Emmanuel Macron portant un masque lors d'une visite  de l'installation militaire temporaire à l'extérieur de l'hôpital Emile Muller à Mulhouse le 25 mars.

Emmanuel Macron portant un masque lors de la visite d'un hôpital à Mulhouse le 25 mars. 

© Crédits photo : Mathieu Cugnot / Pool / AFP.

La santé des dirigeants politiques à l’épreuve du coronavirus : la transparence, exigence ambiguë

À l’heure de la pandémie de Covid-19, l’état de santé des dirigeants politiques devient plus que d’habitude un sujet médiatique à part entière. Rompant avec le silence dont ils faisaient parfois preuve, certains membres du gouvernement et chefs d’État s’empressent même de communiquer sur le sujet

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Il existe, en France notamment, une longue tradition du silence dès lors que la santé des responsables politiques est en jeu. Cette habitude de l’omerta n’a commencé à être battue en brèche qu’au cours des dernières années, et les journalistes peinent encore à interroger librement leurs dirigeants sur leurs maladies ou pathologies éventuelles. La crise sanitaire que nous traversons semble pourtant avoir changé la donne, au moins provisoirement : partout dans le monde, les dirigeants communiquent sur leur santé avec un empressement jamais vu. Une question se pose cependant : que cache cette nouvelle exigence de transparence, et quels bénéfices nos dirigeants peuvent-ils réellement en tirer sur un plan politique ?

Cas avérés et cas suspects : une exigence de vérité

Depuis que l’épidémie de Covid-19 s’est transformée en une crise sanitaire d’une ampleur inouïe, de nombreux cas de coronavirus ont été détectés chez des responsables politiques et leurs proches. Chose nouvelle : dans un même élan, beaucoup de ces personnalités ont souligné elles-mêmes avoir été l’objet d’un test positif. En Iran, au Royaume Uni, en Espagne ou en Australie, plusieurs ministres ont ainsi annoncé à leurs concitoyens être atteints par la maladie. La remarque vaut aussi pour les institutions européennes puisque Michel Barnier, négociateur chargé du Brexit, s’est fendu d’une vidéo pour révéler au grand public son contrôle positif. 

En France, les autorités politiques ont également opté pour ce choix de la transparence. Il est vrai que, dans notre pays, l’épidémie a particulièrement frappé le gouvernement et les parlementaires : un ministre (Franck Riester), deux secrétaires d’État (Brune Poirson et Emmanuelle Wargon) et une sénatrice (Guylène Pantel) ont ainsi contracté la maladie. Avec 18 députés infectés, l’Assemblée nationale fait même figure de foyer infectieux à part entière, et il est probable que ce « cluster » a directement contribué à la propagation du virus sur le territoire. Elle-même de plus en plus touchée par la pandémie, la population aurait difficilement accepté que ses représentants lui dissimulent volontairement leur état de santé.

Cette demande de vérité semble même s’être progressivement étendue aux chefs d’État et de gouvernement eux-mêmes : le jeudi 12 mars, lorsque son épouse a contracté le Covid-19 au retour d’un séjour à Londres, Justin Trudeau a ainsi informé ses concitoyens de sa décision de se mettre à l’isolement. Aucun chef d’État n’avait cependant avoué avoir été contaminé avant que le prince Albert n’annonce son contrôle positif, par l’intermédiaire d’un communiqué publié par le palais de Monaco le 19 mars. Quant aux dirigeants populistes qui ont d’abord nié la crise, et ont multiplié les provocations en refusant d’appliquer les gestes barrières, ils ont eux-mêmes dû céder à la pression de leur opinion publique. Après avoir longtemps refusé d’être testé, et avoir été en contact avec plusieurs personnes contaminées, Donald Trump a ainsi fait volte-face et accepté de se soumettre à un contrôle, qui s’est révélé négatif. Devant le scandale suscité par sa désinvolture à l’égard du virus, et pour démentir les rumeurs le disant contaminé, Jair Bolsonaro a fini lui aussi, le 13 mars, par révéler ne pas être porteur du virus. Il n’a pas renoncé pour autant à son sens de la provocation, puisque le post Facebook annonçant la nouvelle était assorti d’une photo le montrant faire un bras d’honneur :

Compte Facebook de Jair Messias Bolsonaro, 13 mars 2020.

Mais l’évolution de la communication du président brésilien, ces derniers jours, montre que même ce type de bravade n’est plus de circonstance. Alors que des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander sa destitution, Jair Bolsonaro a ainsi déclaré le 17 mars avoir subi un second test, lui aussi négatif. De même, il apparaît désormais en public muni d’un masque de protection, comme s’il lui fallait montrer à tout prix sa prise de conscience de la gravité de la situation. Il rejoint en cela la cohorte de dirigeants politiques qui, à l’image de Vladimir Poutine enfilant une lourde combinaison pour visiter un hôpital, multiplient les signes ostensibles de leur volonté d’empêcher la circulation du virus. Lors d’une cérémonie qui aurait paru irréelle il y a encore quelques jours, l’ensemble du gouvernement slovaque portait même des masques et des gants lors de sa prestation de serment, le 21 mars.  

#IlsSavaient : une sincérité contreproductive

Dans un exercice de transparence sans précédent à l’échelle internationale, annoncer un test positif semble ainsi devenu la norme pour les responsables politiques, qu’ils présentent ou non des symptômes, qu’ils attachent ou non de l’importance à cette épidémie. Les raisons de cette évolution sont évidentes : dans une période de crise qui effraie la population, dire la vérité sur leur état de santé permet à ces dirigeants d’afficher leur exemplarité et de montrer leur proximité avec leurs électeurs.

En France pourtant, au moment où la gestion de l’épidémie suscite des réserves grandissantes au sein de l’opinion publique, cette stratégie de communication est de plus en plus dénoncée et pourrait même se retourner contre l’exécutif. Certes, dans un premier temps, les ministres et les parlementaires ayant annoncé un contrôle positif ont fait l’objet de démonstrations de sollicitudes de la part de leurs adversaires comme de leurs électeurs. De la même manière, les prises de paroles du président de la République et du gouvernement, fondées sur une volonté de clarté et de pédagogie, ont d’abord été bien accueillies par la population. Mais ce choix de la « transparence absolue », selon le mot d’Olivier Véran, est devenu insuffisant, voire contreproductif, lorsqu’il a conduit les autorités à reconnaître qu’elles ne disposaient ni des masques ni des tests nécessaires pour affronter la pandémie.

L’aveu de cette pénurie est en outre intervenu au moment où l’OMS incitait les États à dépister massivement les populations pour mieux les soigner : « Nous avons un message simple à tous les pays : testez, testez, testez les gens ! », s’est ainsi écrié Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’organisation, lors d’une conférence de presse à Genève, le lundi 16 mars. Dans l’incapacité de savoir s’ils sont touchés par le virus, les Français sont de plus en plus nombreux à juger inacceptables les déclarations de responsables politiques qui, pour leur part, croient se conformer à un impératif éthique en révélant leur maladie. En quelques semaines, et même en quelques jours, la donne a changé : pour une partie de l’opinion publique, annoncer que l’on a été contrôlé positif ne signifie plus faire preuve d’honnêteté vis-à-vis du grand public, mais au contraire bénéficier d’un privilège refusé aux simples mortels.

La secrétaire d’État à l’Écologie, Emmanuelle Wargon, est le dernier membre du gouvernement à avoir révélé sa contamination, et l'on sait depuis que ce test répondait à un motif légitime. Mais le tweet dans lequel elle a fait cet aveu, le 22 mars, lui a immédiatement valu des critiques virulentes, puisqu’elle a reconnu avoir été testée sur la base de « symptômes bénins ».  Ces critiques sont venues de personnalités publiques, de journalistes, et plus largement de Français indignés de ne pas avoir bénéficié d’une procédure similaire. En l’espace de quelques jours, ce discours hostile à la gestion gouvernementale du coronavirus s’est cristallisé sur Twitter autour d’un hashtag : #IlsSavaient. L’utilisation de ce mot-clé rassemble des paroles hétérogènes, aux accents souvent complotistes, qui ont pour point commun de contester une médecine à deux vitesses, où les rares tests disponibles seraient réservés à une poignée d’individus.

Surprenant retournement, comme seules les crises les plus graves peuvent sans doute en produire : alors que les Français ont longtemps reproché à leurs responsables politiques de dissimuler leurs maladies, une partie d’entre eux les rejette aujourd’hui parce qu’ils ont eu la sincérité de les révéler. Et en croyant réduire la distance qui les sépare de leurs concitoyens, ces députés ou ministres ont au contraire alimenté la haine qu’une partie de la population voue aux élites en général et à la classe politique en particulier.

« Pas de passe-droit » : Emmanuel Macron, président compassionnel

Emmanuel Macron se doutait-il des polémiques que cette pénurie de tests allait provoquer ? Toujours est-il qu’au moment où tant de personnalités publiques et de chefs d’État exhibaient les résultats de leur test, le président français a opté pour un choix inverse. Le 15 mars, jour du premier tour des élections municipales, il a déclaré ainsi à des journalistes qui l’interrogeaient sur la question : « Je n’ai pas été testé car je n’ai pas de symptômes. […] Il n’y a pas de passe-droit face au virus. »

Emmanuel Macron au Touquet, 13 mars 2020. Crédits : BFMTV.

La plupart des chefs d’État, à l’image d’Angela Merkel, ont pourtant choisi d’être contrôlés dès lors qu’ils ont eu des contacts avec des personnes contaminées. Emmanuel Macron, dont plusieurs ministres ont été infectés par le Covid-19, s’y est donc pour sa part refusé.

La singularité de ce choix s’explique peut-être par la tradition dans laquelle le chef de l’État s’inscrit : dans un système politique comme la Ve République, où le pouvoir est à ce point personnalisé et incarné, le président se doit de protéger ses concitoyens, mais aussi de se montrer au milieu d’eux, sans « passe-droit » d’aucune sorte. Pour la même raison sans doute, Emmanuel Macron multiplie les visites de terrain depuis le début de la crise, et se rend notamment dans les Ehpad et les hôpitaux les plus touchés par le virus. Même s’il a exprimé dès 2015 son attachement à l’héritage monarchique, il ne cherche pas, bien entendu, à apparaître comme un roi thaumaturge. Mais il brosse jour après jour le portrait d’un président compassionnel, qui, à défaut de guérir ses concitoyens, s’efforce de partager leurs maux et leurs inquiétudes. Et puisque les Français ne peuvent être testés, sauf dans les cas les plus graves, Emmanuel Macron a presque pour obligation de montrer qu’il ne l’est pas non plus.

Tout va très vite cependant dans la période inédite que vivent la France et le monde. Le 6 mars, la volonté d’être un président rassurant, protecteur, et donnant l’exemple à son peuple, avait ainsi conduit Emmanuel Macron à un acte exactement inverse à ceux qu’il recommande aujourd’hui. Accompagné de son épouse, il s’est en effet rendu ce soir-là au théâtre Antoine, pour assister à la représentation d’une pièce intitulée À bout de nez. Le but de cette sortie publique était explicitement d’inciter les Français à continuer à vivre normalement. Selon des propos rapportés par le journaliste Paul Larroutourou et par Jean-Marc Dumontet, propriétaire du théâtre Antoine, le président aurait même déclaré à la fin de la représentation : « La vie continue, il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie. »

Ce 6 mars, une atmosphère lourde enveloppe pourtant ses pas et ceux de son épouse : le président a déjà été averti de l’imminence d’une crise sanitaire, et une semaine plus tard, comme toutes les salles de spectacle, le théâtre Antoine devra fermer ses portes pour une durée indéterminée. Cela n’empêche pas Emmanuel Macron de faire encore comme si de rien n’était, estimant sans doute que son rôle est avant tout de préserver l’activité économique et culturelle du pays.

L’ironie peut cependant se glisser au cœur des périodes les plus tragiques : la pièce à laquelle Emmanuel Macron et son épouse ont assisté ce soir-là raconte en effet les malheurs d’un président nouvellement élu, qui tente désespérément de trouver un remède miracle à la démangeaison nasale qui l’empêche de s’exprimer. Au moment même où il cherche une dernière fois à rassurer les Français face à un virus contre lequel on cherche encore le traitement « miracle », Emmanuel Macron assiste donc à un spectacle racontant la maladie et les souffrances d’un président.

 

 

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