Diffusion du eSport à la TV : stop ou encore ?

Diffusion du eSport à la TV : stop ou encore ?

Au début de l’année 2016, L’Équipe faisait figure de pionnier en France de la retransmission de compétitions de sport électronique. Depuis, d’autres chaînes se sont lancées sur ce créneau pour la saison 2016/2017, en espérant capter de nouveaux publics grâce à l’eSport.
Temps de lecture : 7 min

En octobre 2015, La chaîne L’Équipe (anciennement L’Équipe 21) diffusait, en clair, la finale du jeu de football FIFA 16 lors de l’ESWC. Dans la foulée, la chaîne émanant de l’unique quotidien sportif français proposait une compétition axée sur le même jeu, appelée l’E-Football League. Le programme du même nom était animé par Florian Gazan, entouré de deux consultants experts, Bruce Grannec et Mahmoud « Brak » Gassama. Diffusée de façon hebdomadaire entre janvier et juin 2016, l’émission devait être reconduite début 2017, preuve d’un certain succès d’audience et de retours positifs de la part des téléspectateurs. Mais finalement, il n’en a rien été : bien qu’une section eSport existe toujours sur le site lequipe.fr, le programme diffusé sur la chaîne a, quant à lui, pris fin le 5 juin 2016.
 
Si le pionnier de la diffusion d’eSport sur les antennes de la TNT a changé son fusil d’épaule, d’autres se sont lancés dans l’aventure cette saison. Canal+ a dégainé fin octobre 2016 une nouvelle déclinaison du Canal Football Club, son programme phare dédié football, nommé sobrement Canal eSport Club. En novembre, BeIN Sports, la chaîne qatarie concurrente de Canal+ sur le sport, a obtenu les droits de diffusion de la Orange e-Ligue 1, version jeu vidéo du championnat de France de football, et a lancé un programme baptisé BeIN eSports. Depuis décembre, la plateforme MyTF1 Xtra propose la Xtra Cup autour du jeu League of Legends, avant de lancer Gaming en février 2017 une émission toujours diffusée sur sa plateforme Xtra. Un projet de télé-réalité avait été annoncé en même temps par TF1, qui devait mettre en scène des joueurs tentant de se qualifier pour les Championnats du monde de League of Legends. Ce programme devait être lancé en avril, mais ne fait aujourd’hui plus trop parler de lui.

L’eSport semble donc se développer au sein des chaînes de télévision, aussi bien à l’antenne qu’en ligne. L’abondance des programmes et des projets autour du sport électronique montre bien l’envie des chaînes de proposer des contenus à destination principalement d’un public jeune, celui-là même qui déserte le poste de télévision. Ce pari est-il gagnant ? Éléments de réponse auprès de Canal + et BeIN Sports.

Traiter l’eSport comme un contenu premium à destination de nouveaux publics

Familière depuis sa création avec la Ligue 1 -  le championnat de France de football -  BeIN Sports a emboité le pas de la chaîne L’Équipe et de sa E-Football League en diffusant sur ses antennes la Orange e-Ligue 1. Cette compétition, opposant des joueurs représentant les véritables écuries de Ligue 1 sur le jeu FIFA 17, se déroule en trois temps : un tournoi d’hiver de novembre à janvier, un tournoi de printemps de février à mars, et des playoffs(1) sur une soirée réunissant les quatre vainqueurs (deux sur PS4 et deux sur Xbox One). Ces derniers ont été diffusés le 22 mai en prime time et en clair sur BeIN Sports 1, la chaîne principale du groupe. Florent Houzot, directeur de la rédaction de BeIN Sports, explique pourquoi il a répondu à l’appel d’offres de la Ligue de football professionnelle (LFP) qui a créé le tournoi : « on y a répondu parce que nous sommes dans la recherche de nouveaux programmes, d’innovation, pour essayer de toucher un maximum de nouveau publics, et l’eSport rentrait complétement  dans ce cas de figure ». La chaîne s’est également attaché les services de figures bien identifiées du sport électronique, en l’occurrence Bruce Grannec, triple champion du monde et quadruple champion de France sur FIFA, et son compère Mahmoud « Brak » Gassama, qui officiaient à la tête de l’E-Football League auparavant. Le fait de diffuser les playoffs en clair et en direct, avec des moyens comparables aux émissions phares de la chaîne, prouvent l’importance accordée à la compétition par la chaîne, qui a également programmé une émission hebdomadaire consacrée à l’eSport présentée par Tweekz et DominGo.

esport_bein_television_fifaDe son côté, Canal+ a fait le choix de lancer, en octobre 2016, un programme dédié à l’eSport calqué sur un concept qui a fait ses preuves. Le Canal eSport Club reprend les codes de son grand frère le Canal Football Club (plateau, générique, structure), qui connaît un grand succès tous les dimanches en clair sur la chaîne cryptée. L’émission se décline en deux versions : un format hebdomadaire court (6-7 minutes) où le présentateur, Olivier Morin, lance plusieurs reportages d’actualités, et un format mensuel de 45 minutes avec des invités en plateau, plus proche du modèle du Canal Football Club. « L’idée originelle était de retrouver la même volonté que pour le Canal Football Club de mettre des experts autour de la table qui vont décoder le monde de l’eSport, explique Olivier Morin. Pour le niveau de langage, on a choisi de créer des passerelles grand public pour permettre à n’importe qui de comprendre l’eSport, et d’apporter ensuite plus de densité pour les gamers connaisseurs ». L’incarnation du programme n’a pas été négligée non plus en ce qui concerne la présentation et les consultants présents en plateau, à l’instar de Genius, joueur professionnel spécialisé dans les jeux de combat.

Diversification ou remplissage ?

Dans un contexte de concurrence accrue sur les droits sportifs, avec notamment les offensives venues de SFR, Canal+ et BeIN Sports ont perdu du terrain sur le rectangle vert. L’eSport serait-il le parfait bouche-trou pour combler les vides laissés par football dans les grilles ? Il semblerait que non, du moins pas complètement. « Aujourd'hui, les discussions que nous avons à propos de la reconduction de l'émission ne touchent pas les discussions sur le football, explique Julien Tanay, responsable éditorial web du Canal eSport Club. Le groupe peut se féliciter d'avoir élargi le spectre des disciplines couvertes, parce qu'évidemment lorsque les droits du football arriveront à terme, il sera bénéfique d'avoir mis un pied dans l'eSport » précise-t-il cependant. Pour BeIN Sports, la perte programmée des droits de la Ligue des Champions et de l’Europa League en 2018 représente un trou important dans les grilles en semaine. Cependant, Florent Houzot se veut catégorique : « la Champions League ne se remplace pas en tant que telle. L'ensemble de nos trois millions d'abonnés continuera à avoir le championnat espagnol, italien et allemand tous les week-ends. Et puis on a aussi une offre multisports, avec notamment les tournois de tennis qui peuvent se dérouler en semaine. Nous nous adaptons au calendrier des compétitions d'eSport, qui ont lieu de toute façon plutôt le week-end ».
 
esport_bein_television_fifa_finale_ligue1Au sein des chaînes, le choix de diffuser de l’eSport s’est fait dans un relatif consensus. « On a une rédaction avec une moyenne d'âge autour de 35 ans, dont certains journalistes sont plus jeunes que ça et jouent régulièrement aux jeux vidéo, que ce soit FIFA ou League of Legends. Donc il n'y a pas eu de débats sur le fait que BeIN diffuse de l'eSport, explique le directeur de la rédaction de la chaîne qatarie. Le sport c'est avoir les mêmes règles pour tout le monde, u n adversaire et d'essayer de gagner. Le football, le rugby ou le tennis sont sur ce schéma, et l'eSport aussi donc il a sa place sur nos antennes » ajoute-t-il. Même son de cloche à Canal + : « L'arrivée de l'eSport a suscité toutes sortes de réactions au sein de la rédaction, mais pour la majorité c'était une agréable surprise. D'abord parce qu'en interne, Olivier et moi avons fait un important travail de pédagogie sur le sujet » raconte Julien Tanay. Olivier Morin renchérit en expliquant que « les autres présentateurs de la chaîne ont tous étaient très surpris du professionnalisme que nous avons apporté ».

Flou sur les audiences

Apprécier le succès de ces programmes en termes de d’audience n’est pas facile, car les chaînes se font discrètes sur les chiffres. Julien Tanay avance simplement que « les objectifs de remplissage de la case allouée ont été atteints. Pour la mensuelle, qui est diffusée le vendredi soir à 23 heures, les scores correspondent à ce qui est attendu pour une émission programmée à ce moment-là sur Canal+ Sport ». Les audiences sont en partie corrélées aux personnalités présentes et le replay sur le site de l’émission fonctionne très bien.

 Évidemment, on n’espère pas faire 1,8 millions de téléspectateurs comme on a pu le faire sur PSG-Barcelone. 
Pour BeIN Sports, qui ne reçoit ses audiences que par vagues tous les six mois, impossible de mesurer l’impact réel de la case dédiée à l’eSport. « Ce qui nous importe, ce sont nos chiffres d’abonnements, et nous recrutons. Certes, grâce aussi et surtout à la Ligue 1 et la Ligue des Champions, mais on a certainement recruté avec l’eSport, analyse Florent Houzot. Nous avons aussi été en mesure d’être très présents sur les réseaux sociaux avec les comptes de nos présentateurs, les comptes BeIN Sports qui comptent un million d’abonnés sur Twitter et six millions sur Facebook, ce qui nous a permis de toucher les jeunes. Évidemment, on n’espère pas faire 1,8 millions de téléspectateurs comme on a pu le faire sur PSG-Barcelone ». Sur la plateforme Twitch, partenaire de la diffusion de la e-Ligue 1, la finale du tournoi de printemps a compilé 500 000 vues.

Quid de l’eSport demain à la télévision ?

 Si lors d'une finale d'un tournoi d'eSport les serveurs plantent c'est game over. 
Fort de son succès sur les antennes et à l’engouement suscité sur les sites Internet de ces deux chaînes, l’eSport semble avoir un bel avenir à la télévision. Canal + va reconduire son Canal eSport Club l’année prochaine : « notre défi de l'été est de retenir sur l'année écoulée ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas pris, et de trouver de nouveaux formats que l'on va continuer à tester auprès des communautés de connaisseurs », détaille Julien Tanay. Quant à la possibilité de diffuser des compétitions de jeu vidéo en direct, l’idée est envisagée mais rien n’est acté. Cela passe d’abord par la nécessité de convaincre en interne du bien-fondé de la diffusion de tournoi, et par les limites techniques. « Au football, tant que les joueurs peuvent courir, le match continue, alors que si lors d'une finale d'un tournoi d'eSport les serveurs plantent c'est game over » tempère Julien Tanay. De son côté, Olivier Morin présage que « la communauté qui suit l’eSport a aussi envie de se retrouver sur Internet, c'est pour cela que le Canal eSport Club a une vraie proposition éditoriale sur la partie web. Diffuser des compétitions à l'antenne n'est pas forcément un aboutissement ».
 
BeIN Sports est quant à elle tributaire des organisateurs de la Orange e-Ligue 1 pour la suite. « La suite appartient à la LFP, qui va à nouveau décider en interne de voir comment ils vont continuer à développer cette compétition. J’imagine qu'avec le succès de la première édition, il y en aura une deuxième. Mais comment elle va la mettre en place et si elle fera un nouvel appel d'offres, ça c'est à la Ligue de répondre, expose Florent Houzot. Nous, en tout cas, au vu des moyens et des efforts consentis, nous souhaiterions continuer à diffuser la e-Ligue 1 ».
 
Un peu plus d’un an après les débuts de l’eSport à la télévision française, plusieurs chaînes ont osé se lancer et ont testé des formats d’émissions et des retransmissions en direct. Certaines émissions perdurent, d’autres ont été arrêtées. De nouveaux projets diffusés à l’antenne ou sur les plateformes digitales, sont à attendre, le développement de l’eSport à la télévision étant encore dans une phase d’expérimentation. Reste à savoir si toutes ces expériences rendront plus accessible au grand public la pratique du sport électronique.

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Crédit photos :
Playoffs de la Orange e-Ligue 1. PANORAMIC/JB AUTISSIER avec l'aimable autorisation de BeIN Sports.
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Matchs qui se déroulent après une saison régulière. 

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