De la polémique à la banalisation : 12 ans de téléréalité
Fortement décriée lors de son arrivée sur les écrans en France, la téléréalité est désormais considérée comme un genre accepté. Comment en est-on arrivé là ?
Fortement décriée lors de son arrivée sur les écrans en France, la téléréalité est désormais considérée comme un genre accepté. Comment en est-on arrivé là ?
L’ouvrage de Nathalie Nadaud-Albertini, issu de sa thèse de doctorat, est une formidable analyse de la réception des émissions de téléréalité. Cette étude, composée de trois parties, s’attache à décrypter, décrire, et analyser, les différentes réactions observables au travers d’exemples précis d’émissions et de situations, afin de comprendre comment la téléréalité est devenue un genre légitime. Comme nous le rappelle l’auteure en introduction, la téléréalité a suscité de vives polémiques à son arrivée, provoquées selon elle par le caractère inédit de ces programmes. De fait, le genre a connu des difficultés de définition, y compris pour l’auteure qui ne définit pas ce qu’elle considère malgré tout comme un genre à part entière, et ses impacts non connus entraînèrent une méfiance toute particulière. C’est à travers cette notion de défiance, fil rouge de sa recherche, que Nathalie Nadaud-Albertini aborde le phénomène « téléréalité », d’une part en élaborant une grille d’interprétation, et d’autre part en analysant sa réception numérique sur les forums. De ce fait, l’auteure dépasse le cadre strict du téléviseur et « permet d’identifier un public télévisuel élargi qui lui-même permet d’aller au-delà des impasses de la notion de public dans les enquêtes en réception ».
Dans un premier temps, l’ouvrage s’intéresse à l’émission devenue une véritable légende du petit écran : « Loft Story ». Lancée le 26 avril 2001, rarement une émission n’avait suscité un tel engouement médiatique. C’est une véritable « innovation télévisuelle » qui a, d’une part, entraîné la « mise en place d’un dispositif expérimental » et, d’autre part, créé une « forme novatrice d’écriture audiovisuelle ». L’originalité de ce nouveau concept réside dans la coupure avec la vie extérieure choisie par les 11 candidats, surveillés 24h sur 24h par des caméras. Nathalie Nadaud-Albertini s’attache à montrer le changement qui s’opère dans la construction et la narration de ce genre de programme, à travers le schéma d’écriture audiovisuelle « personnage-personne ». La personne enfermée dans l’émission devient un personnage avec une fonction, ce qui la rend insubstituable. « Loft Story » établit alors un véritable rapport de proximité avec les téléspectateurs en utilisant la technique du « mimétique bas » : les « personnages-personnes » de l’émission sont glorifiés pour devenir de vrais héros alors que l’on observe simplement leur vie quotidienne. Le téléspectateur est lui-même attendri par la banalité de la vie de ces héros éphémères. La constitution du héros est donc ici différente de celle des séries télévisées : dans la téléréalité, la mise en intrigue des personnages se fait a posteriori. C’est en ce point que la téléréalité innove dans son schéma d’écriture audiovisuelle et s’est retrouvée au centre des polémiques.
Tout est fait pour rendre l’émission addictive et inciter le téléspectateur à consommer le programme comme une sitcom.Tout est fait pour rendre l’émission addictive et inciter le téléspectateur à consommer le programme comme une sitcom. C’est cet assujettissement du téléspectateur qui a donné une image négative de « Loft Story ». Enfin, Nathalie Nadaud-Albertini évoque la perception de l’émission comme une « entreprise de déshumanisation » : les candidats doivent une disponibilité absolue pour autrui et perdent ainsi le « contrôle de soi pour soi ». La part d’intimité est oubliée alors qu’elle fonde le respect de l’être humain, et l’aliénation des candidats est évidente, puisque « le soi se résume à capter le regard de l’autre ». D’autres critiques ont également été proférées lors de l’arrivée de l’émission : l’entrave à la maturation des candidats dans le Loft, qui devient alors une sorte de mère intrusive, l’abolition des étapes nécessaires à la construction d’une personne, et même l’affaiblissement de la faculté de raisonner (les candidats n’ont pas droit aux journaux, à la télévision, etc.). La critique principale concernant « Loft Story » a donc bien été que le programme nous ait donné à voir des animaux ou même des objets, et non des êtres humains.
La deuxième partie de l’ouvrage s’attache à montrer comment les chaînes et les producteurs ont tenté de mettre en place « un dispositif de confiance » afin de rendre acceptable le genre téléréalité. Plusieurs procédés ont été utilisés afin de changer l’image perçue de la téléréalité, un genre qui utilise « la duperie, la manipulation et l’opportunisme. » Parmi les premiers ajustements, les chaînes et les producteurs ont souhaité se distancer des critiques initiales. Ils montrent ainsi leur bonne volonté et proposent des adaptations au nom de l’éthique. Parmi elles, on pourra citer les « adaptations par anticipation » et celles « en process ». Si la première forme tente de neutraliser les critiques à l’avance, en prenant en compte par exemple la spécificité culturelle de chaque pays lors de l’export des programmes, la deuxième consiste en une adaptation en cours de diffusion. L’auteure aborde également les procédés mis en œuvre lors de « Loft Story » pour désamorcer les reproches faits au programme. On pourra citer, à titre d’exemple, la diffusion d’une émission spéciale – « Les Coulisses du Loft » – censée garantir la transparence de l’émission aux téléspectateurs.
La souffrance ressentie par les candidats est tolérable, car elle est utile au bien commun.La souffrance ressentie par les candidats est donc tolérable, car elle est utile au bien commun. Ce procédé exonère ainsi le téléspectateur de tout sentiment de culpabilité. L’émission regardée est acceptable et rétablit un certain équilibre : les riches et célèbres souffrent pour les associations.
La dernière partie concerne une fois de plus la confiance réellement établie dans les programmes de téléréalité. Et pour cela, Nathalie Nadaud-Albertini, propose une analyse des forums. Ces espaces de discussion numériques permettent aux téléspectateurs « forumeurs » d’interagir pour définir s’il est possible ou non d’accorder sa confiance au programme en question. En effet, les personnes utilisant les forums ont peur d’être victimes d’une « représentation frauduleuse ». En clair, ils ont peur que les émissions censées représenter la vie quotidienne soient en fait fausses car organisées par une mise en scène théâtrale. Cette partie s’avère ainsi très enrichissante sur les rapports qu’entretiennent les forumeurs avec la téléréalité : de la peur que les émissions puissent agir sur nous (puisqu’on agit sur elles), à la considération des candidats comme des personnes ou des personnages, ou encore à l’utilisation des forums comme lieux d’enquête pour tester la crédibilité des programmes, on comprend à quel point les forums sont de formidables outils d’évaluation de l’authenticité de la téléréalité.
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