« Créer des émissions comme Sexy Folies aujourd'hui n’est pas une urgence »

« Créer des émissions comme Sexy Folies aujourd'hui n’est pas une urgence »

Pascale Breugnot, productrice, entre autres, de Psy-Show et Sexy Folies, était présente au « Lundis de l’Ina » consacré au sexe à la télévision. Elle revient sur ces deux émissions qui ont marqué la télévision française en parlant pour la première fois de sexualité de façon libérée.

Temps de lecture : 4 min


Pouvez-vous rappeler quel était le concept de l'émission 
Psy-Show ?
 
pascale_breugnot_sexy_foliesPascale Breugnot : Le but était de décortiquer un problème de couple. Les couples venaient en disant qu'ils s'aimaient, sans parvenir à aller au bout de leur intimité, pas uniquement du point de vue de leur sexualité. Quelque chose entre eux les empêchait d'être amoureux, détendus, heureux. L'idée était d'essayer de comprendre à travers l'émission, avec l'aide du psychanalyste Serge Leclaire, ce qui avait pu se passer dans ces couples, et peut-être de trouver des solutions à leurs problèmes. Le tournage durait à peu près six heures et dont on gardait une heure de montage. 
 
 
Et le concept de Sexy Folies ?
 
Pascale Breugnot : Avec Sexy Folies, l'idée était de faire une émission sur la sexualité qui alors n'était pas abordée à la télévision, sous l'angle de l'échange avec l'autre, du plaisir, du bonheur, de la comédie. Montrer le côté heureux de la sexualité et de l'échange amoureux. 
 
 
Quel était l'intérêt de faire ces émissions au milieu des années 1980 ?
 
Pascale Breugnot : Pour moi, en tant que productrice indépendante, l'intérêt était de parler de sujets qui, de mon point de vue, n'était pas suffisamment abordés alors qu'ils me semblaient décisifs, importants et intéressants. Assez en tout cas pour que les téléspectateurs y consacrent une heure de leur temps par mois. Cela demandait un travail conséquent pour parvenir à produire des émissions à la fois denses et intimes. Dans Sexy Folies, il y avait beaucoup de reportages et une recherche visuelle qui la rendait agréable à regarder, plus que toutes celles qui sont venues par la suite, à mon goût.

 
À l'époque, était-il facile de produire et de diffuser ce type d'émissions ?
 
Pascale Breugnot : Auparavant, en tant que documentariste, j'avais acquis une certaine notoriété dans le fait de faire des émissions documentaires qui s'appuyaient entièrement sur le témoignage des gens. Beaucoup de personnalités de la télévision se demandaient comment nous étions arrivés à faire parler autant de personnes de sujets délicats. C'était un travail d'équipe avec Bernard Bouthier, qui était très talentueux à la fois dans la sélection des personnes et dans le montage de l'émission. Nous étions très complémentaires et nous avions une idée claire de ce que nous voulions produire.
 
Nous avions conçu des dispositifs pour créer des séries thématiques, mais nous n'avons pas fait plus de quatorze numéros de Psy-Show. Parce que cela prenait un temps fou, qui réclamait un investissement total dans la recherche des personnes, dans la construction du discours, etc. Et puis finalement, je me suis rendu compte que nous allions finir par arriver à des redites, parce que le comportement intérieur et la façon dont les personnages réagissent à tel ou tel événement, finissent par se répéter au bout d'un certain temps.
 
 
C'est pour ces raisons que vous avez arrêté Psy-Show, pas par volonté de la chaîne ?
 
Pascale Breugnot : Non, ce n'est pas du tout la chaîne qui a voulu arrêter l'émission. Pierre Desgraupes, qui dirigeait Antenne 2, était pour moi un génie. Je n'ai jamais retrouvé cela ensuite dans mon parcours : une curiosité incroyable et une très haute idée du téléspectateur. Selon lui, on devait aux téléspectateurs le meilleur de ce qu'on pouvait faire, et il avait une haute opinion du niveau auquel ces derniers pouvaient nous suivre. Le lendemain du premier numéro de Psy-Show, je m'étais fait étriller par Yvan Levaï sur Europe 1. Pierre Desgraupes m'avait appelé pour me dire que, malgré les critiques et le début de scandale, il maintenait l'émission.
 
La chaîne ne nous mettait pas de contraintes particulières sur les émissions. D'autant que ces émissions avaient trouvé des cases : Psy-Show était considérée comme un programme intellectuel, du moins au début, et Sexy Folies était un divertissement. Et puis elles ont toutes les deux immédiatement marché.

 
Dans l'opinion publique, quel était le ressenti global ?
 
 Je ne me suis pas rendu compte que ça allait déclencher un tel scandale de parler d'éjaculation précoce à l'antenne. 
Pascale Breugnot : Psy-Show a été attaquée surtout à cause du sujet même du premier numéro. Naïvement, je ne me suis pas rendu compte que ça allait déclencher un tel scandale de parler d'éjaculation précoce à l'antenne. Et je ne pouvais pas imaginer que ce sujet serait abordé si frontalement ! Cette séquence a été isolée et c'est elle qui a suscité les plus vives réactions. Mais malgré tout, l'émission s'est poursuivie et le public a accroché. Les téléspectateurs comprenaient des choses sur eux-mêmes à travers les échanges du couple témoin, auxquelles ils n’avaient pas réfléchi.

 
Les audiences étaient de quel ordre ?
 
Pascale Breugnot : Celles de Sexy Folies étaient très élevées pour des programmes de deuxième partie de soirée. Pour Psy-Show, après la première émission où il y avait Alain Gillot-Pétré et des comédiens, nous avons choisi de faire des numéros d'une grande sobriété. Les téléspectateurs devaient être nécessairement accrochés par le sujet évoqué par les couples. Ils n'étaient pas là par hasard. Nous n'avions pas de pression sur les audiences, et l'audience n'a fait que monter.

 
Aujourd'hui, est-il plus difficile de créer des programmes qui traitent de sexe et de sujets intimes à la télévision ?
 
 Aujourd'hui dans le service public, c'est que lorsqu'on produit un concept innovant ce n'est pas du tout payé en retour. 
Pascale Breugnot : Ce qui est pénible aujourd'hui dans le service public, c'est que lorsqu'on produit un concept innovant ce n'est pas du tout payé en retour. Quant aux autres chaînes c'est compliqué aussi : Arte produit trop peu, et les chaînes privées préfèrent se concentrer sur d'autres types de programmes que les créations originales. Ce n’est pas normal qu'il y ait 27 chaînes sur la TNT gratuite en France et qu'il n’y en ait que cinq qui produisent. Tout le reste ce sont des émissions de plateaux, souvent pauvres. En plus, la concurrence entre les chaînes a des effets pervers pour la création : vous programmez une émission ou même un téléfilm innovant, en face vous allez avoir un film populaire qui va capter un tiers de l'audience sans coûter grand-chose qui plus est. Les programmateurs peuvent ainsi tuer une émission dès sa première diffusion.
 
Sur la sexualité, les chaînes ont du mal à traiter correctement de ces sujets. Récemment, un téléfilm sur l'homosexualité chez les adolescents a été diffusé sur France 2. On y voyait comment les parents et la société autour des personnages centraux réagissaient, négativement, à leur sexualité. Et on y voyait uniquement cet aspect des choses. La question de ce que c'est d'être homosexuel n'était même pas abordée sur une heure et demie de film. Cela donne l'impression que l'homosexualité est encore un sujet tabou. 
 
Créer des émissions du type de Psy-Show ou Sexy Folies aujourd'hui n’est pas une urgence du moment. Nous vivons désormais dans une société lourde, où on voit le danger partout au dehors, ce qui n'est pas propice à l'introspection. Dans ce contexte, que peut offrir la télévision, à part du divertissement, des belles histoires ? Les histoires qui ont du sens mais qui sont un peu graves, c'est très difficile de les faire accepter dans une chaîne aujourd'hui.

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