Comment produit-on un journal pendant le confinement ? Cette question, nombre de lecteurs et lectrices se la sont posées alors que chacun devait s’enfermer chez soi en réponse à l’épidémie de Covid-19. Et les médias n’ont pas manqué d’y répondre. Alors que le dévoilement des coulisses et autres making-of ne sont pas forcément des pratiques très répandues dans la presse, plusieurs journaux ont décidé de réaliser des articles sur leur fonctionnement en période de crise sanitaire. De Télérama au Temps, du Monde au New York Times, les rédacteurs et rédactrices ont raconté leur nouveau quotidien, textes et photos à l’appui, jouant sur la transparence et la personnification pour atteindre leur lectorat.
« On s’est demandé pourquoi ne pas parler de nous et de la façon de continuer à faire vivre un journal »
Le 19 mars au soir, L’Est Républicain, Le Républicain Lorrain et Vosges Matin — trois titres parmi les neufs que compte le groupe Ebra — partagent sur leur site web respectif une vidéo pour dévoiler « les coulisses de l’info » : « Comment s'organise une rédaction pendant le confinement ? », interroge le titre, question à laquelle répond Léa Boschiero, journaliste et directrice départementale adjointe de la Meurthe et Moselle, dans une rédaction réorganisée en raison des nouvelles normes sanitaires. « Les médias nationaux donnaient les informations générales sur la crise, tandis que nous donnions l’impact de la crise en proximité, avec des portraits d’infirmières, de personnes continuant à travailler dans les supermarchés, etc. On s’est alors demandé pourquoi ne pas parler de nous, de la même manière, de la façon de continuer à faire vivre un journal, et d’expliquer ce qu’est aujourd’hui un journal », raconte Sébastien Georges, rédacteur en chef des trois titres.
Dans les différentes éditions papier, c’est un autre format que l’on retrouve, plus classique et qui fait écho à celui choisi par d’autres médias : les membres de la rédaction écrivent à tour de rôle leur journal de confinement.
« Pas juste une idée de chef »
L’idée était dans les tuyaux depuis « un moment », mais la crise sanitaire lui a donné un coup d’accélérateur. « On l’a lancée à ce moment-là puisque de nombreuses personnes s’interrogeaient. Nous avons donc inventé un format avec nos équipes, et demandé à différents membres de la rédaction, mais pas seulement, d’expliquer ce qu’ils faisaient, comment on continuait à faire vivre un journal en période de confinement, avec de l’actualité forte tous les jours. » C’est cette diversité des profils mis en avant qui fait l’originalité du dispositif de L’Est Républicain. Au cours du confinement, onze autres vidéos viendront ainsi agrémenter l’article en ligne initial, mettant en avant un chef d’agence locale, la responsable paie, un directeur départemental, le service imprimerie ou encore celui des ventes. « Il était important pour nous de rendre hommage à tous les métiers de l’entreprise, nous n’avons pas voulu que [ce projet] ne soit porté que par des journalistes », souligne Sébastien Georges, se réjouissant du fait que « tout le monde s’est impliqué ». « Les équipes ont trouvé le projet intéressant, ce n’était pas juste une idée de chef. On connaît les médias par les journalistes, et l’on oublie souvent que, pour faire des médias, il n’y a pas que des journalistes. »
« On connaît les médias par les journalistes, et l’on oublie souvent que, pour faire des médias, il n’y a pas que des journalistes »
Tous les salariés volontaires se sont filmés eux-mêmes, les conditions empêchant la mobilisation d’une équipe de tournage. Et la formule a également séduit les lecteurs et lectrices des sites et applications mobiles. Au total, cela représente « plusieurs dizaines de milliers de pages vues », revendique Sébastien Georges, sans donner de chiffres précis. À l’image des autres médias, les sites du groupe ont été fortement consultés pendant le confinement. Par rapport à la même période l’an dernier, L’Est Républicain a connu en mars un nombre de visites web mensuelles (15,5 millions) en hausse de 54,4 %, et en hausse de 40,87 % en avril (12,7 millions), d’après l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM, ex-OJD).
Ce n’est pas la première fois que L’Est Républicain dévoile ses coulisses. Les 15 et 16 novembre 2016, à l’occasion du changement de format du journal, passé au format tabloïd, plusieurs diaporamas présentaient, en ligne, les correspondants et rédacteurs en reportages, ou bien la distribution du nouveau journal par les salariés. Aujourd’hui déconfinées et de retour dans les bureaux « dans le respect des barrières sanitaires », les rédactions envisagent de prolonger l’expérience « de manière un peu différente pour, de temps en temps, raconter notre quotidien ». « Il est important que l’on explique ce que l’on fait et comment fonctionne un journal, d’être en capacité de créer de l’interaction — on est ouverts sur la société. »