Le rôle central des exploitants
Les exploitants, directement au contact des marchés, sont en réalité les premiers concernés par la diffusion du cinéma européen en Europe. La salle continue de jouer un rôle décisif dans
la chronologie des médias, elle reste le moment de fort en termes de moyens marketing déployés et d’écho médiatique et critique, qui détermine en grande partie le destin du film dans les fenêtres d’exploitation suivantes (sortie DVD,
VOD, SVOD, TV…).
L’organisation du parc des exploitants joue bien sûr un rôle dans la capacité des exploitants à distribuer les films européens. Comme le montre le tableau ci-dessous, il existe de grandes disparités entre les pays.
L’exploitation, très concentrée aux Royaume-Uni (peu de cinémas, beaucoup d’écrans), conduit les exploitants à jouer principalement du cinéma commercial – donc américain –, alors qu’ailleurs (comme en France), l’abondance de cinéma avec peu d’écrans (le réseau des cinémas d’art et d’essai) incite les exploitants à jouer la carte de la différenciation et de la diversité.
Pour encourager toutes les salles à offrir une offre diversifiée, le programme MEDIA de la Commission européenne soutient financièrement un réseau de salles labellisées Europa Cinema, dont les exploitants s’engagent à diffuser majoritairement du cinéma européen. Le soutien au réseau représente 10 % du budget du programme MEDIA et 20 % du programme MEDIA Mundus. Lancé en 1992 dans 45 salles de 24 villes de 12 pays de l’Union européenne, le programme touche désormais 1 170 cinémas de 675 villes de 68 pays. Dans ces salles, les films européens représentent 60 % en moyenne des séances, dont 36 % de films étrangers. Parmi les dix plus gros succès de ce réseau en 2012, on compte 4 films français (Intouchables, The Artist, Amour, Et si on vivait tous ensemble ?), 5 films britanniques et un film allemand (Barbara). La diversité tant attendue est en fait réduite à une plus grande circulation des principaux producteurs européens : la France et le Royaume-Uni. Si l’on considère le top 50 : 20 films français, 12 films anglais, 3 italiens, 3 danois, 2 allemands, 2 européens, 2 norvégiens, 2 belge, 1 polonais, 1 suisse, 1 irlandais, 1 autrichien, soit seulement onze nationalités différentes dont deux qui occupent plus des 2/3 du palmarès…
Il est clair que sans incitation fiscale ou contrainte légale, exploitants et chaînes de télévisions devraient continuer à privilégier la diffusion d’une majorité de films américains, aux genres plus marqués, aux acteurs plus connus, et aux campagnes marketing plus massives. Les films européens, généralement moins capitalisés et souvent d’abord tournés vers leur marché national, ne bénéficient pas de la force de frappe de leurs concurrents américains et ne circulent véritablement que lorsqu’ils ont déjà fait leur preuve sur leur territoire d’origine (comme
Intouchables) ou qu’un prix leur a été décerné (
La Grande Bellezza). Il est aussi paradoxal de remarquer que les acteurs et actrices européens les plus connus en dehors de leur pays sont généralement ceux mis en lumière dans le cinéma américain : Daniel Brühl (
Good Bye Lenin, puis
Inglorious Bastards), Marion Cotillard (
La Môme, puis
Inception), Mads Mikkelsen (
Pusher, puis
Casino Royal)… S’il y a cependant fort à parier que le développement d’offres en ligne, légales ou illégales, contribue d’ores et déjà à rendre ces cinématographies plus accessibles aux curieux, le succès populaire continue de passer par une sortie en salles réussie.
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