8 septembre 2022, 19h37 : ouverture de l'édition spéciale sur TF1

© Crédits photo : TF1 (capture d'écran)

Comment TF1 prépare les funérailles de la reine Elizabeth II

Pour les grands événements, les chaînes de télévision bousculent leurs grilles et proposent des « éditions spéciales ». Antoine Guélaud, directeur de ce type d’opérations pour TF1, explique la mobilisation des équipes, et les contraintes, alors que les obsèques d’Elizabeth II se profilent.

Temps de lecture : 8 min

Commençons par le commencement : qu’entendez-vous par « opération spéciale » ?

Antoine Guélaud : On parle d’opération spéciale lorsque l’on prend l’antenne pendant plusieurs heures pour développer une information pour les Français qui nous regardent. Il y a deux cas de figure : les évènements prévus et les imprévus. Parmi les imprévus, ceux qui n’ont pas de date fixée à l’avance, il y a la mort d'une personnalité, comme la reine Elizabeth II, ou Johnny Hallyday dans un autre registre. Ce peut aussi être un événement météo, une catastrophe climatique qui nécessite de prendre l'antenne. Les évènements prévus sont des rendez-vous fixes, comme le défilé du 14 juillet, ou le jubilé de la reine, la célébration de ses soixante-dix ans de règne. Le passage à l’an 2000 faisait aussi partie de ce genre d’évènements.

Votre rôle est donc d’organiser la couverture de tels événements ?

Oui, d’ailleurs « directeur des opérations spéciales » c'est un titre un peu pompeux. Je suis journaliste et, dans ces situations, je mène la rédaction en mission commando pour amener la meilleure information possible aux Français. Je suis un homme à la fois très seul et très entouré. Seul, parce que je n'ai pas d'équipe dédiée à proprement parler, entouré car je dispose de toutes les forces vives de la rédaction dès qu'il se passe un événement, prévu ou non, qui nécessite de prendre l'antenne sur la durée.

Ce poste, que m’a confié Thierry Thullier en mai 2018, demande de la créativité. Je dois éviter à tout prix d’être dans la répétition. Je réfléchis, pour chaque opération spéciale, aux façons de surprendre les téléspectateurs, en gardant toujours la forme au service du fond.

Sans pouvoir deviner la date exacte du décès d’Elizabeth II, vous deviez tout de même vous y préparer un peu?

Nous nous y préparions depuis certain temps, en raison de son âge. Nous en parlions deux à trois fois par an, afin d’actualiser nos sujets, ce que nous avons par exemple fait après le Jubilé et la mort du Prince Philippe. C'est mon rôle de directeur des opérations spéciales : m’assurer que le jour J, nous ne nous retrouvions pas avec un sujet daté, non révisé depuis un an. Nous avons cherché des angles originaux et envoyé des techniciens à Londres pour repérer un certain nombre de choses. Il faut aussi prévoir des invités intéressants en plateau. Nous nous sommes entendus avec Marc Roche, Vincent Meylan et Isabelle Rivère, des grands spécialistes de la monarchie, pour qu'ils nous accompagnent au moment d'opérations spéciales, d'événements heureux ou plus dramatiques, chacun apportant sa valeur ajoutée. Nous déjeunons ensemble régulièrement depuis des mois afin d’entretenir des liens, un contact.

« La spontanéité, ça se travaille »

Entre les différents invités, la technique, les sujets (prêts ou non), les numéros de téléphone, un gros travail préparatoire est nécessaire en amont du jour J. La spontanéité, ça se travaille . Tout doit être vérifié, à tous les niveaux. Pour le décès d’Elizabeth II, tout était consigné dans un gros dossier de 82 pages.  À certains égards, le jubilé nous a servi de répétition générale sur l’éditorial et la technique.

On peut imaginer qu’on ne propose par les mêmes choses pour un jubilé que pour un décès…

Comme en patinage artistique, il y a des figures libres et des figures imposées. Le Jubilé, c'était beaucoup de figures libres. Nous avions envie de faire découvrir la société londonienne à travers différents moyens de locomotion : un bus à impériale, un taxi, une calèche… Pour les obsèques, ce sera beaucoup plus convenu, plus institutionnel. Il y aura plus de contraintes, moins de marges pour être créatifs : Il s’agit là de figures imposées.

« Si le décès intervient avant 20h, il faut prendre l'antenne tout de suite, et c'est une opération spéciale »

Dès 19h37, quelques minutes après l’annonce officielle du décès, TF1 est entré en édition spéciale pendant près de deux heures, coupant Ingrid Chauvin en pleine réplique dans l’épisode du jour de « Demain nous appartient ». Comment prend-on cette décision ?

Dans un cas comme celui-là, si le décès intervient avant 20h, il faut prendre l'antenne tout de suite, et c'est une opération spéciale . Si l’information était tombée un peu après 20h, on aurait commencé le journal, qui aurait forcément pris une autre direction. Nous avons été alertés par nos réseaux, nos correspondants royaux (Vincent Meylan, Marc Roche), notre correspondante à Londres Elise Stern, ainsi que les médias britanniques. Dès que nous avons compris que l’état de santé de la reine se dégradait sérieusement, nous avons envoyé quatre équipes sur place. Toutes les forces vives des rédactions de TF1 et de LCI, avec qui nous fonctionnons main dans la main tout au long de l'année, et notamment sur ce genre d'événement, ont été mobilisées. Chacun était à son poste et savait exactement ce qu’il devait faire, à la minute près. Le service de reportage des JRI [journalistes reporters d'images, NDLR] se mobilise, TF1 info s’occupe du QR Code, affiché à l’écran et permettant d’aller plus loin sur l’actualité lorsqu’il est flashé. Il y a les reportages à coordonner.

Combien de personnes avez-vous mobilisé en tout ?

Une cinquantaine de personnes ont été envoyées très rapidement sur place, soit une quinzaine d'équipes, comprenant journalistes et techniciens. Les rumeurs sur la mort d'une personnalité peuvent durer des semaines. Pour Elizabeth II, nous étions en ordre de bataille : un groupe WhatsApp a été créé et nous avons réquisitionné une salle comme lieu de réunion. C'est une mécanique de précision, le maximum de choses a été prévu à l'avance, mais il y a évidemment toujours des imprévus.

Qu’est-ce qui est finalement le plus complexe à organiser ? Le déplacement des moyens techniques ?

Le matériel n'est plus très lourd, tout tient dans un sac à dos.  Ce n’est pas comme lorsque je partais en reportage il y a quelques dizaines d'années, avec des caisses en pagaille, pour des coûts de transport exorbitants. Nous avons aussi des appareils spécifiques pour diffuser nos images, dans un contexte où les réseaux téléphoniques classiques sont vite saturés. Notre bureau à Londres peut jouer un rôle de pivot et centraliser beaucoup de choses. La logistique, c’est le nerf de la guerre. Il faut trouver les hôtels pour les équipes… C’est presque militaire, nous devons être efficaces, ne pas perdre de temps.

« Les emplacements ont été repérés par la BBC ou des agences comme AP, et négociés avec la famille royale »

Qui détermine vos lieux de tournage, vos emplacements pour les caméras ?

C’est très codifié. Les emplacements ont été repérés par la BBC ou des agences comme AP, et négociés avec la famille royale . Nous savons par exemple que le jour des funérailles, nous aurons une position à Westminster Hall, une à Westminster Abbey, une à Buckingham, une ou deux à Windsor. Tout ça aura été vu au préalable, pas par nous, mais par nos prestataires, une à deux années en amont. Comme nous n’organisons pas cela directement, nous devons nous nous assurer des choix qui ont été faits. Nous occupons un créneau complet pour la matinée ou pour la journée, ou bien nous laissons la place à d'autres confrères à certaines heures qui nous intéressent le moins, en fonction des décalages horaires. En parallèle, nos envoyés spéciaux iront à la rencontre des citoyens britanniques à travers le pays.

Les obsèques sont prévues lundi 19. Qu’allez-vous faire d’ici là ?

J'ai des réunions tous les jours, notamment avec LCI, pour imaginer le dispositif, afin de présenter aux téléspectateurs français et francophones une émission qui ait du sens, où l'on apprendra le plus de choses possibles. Il nous faut par exemple un spécialiste pour nous accompagner pendant la messe. Pour ce qui est d’éventuels journaux spéciaux en amont et dédiés à l’évènement, nous ne nous interdisons rien . En ce moment, nous avons des équipes en permanence sur place. Nous prendrons l’antenne le matin pour la rendre dans le courant de l’après-midi. Ça sera une longue spéciale, un peu comme celle du 14 juillet. Nous pouvons par ailleurs tout à fait prendre l’antenne une ou deux heures avant la cérémonie, et décider ça seulement une ou deux heures plus tôt. Ce sera une journée très marquante pour tout le monde.

« Nous ne nous interdisons rien »

Pour autant, les images des obsèques ne seront pas celles de vos JRI ?

Pour les obsèques de la reine, c’est la BBC qui nous fournit les images. À titre de comparaison, en France, pour le 14 juillet, France Télévisions et TF1 jouent en alternance le rôle de la chaîne hôte. Nous produisons le signal, proposé par la suite à la vente à destination des agences. La difficulté d'une opération spéciale de ce genre est toujours la même : nous avons les mêmes images que les autres, qu’apportons-nous ?  Et c’est là que j’entre en jeu, sous la direction de Thierry Thuillier, le directeur de l'information du groupe.

J’imagine que vous n’allez pas nous révéler tout ce que vous avez en stock pour la journée de lundi.

Cela fait partie des choses qu'on ne divulgue pas, en effet.

Regardez-vous déjà au-delà des obsèques ? Par exemple, le couronnement de Charles III ?

On va s'y atteler très vite, c’est la suite logique. Nous allons commencer à imaginer une spéciale, des sujets pour l’occasion, même si je suis connu pour faire beaucoup de directs et peu de sujets dans ces situations.

Quelles personnalités auront droit à une spéciale, maintenant que Johnny Hallyday et la reine d’Angleterre sont partis?

Je ne fais pas de liste. On regarde qui a joué un rôle important en France dans le domaine de la culture, de la politique, de l'économie, qui peut disparaître et mérite qu’on revienne sur son œuvre. On évalue le contexte, la personnalité… c’est très complexe.

« La télévision du XXIe siècle a une forme différente de celle d’avant »

Êtes-vous satisfaits de vos éditions spéciales sur le décès de la reine ? Au niveau des audiences par exemple.

Oui, nous avons fait de belles audiences sur la page spéciale du jeudi soir, en réaction à l'actualité immédiate, quelques minutes après l'annonce du décès. Cette réactivité prouve que nous étions bien organisés. L’audience est toujours une reconnaissance du public. Cela prouve que nos sujets, nos invités, étaient les bons pour développer certains aspects de la vie d’Elizabeth II. Généralement, nos spéciales fonctionnent bien. Nous sommes très souvent leader, notamment le 14 juillet, à l'élection présidentielle et aux élections législatives. Nos spéciales récentes ont montré que les téléspectateurs nous attendent lors de tels événement. C’est important pour nous. Nous essayons d'intéresser notre public, tout en ayant en tête que la télévision du XXIe siècle a une forme différente de celle d’avant. Il y a les réseaux sociaux, les chaînes d’informations : il faut apporter quelque chose de plus, marquer notre différence et être encore plus réactifs.

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