Dailymotion : plateforme vidéo ou média ?

Dailymotion : plateforme vidéo ou média ?

Deuxième plateforme vidéo au monde après YouTube, le français Dailymotion investit aujourd'hui tous azimuts les nouveaux contenus. Il s'appuie pour cela sur plusieurs partenariats avec des maisons de disques et médias mais aussi sur des projets complémentaires à la télévision traditionnelle.

Temps de lecture : 9 min

Dailymotion : le défi des contenus

Malgré sa consonance anglo-saxonne, Dailymotion est un site français de partage de vidéos. Il s’agit à la fois d’une plateforme et d’un réseau social bien que son caractère communautaire soit de plus en plus supplanté par sa capacité à offrir une télévision de rattrapage. L’entreprise a été fondée en 2005 pour devenir le numéro 2 du marché derrière le leader YouTube appartenant à Google. Depuis, l’entreprise compte 15 millions de vidéos en stock (sans parler de son dernier partenariat avec l'Institut national de l'audiovisuel venant renforcer son catalogue) et a profité de plusieurs levées de fonds dont une toute particulière, en 2009, provenant du Fonds stratégique d'investissement (FSI). Le FSI, dont 51 % appartient à la Caisse des dépôts et consignations et 49 % à l’État, entrait ainsi pour la première fois au capital d’une entreprise numérique pour aider à son développement, notamment à l’international.
 

Cette ouverture au-delà du territoire national permet à Dailymotion d’investir de nouveaux marchés publicitaires grâce à l’accès à toujours plus de contenu. Pour autant, la plateforme ne s’appuie plus seulement sur les internautes qui postent des moments de vie ou des montages divers leur production n’assurant plus l’essentiel des consultations.
Peut-on alors encore parler de réseau social ? De moins en moins si l’on repose ce concept sur des individus isolés se retrouvant sur un même site pour apporter une forme de collaboration collective. « Seulement 3 % de l’audience de Dailymotion passe par la page d’accueil, quand plus de 50 % du trafic se fait sur une « page player », c’est-à-dire une page sur laquelle se trouve une seule vidéo », indique ainsi le blog Work in progress dont les chiffres sont confirmés par Dailymotion. Le site serait donc plus un hébergeur qu’un carrefour de fréquentations puisque ses vidéos sont consultées ailleurs. Toutefois, si l’on considère le fait qu’une grande partie des vidéos sont embarquées (« embeded ») et vues sur Facebook, on peut néanmoins admettre que Dailymotion est un partenaire du « web social ».
 
Mais en 2010, Dailymotion compte davantage sur du contenu à valeur ajoutée, des contenus « premium », issus de partenariats avec des professionnels de l’audiovisuel et du divertissement (chaînes de télévision ou de radios, sociétés de production, maisons de disques …).  Entre ces derniers et les amateurs, il existe aussi une autre catégorie de membres :  les Motion makers des auteurs de courts métrages, de films d’animations, de documentaires, des producteurs de courtes émissions … La démocratisation du matériel audiovisuel et leur créativité leur permettent de proposer des contenus de qualité professionnelle. Le site est pour eux une vitrine et un tremplin puisque certains concepts et « web-séries » passent ainsi du Web à l’écran. Les sketchs du Palmashow d’abord diffusés sur Dailymotion le sont aussi désormais sur Direct 8 chaque soir et les portraits de parisiens anonymes signés « Brèves de trottoir » qui a participé à renouveler le genre du documentaire en ligne, lauréat d’ailleurs du prix CNC pour les nouveaux médias, ont maintenant leur relais sur la station régionale de France 3 Ile-de-France.
 

Un processus qui n’est pas nouveau puisque le média Internet avait révélé également, avant le lancement de Dailymotion, Rémi Gaillard. L’humoriste avait ensuite collaboré pour la télévision sur MCM. Ses vidéos sont aujourd’hui hébergées sur Dailymotion et six d’entres elles figurent dans le top 10 des plus vues sur la plateforme. Une de ces séquences, un sketch où il joue au football dans la rue, est d’ailleurs la première vidéo du site avec plus de 9,7 millions consultations (et plus de 30 millions sur YouTube). « Il y a vraiment un phénomène Rémi Gaillard, commentait ainsi Marc Eychenne, responsable éditorial de Dailymotion en 2009 dans les colonnes de Libération (1) . Il est l’un des exemples les plus emblématiques de ces gens révélés par Internet après avoir échoué à se faire diffuser par les médias traditionnels. En plus, il fait ça depuis longtemps, le public le connaît : il a une légitimité.»

Dailymotion et la légalité

Reste qu’à son lancement, Dailymotion reposait sur ses membres non professionnels. Et certains ont manqué d’enrayer la machine. Les vidéos sont soumises, comme toute autre œuvre, au droit d’auteur et de diffusion. Une émission de télévision, un documentaire, un grand événement comme la Coupe du Monde ou la montée des marches à Cannes, un film ou un clip ne peuvent être téléchargés par les internautes en intégralité ni même en partie sur la plateforme contrairement à ce qui fut le cas, surtout durant les premières années de Dailymotion. Après une série de procès intentés par des ayants droits, la Cour d’Appel de Paris a estimé en 2009 qu’aux termes de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), le site devait être considéré non pas comme éditeur, mais comme hébergeur de l’ensemble des vidéos présentes sur le site. Sans être condamnée pour contrefaçon, l’entreprise engage donc sa responsabilité d’hébergeur lorsque le caractère « manifestement illicite » du contenu est porté à sa connaissance et qu’elle ne retire pas « promptement » ce contenu protégé par le droit d’auteur. Il en va de même si l’entreprise n’a pas tout mis en œuvre pour empêcher qu’un contenu retiré soit à nouveau chargé sur la plateforme (2) .
 
Pour se conformer à la législation en vigueur, Dailymotion a conclu plusieurs accords depuis 2006. Ce fut d’abord le cas avec la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) pour la diffusion de vidéoclip puis, en 2008, avec trois sociétés d’auteurs, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), la Société civile des auteurs multimédia (Scam) et la société des Auteurs dans les art graphiques et plastiques (ADAGP). Ce fut ensuite le cas avec la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique).
 
Dailymotion s’est également rapproché des producteurs de fictions télévisuelles de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA). Les sociétés disposant des droits sur des œuvres ou chargées de les collecter virent alors ces contenus dorénavant protégés et leurs auteurs rémunérés. Dailymotion corrigea dans le même temps l’image de « pirate » qui lui était de plus en plus attribuée tout en pouvant continuer à proposer des contenus très divers et librement consultables à ses utilisateurs. Dailymotion a également repris la technologie d’empreinte audio et vidéo développée par l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) et Audible Magic pour détecter le téléchargement de contenus illicites.

Toujours plus de contenus

Comme pour n’importe quel moteur de recherche - Dailymotion est un moteur de recherche d’images - le site a besoin de toujours plus de contenus. La logique étant de disposer du meilleur stock de vidéos afin d’attirer sur le site le plus grand nombre de visiteurs. Plus l’audience est forte et plus l’entreprise est en capacité de la « monétiser », en d’autres termes, d’avoir du poids face aux annonceurs pour faire grimper le prix de la publicité présente sur le site et qui représente toujours 100 % des recettes.
 
Pour doper l’attractivité du site avec des vidéos exclusives ou au très fort potentiel de consultation, Dailymotion a trouvé un outil précieux pour se développer : le partenariat. Plusieurs ont été noués avec des sociétés comme Warner Music ou EMI permettant au site de diffuser en France et à l’étranger des clips, des concerts et interviews d’artistes présents dans le catalogue de ces maisons de disques. Lesquelles profitent en retour d’un nouveau média pour promouvoir leurs artistes. David Guetta, Charles Aznavour et Robbie Williams sont d’ores et déjà entrés dans les serveurs de la plateforme. « Notre propre essor vient de là : les gens veulent un accès direct à la culture, à l'information, au divertissement, sans passer par un support physique. Ils veulent y accéder à la carte, de manière directe, interactive et gratuite », expliquait ainsi le PDG de Dailymotion Cédric Tournay, au journal Le Monde (3)

Vers une télévision « copyrightée » et de rattrapage

Les médias sont également nombreux à avoir investi la plateforme. Des partenariats ont été noués avec des stations de radio et chaînes de télévision françaises mais aussi étrangères, comme CNN qui va jusqu’à proposer une sélection de ses reportages en langue française. Dailymotion sait effectivement les capter car la plateforme n’a prévu aucun droit d’entrée. Il n’y a donc à payer ni redevance ni frais techniques pour être présent sur le site. Qui plus est, cette présence peut leur rapporter puisque l’entreprise partage avec les médias la moitié des recettes publicitaires dégagées par la consultation de leurs vidéos, ce qui peut aller de quelques dizaines à quelques milliers d’euros selon Dailymotion (les particuliers et Motion makers profitent également de ce système de redistribution à condition qu’ils se fondent en société). Pour un média comme BFM TV, qui permet de revoir des reportages et interviews diffusés à la télévision sur son espace Dailymotion, cette rémunération est une source complémentaire de revenus sur des contenus déjà amortis.
 
 
Mais avec Dailymotion, les médias ont surtout à gagner en visibilité grâce à un support, la vidéo, de plus en plus consommée sur Internet (lire aussi « L’essor du support vidéo sur internet »). « Aujourd'hui, on estime que 15 % du temps passé sur la « toile » est consacré à regarder des vidéos. D'ici trois ans, nous estimons que ce chiffre devrait atteindre 25 % ou 30 % » poursuivait Cédric Tournay dans Le Monde. Ce support est échangeable facilement et l’essor des réseaux sociaux en accélère encore davantage la rapidité. La vidéo peut être également exportable sur un blog ou un site grâce à un code d’embed. La séquence du dérapage de Brice Hortefeux lors du campus d’été de l’UMP vue plus d’un million de fois sur le compte du Monde.fr ou les billets d’humeur au vitriol de Stéphane Guillon sur celui de France Inter sont des exemples du potentiel et de la vitesse de propagation du support vidéo. Ce succès ne se dément pas, même lorsqu’il n’y a paradoxalement pas d’image. Les écoutes sonores du maître d’hôtel de Liliane Bettencourt révélées par Médiapart ou les reportages audio d’Europe 1 chargés sur Dailymotion, proposés avec une image fixe d’illustration, permettent d’être importés par d’autres médias Internet qui poursuivent le relai de la radio et à cette dernière de toucher de nouveaux publics. Tout comme une partie de ceux ayant vu Stéphane Guillon sur Dailymotion ne l’ont jamais entendu derrière un poste de radio. Et la consultation de ces séquences se poursuit des semaines et des mois après avoir été chargées ce qui fait de la plateforme un efficace site de vidéos de rattrapage (ou catch-up).

Un média comme un autre ?

Dailymotion peut-il alors être considéré comme un média à part entière ? D’une certaine manière car en plus d’être hébergeur, le site est également diffuseur. Cependant, la plateforme ne produit pas de contenus et s’y refuse pour ne pas entrer en concurrence avec ses partenaires qu’elle recherche tant. « Nous sommes dépendants de ce que nos partenaires nous fournissent », souligne Antoine Nazaret, responsable de la chaîne thématique « News » de Dailymotion, interrogé par Alice Antheaume pour le blog « Work in progress ». En revanche, et en fonction de l’actualité, « Dailymotion peut suggérer à ses partenaires médias de produire telle ou telle vidéo ». Nous ne sommes donc plus loin du « cross-media » avec une transversalité ici entre la télévision traditionnelle et le Net, voire du « co-branding » puisqu’il y a bien association de deux marques pour développer un même service. Ainsi une émission comme « La Tribune BFM Dailymotion » sur BFM TV ou « Ca vous regarde » sur La Chaîne Parlementaire (LCP) permettent aux internautes d’intervenir à l’antenne en se filmant et postant leur vidéo sur Dailymotion.
 
Le site va même jusqu’à proposer la diffusion en direct d’une chaîne, de manière événementielle, comme ce fut le cas avec France 24 à l’occasion du sommet de Copenhague, en décembre 2009. Dailymotion a également franchi l’étape de la diffusion d’événements sportifs, en direct et gratuitement, en proposant sur son site les championnats du monde d’athlétisme de Doha, alors qu’ils étaient diffusés en même temps sur Direct 8. Pour cette opération Dailymotion n’a déboursé aucun centime. Il s’agissait d’un échange avec le gestionnaire des droits, une filiale de Lagardère, pour apporter de la médiatisation à l’événement. La chaîne Direct 8 aurait pu dénoncer une concurrence déloyale, mais elle n’a manifesté aucun sentiment en ce sens. Cela révèle une fois de plus que la diffusion Internet et télévision répondent à deux types de consommations bien différentes avec chacune son public particulier. Les téléspectateurs ne feraient donc pas d’arbitrage en choisissant un média au détriment d’un autre. Ils en préfèreraient déjà un, selon le moment de la journée, le lieu où ils se trouvent, leur activité… Certes, les yeux ne se démultiplient pas, mais ceux qui ont regardé les sprinters rivaliser à Doha sur Dailymotion n’avaient pour un grand nombre pas l’occasion de les voir à la télévision parce qu’ils pouvaient être au bureau…
 
 

La diversité des écrans

Une fois fait ce constat, il suffit ensuite de l’appliquer pour en tirer les bénéfices. La télé-réalité « Dilemme », lancée simultanément sur W9 et 22h/24 sur Internet en accord avec Dailymotion, est l’exemple de ce type d’initiative pour toucher le public présent devant sa télévision ou son écran. En investissant Internet, il est possible de capter une autre cible, souvent plus jeune, que l’on vendra ensuite à des annonceurs. « [Sur Internet],  50 % du public a moins de 35 ans. C'est beaucoup plus en proportion que dans la population », indiquait Martin Rogard, directeur général France de Dailymotion dans Ouest-France (« La téléréalité va draguer dans le vivier du Net », jeudi 20 mai 2010, page 1).
 
Les différentes manières de consommer les contenus vidéo incitent aujourd’hui l’entreprise à investir tous les écrans. Après l’écran d’ordinateur, c’est celui du mobile et de la télévision du salon qui sont de nouvelles pistes de développement pour l’entreprise française. Dailymotion n’est pas forcément à la traîne en proposant déjà une application pour smartphone et en disposant d’un canal sur les offres télévision des fournisseurs d’accès SFR (ex-Neuf) et Numericable. Certaines vidéos du site sont donc aujourd’hui consultées en dehors du Web. Ce sont des voies qui ne peuvent désormais plus être négligées avec l’enjeu de la mobilité et le projet « Google TV », lancé conjointement par Google et YouTube pour combiner télévision et Internet.
    (1)

    « Farce de frappe », 11 février 2009, page 40 « Portrait ».

    (2)

    Pour plus d'informations : Affaire Omar et Fred/Dailymotion, TGI Paris, 15 avril 2008 et Affaire Jean-Yves Lafesse/ Dailymotion, TGI Paris, 15 avril 2008. 

    (3)

    « Trouver des formes de rémunération est un défi », lundi 2 novembre 2009, supplément Télévision, page 2, Le Monde..

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