommes les plus riches de la région. L’activité principale du groupe est la production et la distribution audiovisuelle, à l’exemple des chaînes phares Venevision au Venezuela et Univision aux États-Unis. Possédant également un réseau de plus de 70 entreprises issues de différents secteurs, l’OC se décrit elle-même comme une « constellation » d’entreprises. À partir des années 1990, le groupe se réorganise autour d'une activité centrale, celle de l'entertainment . Il diversifie ses activités dans les différentes étapes de production d'un divertissement. Au cœur de cette machine à divertir : l'audiovisuel, et plus particulièrement la télévision.
Dans le secteur des médias dits « traditionnels », le groupe a investi les chaînes de télévision et de radio, ainsi que la production de contenus audiovisuels. Contrairement à d’autres groupes dominants dans la région, comme Globo (Brésil) ou Clarin (Argentine), le groupe Cisneros n’investit pas dans la presse écrite. En ce sens, sa trajectoire et sa stratégie se rapprochent plus de celle du groupe Televisa (Mexique) présidée par Emilio Azcarraga, avec qui d’ailleurs Cisneros entretient une longue relation soit de partenariat, soit de concurrence dans la conquête du marché hispanophone aux États-Unis. Le groupe possède aujourd’hui l’une des plus importantes chaînes de télévision du Venezuela, avec une part d’audience pouvant atteindre les 59 % pendant les heures de grande écoute. Venevision (VV) est créée suite à la faillite de la chaîne publique Canal 4, privatisée puis relancée en 1961 par Diego Cisneros, avec l’assistance technique et administrative de l’American Broadcasting Company (ABC)(2).
La chaîne construit son audience en adaptant sa programmation selon les préférences du public et les horaires d’écoute. Elle consacre une grande partie de ses programmes aux séries familiales, ce qui lui vaut rapidement la fidélité des téléspectateurs. Aujourd’hui, les telenovelas, les émissions de variétés et les journaux télévisés occupent de plus en plus une place de choix dans les horaires de prime time et atteignent des records d’audience.
Venevision Internacional est le point de départ du plus grand réseau de télévision de l'Amérique latine, et le fer de lance de la stratégie d'expansion internationale du groupe. La chaîne est aujourd'hui le plus grand producteur de contenus audiovisuels en espagnol de la région, et l’un des trois plus grands producteurs de telenovelas au monde avec Globo et Televisa. En 2005, Venevision établit son siège à Miami et se dote de nouveaux studios modernes. VV Internacional distribue par ailleurs ses produits en 20 langues à travers 104 pays.
VV Internacional possède aussi une branche consacrée à la production et la post-production de contenus pour les différents supports audiovisuels, avec une moyenne de 1400 heures de production propre par an, réalisées pour la plupart dans les locaux de Venevision Studios situés en Floride. Ces studios, d’une surface de 26 000 m², accueillent la production de films des filiales VV Productions, VV International Productions, et GenTV (Caracol Television aux États-Unis).
Fin 2009, VV est leader en terme d’audiences au Venezuela, selon l’entreprise de notation AGB Nielsen. La chaîne a ainsi le double de la part de Televen (14,42 %), sa plus proche concurrente. Toutes les autres chaînes de télévision en clair ont un share inférieur à 5 %. La position de leadership de VV dans le pays est principalement due au non-renouvellement de la licence de son concurrent historique RCTV par le gouvernement Chavez en 2007. Avant cette date, VV et RCTV se disputaient la première place, et capitalisaient chacune entre 30 et 35 % de parts d’audience. Trois ans après la sortie de RCTV, il est intéressant de remarquer que sa sortie n’a favorisé ni les chaînes publiques ni les chaînes privées restantes. En effet, ce qui peut être constaté en comparant l’évolution de l’audience des chaînes en clair et des chaînes payantes, c’est qu’à partir du retrait de RCTV en janvier 2007, l’audience des chaînes en clair diminue considérablement. Quelques mois plus tard, suite au lancement de RCTV Internacional sur le réseau payant de télévision, l’audience des chaînes payantes commence à augmenter progressivement, passant de 18,71 % en janvier 2007 à 26,22 % en décembre de la même année. En même temps, l’audience des chaînes privées en clair passe de 75,76 à 65,29 %. Après une période d’instabilité pendant la réadaptation des audiences au nouveau panorama télévisuel, il est possible de constater en 2010 que l’audience des chaînes payantes oscille de manière stable entre 60 et 63 % des parts de marché, tandis que celle des chaînes payantes se trouve dans une fourchette allant de 31 à 34 %. La sortie de RCTV, remplacée par une chaîne publique, TVES, n’a pas entraîné de transfert d’audience vers les chaînes appartenant à l’État : après une légère augmentation fin 2007, l’audience de ce type de chaînes a fini par se stabiliser en 2010 entre 4 et 6 %(3) .
L’OC est l’un des partenaires stratégiques de la chaîne américaine Univision, destinée spécifiquement à la population hispanophone des États-Unis. Univision est aujourd'hui leader du marché, avec ses trois réseaux Univision, Galavision et Telefutura.
La telenovela(8), adaptation latino-américaine du soap opéra, est le type d'émission produit par VV le plus vendu à l’international. Parmi les telenovelas vénézuéliennes, ce ne sont pas les productions de VV qui ont rencontré le plus grand succès, mais celles de son concurrent direct, RCTV (Radio Caracas Television). VV occupe cependant une solide deuxième place en matière de production et de diffusion, raflant à certains moments la première place à RCTV. L’entrée de VV sur la scène internationale se produit en 1971 avec « Esmeralda » (créée par la célèbre scénariste cubaine Delia Fiallo), considérée aujourd'hui comme l’une des premières telenovelas panrégionales. D’autres telenovelas de Venevision ont rencontré le succès telles que « La señorita Elena » (1975), « Ligia Elena » (1982), « Las Amazonas » (1985), « La Revancha » (1989), « Cara Sucia » (1992), « Kaina » (1995), « La mujer de mi vida » (1998, record d'audience aux États-Unis), « Cosita Rica » (2003). À la fin des années 1980, l'OC construit de nouveaux studios de production. Grâce à ces nouveaux moyens, VV arrive à produire plus de 10 000 heures de programmation annuelle, lesquelles sont distribuées dans plus de 30 pays.
Aujourd'hui, VV International exporte à destination d’une centaine de pays différents, parmi lesquels l’ensemble des pays d'Amérique latine, mais aussi la Turquie, la Hongrie, les Philippines, la Grèce, le Liban, l'Espagne, le Portugal, les États-Unis ou encore la Chine. Les telenovelas sont traduites en 34 langues différentes. L’épisode final d’« Eva Luna », diffusé le 12 avril 2011 sur Univision, atteint une audience de 9,7 millions de téléspectateurs selon Nielsen, soit un record historique d’audience aux États-Unis. Pourtant, au Venezuela, il est possible de dire que la telenovela vénézuélienne a traversé des moments difficiles : en juin 2010, aucune telenovela nationale n’était diffusée sur les chaînes de télévision locales. Parmi les explications avancées : la forte concurrence des productions colombiennes en plein boom, ainsi que la frilosité des producteurs vénézuéliens dans un contexte politique national difficile - des raisons qui conduisent à réaliser des projets moins risqués et moins modernes(9).
À partir des 1990, le groupe s’intéresse aux télécommunications et à la nouvelle technologie de la télévision numérique. L’objectif est d'atteindre le marché des 75 millions de foyers latino-américains grâce aux nouvelles possibilités techniques de diffusion. Plusieurs projets échouent, avant que l’un d’entre eux n’aboutisse en 1995 à la création de Galaxy Latin America, une organisation destinée à commercialiser la toute nouvelle marque de télévision satellite DirecTV dans 28 pays de la région. Plus de 500 millions de dollars sont investis pour créer la marque. Cisneros s'associe à Hughes Electronics en 1995, après plusieurs tentatives infructueuses de partenariat avec Globo et Televisa, ces derniers finissant par s'associer avec le concurrent direct de Hughes Electronics, Rupert Murdoch. Les deux entreprises de télévision par satellite Sky (Murdoch-Globo-Televisa) et DirecTV (Hughes-Cisneros) se livrent par la suite à une bataille acharnée pour attirer le plus grand nombre d'abonnés, afin d'amortir les coûts importants d'investissement initial. Après des débuts difficiles - en raison notamment des stratégies marketing inadaptées pour la cible des foyers latino-américains -, les deux fournisseurs de télévision satellite atteignent les 600 000 abonnés en 1999. DirecTV a cependant de nombreuses difficultés financières au début des années 2000.
Lassé de cette concurrence, Cisneros tente de mettre en place une plateforme unique de télévision numérique pour l'Amérique latine en s’associant à Murdoch. En 2004, cette plateforme devient réalité avec le rachat par Rupert Murdoch de Hughes Electronics, propriétaire à 60 % de DirecTV Latin America. Les deux entreprises fusionnent progressivement, tout en gardant leur identité de marque selon les pays. En 2011, Sky déclare plus de 10 millions d’abonnés, tandis que DirecTV fait état de plus de 28 millions d’abonnés répartis comme suit : plus de 9 millions en Amérique latine et environ 19 millions aux États-Unis. Cisneros investit par ailleurs dans plusieurs chaînes thématiques comme Playboy TV Internacional, et dans d’autres entreprises de taille moyenne dans le secteur de la télévision par satellite en Argentine et au Brésil.
Le deuxième grand chantier de l'OC est Internet. En 1998, le groupe s'allie à American On Line (AOL) pour la création d’AOL Latin America, qui deviendra l’un des principaux fournisseurs d'Internet (FAI) et de services associés en Amérique latine. Elle est présente au Venezuela, au Brésil, au Mexique, en Argentine et à Porto Rico. L’entreprise souffre cependant des effets de l'éclatement de la bulle Internet. Fusionnant avec Time Warner, AOL ne se remet pas complètement de la crise. Après 1,4 millions d’abonnés en 2002, AOL Latin America ne compte plus que 400 000 clients en mars 2005, année où la filiale se déclare en faillite.
Depuis 2000, Cisneros a également une participation dans l’entreprise Ibero-American Media Partners (IAMP), une compagnie ibéro-américaine de médias et d’entertainment. La fusion d’IAMP avec le site argentin El Sitio, afin de former Claxson Interactive Group, permet de constituer un portefeuille intéressant dans le secteur des médias hispanophones et portugais (radio, télévision, Internet). Cisneros est aussi présent jusqu’en 2004 dans le secteur de la téléphonie mobile, avec 21,4 % de participation dans TelCel, entreprise leader du marché au Venezuéla, avant de revendre ses actions à l’opérateur américain Bellsouth.
D'autres entreprises, appartenant à des secteurs très différents, font aussi partie de l'OC car rattachées aux activités du groupe au Venezuela. Les deux logiques principales qui conduisent le groupe à acheter ou vendre une entreprise sont celles de l'intégration verticale et de l'entertainment.
Le meilleur exemple de cette stratégie est celui du concours de beauté Miss Venezuela, dont les droits ont été acquis par le groupe en 1981. Ce show, d'une durée de 4 heures, est diffusé à travers 100 pays, notamment sur les chaînes de télévision du groupe. L’évènement attire de nombreux annonceurs qui cherchent à faire connaître le Venezuela au niveau mondial, et la publicité ainsi générée permet de dépasser aisément le budget de production du programme (environ 4 millions de dollars). Les produits du groupe Cisneros occupent aussi une place importante dans la publicité diffusée pendant le concours. D'autres entreprises du groupe participent à l’opération à travers leur offre de produits et services complémentaires : les agences de SAECA assurent la gestion des voyages des participants au concours, tandis que les laboratoires FISA fournissent les miss en produits cosmétiques. Les Miss vénézuéliennes ont remporté au moins soixante-dix titres de beauté mondiaux, dont 4 Miss Univers, 6 Miss Monde et 3 Miss Internationale. Le succès du concours a été si important que le groupe Cisneros a aussi investi dans l'organisation de Mister Venezuela.Un deuxième exemple de synergie dans le domaine de l'entertainment est l'acquisition par le groupe Cisneros de l'équipe de baseball locale des Leones de Caracas, dont les matchs sont aussi diffusés sur les chaînes de télévision du groupe. L'OC fournit aussi du matériel sportif grâce à SBS Sports Business SA, tandis que la Cerveceria Regional assure la vente de bières dans tout le pays.
Aujourd’hui le groupe possède aussi une série de filiales destinées aux activités de gestion et de management de marques et de produits comme BSP Soluciones integradas, ou encore de vente comme Summa Sistemas (caisses enregistreuses pour grandes surfaces et supermarchés).
À partir de 1970, Gustavo Cisneros et ses frères commencent à s’impliquer dans la gestion des affaires de leur père. Gustavo s’impose rapidement comme le leader de la famille et du groupe. La stratégie passe alors par plusieurs étapes distinctes. Alors que les années 1970 sont celles de la structuration du groupe et de son expansion nationale, les années 1980 vont être l’occasion de nouvelles opportunités à l’international. Pendant cette période d’expansion, le groupe se développe en achetant et revendant des entreprises, essentiellement dans le secteur des biens de consommation de masse et de la grande distribution(10). Le bilan des années 1980 met pourtant en évidence de grandes difficultés pour le groupe. Les conditions économiques sont très difficiles au Venezuela : spirale d’inflation et de dévaluation, chute des prix du pétrole, application des programmes d’ajustement structurel du Fonds Monétaire International. Ce contexte économique a un impact direct sur les importations et les exportations du groupe. Pendant le Caracazo de 1989 (la grande vague de manifestations et de protestations suite aux mesures d’austérité du gouvernement Perez), plusieurs supermarchés de la chaîne CADA, appartenant à Cisneros, sont pillés et souffrent de nombreux dégâts(11).
Suite au Caracazo, Cisneros change drastiquement de stratégie(12). Il réduit graduellement ses opérations au Venezuela, et cherche à développer au maximum les activités du groupe à l’étranger. Il se débarrasse des secteurs vulnérables comme les supermarchés, les grands magasins et les produits de consommation massive, ce qui implique un virage à 360 degrés.
L’idée centrale de la nouvelle stratégie mise en place par Cisneros pendant les années 1990 est d’investir dans le secteur des télécommunications, des médias et de l’entertainment pour garantir la croissance du groupe. Un vrai travail de fond est réalisé par le président du groupe et ses collaborateurs pour développer le concept d’entertainment, avant la première grande restructuration du groupe en 1990 : télévision, cinéma, théâtre, spectacles, mais aussi boissons et produits dérivés associés au loisir, entrent dans la nouvelle sphère d’investissement potentielle de l’OC. Ce concept, qui a effectivement permis l’expansion internationale de Cisneros, guide encore aujourd’hui la stratégie du groupe aujourd’hui.
Les rapports entre la famille Cisneros et la politique ont toujours été ambigus. Diego Cisneros était déjà très proche de la sphère politique, et disposait d’un réseau de relations parmi lesquelles le célèbre Romulo Betancourt (ancien président du Venezuela). C’est en partie grâce à cette amitié que Diego Cisneros réussit à obtenir la gestion de la chaîne 4, alors publique en 1961(13).
Gustavo Cisneros subit une première série de critiques dans les années 1970, en plein boom pétrolier, lorsqu’il tente d’investir dans des entreprises pétrochimiques publiques (projet Pentacom)(14), en accord avec le président Carlos Andrés Pérez. Suite à l’agitation politique déclenchée par cette initiative, le projet échoue. Le scandale affecte durablement l’image des Cisneros, l’opinion publique percevant dorénavant la famille comme ayant des liens trop étroits avec la politique. Cette perception du public est par la suite renforcée en 1994, lorsque l’État intervient auprès de la Banque Latine en raison d’un manque de liquidités, alors que Ricardo Cisneros est actionnaire et l’un des directeurs de la banque(15).
Mais c’est à partir de la tentative de coup d’État contre le président Carlos Andrés Pérez en 1992 que les liens entre Cisneros et la politique se resserrent. Pendant la nuit qui suit la prise de pouvoir du pays par Hugo Chavez, Carlos Andrés Pérez se réfugie dans les studios de VV et réalise une allocution nationale diffusée sur la chaîne, dont le message se veut rassurant(16). Une fois la crise résolue et Carlos Andrés Pérez revenu au pouvoir, le groupe explique cette action par la volonté de mettre les caméras de VV au service de la démocratie vénézuélienne.
Lorsqu’Hugo Chavez devient président en 1998, Cisneros fait partie du groupe d’opposition, composé par les élites du pays, qui dénonce de manière virulente les décisions de Chavez et craint sa politique de nationalisation. Le rôle joué par Cisneros pendant la tentative de coup d’État de 2002 contre Hugo Chavez reste encore flou, les rumeurs étant nombreuses sur la participation des entrepreneurs des médias dans la préparation de l’opération(17). Une fois revenu au pouvoir, le président cherche néanmoins à contrer le plus rapidement possible l’influence des grands groupes médiatiques et des principales chaînes de télévision, en commençant par RCTV, VV et Globovision, qu’il accuse avoir été à l’origine de la tentative de coup d’État(18). Cette lutte acharnée qui oppose gouvernement et médias atteint son paroxysme pendant la campagne du référendum populaire pour la destitution de Chavez en 2004. Les médias les plus importants, qui militent pour le oui, deviennent la cible habituelle de Chavez pendant ses allocutions présidentielles télévisées, et le risque de censure de ces médias d’opposition devient palpable, comme le souligne le rapport de Reporters sans Frontières de 2003-2004(19).
Un événement inhabituel se produit peu de mois avant le référendum. Une réunion entre Gustavo Cisneros et Hugo Chavez est organisée avec Jimmy Carter comme médiateur, le 18 juin 2004 à la base militaire Fuerte Tiuna, à Caracas. Lors de cette réunion Cisneros affirme avoir cherché un point d’entente avec le président Chavez, afin de garantir la bonne tenue du référendum, des conditions de couverture égalitaire du processus de vote de la part des médias, et à pacifier les relations très tendues avec ceux-ci. Cisneros a gardé le silence pendant longtemps sur cette rencontre, mais finit par développer en 2007 dans un long communiqué de presse, puis à travers une allocution diffusée à l’antenne de Venevision, le détail de son entrevue avec Hugo Chavez. Mais ceci n’atténue pas les fortes critiques à son égard, autant de la part de l’opposition que de la part des chavistes, les deux parties accusant Cisneros d’opportunisme et d’avoir signé un « pacte secret » avec Chavez pour que celui-ci n’entrave pas les activités de Venevision. Le président de RCTV, Marcel Granier, accuse même Chavez de vouloir « en finir avec RCTV au profit de Cisneros ».
Quoiqu’il en soit, force est de constater aujourd’hui que VV reste la seule chaîne importante à ne pas être affectée directement par la série de mesures coercitives envers les médias, mises en place par le gouvernement de Chavez, alors que le renouvellement de la licence de RCTV, principale chaîne de télévision du pays, a été refusé en 2007, et que le gouvernement a racheté 40 % des actions de la chaîne Globovision. D’autres critiques, qui soutiennent la position selon laquelle Chavez et Cisneros se seraient mis d’accord sur une sorte de pacte de non-agression, affirment également que le ton de la chaîne s’est « radouci », la programmation s’étant davantage orientée vers le divertissement et diffusant moins d’information depuis 2004. Il est cependant important de nuancer la position avantageuse de Cisneros aujourd’hui, car la licence de VV n’a été renouvelée que pour 5 ans, alors que le groupe avait demandé une prorogation pour 25 ans. Ceci suggère que, si VV semble disposer d’une position plus confortable que ses concurrents dans le climat politique très tendu du Venezuela, ces avantages ne seraient que précaires et temporaires.
Gustavo Cisneros a figuré a plusieurs reprises dans la liste des entrepreneurs les plus riches du monde selon le magazine Forbes. En 2007, sa fortune était évaluée à 4,6 milliards de dollars (rang 201 de la liste Forbes en 2010). Il est ainsi considéré comme l’un des seuls entrepreneurs vénézuéliens ayant eu du succès à l’international. Dans sa biographie, Gustavo Cisneros, Empresario Global de Pablo Bachelet, publiée en 2005, son parcours est raconté sous la forme d’une success story. S’inspirant du modèle des businessmen américains, Cisneros a développé une série d’activités de bienfaisance depuis les années 1980. La Fondation Cisneros, créée en 1968 et gérée aujourd’hui par Patricia Phelps de Cisneros, femme de Gustavo, permet de coordonner les différentes actions sociales du groupe. Le programme « Acude », dont le but était de contribuer à l’éradication de l’analphabétisme au Venezuela, a concerné 150 000 personnes par an pendant la période de 1984-1994, grâce aux apports de 557 partenaires financiers du secteur public et privé et plus de 100 000 volontaires. La chaîne de télévision éducative Clase, a été lancée en 1996 via le réseau satellite du groupe, afin de proposer des émissions associant éducation et entertainment. Cette chaîne peut
être vue aujourd’hui dans dix pays d’Amérique latine. Finalement, le programme AME, est un exemple de programme social lancé par le groupe en 1998 dans sept pays et 150 écoles, évalué par l’UNESCO. Cette émission, accessible via la télévision câblée, est destinée aux enseignants de l’éducation primaire et secondaire, afin de leur donner des outils pour améliorer leurs activités pédagogiques. Le programme pilote a concerné environ 1500 instituteurs. D’autre part, Patricia Phelps de Cisneros est la directrice d’une importante collection d’art latino-américain, dont fait partie le projet Orinoco, qui réunit plus de 350 objets ayant appartenu aux ethnies de l’Orénoque.
Des opérations menées par l’OC, comme celle du « Golpe del Cisne » en 1996, sont aujourd’hui étudiées comme des modèles de gestion réussie de la stratégie d’une entreprise. Pendant six ans, Cisneros a soigneusement et secrètement planifié une opération pour s’allier avec Panamco (représentant de la marque Coca-Cola) et mettre fin à son contrat avec Pepsi. Grâce à la mise à disposition de l’intégralité du réseau d’embouteillage et de distribution de Cisneros, Coca-Cola a ainsi couvert du jour au lendemain 16 % à 85 % du marché national. Cette opération permet cependant de comprendre toute l’ambiguïté de l’image de ce leader et de son groupe, « que tout le monde adore détester ». La rupture secrète du contrat avec Pepsi Cola, qui avait été signé en 1940, a été perçue par une partie de la population vénézuélienne comme une trahison, Cisneros et Pepsi ayant été partenaires commerciaux depuis plus de quarante ans. La proximité de Cisneros, non seulement avec les milieux d’affaires et politiques du Venezuela, mais aussi des États-Unis viennent alimenter les critiques. Le groupe Cisneros est aussi la cible de ceux qui défendent la nécessité de décloisonner et de déconcentrer les médias en Amérique latine.
Malgré ces difficultés, le groupe Cisneros est aujourd’hui confortablement installé sur le marché international. Cisneros a ainsi désigné en 2009 Adriana Cisneros, sa fille cadette, comme son futur successeur, perpétuant la tradition de cette multinationale familiale. Adriana est aujourd’hui directrice de la stratégie et vice-présidente du groupe. Sa stratégie de promotion d’émissions de télévision est considérée comme celle qui a conduit au succès de la telenovela Eva Luna aux États-Unis. Accompagnée par ses deux frères aînés dans une gestion en plein développement, comme l’illustre la création de nouveaux contenus audiovisuels pour la téléphonie mobile, la fille de Cisneros semble vouloir perpétuer le succès du groupe Cisneros à l’international.
Le groupe Cisneros ne publie pas de rapports annuels, ni global ni pour ses filiales.
Pablo BACHELET, Gustavo Cisneros : un empresario global, Barcelona, Planeta, 2004
Daniel MATO, Telenovelas: Transnacionalización de la industria y transformaciones del género, México, Grijalbo, 1999
Carolina ACOSTA-ALZURU, Ha muerto la telenovela venezolana ?
Mark WEISBROT, Marta RUTTENBERG Marta, Venezuela : quién domina los medios de comunicacion ?, Center for economic and political resarch, Informe tematico, Diciembre 2010
Site du groupe Cisneros : www.cisneros.com
Site de la chaine Venevision : www.venevision.net
Site de l’agence de mesure d’audiences AGB Nielsen : www.agbnielsen.com.ve
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Crédits photos et illustrations :
- Image principale : capture d'écran de la homepage du site Cisneros
- Capture d'écran constellation des entreprise de l'organisation Cisneros. Source site Cisneros.com.
- Logo de Venevision.
- Logo de Venevision International.
- Logo de la chaîne Univision.
- Don Francisco, présentateur du show « Sabado Gigante ». Source Univision.
- Capture d'écran des personnages principaux de la telenovela « Esmeralda ». Source I love Telenovelas.
- Logo de Sky.
- Logo DirecTV.
- Logo des Lenoes de Caracas. Source Cisneros.com.
- Logo de la Fondation Cisneros.
- Logo de la chaîne Cl@se.
Voir à ce sujet les différentes allocutions présidentielles de Chavez dans son émission « Alo Presidente », dont notamment celle du 10 janvier 2003 où il affirme que Cisneros est « un fasciste et un conspirateur » (un fascista y un golpista). Voir aussi le site du Ministère des Technologies de l’Information et de la Communication.
[Infographie] À quelques jours du 1er tour de l’élection présidentielle, les candidats ont achevé l’élaboration de leur programme. Voici la synthèse des sujets sur lesquels ils ont pris position (ou pas) concernant le numérique, les médias et les industries culturelles.