Agrégation, modes d’engagement et rôle des utilisateurs
Le recours à des tiers varie en effet selon plusieurs dimensions, l’une dépend du type d’agrégation pratiquée. Avant de tenter de regrouper les modalités d’engagement dans les UGC, il est utile de revenir sur les différentes formes d’agrégation de contenus pour mieux cerner ceux qui relèvent pleinement des UGC de ceux qui peuvent n’offrir que des formes de personnalisation des flux d’informations
Kimberly Isbell en distingue quatre formes principales : les agrégateurs, les agrégateurs spécialisés, les agrégateurs d’UGC et ceux de blogs.
Les agrégateurs (« Feed Aggregators » ou « RSS aggregator ») apportent des contenus de sources diverses aux utilisateurs (contenus souvent limités au titre). Les plus connus sont Yahoo! News (My Yahoo étant sa déclinaison personnalisée) et Google News. Les agrégateurs spécialisés ne collectent des contenus que sur des sites ou des thèmes spécialisés, ainsi des sites hyper locaux tels que
Everyblock et
Outside.In ou des sites spécialisés en technologie comme
Techmeme ou en politique, à l’instar de
Political Wire. Ces deux types d’agrégateurs recourent à des contenus de tiers mais sur un mode automatisé, à base d’algorithmes pour sélectionner les contenus par importance, ce qui n’implique pas, stricto sensu, de sélection éditoriale et se retrouvent le plus souvent accusés de faire une concurrence directe aux sites des éditeurs de presse car recourant aux propres contenus de ces derniers. Même automatique, il s’agit néanmoins d’un mode d’implication des tiers puisque les algorithmes prennent compte la fréquence d’utilisation ou les recommandations anonymisées des amis et relations (c’est le cas de Facebook). Degré zéro de l’implication des consommateurs si l’on veut, mais implication tout de même.
Les agrégateurs de contenus générés par les utilisateurs sont des sites qui regroupent une plus grande variété de sources et des liens vers des blogs ou des sites. Enfin, un agrégateur de blog construit son site à partir de contenus de tiers pour traiter des sujets. Les sites de Gawker et le Huffington Post sont parmi les plus connus. Le premier synthétise des contenus de blogs « bruts » sous la forme d’un texte unique, offrant les sources à la fin du texte. Le texte peut être réduit à un court résumé ou à des extraits. Le Huffington Post est organisé en différentes sections, les premières pages offrant un mélange d’accès à différents types de contenus dont des contenus originaux émanant de la rédaction, des agences de presse hébergés sur le site et d’articles venant de sites tiers. Le Huffington Postreprend ou modifie le titre original du texte provenant de ces sites. Il s’agit donc là d’utilisations actives et sélectives de contenus tiers par l’équipe éditoriale. Paul Ackermann raconte qu’au moment de la mise en place de
la déclinaison française, la seule contrainte imposée par l’équipe américaine avait été la création de deux postes spécifiques : celui de «
traffic and trend editor » chargé de repérer et gérer les éléments sur les réseaux sociaux et celui de «
blog editor » en charge de ces contributions.
Une autre façon de rendre compte de l’implication des tiers consiste à suivre les modes d’engagement des utilisateurs dans la presse à partir des deux formes principales de contributions indiquées principalement : autoédition et communauté.
Nous avons classé dans la rubrique de l’autoédition, les blogs bien sûr, mais aussi les agrégateurs de blogs comme le Huffington Post ou Mediapart en raison des opportunités qu’ils offrent de publication de textes d’amateurs, et par opposition au fonctionnement en communauté que ce soit sous forme de contribution au débat démocratique du journalisme citoyen ou de phénomènes d’animation de communautés plus restreints comme ceux de fanzine qui relèvent de la presse spécialisée. Le site britannique pour parents (« pour et par des parents » dans sa présentation)
Mumsnet est un exemple intéressant d’un site fondé sur une communauté. Créé en 2000, par des journalistes professionnels rétribués, il s’appuie néanmoins avant tout sur les contributions de ses membres et se connecte à des sources diverses. Il génère plus de 85 millions de pages regardées et plus de 17 millions de visites mensuelles.
On notera qu’en ce qui concerne le financement participatif, une étude de
Pew Research, conduite en 2015 sur le seul site de Kickstarter révèle que le financement de l’information de cette façon, avec seulement 6,3 million de dollars et 655 projets, est largement à la traîne vis-à-vis d’autres médias tels que les jeux qui récoltent plus de 350 millions de dollars pour soutenir plus de 6 000 projets acceptés ou les films et la vidéo (247 millions pour 18 600 projets).
Les modes d'engagement dans les UGC, dans le secteur de la presse. Quelques exemples.
Enfin, la fréquence de la collaboration entre amateurs et organes d’information peut varier. Elle peut être occasionnelle ou régulière et, dans ce cas, comme le note Jean-Marie Charon, se rapprocher de la figure plus traditionnelle du rubricard. Il s’agit dans ce cas avant tout de contributions « techniques », à visée d’expertise sous une forme ou sous une autre pour des domaines que ne peut pas couvrir la rédaction en raison de ses effectifs limités. C’est le mode de collaboration le plus utilisé par des titres comme Huffington Post, Atlantico, LePlus, Figarovox. Elles font partie du format éditorial adopté par ceux-ci, le titre offrant des sections, des espaces d’expression sous forme de blogs comme celles offertes par Le Monde.fr à ses abonnés, 20Minute.fr aux lecteurs qui le souhaitaient, ou Mediapart (Le Club).
À l’autre extrême, on trouve des collaborations exceptionnelles, souvent liées à un événement spécifique auquel le public s’est trouvé assister, catastrophes naturelles (Haïti, Népal.. ;) ou événements politiques (élections…) quand il s’agit du suivi d’un événement politique ainsi du « BBC’s live blog » ou du blog pour les élections du Guardian. Jean-Marie Charon souligne que dans certains cas, comme celui du printemps arabe, les contributions des amateurs peuvent être pré-formatées pour être reprises dans la presse internationale. Dans ces deux cas de figure (collaboration régulière/collaboration occasionnelle), la contribution peut ou non être rémunérée. Dans ces deux cas, la rédaction est activement impliquée dans l’interaction avec le public.
Cela n’est en général pas le cas pour une forme intermédiaire de coopération au travail des journalistes par voie de commentaires, suggestions ou repérages et indications de documents. Une activité qui, comme noté par l’institut Pew en 2010, impliquait plus d’un tiers des utilisateurs. L’un des blogs créé par le
Guardian avait précisément l’objectif d’ouvrir un espace documentaire au public. La rédaction peut néanmoins intervenir
pour modérer les commentaires sur son site, ainsi de Slate.fr. Elle peut aussi décider d’y mettre en terme comme ce fut le cas pour le site américain de vulgarisation scientifique PopSci.com avant d’éviter que des « trolls » ne polluent les débats.