Photographie de l'intervention télévisée d'Emmanuel Macron diffusée au JT de 20 h de TF1 le 14 juin 2020.

Au sein de l'exécutif, Le nom d'Emmanuel Macron est le plus revenu sur les chaînes d’information continue, avec 374 citations quotidiennes en moyenne.

© Crédits photo : THOMAS SAMSON / AFP.

ÉTUDE INA. Temps d’antenne, personnalités émergentes, place des femmes : un bilan de l’information sous Covid-19 à la télé

L’INA a passé plus de cinq mois d’information à la loupe pour tirer un premier bilan quantitatif de la place du coronavirus et du confinement sur les écrans de télévision, et notamment sur les chaînes d’information continue. Voici ces chiffres inédits de « l’information sous Covid-19 », qui témoignent d’un événement médiatique absolument historique.

Temps de lecture : 10 min

Des chaînes d’information en édition spéciale permanente ; des journaux de 20 h dont la durée double, passant de trente minutes à (au moins) une heure ; de nouvelles personnalités émergeant sur les antennes ; un grand débat sur la disparition des femmes des plateaux télé… Les 55 jours de confinement total vécus par la France, du mardi 17 mars au dimanche 10 mai, ont eu des conséquences tout à fait inédites sur la place de l’information sur les chaînes françaises de télévision. En poursuivant les analyses lancées lors des premières semaines du confinement (voir ici et ), l’INA a cherché, grâce au travail de son département de la Recherche, à quantifier, et objectiver, plusieurs caractéristiques de cet épisode totalement inédit dans l’histoire de l’information télévisée en France.

1. 74 % du temps d’antenne sur UN sujet pendant huit semaines, c’est historique

Le premier élément quantitatif à retenir est, de loin, le plus frappant : jamais un événement d’actualité n’a occupé autant de temps d’antenne sur les chaînes de télévision, pendant aussi longtemps. Au total, sur les huit semaines du confinement, ce sont près de 4 381 heures qui ont été consacrées au sujet par les six chaînes françaises d’information (BFM TV, CNews, LCI, franceinfo radio et télé, France 24), soit une moyenne de 13 heures et 17 minutes de temps d’antenne quotidien sur les six chaînes d’information continue sur 18 heures mesurées dans le cadre de l’étude… Cela représente un pourcentage moyen de 73,76 % du temps d’antenne quotidien consacré au coronavirus.

Pour mieux comprendre l’importance de ce chiffre, rappelons-nous qu’en septembre 2019, la mort de Jacques Chirac avait occupé un temps d’antenne à peu près équivalent, avec un pic au-delà de 80 % de temps d’antenne consacré à l’événement ... Mais cette intensité n’avait été atteinte que pendant la demi-journée qui suivait immédiatement l’annonce du décès !

En cas de « breaking news », les patrons de chaînes d’information continue parlent souvent d’un « blast », autrement dit une information qui efface tous les repères habituels des grilles (journaux, chroniques, émission …) sur son passage. Mais après un « blast », les grilles retrouvent vite leur physionomie, et, assez rapidement, de nouveaux sujets s’imposent à l’agenda ...

Sur les chaînes françaises d’info continue, le traitement du coronavirus a plutôt pris la forme d’un tsunami qui, dans un premier temps, tel un « blast », balaye tous les repères traditionnels des grilles sur son passage au profit d’un sujet unique ; mais, à l’image d’un tsunami qui inonde et modifie durablement les paysages, le coronavirus a, lui aussi, modifié durablement le paysage de l’information. Et la « décrue » dans la part d’antenne consacrée au coronavirus n’a réellement été engagée qu’à partir de la fin du mois de mai.

Le graphique ci-dessous montre l’évolution de la part du temps d’antenne consacré au coronavirus depuis janvier, son pic pendant huit semaines, et sa progressive décrue depuis le 15 mai ; il met également en évidence le démarrage plus précoce de BFM TV sur le sujet.

Dans le détail, sur la période, BFM TV, dont la ligne éditoriale présente la plus forte élasticité à l’actualité, est la chaîne qui a « embrayé » le plus tôt sur les informations liées au coronavirus, et qui a consacré la plus importante part d’antenne à la pandémie et à ses conséquences. BFM TV a ainsi, en moyenne, parlé de la Covid-19 pendant près de 14 heures 13 chaque jour, soit 79 % du temps d’antenne pendant huit semaines. Ce chiffre est d’autant plus remarquable que, malgré la très forte baisse des investissements publicitaires, la chaîne, tête de pont du groupe Altice, a toujours maintenu des espaces dédiés à la publicité sur son antenne, espaces pub que nous n’avons pas isolés du reste du temps d’antenne dans l’étude. BFM TV est également la chaîne qui, sur une seule journée, a consacré le plus de temps à la Covid-19 : le dimanche 22 mars, premier dimanche de confinement, qui n’a pourtant comporté aucun événement extrêmement saillant, BFM a ainsi consacré 15 heures 52 au sujet Covid-19, soit 88,18 % de son temps d’antenne.

Viennent ensuite, en moyenne sur l’ensemble de la période :

  • LCI, avec 14h02 chaque jour, soit 78 % du temps d’antenne ;
  • franceinfo, antenne radio, avec 13 heures 37, soit 75,65 % du temps d’antenne ;
  • franceinfo:, antenne télé, avec 13 heures 36, soit 75,55 % du temps d’antenne ;
  • CNews, avec 13 heures 04, soit 72,58 % du temps d’antenne ;
  • France 24 présente un profil plus atypique, avec « seulement » 11 heures 08 d’antenne quotidienne consacrées au coronavirus, soit 61,82 % du temps d’antenne.

Du côté des JT, autres grands baromètres de l’information, l’INA a mesuré également le pourcentage de temps consacré à la crise sanitaire sur les 20 h de TF1 et de France 2, tout au long de la période. Sur ces journaux rallongés, qui ont parfois duré plus de une heure, le record est détenu par TF1 : l’intensité la plus forte a été atteinte le jeudi 2 avril, avec 93,99 % du conducteur du 20 h consacré au coronavirus — c’est un jour où le Premier ministre, Édouard Philippe, était l'invité du journal de TF1. Sur France 2 , l'intensité la plus forte a été atteinte lors du 20 h du jeudi 26 mars, avec une proportion de 88,10 % de son conducteur consacré au coronavirus (pour rappel, le « film » des événements de cette journée, plutôt classique). 

Pour parvenir à calculer ces chiffres, l’INA a établi, en début de confinement, un corpus de mots clefs liés au coronavirus, dans plusieurs de ses composantes — ils peuvent être issus du champ lexical de la médecine (« virus », « covid », « symptomes », « chercheur », « chirurgien », « clinique », « dépistage », « patient », « vaccin », « infection », « pandémie », ...), ou liés aux différentes mesures mises en place (« confiné », « gestes barrières », « gel hydroalcoolique », « télétravail » ...). Nous avons ensuite traqué les occurrences des mots composant ce corpus dans la retranscription écrite de près de plus de 20 963 heures d’antenne. Soit un total de 231 882 000 mots passés à la loupe ! Tous les détails techniques sont disponibles dans l’étude détaillée.

2. Des personnalités émergentes, Didier Raoult en tête

Autre question clef : à qui les médias ont-ils donné la parole ? Qui a-t-on entendu sur les chaînes d’info et dans les journaux télévisés ? Nous avons eu l’envie de comprendre quelles figures, institutionnelles ou médicales, s’étaient imposées aux oreilles des Français.

Nous avons, pour cela, et grâce à la plateforme OTMedia coordonnée par le chercheur de l’INA Nicolas Hervé, établi un nombre de mentions quotidiennes sur les six chaînes infos, en dénombrant les mentions du prénom et du nom de plusieurs personnalités

Chez les politiques, quelques enseignements :

Emmanuel Macron et Édouard Philippe sont évidemment les deux représentants de l’exécutif dont le nom est le plus revenu sur les chaînes d’information continue — 374 citations quotidiennes en moyenne pour Emmanuel Macron, 253 pour Édouard Philippe. Deux éléments intéressants dans la médiatisation du président de la République et du Premier ministre : là où Emmanuel Macron est présent de manière assez constante, la visibilité d’Édouard Philippe est fortement concentrée autour de ses grandes prises de parole. Par ailleurs, pour les deux têtes de l’exécutif, il faut relever qu’ils ont tous deux été moins cités pendant la durée du confinement que sur une longue période précédente, entre le 1er décembre et le 16 mars. Emmanuel Macron voit ainsi le nombre de mentions de son nom en baisse de 29,7 %, et Édouard Philippe de 6,4 %.

Graphiques montrant le nombre de citations dans des bandeaux TV d'Edouard Philippe et Emmanuel Macron.

Au sein du gouvernement, l’effet de la nomination, puis de la pandémie, sur la visibilité d’Olivier Véran saute aux yeux. Il a, très logiquement, été le ministre le plus cité pendant le confinement, avec une moyenne de 123 citations quotidiennes. Parmi les ministres, Bruno Le Maire est l’un des rares qui a été davantage cité sur la période confinement, que sur la large période précédente : 77 citations quotidiennes moyennes pendant le confinement, en hausse de 84 %. Malgré les débats sur l’application « Stop Covid », Cédric O ne perce pas du tout la barrière médiatique, avec, sur la période du confinement, un nombre moyen de trois citations quotidiennes… Même si le secrétaire d’État au numérique a, en proportion, plus que doublé le nombre de citations quotidiennes moyennes.

Dans l’opposition, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, génère une présence continue, en bruit de fond, avec une moyenne de 23 citations quotidiennes, suivie par Jean-Luc Mélenchon, président du groupe La France insoumise à l'Assemblée nationale, avec 17 citations quotidiennes moyennes. Ni Olivier Faure, Premier secrétaire du PS, avec six citations quotidiennes moyennes, ni Nicolas Hulot, avec trois citations quotidiennes moyennes malgré son « manifeste » et plusieurs prises de parole dans des médias, ne s’impose réellement. Anne Hidalgo, maire socialiste de Paris, est restée assez visible, avec 20 citations quotidiennes moyennes.

Chez les « hors politiques » :

Celui qui s’impose est évidemment et sans surprise Didier Raoult, avec, certaines journées, près de 1 000 mentions de son nom sur les chaînes info, et une moyenne de 112 citations quotidiennes tout au long de la période du confinement. Jérôme Salomon, avec 72 citations quotidiennes moyennes, et Jean-François Delfraissy, avec 20 citations quotidiennes moyennes, autres figures venues du monde médical, ne percent pas réellement. La visibilité de Jérôme Salomon est par ailleurs clairement liée à ses points presse quotidiens, retransmis en direct sur les chaînes info, puisque, dès le début du mois de mai et la fin de ses points « physiques », remplacés par des communiqués de presse, sa visibilité est en net retrait. Mathias Wargon, médecin urgentiste extrêmement prolifique sur les réseaux sociaux où il n’hésite pas à entrer dans des débats vifs envers les « trolls », ne s’est pas, lui non plus, malgré son expérience de terrain, imposé dans le débat médiatique, avec moins de une citation quotidienne moyenne.

Concernant la médiatisation de Didier Raoult et de la chloroquine, si toutes les chaînes ont évidemment parlé du médecin marseillais, on peut relever une réelle différence dans le nombre de mentions de Didier Raoult et de la chloroquine entre les chaînes publiques et privées : l’audiovisuel public a, globalement, comme le montre le graphique ci-dessous, moins parlé de Didier Raoult. Sur la période du confinement le rapport est de 1 à 2 pour les références à la chloroquine, et de 1 à 3 pour Didier Raoult.

À l’international, seul Donald Trump est régulièrement mentionné, avec 129 citations quotidiennes moyennes ; Angela Merkel ne suscitant qu’un intérêt extrêmement limité, avec 24 citations quotidiennes moyennes. Boris Johnson est un peu plus cité que la chancelière allemande, avec 82 citations moyennes par jour, mais fortement concentrées autour de ses propres problèmes de santé, au début du confinement.

Enfin, parmi les différentes personnalités dont le décès est directement liée au coronavirus, seul Patrick Devedjian, premier politique ayant exercé des fonctions ministérielles mort de la Covid-19, a bénéficié d’une attention réellement soutenue le jour de sa mort, avec près de 1 000 mentions de son nom.

3. Quantitativement, les femmes n’ont pas disparu des antennes, mais elles restent extrêmement minoritaires

La place des femmes sur les antennes en temps de crise s’est imposée comme un sujet politique et sociétal de premier plan, avec, notamment, le lancement d’une mission parlementaire étudiant « la place des femmes journalistes et des femmes expertes dans l’ensemble des médias en […] période de confinement et de crise sanitaire », confiée à la députée LREM Céline Calvez.

Pour apporter un premier élément au débat public, les chercheurs David Doukhan et Rémi Uro (INA) ont cherché à établir le taux d’expression des femmes, soit le pourcentage de temps de parole des femmes, sur les médias TV d’information continue pendant la période du confinement, en utilisant le logiciel open source ​inaSpeechSegmenter, développé en partenariat avec le laboratoire d’informatique de l'Université du Mans (LIUM). Ce logiciel avait été utilisé lors d’études précédentes pour décrire l’évolution du temps de parole des femmes de 2001 à 2018, ainsi que pour la remise de la dernière édition du rapport annuel du CSA sur la place des femmes dans les médias.

Les premiers résultats obtenus sur la période du confinement montrent que les femmes restent extrêmement minoritaires sur les antennes : elles y parlent environ deux fois moins que les hommes, avec une moyenne de 35,9 %. Les analyses menées actuellement par les chercheurs portent sur un périmètre d’environ 80 chaînes TV et radio, et visent à déterminer, pour chaque chaîne, l’impact qu’a pu avoir la crise sur le temps de parole des femmes, en veillant à distinguer les variations dues à la crise de l’ensemble des autres phénomènes pouvant impacter le temps de parole des femmes : changements saisonniers de la programmation des chaînes, vacances scolaires, etc...

Au-delà du constat purement quantitatif, un autre travail de recherche, plus qualitatif, et s’intéressant lui plus spécifiquement aux différents intervenants des chaînes d’information et des jt, s’est intéressé à huit journées précises d’info lors du confinement. Ce travail est conduit par les chercheurs et chercheuses David Doukhan (INA), Cécile Méadel (Carism) et Marlène Coulomb-Gully (Lerass). On apprend notamment dans les premières conclusions de ce travail, et sans surprise, que les femmes sont largement minoritaires sur les chaînes infos et les JT étudiés : elles ne représentent que 28 % des « synthés » affichés ; les chiffres vont de 23,9 %, pour BFM TV, à 30,1 % pour France 3.

Mais, outre le nombre, l’autre inégalité de genre parmi ces intervenants et intervenantes des chaînes infos et des jt, concerne l’autorité dont ils, ou elles, sont dotés ou dotées. Ainsi, la part d’hommes ayant un statut d’autorité invité atteint 77 % des intervenants … alors que les femmes ne sont que 55 % dans ce cas. Les femmes sont davantage représentées que les hommes comme intervenantes sur les questions de santé … mais uniquement dans des positions de moindre autorité (infirmière, aide-soignante). Bref, sous Covid-19, ou non, la parole d’autorité reste avant tout masculine.

Ces deux études, qui vont se poursuivre, s’inscrivent dans le cadre du projet Gender Equality Monitor, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR-19-CE38-0012). Le projet GEM est coordonné par l’Ina et implique un consortium pluridisciplinaire composé de sept partenaires : Deezer, Limsi, Lium, Lerass, Carism, CMW. Il vise à décrire de manière automatique les différences de représentation et de traitement existant entre les femmes et les hommes dans les médias en langue française que sont la TV, la radio, la presse écrite et les collections musicales.

La Revue des médias continuera de se mobiliser fortement, dans les semaines et les mois à venir, sur l’étude de cette période inédite dans l’histoire de l’information télévisée, et vous présentera régulièrement les résultats d’études conduites par les chercheurs de l’INA.

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