Traiter l’autre comme un objet
Si les scandales suscités par Jean-Christophe Averty tenaient à la fois à son langage télévisuel et à la mise à mal de certains tabous, ce qui se produit avec Osons est d’un autre ordre. On assiste à l’intrusion de la politique dans des émissions de divertissement, qui, a priori, semble loin de cet univers. Dans le cas que je viens de rappeler, ce qui choque le plus, c’est bien le fait que Jean-Marie Le Pen ait la parole après l’imitation de Patrick Sébastien et qu’il en profite pour justifier son discours ordinaire.
Cette dimension politique ne s’exprime pas seulement par la présence d’un politicien dans le programme, il devient clair qu’elle touche aussi son format. On le constate en novembre 2000, quand le député socialiste Michel Françaix lance en plein débat parlementaire sur le budget média : « Je n’aurais pas imaginé que l’on puisse programmer à 20 h 15, sur une chaîne publique,
C’est mon choix » (
Le Monde, 28/11/2000). Dans la foulée, le CSA demande à la chaîne de « prendre des mesures » pour éviter les débordements. Hervé Bourges, son président, proteste qu’il y a pire que ce talk-show, qui n’est rien à côté de l’explosion mondiale de « la télé-voyeuse, la télé-capteuse » dont témoigne le phénomène
Big Brother encore inconnu des Français. Pour l’heure, l’émission propose à ses téléspectateurs des sujets comme ceux-ci :
Je ne supporte plus les cheveux et les poils (7-11-2000),
Je vois mon mec quand je veux et où je veux (9-11-2000),
Je suis un régime extrême au mépris de ma santé (10-11-2000),
Je mange une pharmacie tous les jours (13-11-2000)…
Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, à l’inverse de son collègue socialiste, considère que cette émission pousse à « une certaine forme de tolérance », avis que, curieusement, partagent à l’époque 85 % de Français, pour qui C’est mon choix est « une émission qui permet de comprendre les différences entre les gens » (Ipsos, 21-22/11/2000). Finalement, le CSA abandonne toute procédure.
En fait, ce scandale est le symptôme d’un changement d’ère : après les reality shows des années 1990, les télévisions privées vont faire de la représentation de l’anonyme un spectacle, dans lequel l’autre sera considéré comme une curiosité. L’année suivante, Loft story amplifiera cet antagonisme entre ceux qui croient assister à des émissions plus authentiques que jamais et ceux qui considèrent qu’elles dégradent leurs participants.
Revenons à Cyril Hanouna. Son émission ne choque personne par sa forme qui emprunte à la mise en scène de toutes les bandes de chroniqueurs. On est loin d’Averty ! En revanche, son comportement apparaît comme une suite logique des dérives que subit la télévision privée depuis les années 1990. D’abord, parce qu’elle traite l’autre comme un objet dont on peut se jouer sans limites, du moment que cela amuse le téléspectateur. C’était déjà le cas de C’est mon choix ou de la télé-réalité, c’est la méthode Hanouna, qui traite pareillement avec une brutalité sans appel ses chroniqueurs.
Ces animateurs qui reprochent aux politiques de beaucoup parler et de ne pas agir montrent qu’ils ne comprennent pas que les paroles sont des actes
Cyril Hanouna est dans le sillage du Sébastien de 1995, dont il adopte la même ligne de défense. Comme celui-ci, qui s’était défendu de tout sentiment raciste, dès le lendemain de son sketch, il a répété à l’envi qu’il n’était ni raciste ni homophobe et que toute sa vie en témoignait. Dans les deux cas, ces animateurs qui reprochent aux politiques de beaucoup parler et de ne pas agir montrent qu’ils ne comprennent pas que les paroles sont des actes. Et qu’il ne suffit pas de protester de leur bien-pensance, en affirmant qu’ils ne sont ni racistes ni homophobes pour annuler ce que disent leurs sketches. La seule façon de les juger, c’est de regarder ce qu’ils font et c’est à partir de cette observation que l’on construit leur
ethos, leur façon d’être. Le tribunal qui a condamné Sébastien ne s’y est d’ailleurs pas trompé.
Autre point commun entre Osons et TPMP, le retrait des annonceurs qui ne veulent pas salir leur image.
L’affaire « Casser du Noir » s’est mal terminée pour Patrick Sébastien. Aujourd’hui, Cyril Hanouna dispose d’une ressource que son collègue n’avait pas : l’usage absolument libre de la chaîne sur laquelle il officie. Rappelons-nous que, lors de la gifle de Joey Starr au chroniqueur Gilles Verdez, il avait menacé de ne pas rendre l’antenne tant que le rappeur n’aurait pas présenté des excuses. Au vu du parallélisme des discriminations imputées aux animateurs (incitation à la haine raciale pour l’un, homophobie pour l’autre), les conséquences devraient être les mêmes. Reste à savoir si la chaîne osera toucher à sa poule aux œufs d’or. Si elle ne le fait pas, cela marquera une nouvelle époque : celle de la soumission des chaînes à leurs animateurs.
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Crédit :
Ina. Illustration :
Émilie Seto