Clarín vs. loi sur les médias argentins : un feuilleton sans fin ?

Clarín vs. loi sur les médias argentins : un feuilleton sans fin ?

ACTUALITÉ] Contre toute attente, la justice argentine a levé l'ultimatum du 7 décembre 2012, qui prévoyait l'alignement du groupe réfractaire Clarín sur la loi sur les médias votée en 2009. Reculer pour mieux frapper ?
Temps de lecture : 3 min

Pour le gouvernement argentin, plus rien ne pouvait empêcher le couperet de tomber et de trancher enfin la tête – comprendre « une bonne partie des actifs » – de son adversaire historique, le groupe Clarín. Le 22 mai 2012, la Cour de justice argentine avait fixé au 7 décembre 2012 l'ultimatum pour l'alignement de ce dernier grand réfractaire sur l'article 161 de la nouvelle loi sur les services de communication audiovisuelle, votée en 2009. Saluée au niveau international pour son effort de démocratisation des médias, et ce malgré ses nombreuses imperfections, la loi 26.522 pose, dans ce paragraphe, les principes d'un large processus de déconcentration. Depuis l'adoption du texte par le Congrès, le 10 octobre 2009, Clarín dénonce un article rédigé sur mesure par les soutiens de la présidente Cristina Kirchner pour démanteler la première voix d'opposition du pays.

Depuis l'annonce de la date butoir du 7 décembre, très vite figée sous le sigle 7D, marque de son importance cruciale, Clarín et le gouvernement se sont lancés dans une bataille sur-médiatisée, multipliant déclarations officielles et rivalisant de spots publicitaires, chacun s'efforçant de convaincre l'opinion publique de la justesse de sa cause. Le pouvoir politique se place en grand défenseur moral, rattachant la lettre D de décembre aux principes de « Démocratisation » et de « Diversité », les deux grands objectifs de la loi dans le discours officiel. Clarín, qui représente encore, à l'heure actuelle, 240 systèmes câblés, 9 radios AM, 1 radio FM et 4 canaux de TV ouverte, alors que le nouveau cadre légal fixe les limites à 24 licences de TV par câble et 10 licences « ouvertes »(1), est présenté comme le grand hors-la-loi.



Spot publicitaire du gouvernement diffusé sur TV Pública Argentina

De son côté, le géant Clarín a choisi de prendre le téléspectateur par les sentiments, en annonçant notamment que les programmes télévisés les plus populaires(2) sont menacés de disparition par l'opération de nationalisation et de confiscation déguisée menée par les pouvoirs publics. Dans son spot publicitaire, diffusé à longueur de journée sur ses nombreuses chaînes depuis juin 2012, Clarín donne tout pouvoir au lecteur-téléspectateur-consommateur : si le public souhaite voir diminuer la présence de Clarín dans le paysage médiatique, nul besoin de loi pour gérer son éviction. Tout un chacun est libre d'arrêter d'acheter les journaux portant la marque du groupe, de visionner ses programmes ou de choisir un autre opérateur que le tout-puissant Cablevisión-Fibertel, également dans l'escarcelle de Clarín.



Spot publicitaire du groupe Clarín

Pour échapper à la restriction de ses actifs, Clarín a joué la carte de l'inconstitutionnalité sur les articles 45 et 161 de la loi sur les médias(3), sans que personne ne croit à l'efficacité de cette arme. Suite à de nombreuses suspicions de corruption touchant les juges chargés de juger la question de la constitutionnalité des articles en question, donnant lieu à des scandales en chaîne depuis le mois de septembre, la date fatidique du 7 décembre, annoncée comme une petite fin du monde pour Clarín, a finalement fait un bruit de pétard mouillé : le 6 décembre, en fin de journée, la Chambre des affaires civiles et commerciales de la Cour de justice argentine a annoncé à la Casa Rosada(4) qu'il ne serait pas possible d'initier, dès le lendemain, le processus d'obligation de vente des licences « en surplus » auprès du groupe contesté, faute d'avoir émis un avis définitif sur les articles 45 et 161.

Le gouvernement aura dû patienter une semaine supplémentaire pour obtenir enfin satisfaction : le vendredi 14 décembre 2012, le juge Horacio Alfonso déclarait les articles mis en cause comme absolument conformes aux lignes de la Constitution de la nation argentine, et donnait ainsi le feu vert aux équipes de Cristina Kirchner pour initier d'eux-mêmes l'opération de mise à disposition d'un certain nombre de licences accaparées par Clarín. Dès le lundi suivant, Martin Sabbatella, le responsable de l'Autorité fédérale des services de communication audiovisuelle, l'Afsca, créée elle-même par la loi 26.522, intervenait au siège même du groupe mis au pied du mur, asseyant la liberté de manœuvre des pouvoirs publics, et annonçant une guerre finale de 100 jours au terme de laquelle la taille du groupe Clarín aurait été réadaptée au cadre de la loi. Tenaces, les dirigeants du groupe ont choisi de déposer un recours auprès du juge Alfonso, dénonçant des « erreurs de style » dans la mise à exécution de la « sentence ».  Le quotidien La Nación a assuré, sur son site, un suivi très détaillé du déploiement des soldats des deux camps, durant ce mois de décembre particulièrement agité.

À la surprise générale, les griefs formulés par Clarín ont conduit à un nouveau rebondissement, le juge Alfonso annonçant, dès le 18 décembre, la suspension de son jugement, estimant l'intervention trop directe des pouvoirs publics au sein d'une structure privée comme étant légalement et moralement « peu acceptable ». La justice souhaite s'assurer de proposer une solution « utile, opportune et efficace » et laisse donc, pour le moment, le flou le plus total sur l'issue d'un interminable bras de fer.

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Crédit photo :

Vue sur la coupole du Congrès national, Buenos Aires - ©Kévin Picciau

(1)

Qui incluent les fréquences de radio AM et FM, ainsi que les canaux de télévision ouverte. 

(2)

À l'image de Bailando por un sueño, présenté par Marcelo Tinelli sur la chaîne El trece, propriété du groupe et habituée des records d'audience. 

(3)

Les deux paragraphes de lutte contre la concentration des groupes de média dans la loi. 

(4)

Le palais présidentiel argentin. 

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