Thibault, l'un des candidats de la saison 2 des Marseillais, parle face caméra.

Thibault, l'un des candidats de la saison 2 des « Marseillais » dans le confessionnal de l'émission.

© Crédits photo : Capture d'écran W9.

En 20 ans, le confessionnal a (presque) remplacé les animateurs dans les programmes de téléréalité

Ingrédient phare des émissions de téléréalité, le confessionnal a occupé différentes fonctions ces vingt dernières années, jusqu’à donner aux récits des candidats une place centrale.

Temps de lecture : 6 min

Depuis 2001, la téléréalité a connu un grand nombre d’évolutions. Ses formats se sont diversifiés et les vingt années qui viennent de s’écouler ont vu passer un grand nombre de déclinaisons du genre, au point qu’il est bien difficile d’en proposer une définition claire. Pourtant, s’il existe quelque chose de commun entre « Loft Story », « Un dîner presque parfait », « Top chef » et « Les Marseillais », c’est la mise en scène de la parole des participants.

En effet, qu’il s’agisse d’une recherche de célébrité ou de la quête d’une carrière dans l’univers de la gastronomie, ces programmes proposent tous (et parfois sous des aspects différents) une mise en scène de la parole des candidats sous la forme d’un « confessionnal ». Ce terme n’est pas forcément utilisé tel quel (le plus souvent, il n’est même plus nommé), mais pourtant, que l’on retrouve les participants dans un décor dédié (« Les Marseillais »), dans une salle de bain (« Un dîner presque parfait ») ou non loin des fourneaux (« Top chef »), chaque candidat (ou chaque expert) est invité à se confier, à commenter, à parler de son expérience.

Par commodité, retenons le terme de « confessionnal » pour désigner ce lieu dédié à la parole d’un participant lorsqu’il est seul, face à la caméra. Nous allons voir comment cet espace est un élément constitutif de ces programmes et pourquoi il en est même devenu l’une des caractéristiques. L’analyse de ce qui se joue dans le confessionnal témoigne également de la transformation de la téléréalité au fur et à mesure de ces vingt années.

Tisser un lien avec le public

26 avril 2001 : des jeunes gens participent pour la première fois en France à une émission qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Plus de cinq millions de téléspectateurs découvrent, en même temps que les candidats, un décor transformé en loft. Ce lieu qui va être partagé par les participants comporte aussi un « confessionnal » permettant de « communiquer avec un membre de la production par caméra interposée ». C’est ici, nous précise-t-on alors, que les candidats devront « au moins une fois par jour nous faire part de leurs impressions et de leurs sentiments ». La promesse est ici explicite : le confessionnal est le seul lieu où les jeunes gens seront en contact avec la production (et donc avec le monde extérieur), et puisqu’il faut y passer « au moins une fois par jour », il s’agit aussi d’une contrainte, d’une figure imposée.

D’emblée, le confessionnal se pose comme essentiel dans cette émission d’un nouveau genre. Seul point de contact avec « le monde réel », il est pensé comme un endroit où les candidats vont se livrer aux téléspectateurs sans que les autres participants ne soient présents. Dès lors, le confessionnal revêt un rôle essentiel, celui de créer un lien entre le candidat et le public, il est présenté comme un endroit où le téléspectateur aura un accès privilégié aux lofteurs, à leurs impressions et à leurs sentiments. D’ailleurs, dans le premier épisode de l’émission, la voix-off précise qu'« entre ces murs, tout ce qui est dit reste strictement confidentiel pour les autres candidats, sauf pour vous, qui regardez "Loft Story" ». Lieu des « confidences », le confessionnal apporte donc aux téléspectateurs des informations supplémentaires dont ne disposent pas les autres candidats.

Si ce confessionnal se rapproche de celui que l’on connait dans les églises catholiques, dans le sens où il isole dans un espace clos une personne, il s’en éloigne d’emblée puisqu’il est le lieu des « confidences » et non des « confessions ». Dans le cadre de ces dernières, il s’agit de déclarer ses péchés, alors que les confidences sous-entendent qu’il existe des secrets que l’on communique à quelqu’un (d’ailleurs, l’émission « Secret Story » portera quelques années plus tard parfaitement son nom).

Confidences dans la salle de bain

Février 2008 : en quelques années, le public français s’est habitué à ce nouveau « genre » qui connait déjà des mutations. Le terme générique « téléréalité » est très flou, et peut désigner aussi bien « La Star Academy » que « Popstars » ou encore « Nouvelle star », « Un dîner presque parfait » ou « Koh Lanta ». Alors que ces émissions sont différentes les unes des autres, elles ont aussi des points communs  : le fait de faire participer des personnes qui étaient inconnues préalablement, et avoir dans leur dispositif un « confessionnal ».

Parmi ces émissions, « Un dîner presque parfait » met en concurrence, depuis février 2008, des candidats qui s’invitent à dîner les uns les autres. L’objectif est de devenir le « meilleur hôte de la semaine », les candidats devant attribuer des notes aux autres compétiteurs. Dans chaque épisode, les convives sont invités à témoigner de leurs ressentis au sujet du repas concocté par l’hôte. Ils se retrouvent le plus souvent dans la salle de bain, lieu de l’intimité s’il en est. Ici, les candidats expriment leurs ressentis sur la soirée (ils disent s’ils ont apprécié ou non les plats, commentent les animations, la décoration, expriment la façon dont ils ont vécu la soirée, etc.). C’est aussi dans ce lieu que les candidats attribuent les différentes notes à l’hôte, qui bien entendu vont rester secrètes jusqu’au dénouement final, lors de la dernière émission.

Ces confidences dans la salle de bain sont tout aussi secrètes que dans les débuts de la téléréalité, mais le rôle de ce « confessionnal » a pris une place plus importante qu’en 2001. Les extraits de ce qui s’y dit sont très nombreux, et agrémentent chaque épisode tout au long du dîner. Le plus souvent, ils accompagnent les images du repas. Un candidat ne semble pas apprécier le dessert ? On le voit dans la foulée en train de l’expliciter, assis sur le rebord de la baignoire.

En quelques années, l’espace du confessionnal a pris de l’ampleur jusqu’à tenir un rôle discursif plus important : il est un lieu narratif qui non seulement accompagne le récit, mais qui en est aussi devenu un véritable acteur. « Un dîner presque parfait » n’a d’ailleurs pas de présentateur mais une voix-off qui occupe ce rôle, sans incarnation physique. Le rôle habituellement tenu par l’animateur est donc en partie occupé par les candidats lorsqu’ils se retrouvent face à la caméra : les confidences sont toujours très présentes, mais elles occupent désormais un rôle narratif plus fort.

La fin des animateurs ? 

Si nous observons maintenant une émission de téléréalité dite « d’enfermement », comme « Les Marseillais » (émission diffusée depuis 2012 sur W9), on constate que la place du confessionnal est devenue encore plus grande, voire majeure. Dans le résumé des épisodes précédents par exemple, ce sont des extraits des propos que les protagonistes ont tenu dans le confessionnal, appuyés par d’autres extraits en images, qui permettent de comprendre ce qui s’est passé précédemment.

L’émission elle-même est faite d’allers-retours constants entre les « scènes » et les commentaires dans le confessionnal. Les candidats y décrivent les situations (« on arrive à la villa », « elle décide de faire une réunion »…) et donnent leurs sentiments (« je me demande si je la dérange », « je le déteste, il n’est pas sincère… »). Avec un montage rythmé entre les propos tenus dans le confessionnal et les scènes (qui occupent souvent la fonction de la « preuve par l’image »), les candidats ont fini par remplacer l’animateur et la voix-off (qui n’est présente que dans les toutes premières minutes de présentation de l’émission).

Les protagonistes occupent donc une fonction de narration, tout en étant les acteurs des différentes histoires qui prennent corps dans l’émission. Désormais, le confessionnal est le lieu du récit qui va orienter la réception du téléspectateur,

Ces multiples narrateurs que sont les candidats de l’émission, à la fois acteurs et témoins, conduisent à une narration polyphonique dans une impression de direct permanent. Car en vingt ans, la temporalité de ces émissions a considérablement changé et cette omniprésence du confessionnal est aussi permise parce que chaque épisode des « Marseillais » est pensé par « scènes » ou par « activités », alors qu’en 2001, les émissions quotidiennes de « Loft Story » étaient présentées comme des résumés des dernières vingt-quatre heures.

Si les émissions évoquées ici retracent certainement trop vite les évolutions du confessionnal dans les programmes de téléréalité, cela nous renseigne néanmoins sur la place centrale qu’il occupe aujourd’hui. Du lien promis avec la production et le public en 2001, à travers une figure imposée, jusqu’à la narration maîtrisée par les candidats qui incarnent le programme, le confessionnal est devenu l’endroit d’où tout part et où tout arrive.  Il est le lieu où l’on raconte son vécu, dans le cadre d’un programme reposant sur les personnes qui y participent et leurs différentes histoires.  

Dans une émission comme « Les Marseillais », (dont les protagonistes sont pour la plupart connus de leur public) la notoriété acquise permet cet effacement de l’animateur au profit d’une incarnation multiple. Ce n’est évidemment pas la fin des animateurs qui occupent encore une place centrale dans la majorité des émissions de télévision. Néanmoins, ces procédés sont de plus en plus présents et trouvent aussi un écho sur les réseaux sociaux tels qu’Instagram ou Snapchat, où les candidats peuvent (après l’enregistrement mais pendant la diffusion de l’émission) poursuivre les récits à la manière du confessionnal.

Au-delà, ce sont bien sûr les téléspectateurs qui peuvent s’exprimer sur les mêmes réseaux, se filmer, faire des confidences (et bien sûr, jamais des confessions) comme dans les émissions. Demain, tous au confessionnal ? Tous célèbres ? C’était en tout cas l’une des promesses de la téléréalité, il y a vingt ans.

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris