L'application Clubhouse

L'application Clubhouse a été lancée en France en février dernier.

© Crédits photo : La Revue des médias.

Comment les journalistes essaient de trouver leur voix sur Clubhouse

Lancé en mars 2020 aux États-Unis et arrivé en février dernier en France, Clubhouse est un réseau social audio où discutent politiques, entrepreneurs et autres curieux. Certains journalistes s’y sont mis aussi, trouvant là une nouvelle manière de traiter l’actualité.

Temps de lecture : 5 min

« On a l’impression de participer à un talk-show, mais dans une version beaucoup plus ouverte et plus simple. Il y a un côté très démocratique : des gens qui sont simplement téléspectateurs peuvent donner leur avis. » Thomas Isle, animateur sur France 5, décrit ainsi ses premières rooms (salons de discussion audio) sur Clubhouse. Comme beaucoup d’autres personnalités des médias, le journaliste a rejoint cette application il y a quelques semaines.

Le réseau social, consacré aux conversations vocales en direct, abrite ainsi les tâtonnements de nombreux journalistes français, qui expérimentent de nouveaux formats autour de l’information. Ils peuvent constituer des salons audios pour interviewer une personnalité, débattre d’un thème d’actualité, proposer une revue de presse… et chaque utilisateur de Clubhouse est libre de les écouter ou de « lever la main » pour intervenir.

« On peut organiser des émissions de radio en deux temps trois mouvements, c’est fabuleux, s’enthousiasme Jérôme Colombain, journaliste spécialisé dans la tech à Franceinfo. Bien sûr, l’audience est incomparable avec la radio, mais ça permet de tenter des choses et de s’exprimer très librement. »

« Je peux à la fois être journaliste et être Myriam »

Le format permet par ailleurs de discuter des coulisses du métier de journaliste, répondre aux questions des auditeurs sur la fabrique de l’information, s’interroger ensemble sur les médias, interagir avec les spectateurs après une émission... Isabelle Layer, journaliste culturelle, a par exemple participé à une room pour aider les artistes à mieux se présenter aux médias.

Certains utilisateurs, d’une génération qui n’a pas grandi avec l’émergence des réseaux sociaux, saluent la simplicité de Clubhouse. Myriam Bounafaa, présentatrice sur la chaîne télévisée Franceinfo, a « tout de suite adhéré » à la spontanéité de l’application basée sur la voix. Elle organise à présent des rooms sur l’actualité, sous forme de débats ou d’interviews. « C’est mon travail de journaliste de faire de la pédagogie, et de parler à tout le monde, ce que la télévision ne fait plus. » La journaliste espère ainsi atteindre un nouveau public, en particulier les jeunes. Samira Ibrahim, présentatrice au sein du groupe France Médias Monde et sur RMC Story, complète : « Aujourd’hui, les gens demandent aussi à avoir la parole, à être acteurs de l’information et plus uniquement spectateurs. »

L'une des rooms présentées par Myriam Bounafaa
L'une des rooms présentées par Myriam Bounafaa. Capture d'écran Clubhouse.

Mais pour Myriam Bounafaa, l’approche de l’actualité reste très différente de celle proposée dans les médias traditionnels. « J’ai accroché à Clubhouse parce que je peux à la fois être journaliste et être Myriam. On peut humaniser sa pensée, raconter des anecdotes, ce que je ne pourrais pas faire sur Franceinfo. » Elle considère donc l’application comme un « laboratoire » où elle peut essayer sans investissements de nouveaux formats, à reprendre éventuellement sur sa chaîne plus tard.

Un tremplin professionnel

Laura Nardelli voit quant à elle dans ces discussions une véritable opportunité professionnelle. Très active sur l’application, elle y trouve « un format plus interactif, entre la radio libre et le podcast. Ça a été un vrai tremplin pour mon travail. » Laura Nardelli anime ainsi plusieurs rooms par semaine, dont une consacrée aux étudiants, en partenariat avec 20 Minutes.

Clubhouse lui a par ailleurs donné l’occasion de discuter avec François Sorel, présentateur de Tech&Co sur BFMTV. Le journaliste voit la plateforme comme une manière de prolonger son travail : « Clubhouse est un vivier formidable pour détecter des talents. Par exemple, après nos échanges, j’ai invité Laura Nardelli dans mon émission pour nous expliquer l’application. » Tous les jeudis à 22 heures, François Sorel propose sur Clubhouse « L’after Tech&Co », où il poursuit les débats entamés pendant la semaine dans son émission quotidienne. « Ça peut ramener de nouveaux spectateurs qui nous découvrent sur Clubhouse, ou fidéliser ceux qui nous suivent déjà en partageant un côté "off". J’adore l’interactivité et les débats y sont moins impulsifs que sur Twitter. » De son côté, Franceinfo a organisé une room pour débattre avec des spécialistes de son enquête sur les laboratoires de Wuhan.

Trouver de nouvelles idées

Plusieurs journalistes soulignent aussi le temps offert par la plateforme pour développer davantage leurs angles ou leurs interviews, ce que les tranches horaires en radio ou en télévision ne leur permettent pas toujours. « C’est libérateur de sortir des chiffres, de l’audience, je me reconnecte à ce que j’aime faire et ça booste ma créativité », fait valoir Samira Ibrahim, qui a créé deux clubs sur Clubhouse (des groupes pour organiser des rooms régulières sur un sujet spécifique), proposant des portraits de personnalités inspirantes et des discussions sur le surnaturel.

Pour d’autres, comme Myriam Levain, cofondatrice du magazine féministe en ligne Cheek, Clubhouse pourrait être l’occasion d’entendre des voix qu’on entend peu dans les médias. « Par exemple, les rooms au sujet de la diversité ou du racisme nous permettent d’avoir accès à des témoignages intimistes. » Plusieurs journalistes rapportent ainsi avoir trouvé des idées de contacts ou d’angles au fil des conversations sur l’application.

Des interlocuteurs difficiles à identifier

Myriam Levain s’interroge tout de même sur l’intérêt de certaines rooms : « La qualité est très variable. Être journaliste ou animateur, c’est un métier ; sur l’application, ça manque parfois de professionnalisme. »

Des acteurs éloignés de l'information s’emparent d’ailleurs parfois des codes journalistiques. L’une des rooms d'actualité les plus populaires de Clubhouse n’est pas organisée par un média, mais bien par une marque, Feed, spécialisée dans les boissons et barres-repas. Du lundi au vendredi, l’animateur du Feed Club lance : « Bonjour à tous, je m’appelle Vincent, je suis journaliste, et voici les thèmes d’actualité aujourd’hui, n’hésitez pas à intervenir. » Vincent Imbert est en réalité étudiant en journalisme, stagiaire pendant six mois pour la marque, dont les produits ne sont jamais mentionnés lorsqu’il est on stage (c’est-à-dire au micro d’une room), deux heures par jour.

Une room du Feed Club
L'une des rooms du Feed Club. Capture d'écran : Maya Elboudrari.

« Je suis arrivé avec mon bagage de radio, et je me suis vite rendu compte que même si c’était un média de son, ça n’avait rien à voir. Il me faut beaucoup plus de préparation pour trouver des angles qui soient à la fois informatifs et propices au débat », explique l’étudiant, le premier journaliste à être payé pour travailler sur le Clubhouse francophone. Campagne de vaccination, élections régionales, affaire Sarah Halimi… Tous les débats sont ouverts, avec parfois quelques accrocs. Malgré des relations « beaucoup plus familières qu’à la radio », Vincent veut garantir «qu’il n’y ait aucune fausse information dans [sa] room ».

Pas suffisant pour contenir les critiques et empêcher, dès les premières semaines, un site satirique appelé Beed de reprendre les codes de la marque, pour parodier « les experts en tout et en rien à la fois ». Sur Clubhouse, certains utilisateurs se présentent en effet comme des experts du sanitaire, des thérapeutes... Des élus locaux interviennent dans des débats politiques sans que l’on ne sache toujours à quel parti ils appartiennent. Il n’est pas toujours évident, pour les journalistes ou les modérateurs, de vérifier ces profils en amont ; de quoi susciter une méfiance chez une partie d’entre eux à l’écoute des conversations.

Simple effet de mode ?

Autre écueil : entre les communicants, les entrepreneurs, les politiques, les journalistes ou les étudiants, les profils qu’on croise sur Clubhouse se suivent et se ressemblent. Ils reflètent un certain entre-soi, encore loin du grand public. L’application, qui est accessible uniquement sur iPhone et sur invitation d’un utilisateur, fonctionne en effet sur la cooptation. Et l’audience des rooms francophones, aussi généralistes soient-elles, dépasse rarement les quelque cent ou deux cents personnes en même temps. Un obstacle pour les journalistes qui veulent élargir leur public.

Tous s’accordent enfin pour trouver l’application chronophage, et certains notent qu’elle « s’essouffle un peu ». Les téléchargements diminuent déjà, et les concurrents comme Twitter, LinkedIn ou Facebook développent progressivement leurs propres options de discussion audio. Bientôt disponible sur Android, Clubhouse en attend un nouvel élan. « Il faut surveiller ce que font les autres réseaux, voir si Clubhouse va rester la référence, ou si elle va se faire étouffer », conclut François Sorel.

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