Comment la démocratie a permis le développement des médias taïwanais

Comment la démocratie a permis le développement des médias taïwanais

À Taïwan, la libéralisation du régime, couplée à l’essor économique de l’île, a dynamisé le secteur des médias.

Temps de lecture : 15 min

 

Taïwan est une île située au sud-est de la Chine continentale, longtemps connue en français sous le nom de Formose. Avec une population de près de 23,5 millions en 2016 le pays détient l’une des plus fortes densités du monde. Officiellement « République de Chine », elle est passée de la dictature du Kuomingtang (KMT, parti nationaliste)(1) à un système pluripartiste (KMT et parti démocrate, Democratic Progressive Party (DPP), à partir de la fin des années 1970, avec une progressive libéralisation sous la houlette du président Chiang Ching-kuo (fils du président Chiang Kai-Shek qui y avait émigré en 1945). La première élection présidentielle directe s’est tenue en 1996.
 
Le mandarin est la langue officielle, le taïwanais et le dialecte hakka sont des langues minoritaires. L’usage de l’anglais est largement répandu en particulier dans les grandes villes ou se concentre près de la moitié de la population ce qui se traduit par l’existence de titres de presse importants en anglais.
 
Taïwan a connu un fort développement à la fin du siècle dernier, avec des taux de croissance de 8,2 % dans les années 1980 et de 6,5 % la décennie suivante, se faisant connaître comme l’un des nouveaux pays industrialisés, l’un des quatre « tigres asiatiques » (avec la Corée du Sud, Hong Kong et Singapour), caractérisée par une stratégie industrielle fondée sur les exportations(2). Taïwan est l’une des économies les plus riches d’Asie, la cinquième de la région, la quatorzième sur le plan mondial. Le PNB est équivalent à celui de l’Espagne.
 
Le pays a pris le tournant de la high-tech dès les années 90, devenant un acteur important du secteur des technologies de l’information (ordinateurs, terminaux téléphoniques, semi-conducteurs et opto-électronique), jouant un rôle clé au sein des réseaux globaux de de production et d’innovation,  et servant notamment d’intermédiaire entre les États-Unis et la Chine. Les acteurs taïwanais ont créé le rôle de fabricant d'équipement d'origine(3), ou d’ « Original Design Manufacturing » (ODM)(4), partenaires de marques connues telles Apple, HP, and Dell(5). L’illustration la plus connue étant le rôle de Taïwan dans la conception et la fabrication des iPhones. « No Jobs, no jobs » était une plaisanterie qui circulait parmi les entreprises de TIC taïwanaises, Toutefois, certaines marques taïwanaises comme Acer (créée en 1976), Asus (créée en 1989), ou HTC (créée en 1997) ont aussi acquis une notoriété internationale.
 
Les pouvoirs publics sont fortement intervenus dans le cadre de politiques industrielles dont le développement de parcs scientifiques tels que le Hsinchu Science Park, devenu le centre de gravité du secteur des TIC. Les centres de recherche publique tels que l’Industrial Technology Research Institute (ITRI) et l’Institute for Information Industry (III) ont fortement contribué à ces politiques.

Un cadre législatif libéralisé

La télévision publique, la Broadcasting Corporation of China (BCC), fondée en 1947, a été remplacée, à la suite de la loi de janvier 1998, par le Central Broadcasting System (CBS). La radiodiffusion, y compris privée, a connu une vive croissance à la suite de la libéralisation et de la mise à disposition de lots de fréquences, par le gouvernement, entre 1993 et 2000. La télévision publique a été réorganisée à partir des dispositions de la loi de mai 1997. En 2003, une réforme des médias a été conduite pour accroitre leur indépendance et réduire les interférences des pouvoirs publics (« Regulation to Remove Political Parties from the Media »). En 2006, les télévisions publiques ont été regoupées au sein du Taïwan Broadcasting, soit PTS, CTS, Taïwan Indigenous Television (TITV), Hakka TV et l’entité chargé de la production et la distribution de films en chinois à l’étranger, Taïwan Macroview TV. Ces différentes entités doivent s’occuper des audiences négligées par la télévision commerciales, dont les groupes minoritaires, les jeunes et les personnes âgées.
 

 
 
La radiodiffusion et la distribution par satellite relèvent respectivement du Radio and Television Act (adopté en 1976) et du Satellite Broadcasting Act (1999) . Le développement de réseaux de distribution par câble illégaux, qui détournaient les ressources publicitaires de la radiodiffusion légale, a conduit le gouvernement à adopter le Cable Radio and Television Act, en 1993. La câblodistribution est réglementée depuis par cette loi qui permet d’accorder les licences d’exploitation et de déterminer les zones de desserte. La télévision sur Internet relève de la loi sur les télécommunications qui apporte moins de contraintes d’exploitation que la précédente. Les opérateurs de télécommunications offrent des services appelés « multimedia-on-demand » (MOD).
 
Les services Internet bénéficient d’une politique non interventionniste de la part des pouvoirs publics. Les réseaux sociaux ne font donc l’objet d’aucun contrôle ce qui tranche nettement sur la situation qui prévaut de l’autre côté du détroit de Taïwan, sur le continent. Hommes politiques et hommes d’affaires se font régulièrement d’ailleurs épingler, ce qui ne va pas sans tensions notamment autour des questions de sécurité et des relations diplomatiques avec le grand voisin du continent.
 
 Le DPP au pouvoir dans les années 2000 a adopté des mesures constitutionnelles pour garantir la liberté de la presse 
Jusqu’aux années 1980, la presse était sévèrement réglementée, son format réduit à 8 pages (portées à 12 au milieu des années 1980), en principe pour des raisons d’économie mais correspondant, de fait, à une censure. En janvier 1988, le régime de la presse et de l’édition a été libéralisé, les restrictions antérieures levées ; les journaux passèrent dès lors à 30-40 pages. Il s’en est suivi une intense création de journaux et magazines. La presse taïwanaise est indépendante et dynamique. Elle est même désormais considérée comme fort critique notamment vis-à-vis des phénomènes de corruption. Le DPP au pouvoir dans les années 2000 a adopté des mesures constitutionnelles pour garantir les libertés des citoyens et celle de la presse.
 
La protection de l’indépendance des médias et la garantie de la liberté d’expression figurent dans les missions du régulateur taïwanais de l’audiovisuel et des télécommunications, la National Communications Commission (NCC), qui regroupe des activités précédemment réparties entre ministères, le Directorate General of Telecommunications et le Department of Broadcasting Affairs. L’agence a été établie officiellement en 2006, à la suite de l’adoption de la loi fondamentale sur les communications (Fundamental Communications Act) en janvier 2004 et de la loi de novembre 2005 portant organisation des communications (National Communications Commission Organization Act)(6). Le régulateur taïwanais a quatre objectifs :
 
- promouvoir le développement des communications,
- défendre les droits du peuple,
- protéger les consommateurs,
- et accroitre le multiculturalisme.
 
Récemment, en 2012, un ministère de la Culture s’est ajouté à ce paysage institutionnel. En son sein, une entité spécialisée, le Bureau of Audiovisual and Music Industry Development (BAMID), ayant pour fonction la promotion de l’audiovisuel et de la musique a été créée. Ce bureau est aussi en charge de l’importation de l’audiovisuel et de la musique à partir de la Chine. De façon générale, si la plupart des barrières visant les investissements étrangers dans les sociétés de communications taïwanaises ont été levées, quelques mesures de limitation de cette participation demeurent : plafond de 60 % pour les télécommunications fixes et mobiles, et 20 % d’investissement direct dans les chaînes du câble, chiffre augmenté à 60 % si les investissements sont portés par une entité taïwanaise.

Un paysage diversifié et dynamique

 

Le thème du multiculturalisme est particulièrement sensible dans le contexte taïwanais. Chien-Jung Hsu explique, dans son ouvrage consacré à la construction de l’identité nationale à travers les médias (Ce thème de l’identité culturelle a été au cœur de la campagne de Tsai Ing-wen (DPP), première femme à devenir présidente de Taïwan en janvier 2016), que le processus a été d’autant plus complexe et conflictuel que l’on est passé d’une « japonisation » lors de la domination japonaise sur l’île de 1895 à 1945, à une « sinisation » avec l’arrivée du KMT qu’il qualifie aussi de colonisation aux mains d’une élite continentale chinoise. Libéralisation et démocratisation ont permis le développement d’opinons contradictoires et variées, et de nouvelles formes de construction de cette identité à travers les medias.
 
L’Internet est venu encore renforcer ces tendances que le régulateur cherche à garantir. La croissance de l’Internet a été très importante, en effet, tirant parti de la modernisation rapide du réseau de télécommunications. En 2010, la proportion d’utilisateurs de l’Internet atteignait 75 %, elle était de près de 84 % en 2014. Les blogs et le journalisme citoyen sont venus renforcés les médias alternatifs. Le blogging se classe au cinquième rang des activités en ligne des taïwanais. Les principaux titres de presse et les chaînes de télévision, offrent un accès à leur site, pour des commentaires ou des blogs. Pour contribuer à cette diversité, le service public de la télévision a mis en place en 2008, un service de journalisme citoyen PeoPo.
 
Ainsi, on ne peut qu’être frappé par la diversité, le nombre et le dynamisme des acteurs des communications qui se sont développées au cours d’une période finalement assez courte : moins de trente ans. En 2012, Taïwan compte environ 2 500 éditeurs de presse, 4 000 de magazines, 200 radios, 76 stations de télévision. Les politiques publiques proactives en matière d’éducation, la formation des élites dans des universités étrangères, et les politiques industrielles évoquées, ces dernières favorisant les technologies, ont sans doute joué un rôle pour cet essor. On comprend mieux l’ébullition médiatique en comparant le nombre de titres de presse : en 1988, l’île en comptait 31 et 2524en 2004, soit seulement 16 ans plus tard !
 
Cette expansion de la presse est à replacer dans un phénomène plus général en Asie d’expansion continue de la presse écrite et des éditions imprimées, en raison de la croissance économique, de l’élévation du niveau d’éducation et de prix bas. En 2015, le nombre d’exemplaires en circulation a augmenté de 62 % en Chine et Inde(7). De la même façon, après la mise à disposition de fréquences, les sociétés de télévision sont passées de 33 en 1993 à 137 en 2000. Les médias anciens ou nouveaux, en ligne ou hors-ligne se livrent une concurrence intense.
 
 

L’effervescence de la presse

 

Les trois principaux quotidiens du matin en mandarin sont: The China Times, United Daily News, et Liberty Times. Deux titres plus récents, The Great News et le Power News, visent un lectorat plus jeune. Les éditions du soir, plus axées sur les loisirs et la bourse, sont dominées par quatre titres : The Independence Evening Post, le China Times Express, l’United Evening News, et le Power News. L’Independence-Evening Post  publie un gratuit, le Taipei Express, disponible dans les transports en commun de la capitale. Il existe aussi des quotidiens spécialisés comme le Merit News (boudhiste), le Mandarin Daily News, ou le Children's News. Pendant longtemps l’édition en langue anglaise a été dominée par le China Post et le China News, ce dernier ayant changé son nom en Taiwan Times. Le Taipei Times a été lancé en 1999 avec succès. Le Wall Street Journal et le The International Herald Tribune sortent des éditions taïwanaises.
 
Les magazines à caractère général, non politique, ont connu une croissance phénoménale. The Global Views Monthly et le China Times Weekly ont un niveau suffisant d’abonnements pour vivre. Les domaines qui ont récemment connu le succès sont la finance et la gestion, l’informatique (dont PC Home et un magazine publié par le fabricant d’ordinateur Acer, The Third Wave), la technologie, la presse féminine (édition en chinois de Harper's Bazaar, Cosmopolitan, et Vogue) et la santé (Evergreen, Common Health, et Health World, tous en chinois).
 
La presse est fortement concentrée, nombre de ses titres appartenant à trois groupes principaux : China Times Group, United Daily News Group (UDN) et Liberty Times Group. The China Times appartient au groupe (propriété depuis 2008 du holding d’agroalimentaire WantWant) qui édite le Commercial Times, the China Times Express, the China Times Weekly, ainsi que l’édition taïwanaise de Marie Claire, et Art China. The United Daily News s’intègre dans le groupe éponyme (fondé en 1951) publiant Economic Daily News, Min Sheng Daily, United Evening News, Star, le magazine littéraire Unitas, et Historical Monthly. La troisième maison d’édition (Liberty Times Group) est propriétaire du Taipei Times et publie le Liberty Times depuis 1980. The Apple Daily est un tabloïd populaire publié depuis 2003 par le groupe de Hong Kong, Next Media.  Il a été revendu en 2012 ainsi que d’autres titres taïwanais du groupe. Le gouvernement, à la suite d’une campagne de protestation, s’est opposé à la reprise de ces titres par le groupe WantWant, ce qui aurait conduit à une position dominante sur le marché taïwanais. Le président du groupe WantWant étant par ailleurs connu pour ses positions contestées en faveur de Pékin.

L’audiovisuel : la domination du câble

 

Outre 171 stations de radio (1,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2014), cinq télédiffuseurs desservent l’île, les deux principales du service public (CTS et PTS), et trois privées : Taiwan Television (TTV créée en 1962 sous le nom de « Voice of Taiwan »), China Television (CTV créée en 1968 par le parti nationaliste, et détenue majoritairement par le China Times depuis les réformes de 2006) et Formosa TV (FTV ouverte en 1997, liée au DPP au départ).
 
L’ensemble des chaînes hertziennes assure près de 230 millions de dollars de recettes, en 2014, provenant avant tout des recettes publicitaires. Six opérateurs de télévision directe par satellites (réalisant près de 150 millions de chiffre d’affaires en 2014), auxquels s’ajoutent 108 opérateurs (86 domestiques et 29 étrangers, 7 joint-ventures) diffusant 280 chaînes (soit 169 chaînes domestiques et 111 étrangères) complètent cette diffusion. Les programmes sont diffusés en mandarin, taïwanais et hakka, des programmes étrangers en anglais et coréens sont également présents.
 
Le câble est le principal mode de consommation de l’audiovisuel depuis des décennies. Il domine le panorama audiovisuel de l’île et concentre l’essentiel des recettes de la télévision : 1,283 milliards de dollars en 2014, soit 77 % du total des recettes de la télévision. Les abonnements ayant atteint 80 % des ménages en 2012 pour descendre par la suite autour de 60 %, soit 5 millions d’abonnés en raison de la progression de la distribution par Internet, mais aussi du déploiement des plateformes MOD des opérateurs de télécommunications. Une enquête de la NCC indique que près de 85 % des spectateurs taïwanais avaient regardé les programmes à partir du câble, contre un peu plus de 19 % par la télévision hertzienne, mais près de 45 % en ligne (PC ou mobile) lors de la semaine précédant l’enquête. La consommation télévisuelle est en augmentation constante, passée de 2,55 heures quotidiennes en 2008 à 3,68 heures en 2014.
 
Le passage au numérique s’est accéléré grâce à un soutien des pouvoirs publics, les réseaux câblés étaient numéris&eaeacute;s à près de 80 %, au second trimestre 2015, alors qu’ils ne l’étaient qu’à moins de 8 % en 2010. Un chiffre multiplié par 5 en l’espace de 5 ans. Outre les mesures législatives appropriées, cette situation privilégiée du câble correspond aussi aux contraintes de la géographie taïwanaise qui ne facilite pas la distribution hertzienne dans certaines parties du pays (massif montagneux de l’est et du centre, les montagnes couvrent plus de 60 % du pays).
 
La distribution est assurée par 59 câblo-opérateurs, huit opérateurs de télévision communautaires(8) et trois systèmes de transmission de programmes. Le secteur est très concentré. Les cinq principaux câblo-opérateurs de systèmes multiples (MSO) détiennent 75 % de parts de marché : CNS est en tête avec 23,66 % de part de marché, suivi par Kbro avec 21,3 %, puis TWM Broadband 13,98 %, TFN 9,98 %, et Taïwan Optical Platform 5,92 %.
 
Pour l’instant, le principal concurrent du câble est la télévision sur ADSL, distribuée par un seul fournisseur,Chunghwa Telecom, l’un des trois principaux opérateurs de télécommunications. Ce service de MOD s’est développé rapidement depuis quelques années, passant de moins de 400 000 abonnés en 2009, à 1,3 millions en 2014, sa part de marché du total de la télévision payante (câble/ ADSL) passant de 12 à 20 %.

Internet et services en ligne : des bulletins boards aux OTT

 

Le paysage autour de l’internet est aussi très varié : des anciens « bulletin boards » (BBS, comme PTT BBS, Mobile01 et Backpackers.com.tw.) aux développements récents des services d’OTT de streaming. Le blogging, comme indiqué, est très populaire. Les principaux sites sontblog.xuite.net et le site du United Daily News, blog.udn.com. On notera la place qu’occupe Yahoo en Asie. Le micro-blogging a été majoritairement assuré par la plateforme Plurk, lancée en 2008, les taïwanais envoyant des « plurks » et non des « tweets ».
 
Pour les réseaux sociaux, le principal concurrent de Facebook, ici aussi numéro un, était Wretch qui offrait des services en quatre langues dont l’anglais, avant que celui-ci ne soit repris par Yahoo!, fin 2006, pour près de 23 millions de dollars. La popularité de Yahoo! Taïwan se retrouve pour les moteurs de recherche face à Google Taïwan (en chinois et anglais) mais aussi au site chinois Baidu. Les recettes publicitaires drainées par les acteurs de l’Internet sont en forte augmentation, près de 16 % en seulement une année (2015-2016), alors que celles des médias traditionnels déclinent.
 
Les OTT sont diversifiés en particulier les OTT de contenus. I'm Vlog est l’un des premiers sites de partages de vidéos. La société est devenue I’m.2 ou I’mTV. En termes d’audiences, YouTube est en tête avec plus de 9 millions de spectateurs, suivi précisément par Yahoo! avec 7,6 millions et Facebook, 3,8 millions en 2014. Les autres sites sont dans l’ordre Vevo, Viacom Digital, le chinois Youku (qui se situe juste derrière Google pour la durée moyenne de visionnage), l’opérateur déjà cité Chunghwa Telecom, et PP Stream (République de Chine populaire).
 
Les services OTT des diffuseurs ont accompagné les développements des technologies numériques et de l’Internet, ainsi 4gTV de FTV, dSet de Vidol, et dNews cloud d’ET. D’autres sites web proposant la TV via l’OTT ont vu le jour ces dernières années. Les sites les plus populaires sont CHT Video, Li TV, LINE TV, et Netflix qui vient d’être lancé à Taïwan, début 2016. En mars, c’est l’un des plus importants opérateurs OTT de Chine, iQIYI.com (filiale de Baidu) qui a suivi. Du côté des applications mobiles, 17 une application qui combine les caractéristiques d’Instagram (autorisant les utilisateurs à ajouter des filtres aux images et à les partager) et de Periscope (diffusion sur mobile en direct) a vu ses recettes exploser.
 
 Une des spécificités du marché taïwanais tient à l’attrait qu’exercent les OTT de Chine sur les consommateurs  
Une des spécificités du marché taïwanais tient à l’attrait qu’exercent les OTT du continent (de Chine) sur les consommateurs. Ce sont les contenus les plus populaires et les fournisseurs de contenus taïwanais (radiodiffuseurs, câblo-opérateurs) leur reprochent de perturber le fonctionnement du marché de l’audiovisuel en les privant des recettes attendues de leurs services. Ces contenus chinois, émanant d’acteurs puissants, sont en effet accessibles gratuitement. Selon une étude de Yu-Li Liu (conduite en 2014), les différents OTT chinois disponibles à Taïwan se classent en tête, derrière YouTube, en terme de fréquence d’utilisation : dans l’ordre PPS, Tudou et Yukou Le premier OTT taïwanais apparaissant en 6e position (MapleStage).
 
L’évolution des modes de consommation des plus jeunes (les « Millenials ») et leur recours à ces services sont considérés comme une menace pour la télévision traditionnelle, la propension à payer de ces consommateurs étant incertaine. Toutefois, les acteurs traditionnels sont déjà bien implantés sur ce marché, ainsi UDN TV et Kbroqui figurent parmi les principaux acteurs, avec des sociétés telles que Huada (offrant des applications payantes de golf), CatchPlay (un agrégateur de contenus louant des DVDs) ou HiChannel.

Les jeux vidéo : le poids des jeux en ligne et sur mobiles

 

Le marché des jeux n’est pas en reste. Il a également prospéré. Newzoo prévoyait un marché de 695 millions de dollars pour 2015 ce qui plaçait le pays au quinzième rang mondial, mais au second rang pour les jeux occasionnels et sur réseaux sociaux en 2014. Pour ces derniers, Yahoo! est une nouvelle fois l’un des principaux fournisseurs. La plateforme de messagerie japonaise Line, très implantée à Taïwan, s’est aussi imposée comme un acteur majeur de la distribution des jeux avec notamment son propre jeu d’échecs sur mobile, « LINE Get Rich ». Une particularité toutefois, selon « Digital Media in Taiwan », les trois principaux fournisseurs de consoles (Microsoft, Nintendo et Sony) sont absents du marché.
 
Newzoo dénombrait 12,8 millions de joueurs dont 6 millions de joueurs payants, une moyenne annuelle de 116 dollars par joueur, plus élevée que celle de la zone Asie-Pacifique. Selon la même source, plus de 95 % des joueurs jouaient en ligne et plus de 80 % sur mobiles en 2014.
 
De nombreux développeurs de jeux pour MMORPG sont actifs sur ce marché, mais deux éditeurs, Gamania et Soft-World , détenaient une forte position sur le marché domestique des MMORPG(9). Quant à la société TaïwanGigaMedia (, elle s’est d’abord développée pour les jeux en ligne pour se réorienter ensuite vers le secteur en vif développement en Asie des jeux sur mobiles ainsi que sur les jeux sociaux de casino.

Des télécommunications au service du dynamisme des médias

 

Enfin, la plupart des services évoqués n’auraient pu voir le jour sans la mise en place de nouvelles infrastructures de télécommunications et la diffusion rapide des terminaux mobiles (smartphones et tablettes), ces derniers étant souvent conçus, fabriqués sur l’île ou en Chine. Les communications se font désormais principalement sur support mobile ,et les recettes provenant de ces derniers augmentent, alors que celles des lignes fixes déclinent. La pénétration des mobiles avait atteint 101.6 % dès 2006, pour atteindre près de 130 % en 2014. L’Internet mobile a effectué une percée significative passant de 14.3 % en 2006, à 81 % en 2014, tandis que la pénétration du fixe tombait autour de 50 %. Les réseaux 3G qui permettent le développement des applications fournissaient plus de 50 % des recettes de l’ensemble du secteur des télécommunications en 2014. Les recettes provenant du trafic de données sur les mobiles atteignent désormais près de 40 % de l’ensemble. En 2014, 3,5 millions d’utilisateurs étaient déjà passés à la 4G et la NCC prévoyait un doublement en 2015. Les principaux services de 4G sont le courrier électronique, le GPS, la billeterie en ligne, les réservations et les jeux. Les pouvoirs publics ont lancé, en 2014, une initiative pour encore accélérer le développement : « Accelerating Mobile Broadband Service and Industry Development ».

La consommation de données mobiles (avant tout de la vidéo) continue à croître fortement, multipliée par un facteur supérieur à 10 en l’espace de seulement 4 ans (2010-2014), s’appuyant sur l’équipement des ménages en smartphones et sur les nouveaux réseaux. Cette expansion a permis aux recettes publicitaires émanant des mobiles de faire un bond de 100 % en 2014, et d’atteindre le niveau de celles de la presse quotidienne avec, dans les deux cas, autour de 7 % de parts du marché publicitaire (télévision : 21 %, Internet : 13 %).
 
Le marché des télécommunications a été libéralisé et est concurrentiel. Le marché est dominé par trois opérateurs principaux qui représentent 70 % de parts de marché: Chunghwa Telecom (l’opérateur historique et le principal opérateur) ; FarEasTone Telecom (fondé par the Far Eastern Group, un des plus gros conglomérats de Taïwan, dans le cadre d’une joint-venture avec AT&T) le second opérateur, et Taiwan Mobile (issu au départ de Pacific Electric Wire & Cable Co. Ltd, société aujourd’hui disparue).

Une libéralisation des médias réussie

 

Taïwan a réussi, en somme toute un temps relativement court, à libéraliser son régime des médias ainsi que celui des télécommunications. Ces deux politiques s’intègrent dans les autres politiques de redéploiement industriel notamment du secteur High-Tech. Elles ont abouti à un paysage des communications dynamique et diversifié, dans un paysage industriel rénové. Ces trois secteurs (high-tech, télécommunications et médias) contribuent de façon très importante (dans cet ordre) à l’économie du pays. Oxford Economics indique que les seuls sous-secteurs de la télévision et du cinéma auraient contribué, en 2013, à hauteur de 0.4 % au PNB de l’île et un pourcentage similaire d’emplois directs (31 500 mais plus de 110 000 avec les emplois induits), un chiffre qui se compare favorablement avec les plus de 900 000 emplois que la même société avait évalués pour la Chine continentale, la même année. à titre de comparaison, l’industrie des semi-conducteurs taïwanais employait 175 000 personnes en 2012 près de 14 % des emplois mondiaux du secteur.

Il est trop tôt pour évaluer l’impact des nouveaux entrants, « applications » et OTT, mais les acteurs en place au développement récent dans ce contexte ont déjà montré qu’ils étaient capables d’assurer le passage au numérique, de prendre le tournant de l’Internet, puis celui de l’Internet mobile. Ils sont d’ores et déjà présents en tant qu’OTT.
 
Le principal problème de Taïwan n’est sans doute pas économique, mais culturel et politique en raison de la complexité des relations diplomatiques avec la Chine. Le conflit « militaire » avec la Chine de Pékin tend à se transformer en rivalité entre modèles de développement et socio-culturels, ce qui explique l’accent donné au dynamisme des médias sur l’île.

Références

 

National Communications Commission, NCC Performance Report, 2014. Décembre 2015. 
 
Sources utiles d’information :
L’auteur remercie le professeur Yu-li Liu, National Chengchi University, présidente de la Taïwan Communications Society, pour avoir organisé sa rencontre avec la NCC à Taïwan en juin 2016 et permis l’accès aux données sur les médias taïwanais.


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Crédits photos :
[Lecture de la presse du matin à Taipei]. Jude Lee / Flickr. Licence CC BY 2.0
[Le président Ma en visite à la télévision publique taïwanaise, à l'occasion du passage à la HD].
??? / Flickr. Licence CC BY-NC-ND 2.0

 
 
(1)

La loi martiale ne sera supprimée qu’en 1987. 

(2)

Shin-Horng CHEN et Pei-Chang WEN, « Taïwan », in Giuditta De PRATO, Daniel NEPELSKI, et Jean-Paul SIMON, Asia in the Global ICT Innovation Network. Dancing with the tigers, (co-ed), Chandos, Whitney Oxforshire, 2013, pp. 117- 141.  

(3)

En anglais Original Equipment Manufacturer (OEM).

(4)

En français, littéralement « producteur de concepts d'origine », c’est-à-dire une entreprise qui fabrique un produit en marque blanche qui sera commercialisé sous la marque d’une autre entreprise.

(5)

Shin-Horng CHEN et Pei-Chang WEN, op. cit.

(6)

Une traduction anglaise des lois et réglementations est disponible sur le site du gouvernement.

(7)

Full highlights of World Press Trends 2016 survey.

(8)

CATV l’ancêtre du câble. 

(9)

Massively multiplayer online role-playing game: jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs.

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