Des politiques fiscales complémentaires pour attirer la production
En plus de faciliter le tournage, certaines capitales européennes proposent des systèmes d’aide financière qui complètent généralement les mécanismes de soutien proposés aux échelles nationales. Seules quelques métropoles mènent ce type de politique : Berlin, Vienne et Londres soutiennent directement les longs métrages, et Paris soutient les courts métrages. D’autres métropoles, comme Prague, qui ne sont pas concurrencées par des pôles urbains sur le territoire national, bénéficient, de fait, généreusement des soutiens fiscaux nationaux. La comparaison des institutions et mécanismes mis en place dans ces cinq métropoles met à jour la grande variété des budgets, des modes de gouvernance et des modalités de soutien financier, pour un même objectif stratégique : promouvoir le territoire comme centre de production et de rayonnement.
La métropole berlinoise propose un complément de financement pour les films tournés sur son territoire. La configuration géographique de Berlin, dont l’aire métropolitaine de près de 6 millions d’habitants déborde du strict
Land de Berlin pour s’étendre sur le
Land de Brandenburg, se traduit par une coopération entre les deux
Länder. Le Medienboard Berlin-Brandenburg, financé par les banques d’investissements de Berlin (IBB) et de Brandenburg (ILB), a ainsi soutenu 217 films, dont 89 longs, pour un budget total de 23,3 millions € en 2011. L’aide ne peut dépasser 70 % du budget du film.
Parmi les films précédemment soutenus, on retrouve
Inglorious Basterds,
The Reader,
V for Vendetta et plus récemment
Amour,
Holy Motors et
In the Fog - tous trois présentés en compétition au Festival de Cannes. Le Medienboard soutient actuellement à hauteur de 1,5 million € le prochain film des frères Wachowski,
Cloud Atlas (avec Tom Hanks, Hugo Weaving, Hugh Grant et Hall Berry). Les
studios Babelsberg contribuent à attirer les grosses productions internationales, certaines indiennes (
Don 2), d’autres germano-britanniques (
Anonymous) ou finlandaise (
Iron Sky). Les grosses productions internationales constituent le fer de lance de la production audiovisuelle berlinoise, complétée par la production télévisuelle (films, séries, publicités…).

La promotion de Berlin comme ville créative
En Autriche, la municipalité de Vienne dispose depuis 2000, à travers le Vienna Film Fund, d’un budget d’environ 11,5 millions € (en 2010) pour cofinancer la production à plusieurs étapes : écriture, tournage, distribution, diffusion en festivals. Les projets de films (cinéma et télévision) sont sélectionnés par un jury d’experts, qui évalue la part économique, culturelle et artistique accordée à l’ancrage européen, autrichien, ou viennois. L’aide ne doit pas dépasser 50 % du budget du film et doit être dépensée localement afin de développer l’expérience des équipes locales. La Commission du film de Vienne insiste sur cet « effet Vienne », qui doit inclure la ville au film à la fois économiquement et cinématographiquement. Parmi les films récemment soutenus, on peut citer A Dangerous Method, Breathing et 360, ainsi que de nombreux films destinés au marché autrichien.
Depuis 2006, à Londres, l’agence Film London propose aussi de soutenir la production en se spécialisant dans les films britanniques à petit budget. Le programme Microwave, conçu en partenariat avec BBC Films, offre un maximum de 100 000 £ aux réalisateurs sélectionnés, ainsi qu’un soutien humain et matériel. Le programme valorise un scénario bien tenu, un planning de tournage réduit, ainsi que le potentiel commercial ; l’ancrage londonien est peu discriminant, mais l’ancrage britannique reste déterminant. Les équipes sélectionnées participent à plusieurs ateliers, reçoivent le soutien de professionnels établis (
Asif Kapadia par exemple), et développent leur projet pendant quatre mois avant de recevoir l’aval financier final. Ils sont enfin soutenus pendant le tournage et toutes les étapes de la vente et de leur promotion du film, qui est assuré de sortir en salle et d’être diffusé sur la BBC. Plusieurs longs métrages ont bénéficié de cette aide, dont
Shifty de Eran Creevy en 2010, ou plus récemment
Ill Manor, du chanteur Plan B en 2012.

Scène extraite du film Match Point
À Paris, un fonds de soutien aux courts métrages est proposé par la Mission cinéma de la ville de Paris (dont le budget est de 10 millions € par an pour l’ensemble de ses activités). Afin d’encourager la production de films courts dans la capitale, la Mission cinéma, en partenariat avec le CNC a créé un fonds de soutien financier ouvert à tous les réalisateurs. D’un montant maximum de 20 000 € par projet, « le soutien à la production s’adresse à toute entreprise de production cinématographique ou audiovisuelle établie en France, intervenant au titre de producteur ou coproducteur majoritaire ». Les projets sont sélectionnés par un jury de professionnels. Dans le cadre d’un partenariat avec Unifrance, les courts métrages réalisés sont aussi sous-titrés et diffusés dans les festivals internationaux. Il n’y a pas, comme dans le cas de Berlin, de soutien métropolitain à la production de longs métrages ; en revanche, le soutien de la région Île-de-France
via le Fonds de soutien régional (122 millions € en 2011) est évidemment complémentaire des efforts de la ville de Paris. Le projet du
Grand Paris reste en élaboration.
Enfin, le cas de Prague est emblématique : la capitale tchèque, comme beaucoup de capitales de petits pays européens (Slovaquie, Belgique, Malte, Chypre, Luxembourg…), ne souffre pas de concurrence urbaine majeure sur son territoire. La ville récolte assez naturellement le bénéfice de la politique nationale : le Czech Film Industry Support Programme, mis en place en 2010, offre 20 % de remise sur les dépenses effectuées en République Tchèque et 10 % sur les dépenses effectuées à l’international (taxes prélevées à la source, mais pas d’impôt sur le revenu). L’aide ne doit pas dépasser 80 % du budget du film, qui doit là encore montrer des attaches culturelles au territoire. Son décor historique attire de nombreux projets européens ou américains cherchant à figurer des villes européennes à différentes époques : Amadeus pour Vienne au XVIIIe siècle, From Hell pour le Londres victorien, ou encore La Môme pour Paris au XXe siècle, et La Mémoire dans la Peau où Prague campe Zurich. Le Programme de soutien bénéficie à des films aussi divers que Mission Impossible Ghost Protocol et Faust. Les studios Barrandov, parmi les plus importants d’Europe, attirent beaucoup de grosses productions (The Chronicles of Narnia : Prince Caspian, Oliver Twist, The Brother Grimm…).

Tournage du film L’homme qui rit à Prague
Au contraire, dans certaines régions très urbanisées comme la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Land densément peuplé qui inclut Cologne, Dortmund, Essen et Düsseldorf, les métropoles ne développent pas de politiques spécifiques mais misent d’avantage sur l’échelle régionale. Le Filmstiftung NRW est ainsi un des soutiens économiques au cinéma les plus puissants d’Allemagne, avec un budget annuel de 35 millions € (soutien par exemple au film mexicain Post Tenebra Lux, de Carlos Reygadas, primé à Cannes, ou encore Pina, A Dangerous Method, Melancholia…) pour les projets produits sur l’ensemble du territoire régional.
Pour beaucoup de métropoles, la mise en contact des acteurs privés lors d’évènements est un moyen économique de faciliter la réussite des projets. À Londres, le Production Finance Market et le London UK Film Focus sont deux évènements importants organisés par Film London. Le premier, un évènement annuel sur deux jours, prend place au cours du BFI London Film Festival en octobre, et a pour but de mettre en relation des producteurs et des financeurs. Le London Film Focus, quant à lui, est un évènement de 4 jours qui a lieu en juin et qui cherche à promouvoir la production britannique auprès de plus de 120 distributeurs internationaux. À Vienne, le Vienna Film Fund soutient aussi les évènements et la formation des professionnels du secteur, en coopération avec d’autres programmes (Sources2, Eave media…). À Rome, l’absence de budget consacré au cinéma est contrebalancée par une présence de la Commission du Film aux principaux festivals internationaux (Cannes, Berlin, Rome, Hong-Kong…) où sont organisées des rencontres visant à mettre en place des coproductions.