Comment le numérique travaille la société
Seize penseurs du futur interrogent notre condition numérique.
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Seize penseurs du futur interrogent notre condition numérique.
Rarement il est donné à un lecteur d’embrasser autant d’idées en si peu de pages. Rarement un essai, qui plus est écrit par tant de contributeurs venus de parcours différents produit un tel effet : il plonge le curieux dans des réflexions sur sa vie quotidienne tout en le projetant vers le futur, comme le ferait un roman de science-fiction. C’est le tour de force de La métamorphose numérique, cet ouvrage collectif de moins de 200 pages qui réunit, sous la direction de Francis Jutand, les contributions de plusieurs penseurs du futur à l’enthousiasme communicatif. Tous (physicien, économiste, sociologue, philosophe, ingénieur, psychiatre…) travaillent sur les questions technologiques en particulier, les mutations de société en général. Leurs réflexions sont ici rassemblées autour de trois grands pôles : l’individu, l’économie et la société. Elles constituent de multiples pistes à explorer pour aborder une société en constante interrogation et évolution et sont le fruit des travaux menés par le think tank de l’institut Mines-Télécom et des chercheurs associés venant notamment de la Fondation Télécom.
Nous, humanoïdes de ce début du XXIe siècle, sommes à l’orée d’une période qui marquera l’Histoire de l’humanité.
« Nous, humanoïdes de ce début du XXIe siècle, sommes à l’orée d’une période qui marquera l’Histoire de l’humanité au même titre que la maîtrise du feu par les hommes préhistoriques, leur sédentarisation et le développement de l’agriculture, la Renaissance pour les arts, le Siècle des Lumières pour la philosophie et les idées politiques, les Révolutions industrielles, les premiers pas de la période informatique et la mondialisation… », prophétise Francis Jutand dans La métamorphose numérique.
« La transformation qui en résulte va bien au-delà d’une amélioration technique, car elle opère au fond une forme de décloisonnement des relations et des accès qui s’étaient établis dans la phase prénumérique. En dotant ce nouvel espace de langages de description, de moteurs de recherches, d’annuaires et de vecteurs de sociabilisation (les réseaux sociaux), il devient possible, de façon quasi sans limite, de créer, de partager et d’échanger de l’information, d’accéder à des contenus et à des connaissances, et de communiquer par le dialogue, la vision et l’interaction. »
Carine Dartiguepeyrou(1) s’interroge sur les effets de cette métamorphose sur les comportements en société. « Le numérique est un espace de cristallisation », débute-t-elle. Grâce à lui émergent des « valeurs postmodernes » qui proposent de nouveaux modèles plus généreux. Ce sont les grandes mobilisations politiques récentes (Occupy Wall Street, le Printemps arabe, Los Indignados…), les relais qu’en font les cyber militants (de l’ONG Avaaz par exemple), ou encore les révélations diffusées mondialement par les lanceurs d’alertes (Julian Assange ou Edward Snowden), dont les médias se délectent… « Ce qui converge, c’est le fait que la valeur est en train de migrer et réinvente avec elle nos modèles économiques en prenant en compte de nouvelles expressions de valeurs telles que le partage, la gratuité, la solidarité ». Qui plus est, les adhésions à ces causes échappent la plupart du temps au contrôle du pouvoir, encore peu habitué aux mouvements de réseaux transversaux, qui court-circuitent la prise de décision verticale classique.
« Grâce à Internet, les cultures se mêlent et s’entremêlent dans des changements permanents, aussi générateurs d’angoisse face à un futur imprévisible et complexe ». Ces entremetteurs permettent de casser l’organisation en silos, qui est le propre des anciennes civilisations européennes. Grâce à Internet, les cultures se mêlent et s’entremêlent dans des changements permanents, aussi générateurs d’angoisse face à un futur imprévisible et complexe », poursuit l’auteur.
La métamorphose numérique en appelle à un renouvellement des objectifs des États et de leurs relations aux citoyens.Face à la complexité des défis contemporains, au désir de contribution des citoyens et des corps intermédiaires, et à leur puissance d’agir (liée à l’augmentation générale du niveau d’éducation et à la puissance acquise avec la révolution numérique), l’État doit peut-être apprendre à se concevoir comme « immanent », à entrer dans le jeu des interactions sociales, et surtout à faire levier sur cette puissance, à la stimuler, la nourrir et la mettre au service du bien public. (…) En sus de ses fonctions régaliennes, (il) doit se concevoir comme une ressource pour les citoyens désireux d’agir, et doit apprendre à créer et à mettre à disposition des ressources qualifiées utiles et porteuses de valeur pour ces développements », précise le directeur d’Etalab. Mais attention, rappelle Pierre-Antoine Chardel, à ne pas idéaliser l’espace public dématérialisé où la parole serait forcément plus fluide. Et d’identifier un paradoxe : « tandis que nous libérons les flux de communication virtuelle, nous assistons en même temps au développement de sphères de plus en plus privatisées. »
C’est ce même risque de « ghettoïsation », de repli communautaire ou de fracture numérique que l’ensemble des auteurs appelle unanimement à réduire. D’autant que la numérisation équivaut au chiffrage, au codage et à l’inéluctable exploitation des données.
Le « Big data » est devenu un nouvel Eldorado pour un secteur économique par essence mercantile et peu épris d’éthique et de solidarité humaniste.Ce « Big data » est ainsi devenu un nouvel Eldorado pour un secteur économique par essence mercantile et moins épris d’éthique et de solidarité humaniste que la société décrite par Carine Dartiguepeyrou. Il met néanmoins l’individu au cœur du système économique.
Le consommateur est « un partenaire potentiellement porteur d’idée ou d’innovation et dont l’attention peut se monnayer ».Moins coûteux qu’un ingénieur de recherche et développement, le consommateur est « un partenaire potentiellement porteur d’idée ou d’innovation et dont l’attention peut se monnayer ». Un client désormais doublement intéressant économiquement quand il est « capté » par l’entreprise pour apporter ses appréciations de l’extérieur, avant d’accomplir l’acte d’achat d’un produit qu’il a pensé pour lui-même ! Et qu’il paiera, pourquoi pas dans un futur proche, avec une « monnaie dédiée »(7) …
Pourtant, la fluidité, la proximité de façade promise par cette nouvelle société du sur-mesure appellent à de sérieuses mises en garde de la part de nos penseurs. Oui, c’est un fait, le numérique abolit les distances(9) ; certes les réseaux intelligents (smart grids) nous font toucher du doigt le mythe de l’ubiquité grâce aux infrastructures « réflexives »(10) ; et le patient, traité « à la faveur du développement des nanotechnologies par un médicament communicant, relié et intégré à un réseau », vit une relation nouvelle à son état, qui lui confère « un rôle d’acteur de sa propre santé »(11) >.
L’école doit encore entreprendre sa révolution pour combiner les apprentissages via les livres et ceux qui émanent des écrans.Et enfin, l’école doit encore entreprendre sa révolution pour combiner les apprentissages via les livres et ceux qui émanent des écrans(12) .
Après près de dix ans sans contrat de travail, les candidats et candidates de la majorité des programmes de téléréalité sont maintenant considérés comme des salariés. Malgré cette évolution, des irrégularités semblent subsister dans les contrats et les sociétés de production continuent d’être attaquées en justice.
Parmi les amateurs de cinéma, on trouve des inconditionnels du doublage et des spectateurs qui ne jurent que par les sous-titres. De tous les artifices utilisés par le 7e art, le doublage est celui qui fait le plus débat.