Comment les sites médias mesureront-ils demain leur audience ?
Alors qu’ils dépendent de la publicité, les médias en ligne imaginent déjà de nouveaux outils d'analyse pour comprendre leur audience et ses habitudes de consommation.
Alors qu’ils dépendent de la publicité, les médias en ligne imaginent déjà de nouveaux outils d'analyse pour comprendre leur audience et ses habitudes de consommation.
« Cet article a bien tourné hier. » Il n’est pas rare, lors des conférences de rédactions web, d’entendre les journalistes se féliciter pour tel ou tel article parce qu’il comptabilise un nombre important de clics. C’est un fait, les statistiques d’audience, que les Américains appellent metrics, ont une place indispensable dans les rédactions web. « Aujourd'hui, explique Erwann Gaucher, qui travaille au pôle numérique de France Télévisions, lorsque le système de rapport automatique a un bug et que les audiences ne sont pas envoyées le matin par mail, les 24 pilotes numériques(1)et leurs équipes appellent dans la minute. »
Pourtant, si les outils de mesures existent depuis longtemps et que les rédactions ont toujours prêté attention à leur audience, c’est avec l’arrivée du suivi en direct des événements et du haut débit sur Internet que le trafic a pris toute son importance pour la presse en ligne. Pour Alice Antheaume, directrice adjointe de l'école de journalisme de Science Po, les élections présidentielles de 2007 ont eu un rôle primordial dans l’intérêt que les médias portaient à la diffusion. « Avant 2007, on n’avait pas cette culture qui nous pousse aujourd'hui à connaître notre audience, on pensait qu'on était mieux placé que le lecteur pour savoir ce qui était le mieux pour eux. » Très vite, on compte le nombre de clics, de visiteurs uniques(2), de pages vues(3), le taux de rebond(4) et l’on installe des tableaux dans les rédactions pour suivre en temps réel l’audience du site. Les journalistes gardent un œil rivé sur les chiffres, et il n’est pas rare que les rédacteurs en chefs changent le titre d’un papier ou l’organisation de la page d’accueil du site pour mettre en avant les contenus qui marchent le mieux. « En tant que marque, on doit tenir notre promesse éditoriale, explique Bertrand Gié, qui gère les nouveaux médias pour Le Figaro, mais on doit aussi donner au lecteur ce qu’il veut. » « Les managers doivent également rappeler qu’il s’agit de mesures du « clic », et que cela ne représente pas une mesure de la qualité journalistique », ajoute Alice Antheaume, qui tient aussi à ce que ses étudiants soient conscients de ces enjeux et puissent exercer leur métier en pleine connaissance de ces usages.
Le « Web du clic », tant critiqué, serait même en passe de disparaître pour laisser place au « web de l’attention ». C’est en tout cas ce que croit et espère la société Chartbeat, spécialisée dans la mesure d’audience en ligne, qui travaille avec 80 % des plus grands sites d’informations américains et de nombreuses rédactions françaises. Et comme l’explique son PDG Tony Haile, tout l’intérêt des mesures d’audience désormais est d’être capable de déterminer l’assiduité des lecteurs en ligne. « Plus les gens lisent un contenu, plus ils ont de chance de revenir, et plus ils ont de chance de se rappeler les publicités qu’ils y ont vues. C’est un rapport gagnant-gagnant pour les médias, pour les publicitaires, et pour le lecteur qui aime suffisamment le contenu pour continuer à le lire. » Et pour savoir si le lecteur va plus loin que le titre et le chapeau, Chartbeat peut vérifie, grâce à un morceau de JavaScript implanté dans le code du site, si l’article est bien l’onglet actif sur le navigateur, quels pixels sont visibles à l’écran et ce qu’ils contiennent, si le lecteur scrolle, bouge sa souris, et s'il interagit avec la page. Chacun des mouvements sur la page est donc analysé, décortiqué, classé afin de déterminer l’« attention » de l’internaute, mais aussi pour proposer de nouveaux arguments de vente d’espaces publicitaires. Selon Tony Haile, pour qui la mesure des pages vues ne prend pas en compte le contenu, le but est d’aller « au-delà du clic pour établir une industrie des médias durable, construite autour de la valorisation des meilleurs contenus sur le web. »
Et pendant que les médias aiguisent leur connaissance du public, d’autres imaginent déjà l’avenir de la mesure d’audience. La temporalité, à savoir les intervalles de consultation des articles et le temps qui y est consacré, semble être au cœur de ces réflexions. Tony Haile estime que « comprendre, grâce à différents calculs et différents chiffres, le temps que les lecteurs passent à consommer à l’information, est un bon départ. » Chartbeat vient d’ailleurs de décider de rendre public ses méthodes de calcul d’audience afin d’encourager les médias à lever le voile sur leurs propres critères de mesure, souvent opaques. Eric Mettout, de L’Express, explique que l’enjeu est plus grand : « le but est de comprendre quel type de contenu le lecteur veut et surtout à quel moment il le veut. » Pour l’instant, l’internaute est une masse aux contours plus ou moins flous. On sait à quel moment il est le plus souvent connecté sur Internet, qu’il préfère du hardnews (économie, politique,…) sur le chemin du travail, du contenu plus léger le midi, du culturel le soir et des articles plus longs le week-end. Des études de lectorat sont régulièrement réalisées, mais impossible de connaître avec précision chaque internaute qui arrive sur un site. À l’avenir prédit Alice Antheaume, « on pourra anticiper la temporalité de chaque personne dans sa vie quotidienne et donc à quel moment elle a besoin de quoi. Quelqu'un qui travaille de nuit n'a pas les mêmes horaires de consultation que les autres, ajoute-t-elle, il faudra lui fournir les informations qu’il veut à ce moment-là. » Réussir à fournir à son lecteur l’information dont il a besoin tout en s’adaptant à son rythme de vie, c’est tout l’enjeu auquel devront répondre les rédactions.
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Crédit photo :
Capture d'écran du site de Chartbeat
Il s'agit des responsables des différents sites web du groupe France Télévisions.
Nombre d’internautes qui se sont rendus sur tel site sur une période donnée.
Nombre de fois où une page Internet est vue.
Pourcentage d’internautes qui ont visité une page et ont ensuite immédiatement quitté le site.
Ici, le co-branding signifie cumuler les audiences de plusieurs sites d’une même marque.
Mélangeant informations et divertissements.
Fichier stocké sur l’ordinateur permettant de conserver les données utilisateur.